Interview de M. Alain Madelin, vice-président du PR et président du Mouvement Idées-Action, à France 2 le 30 septembre 1996, sur son parcours personnel, l'emploi, l'égalité des chances et le racisme.

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Média : Emission Franchement - France 2 - Télévision

Texte intégral

Mme Chabot : Bonsoir.

M. Duhamel : Bonsoir.

Mme Chabot : Bonsoir Alain Madelin.

M. Madelin : Bonsoir.

Mme Chabot : Merci d'avoir accepté d'être le premier invité de cette première émission « FRANCHEMENT ». « Franchement » est une interpellation, nous espérons que vous serez tout à fait, ce soir, sincère et authentique pendant cette émission qui nous permettra de revenir un peu sur vos choix, sur votre carrière...

M. Duhamel : ... Et vous aurez l'occasion de présenter à fond et devant un contradicteur dont vous ne connaissez pas le nom une idée à laquelle vous tenez particulièrement.
Commençons tout de suite par un portrait réalisé par Nathalie Saint-Cricq avec l'aide du service politique et du service économique de la rédaction de France 2. Alain Madelin vu par ceux qui vous aiment et ceux qui vous aiment moins.

M. de Poniatowski : Alain Madelin est sympathique aux Français, d'abord, parce qu'il a été chassé comme un larbin par Alain Juppé.

M. Blondel : L'homme est charmeur, sympathique. Si je voulais donner quelque chose d'agréable, eh bien, il fume le cigare, moi aussi. Cela peut parfois rassembler. Ceci étant, quand on se voit, généralement on s'engueule.

M. Pasqua : Il a des idées, ce qui n'est pas si fréquent.

M. Weber : C'est un doctrinaire. Il a l'esprit de système.

M. Gattaz : C'est un homme politique dynamique, non conformiste, ce qui est rare pour les politiciens.

M. Pineau-Valencienne : Ce qui est dommage, c'est que, quelquefois, les non conformistes n'arrivent pas jusqu'au bout de leur projet. Et on l'a bien vu.

M. Hue : Derrière une tête de premier de la classe, se dissimule un représentant de la Droite la plus cynique.

M. Moscovici : Sur le plan de l'économie, de la vision de la Société, c'est tout de même un homme qui se situe à droite de la Droite.

M. Raffarin : Indépendant et libre, c'est-à-dire que ce n'est pas toujours facile de travailler avec lui parce que c'est un peu un solitaire.

M. Gaudin : Il s'est amélioré dans le contact. Il n'était pas, comment dirais-je, tellement expansif et, depuis qu'il est maire de Redon, il l'est devenu.

M. Léotard : Je suis libéral comme il l'est, peut-être de façon moins flamboyante. Mais je le suis profondément, très attaché au libéralisme économique et politique. Et donc il n'y a aucune raison que nous nous séparions durablement.

M. Hollande : Il s'est entiché de François Léotard. Il a découvert sur le tard, il est vrai, Jacques Chirac et maintenant il fait des bisous, si on a bien compris, avec Charles Pasqua. Donc, c'est un sentimental, mais son histoire d'amour est toujours avec la Droite dure.

M. Raoult : On dit parfois que c'est un agitateur d'idées. Je dirais que c'est un faciliteur d'actions.

M. Bedier : C'est vrai que la partie idées est toujours passionnante, la partie agitation est quelquefois plus difficile à suivre.

M. Gollnish : Je pense qu'il s'est acoquiné avec des gens qui n'avaient rien à voir avec les idées qu'il défend et qu'il aurait plus de points communs avec nous...

M. de Villiers : C'est un bulldozer, ce n'est pas une sarcleuse. Il ne fait pas dans le jardinage.

M. Duhamel : Dans ce que vous venez d'entendre, il y a un certain nombre de jugements contradictoires, lequel vous paraît le plus juste ? Lequel vous paraît le plus faux ?

M. Madelin : Je n'ai pas de commentaire particulier à faire. Sans doute, il y a un peu de vrai dans tout ce que j'ai entendu. Je ne suis peut-être pas tout à fait comme les autres en politique, de par mes origines, de par mon parcours, je ne suis pas toujours très politiquement correct, mais j'essaie d'avoir une ligne droite et une certaine fidélité à mes idées et mes convictions.

Mme Chabot : Quand on dit que vous êtes anticonformiste et dérangeant, vous êtes ravi ?

M. Madelin : Ah ! Oui, bien sûr. Parce que la pire des choses, quand le monde bouge, ce serait de ne pas bouger. Donc, j'essaie toujours d'avoir une idée d'avance, une analyse d'avance. Si vous regardez mon parcours...

Mme Chabot : ... On va en parler tout à l'heure.

M. Madelin : Juste d'un mot, mais il me semble avoir souvent été en avance d'une idée, d'une proposition, d'une solution. Donc, si j'ai un peu un rôle éclaireur pour les solutions politiques, tant mieux.

M. Duhamel : Vous doutez de vous ?

M. Madelin : Souvent, oui, bien sûr. « Commencer à douter, c'est commencer à être libéral », disait Raymond Aron.

Mme Chabot : Revenons sur les questions d'actualité.

Actualité

Mme Chabot : Vous en avez un peu parlé tout à l'heure pendant le journal de 20 heures, la grève des enseignants aujourd'hui, qu'en pensez-vous ? Que des enseignants demandent un budget qui reste élevé, demandent de nouveaux postes, est-ce que cela vous semble choquant ?

M. Madelin : Des grèves d'enseignants, il y en a eu, il y en aura. Le problème, aujourd'hui, c'est la situation de l'enseignement. Il n'a pas mal bougé, mais il faut qu'il bouge encore. Il est clair qu'aujourd'hui, d'un côté, vous avez des tas de jeunes qui sont laissés sur le carreau, est-ce que la réponse de l'enseignement classique n'est pas la bonne ? Et puis, vous avez, de l'autre côté, des gens qui vont jusqu'au bout de leur diplôme. Cela représente beaucoup de sacrifices pour leurs parents, mais leur diplôme ne vaut plus grand chose. Alors, la solution à tout cela, ce n'est pas de rendre davantage d'argent, davantage d'enseignants, c'est d'abord dans une réforme en profondeur du système.

Sur ce sujet comme sur d'autres, d'ailleurs, vous avez des lignes de partage, ce ne sont pas des lignes de partage traditionnelles de la Droite et de la Gauche, les lignes de partage seront entre les conservateurs et les réformateurs. Il peut m'arriver d'avoir davantage de points communs avec Monsieur Fauroux, ancien ministre socialiste, ou avec Monsieur Allègre, ancien directeur de cabinet de Monsieur Jospin lorsque ceux-ci proposent des réformes que tel ou tel qui, à Droite, ne bouge pas.

M. Duhamel : Sur un point précis, vous dites : « La solution, ce n'est pas toujours plus de moyens ou plus d'adultes, plus de personnels », quand il s'agit de la violence à l'école, par exemple, ne vaut-il pas plus d'adultes et plus de moyens ?

M. Madelin : Oui, bien sûr, c'est évident qu'il est nécessaire de faire rentrer à nouveau un peu d'adultes et de pions, comme on disait autrefois...

M. Duhamel : ... Donc, de moyens.

M. Madelin : À l'intérieur des collèges et des lycées. Bien sûr. Mais ne me faites pas dire qu'il ne faut pas de moyens. Juste un chiffre : je ne me satisfais pas d'un pays qui, comme la France, consacre moins d'argent à son enseignement supérieur que le seul déficit de la SNCF. Ce qui fait que le déficit de la SNCF, c'est de l'argent qu'on n'a pas pour l'enseignement supérieur. Donc, l'argent et les talents ne sont pas toujours là où ils devraient être.

Mme Chabot : Quand le chômage augmente de 40 000 personnes supplémentaires en un mois, compte tenu de ce que vous pouvez sentir de la situation économique, compte tenu de ce que fait le gouvernement, pouvez-vous être optimiste ?

M. Madelin : Moi, je suis fondamentalement un optimiste sur notre capacité à retrouver le chemin du travail pour tous. Et je peste, peut-être que j'y reviendrai tout à l'heure, contre ce formidable gâchis des talents et des énergies que je constate dans le pays.
Les solutions, elles existent, elles sont là à l'emploi, on les voit tous les jours en bas. Mais il y a toujours un décalage...

Mme Chabot : ... Cela veut dire que le gouvernement ne fait pas ce qu'il faut ?

M. Madelin : Non, cela veut dire qu'il y a, les docteurs de Droite ou les docteurs de Gauche, une crise plus profonde qui est une crise de système. C'est que les solutions politiques venues du haut ne savent plus résoudre un certain nombre de problèmes.

M. Duhamel : Et votre pronostic sur l'évolution du chômage l'année prochaine, compte tenu de ce que nous savons maintenant ?

M. Madelin : Je regarde les pronostics des uns et des autres...

M. Duhamel : ... Mais le vôtre ?

M. Madelin : Le mien, c'est que nous n'aurons pas d'amélioration sensible, sauf, et j'essaie d'y travailler, s'il y a une sorte de sursaut collectif qui nous permette d'arrêter d'un peu de se serrer un peu la ceinture pour se retrousser les manches.

M. Duhamel : Alain Juppé a dit de Jean-Marie Le Pen qu'il était raciste, antisémite et xénophobe. Est-ce une formule que vous reprenez à votre compte ?

M. Madelin : Cela a déclenché un beau charivari, me semble-t-il ? Mais, derrière ce charivari, qui a répondu à Monsieur Le Pen ? Je n'ai pas entendu la réponse. Qu'a dit Monsieur Le Pen ? Il a dit qu'il y avait des inégalités entre les races...

M. Duhamel : ... Une hiérarchie, oui.

M. Madelin : Ce qui – compte tenu du contexte, celui du Front National ou celui qu'on prête au Front National – entraînait qu'il y avait peut-être des gens qui étaient supérieurs aux autres. Moi, je voudrais répondre à cela avec mes convictions : Il est vrai qu'il y a des différences entre les races mais personne ne sait très bien ce qu'est une race ? Nous sommes tous, les uns et les autres, un peu des métis...

M. Duhamel : ... Un peu ou beaucoup ?

M. Madelin : Plus ou moins. Mais qui peut dire qu'il est à 100 % Français ? Et qu'est-ce que cela signifierait de dire 100 % Français ? Rien. Et puis il y a sûrement aussi des différences entre les hommes et ces différences entre les hommes, à mes yeux, font que chaque homme est unique. Cela veut dire qu'il est libre, il est responsable, « responsable devant Dieu » diront les uns, « responsable devant sa conscience » diront les autres. Mais je crois que cette liberté, cette responsabilité de tous les êtres humains font l'égale dignité de tous les êtres humains.
Je crois, sur ce point, que c'est peut-être oublier ce message que de distiller une pensée xénophobe. Je suis étranger à toute pensée xénophobe.

M. Duhamel : Et en un mot la formule d'Alain Juppé, vous la reprendriez ou pas ?

M. Madelin : Non, je ne la reprendrais pas parce qu'elle me paraît entraîner une dangereuse escalade et je me fais une autre idée du débat politique. En revanche, quand quelqu'un dit qu'il y a une inégalité entre les races, je préfère lui répondre : « Non, Monsieur Le Pen, il y a une égale dignité de tous les êtres humains et nous ne partageons peut-être pas les mêmes valeurs sur ce point ? ». Et les valeurs qui sont les miennes, je les tiens, pour le moins, comme des valeurs capables, aujourd'hui, de représenter les Français et l'héritage de notre pays.

Mme Chabot : Si vous ne reprenez pas les mots d'Alain Juppé à l'égard de Jean-Marie Le Pen, vous ne craignez pas qu'on vous accuse d'une certaine complaisance ?

M. Madelin : Est-ce le problème aujourd'hui ? Je crois qu'il faut, aujourd'hui, essayer de répondre avec la vérité. Je crois que ce débat-là, on ne va pas le résoudre par l'interdiction, l'interdiction du Front national ou l'interdiction des propos du Front national. Je crois à la vérité, à la splendeur de la vérité, comme dit Jean-Paul II. Je crois à la nécessité d'opposer l'explication et la vérité aux mensonges, aux erreurs ou aux outrances.

Mme Chabot : Sur le terrain électoral, il faut faire un front républicain contre le Front National ou on règle cas par cas ?

M. Madelin : Ne pourrait-on pas parler d'autre chose ?

M. Duhamel : On va le faire.

M. Madelin : N'y-a-t-il pas d'autres problèmes, aujourd'hui ? Et est-ce que les gens ne sont pas justement fatigués de la vie politique ?

Mme Chabot : Ces problèmes, ce sont ceux que soulèvent les électeurs du Front national.

M. Madelin : Parce que le débat, aujourd'hui, tourne autour toute une série de petites phrases ou toute une série de manoeuvres politiques éloignées des préoccupations des Français.

Mme Chabot : Nous allons parler d'autre chose et de vous, c'est-à-dire de vos choix, de vos engagements, de votre itinéraire.

Repères

Mme Chabot : Vous voilà tout petit avec maman. On va vous voir tout petit avec papa. Que faisaient vos parents ? Ils travaillaient tous les deux, je crois ?

M. Madelin : Oui, mon père était ouvrier chez Renault, ma mère était secrétaire. Ils s'étaient connus au moment de l'université ouvrière du Front populaire.

M. Duhamel : Là, on vous voyait, il y a un instant, l'air pas très content. Vous étiez particulièrement turbulent ? ...

M. Madelin : Je ne suis pas certain d'avoir été toujours le premier de la classe dont parlait Monsieur Hue tout à l'heure.

Mme Chabot : Quand on est, comme vous, dans un milieu populaire où vous viviez à Paris, dans le Xe arrondissement, vous aviez des copains, quand on est issu de ce milieu, apprend-on des choses dans la rue au contact des uns et des autres ? Qu'avez-vous gardé de cette période ?

M. Madelin : Je ne sais pas très bien comment le dire, mais j'ai gardé, de ce milieu modeste et même assez pauvre d'ailleurs, le sentiment d'une générosité des gens simples et puis le sentiment qu'il y a bien des choses, comme le dit Saint-Exupéry, qu'on ne comprend pas avec la raison, que l'on comprend avec le coeur. Si tout homme en vaut un autre, un homme qui souffre parce qu'il est blessé par la misère ou blessé dans sa dignité, mérite sans doute qu'on lui porte dix fois plus d'attention.

M. Duhamel : En venant de la famille dont vous veniez, avec les idées dont vous parliez, vos parents qui s'étaient connus à l'université populaire, etc. le milieu que vous étiez en train de décrire, comment, lorsqu'on est adolescent, en arrive-t-on à l'extrême-droite ? Parce que ce n'est pas un Itinéraire banal, ça.

M. Madelin : Oui, mais il faut remettre ça dans son contexte. Le contexte, à l'époque, c'était l'époque des passions estudiantines. Il y a eu la guerre d'Algérie, il y avait l'affaire de la guerre du Viet Nam et il y a eu le Cambodge et le génocide du Cambodge et j'ai fait le choix d'un anticommunisme passionné. J'ai sans doute fait beaucoup d'erreurs...

M. Madelin : ... Votre père, par exemple, là-dessus ? ...

M. Madelin : Non, non, il n'y a aucun rapport avec les parents...

M. Duhamel : ... Cela aurait pu.

M. Madelin : Cela aurait pu, mais ce n'était pas le cas. C'était le choix d'un anticommunisme. Voyez-vous, le communisme, pour moi, représentait le totalitarisme de mon époque. Je me suis souvent posé la question, ensuite, dans la vie politique : qu'est-ce qui se serait passé, quelle aurait été mon attitude si j'avais vécu la guerre et l'occupation nazie ? Quand je me pose cette question, je n'ai aucun doute, j'ai le sentiment que je me serais engagé. Et c'était un engagement aussi passionné d'étudiant, peut-être avec ses excès, contre ce qui était le totalitarisme de mon époque et une extraordinaire complaisance que tous avaient, à l'époque, en faveur du communisme.

Mme Chabot : À l'époque, c'étaient des combats verbaux, mais aussi un peu de violence. Avez-vous été violent, vous-même ?

M. Madelin : Ah ! oui. C'était les traditionnelles bagarres d'étudiants du quartier latin. Et le plus drôle, c'est que j'ai souvent rencontré, après, dans la vie politique, mes anciens adversaires du quartier latin...

M. Duhamel : ... Par exemple ?

M. Madelin : À l'époque, il y avait Kouchner qui s'était engagé ou d'autres.

M. Duhamel : C'est-à-dire que vous vous battiez à coups de poings avec lui ?

M. Madelin : Ou même mes amis de « Médecins sans frontières » aujourd'hui. D'ailleurs, nous nous sommes retrouvés avec les gens de « Médecins sans frontières » ou certains d'entre eux au Cambodge, en Thaïlande lorsque nous avons découvert le génocide. Et, là, très sincèrement, je regrette peut-être les passions, mais je ne regrette pas les choix que j'avais faits quand j'étais en étudiant.

M. Duhamel : En un mot, vous avez l'impression que la Société aujourd'hui est plus violente qu'à cette époque ?

M. Madelin : Je ne sais pas, je ne peux pas répondre. Ce n'est pas la même. Mais il y a sans doute une violence sourde dans les banlieues que nous n'avions sans doute pas à l'époque.

Mme Chabot : Deuxième partie, votre engagement, votre entrée en politique.

« 1978 :
M. Madelin : Nous surprendrons plus d'un par l'audace de nos propositions ».

Mme Chabot : Là, c'est 1978. Vous venez d'être élu député. Les cols de chemise sont un peu plus longs qu'aujourd'hui. C'est Redon, c'est toujours votre circonscription et la ville dont vous êtes le maire. Vous êtes engagé républicain indépendant, puis au Parti Républicain. Là aussi, pourquoi avoir choisi les Républicains indépendants ? C'est un Parti un peu bourgeois.

M. Madelin : J'ai choisi les Républicains indépendants au moment de Giscard d'Estaing. Il représentait le choix de la modernité, le choix libéral, enfin, le plus libéral pour l'époque. Libéral, décentralisateur. Et je ne regrette pas ce choix, c'est une famille de pensées qui a ses lettres de noblesse dans la vie politique.

M. Duhamel : Et vous trouviez que cela faisait plus jeune que le gaullisme, par exemple ? C'était l'autre choix dans votre famille.

M. Madelin : Non, ce n'est pas plus jeune, mais je n'étais pas gaulliste, même si, aujourd'hui, il m'arrive de penser qu'il faudrait à notre pays un sursaut gaulliste.

Mme Chabot : Vous étiez anti-gaulliste, vous n'étiez pas gaulliste, surtout depuis l'Algérie ?

M. Madelin : Oui, les séquelles de l'affaire algérienne. Lorsque vous avez 16 ans et que vous voyez les Harkis qui s'étaient battus pour la France, drapeau bleu-blanc-rouge, uniforme français, abandonnés, massacrés avec leurs familles, cela fait une blessure qui, pour beaucoup de gens, n'est pas encore cicatrisée.

M. Duhamel : En un mot, aujourd'hui, qu'est-ce qui vous rend plus proche de l'UDF que des gaullistes justement ? En quoi vous sentez-vous plus proche de l'un que de l'autre ?

M. Madelin : Ce que je voudrais, c'est l'alliance des deux.

M. Duhamel : Oui, ça, c'est une formule ou une pirouette ?

M. Madelin : Non, non, pas du tout…

M. Duhamel : ... Vous répondez franchement, là ?

M. Madelin : C'est une réflexion de fond aujourd'hui. Nous sommes dans une période de blocage et, dans les périodes de blocage, il faut un sursaut. J'allais dire : « un peu comme en 58 ». C'est d'ailleurs ce que j'espérais dans la campagne présidentielle, c'est qu'elle serait suivie d'une sorte de sursaut du type 58. Et 58, qu'est-ce que c'était ? 58, c'était à la fois une politique libérale sur le plan économique, Pinay, Rueff et, en même temps, le sursaut gaulliste des Institutions. J'ai le sentiment que c'est encore cette alliance des deux qui est d'actualité aujourd'hui.

Mme Chabot : Sur les images, on vous a vu tout à l'heure avec François Léotard, c'était la fameuse période de « la bande à Léo ». Qu'est-ce qui vous a rapproché d'avec François Léotard ?

M. Madelin : L'envie de faire bouger la France et l'envie de diffuser des idées qui, à l'époque, étaient des idées libérales qui apparaissaient comme des idées neuves, qui avaient du mal à s'acclimater dans la vie politique française. Je crois qu'ensemble nous avons fait progresser ces idées.

M. Duhamel : Qu'est-ce qui vous en a éloigné ?

M. Madelin : Parce que j'avais envie peut-être d'aller plus loin, de continuer à les pousser.

Mme Chabot : Troisième moment fort pour vous comme pour tout le monde d'ailleurs, c'est en novembre 1989.

« Novembre 1989 : la chute du mur de Berlin ».

M. Madelin : Je n'étais pas sûr de le voir de mon vivant. Un empire totalitaire comme l'empire soviétique, on n'était pas sûr de le voir s'écrouler. On pouvait l'espérer et puis cela a été fait.

M. Duhamel : C'est le plus beau jour en politique ?

M. Madelin : Oui, c'est une rupture pour moi. Parce que l'essentiel d'un premier combat était achevé. Puis j'ai eu une chance extraordinaire, c'est que j'avais pris contact avec des tas de gens qui étaient des dissidents dans l'ensemble des pays de l'Europe de l'Est et ce sont mes amis qui, la plupart du temps, dans la quasi-totalité de ces pays, ont été appelés comme les premières équipes au gouvernement.
Si on m'avait dit quand j'étais gamin, étudiant, engagé au quartier latin que, un jour, je déjeunerais ou je dînerais avec des amis libéraux au Kremlin, jamais, je ne l'aurais cru.

Mme Chabot : Quatrième temps : retour sur la campagne présidentielle de 1995 avec un résumé de Nathalie Saint-Cricq.

« M. de Villepin : Le Président de la République a décrété ce qui suit : sont nommés ministres, Monsieur Alain Madelin, ministre de l'économie et des finances...

M. Madelin : Est-il normal qu'en matière de retraite... on a demandé à tous les salariés du secteur privé de calculer la retraite, dorénavant, sur quarante années de cotisations. Et puis il y a des secteurs où nous sommes restés à 37,5 années. N'est-ce pas une injustice entre les Français du secteur protégé et les Français du secteur exposé ?

M. Juppé : Les déclarations du ministre de l'économie et des finances contrarient la volonté réformatrice du gouvernement fondée sur une politique de justice sociale et fiscale, comme je viens de le dire, et sur une méthode de concertation large et responsable. Dans ce contexte, Monsieur Alain Madelin m'a présenté sa démission et je l'ai acceptée. »

M. Duhamel : Il faut revenir à l'essentiel, pourquoi avez-vous choisi Jacques Chirac ? Qu'est-ce qui vous plaisait ?

M. Madelin : Je me suis expliqué à l'époque et j'ai expliqué qu'il y avait, dans l'Histoire, des périodes de remise en ordre et des périodes de remise en cause. Dans les périodes de remise en ordre, il faut des qualités de chef d'État qui auraient peut-être été davantage, à mon avis, celles d'Édouard Balladur, qualités d'arbitre. Puis, il y a des remises en cause où il faut avoir une capacité d'entraînement et une proximité avec les Français en ces périodes difficiles de rupture et de fracture sociale qui me paraissaient être les qualités de Jacques Chirac et des qualités importantes pour l'avenir. Je le pense toujours.

Mme Chabot : Vous n'avez pas été déçu par Jacques Chirac ? Par le gouvernement ?

M. Madelin : La réponse est « oui », bien sûr. J'ai été déçu par les cent premiers jours. Il existe une fenêtre d'opportunité extraordinaire pour faire bouger un pays. L'élan de la campagne présidentielle, on transforme l'élan ou on ne transforme pas l'élan. On n'a pas réussi – j'ai ma part de responsabilité – à transformer l'élan et c'est, à mes yeux, une occasion ratée. Et, à un moment donné, c'est vrai qu'un désaccord est apparu avec le Premier ministre. Quand il y a un désaccord entre le ministre de l'économie et des finances, il ne peut pas y en avoir deux, et le Premier ministre, je suis parti et le Premier ministre est resté, c'est la logique.

M. Duhamel : Comme cela s'appelle « FRANCHEMENT », sont-ce simplement des divergences politiques ou avez-vous de l'allergie l'un pour l'autre ?

M. Madelin : Non, non, ne voyez pas de l'allergie. On a chacun son tempérament…

M. Duhamel : ... C'est une question.

M. Madelin : Mais les tempéraments qui se heurtent, c'est plutôt une bonne chose. On s'était prévenus mutuellement, dès le départ.

Mme Chabot : Sincèrement, quand vous êtes sorti de l'Hôtel Matignon après avoir rompu avec le Premier ministre, qu'est-ce que vous vous êtes dit ? Vous êtes-vous dit : « Zut, c'est raté » ?...

M. Madelin : Ah ! non, pas du tout. Je me suis dit : « un nouveau combat commence ». Vraiment, j'étais très calme et très détendu.

Mme Chabot : Par exemple, vous avez un mouvement qui s'appelle IDÉES-ACTION qui regroupe des gens qui réfléchissent avec vous, est-ce que cela pourrait devenir un parti politique ? Ou restez-vous au sien de l'UDF ?

M. Madelin : De toute façon, IDÉES-ACTION, le mouvement que j'anime, merci de le rappeler, est un mouvement qui a vocation à essayer d'entraîner l'opinion, une majorité de Français et une majorité politique sur la politique que j'estime bonne pour mon pays. Les choses sont claires. À un moment donné, je croyais qu'il y avait une politique qui était possible pendant les cent jours de l'après-campagne présidentielle. Une autre politique ou une politique suffisamment différente a été choisie, j'ai choisi la fidélité à mes idées et à mes convictions.

M. Duhamel : En un mot, pour ne pas faire de politique politicienne parce qu'on a beaucoup d'autres thèmes, Jacques Chirac vient de dire que, quand on critique Alain Juppé, c'est comme si on le critiquait, lui. Cela veut-il dire que, maintenant, vous êtes le muet du sérail potentiel ?

M. Madelin : Je ne suis ni sourd, ni aveugle aux problèmes du pays ?

Mme Chabot : Et vous voterez la confiance à Alain Juppé, mercredi prochain, à l'Assemblée ?

M. Madelin : Le mot « confiance » est un raccourci. En réalité, est-ce que je mêlerai ma voix à celles des communistes et des socialistes pour faire chuter ce gouvernement, d'autant que le Premier ministre, comme vous l'avez rappelé, cher Alain Duhamel, a la confiance du Président de la République ? Bien évidemment, je n'irai pas mêler ma voix dans un refus de ce gouvernement. Il n'empêche que je peux avoir une divergence d'analyse, de propositions et de solutions. Il n'y a pas de pensée unique, il n'y a pas de parti unique, il n'y a pas de solution unique, heureusement I Heureusement, j'essaie de présenter des propositions alternatives, peut-être que nous allons en parler, à l'intérieur de la majorité présidentielle et même au-delà de la majorité présidentielle puisque je l'ai dit tout à l'heure je pense que, sur beaucoup de sujets, les clivages ne sont plus les vieux clivages gauche-droite, mais un clivage plus réformateur, conservateur.

Mme Chabot : Avant de parler des solutions, vous allez devoir répondre à deux questions politiquement incorrectes de nos confrères de la presse écrite. Voilà la première, Françoise Sergé.

Politiquement incorrect

Mme Bergé : Franchement, Monsieur le ministre, ce qui m'intrigue chez vous, c'est votre nez. Il est cassé. Je sais que ce n'est pas Juppé qui est l'auteur de ce mauvais coup de poing mais, en revanche, je connais plein de gens qui se vantent de vous avoir cassé le nez dans les années 60 quand vous étiez à OCCIDENT. Qu'est-il vraiment arrivé à votre nez ?

Mme Chabot : La question est simple : qui a cassé le nez d'Alain Madelin ?

M. Madelin : Je n'ose pas le dire...

M. Duhamel : ... Si, si, osez.

M. Madelin : Franchement ?

M. Duhamel : Oui.

M. Madelin : Une chute de patinette quand j'étais petit.

Mme Chabot : Jeune ? Tout petit ?

M. Madelin : Oui, tout petit.

M. Duhamel : Nous allons entendre l'autre question qui est d'un autre confrère de la presse écrite, François Reynaert.

M. Reynaert : Je voudrais tester votre libéralisme sur les questions de société par trois questions courtes :
Premièrement, êtes-vous pour la dépénalisation du cannabis ?
Deuxièmement, êtes-vous pour l'ouverture totale des frontières ?
Troisièmement, êtes-vous pour les contrats de vie commune, c'est-à-dire que les homosexuels au même titre que les hétérosexuels aient le droit de vivre ensemble dans la protection de la loi ?

M. Duhamel : On reprend très vite. Premièrement, la drogue. Dépénaliser le cannabis, vous êtes pour ou contre ?

M. Madelin : Des sujets aussi compliqués que ceux-là ne peuvent pas se régler par des réponses du type « oui » ou « non ».

M. Duhamel : Non, mais vous pouvez avoir une réponse de principe.

M. Madelin : Je préfère avoir une réponse de principe sur ces trois sujets.

M. Duhamel : D'accord.

M. Madelin : La réponse de principe, ce sont trois sujets, trois questions un peu piège, je le reconnais bien volontiers mais, moi, j'essaie très un libéral complet. Libéral sur le plan économique, mais aussi libéral sur les questions de société.

Mme Chabot : Vous avez pris position en faveur de l'avortement à une période où tout le monde ne disait pas cela dans votre camp.

M. Madelin : Et sur les trois sujets qui viennent d'être évoqués, j'ai des positions assez ouvertes.
S'agissant de la question de la drogue...

M. Duhamel : … Du cannabis.

M. Madelin : J'étais partisan du débat sur cette question. Il y a des conclusions qui ont été faites et je regrette qu'on n'ait pas tiré toutes les conclusions de ce débat.

M. Duhamel : Vous, vous auriez été plutôt pourquoi ?

M. Madelin : Une attitude plutôt ouverte. Vous allez me fâcher avec tout le monde, là ?

M. Duhamel : Non, pas du tout. Vous parlez franchement, nous sommes là pour ça.

M. Madelin : Oui, Alain Duhamel, sur une question comme celle-là, il y a des tas de gens qui nous regardent et qui vont se dire : « Oh ! là, là, mais qu'est-ce que cela veut dire ? ». En réalité, il faut avoir le temps de s'expliquer sur un dossier comme celui-là. Il n'y a rien de plus complexe. Et, moi, je pense, dans ces affaires, à toutes ces vies gâchées, à toutes ces tragédies familiales et j'essaie de me dire : « Que peut-on faire pour mettre fin à ce trafic de drogue ? », et surtout la chose qui est la pire, c'est que des gens ont intérêt à se faire trafiquant à leur tour pour payer leur propre dose ou à se faire délinquant. Donc, c'est après avoir étudié tout cela que je suis plutôt partisan d'une attitude ouverte. Mais cela, reconnaissez-le, mériterait un débat plus ouvert.

M. Duhamel : En ce qui concerne les contrats...

M. Madelin : En ce qui concerne le contrat de l'union, j'ai pris position récemment sur cette question.

M. Duhamel : Non, mais dites-le, tout le monde ne le sait pas.

M. Madelin : Oui, mais, là encore, cela mériterait une explication plus longue. Disons qu'il y a des problèmes de couples qui peuvent être revus. En réalité, lorsque l'un disparaît, malgré une vie commune, vous pouvez avoir des conséquences juridiques tout à fait dramatiques.

M. Duhamel : Pour les héritages, par exemple.

M. Madelin : Donc, je suis partisan, effectivement, sans méconnaître, bien évidemment, l'affirmation des valeurs familiales et du droit civil, fondamentale dans notre pays, a une certaine forme d'ouverture juridique sur le plan du contrat.
Et s'agissant de l'ouverture des frontières...

M. Duhamel : ... Voilà, c'était la troisième.

M. Madelin : S'agissant de l'ouverture des frontières, il m'est arrivé, à plusieurs reprises, de dire à quel point j'étais favorable à cette ouverture des frontières et de faire des articles argumentés – vous en avez peut-être lu un certain nombre...

M. Duhamel : ... Oui, oui, nous les avons tous lus.

M. Madelin : Argumentés, très argumentés dans le détail pour répondre à la xénophobie ou à ceux qui pensent que l'on protégera l'emploi en créant d'impossibles lignes Maginot autour du territoire français.
Voilà qui mériterait tout de même des réponses un peu plus longues. Mais, en tout cas, cela vous montre une chose : c'est que, sur ces questions-là, j'essaie d'avoir une attitude aussi ouverte que possible. Il m'arrive de douter, voyez-vous, je ne prétends pas avoir la science infuse, notamment sur deux questions qui sont des questions de vie sociale et de moeurs. Je ne prétends pas du tout avoir la science infuse. Mais en tout cas il y a un débat, je m'intéresse à ce débat et j'essaie toujours d'avoir une attitude ouverte.

Mme Chabot : Par exemple, des nouvelles lois sur l'immigration qui pourraient être présentées et votées au début de l'année prochaine, avec une loi sur le travail clandestin avant ? D'accord ? Pas d'accord ?

M. Madelin : Là encore, on ne peut pas répondre « d'accord, pas d'accord » à une question aussi complexe que celle de l'immigration qui n'est pas traitée depuis un certain nombre d'années. J'ai pris position récemment qui était peu de temps avant l'affaire dite Saint-Bernard pour dire « Attention, il est urgent d'avoir une panoplie de mesures mieux adaptée à la lutte contre l'immigration clandestine ».

L'affaire Saint-Bernard a montré que notre panoplie était parfaitement inopérante et que la police se trouvait dans une situation tout à fait absurde qui consiste à arrêter des gens, à constater qu'ils sont en situation irrégulière et à être obligé de fait de les relâcher dans la nature pour qu'ils vivent ou du travail clandestin ou de la délinquance ou au crochet de notre système de protections sociale. C'est une situation qui n'est pas bonne. C'est la raison pour laquelle, là encore, il faut aborder les choses calmement. Mais je dis qu'il faut absolument avoir des mesures, au-delà de ce qui a été annoncé par le gouvernement, la lutte contre le travail clandestin, non ! des mesures plus aptes à permettre à la police de faire son travail dans la lutte contre l'immigration clandestine.

Et la lutte contre l'immigration clandestine est nécessaire parce qu'on ne peut pas accepter cet État de non droit. Une situation où celui qui est arrêté, ensuite, pour non port de la ceinture de sécurité va dire : « Il y a tout de même deux poids-deux mesures, c'est absurde dans ce pays » et une situation qui est, en même temps, mauvaise pour les immigrés qui, eux, se trouvent en situation régulière et qui se trouvent pâtir de cette réprobation de l'immigration clandestine.

Mme Chabot : Vous allez maintenant avoir la possibilité de développer l'idée à laquelle vous tenez le plus en ce moment.

Idée

M. Duhamel : Alors, cette idée ?

M. Madelin : Comment la résumer ? J'ai tenté une formule, il y a pas mal de temps, sur l'ascenseur social. L'ascenseur social est en panne. Je suis libéral, c'est-à-dire que je défends une Société de liberté. La Société de liberté, je le sais, entraîne forcément un certain nombre d'inégalités. Les inégalités, quand on est en bas de l'échelle sociale, peuvent apparaître souvent toujours choquantes, j'en sais quelque chose, mais c'est la rançon de la liberté. Mais elles ne sont acceptables qu'à une condition, une seule condition, c'est qu'il y ait en permanence un combat pour l'égalité des chances, qu'il y ait une mobilité sociale, que ceux qui sont en bas de l'échelle puissent un peu monter et que ceux qui sont en haut, lorsqu'ils ont fait beaucoup de fautes et beaucoup d'erreurs aussi, puissent descendre.

Je l'avais rappelé un peu dans mon portrait. Mais, moi, j'appartiens à une génération qui a eu la chance de vivre à une époque où l'ascenseur social fonctionnait, où avec un peu de travail, un peu de mérite et surtout beaucoup de chance, on pouvait grimper. Les parents pouvaient élever leurs enfants, c'est-à-dire leur donner une situation un peu meilleure que celle qu'ils avaient eux-mêmes connue. Je crois qu'aujourd'hui cet ascenseur social est en panne. Ceux qui sont en haut gardent les places pour eux, savent se débrouiller dans le système et ceux qui sont en bas ne peuvent plus monter.

Le chômage, ce n'est pas nouveau. Mais le chômage, lorsqu'il redevient héréditaire ou la pauvreté, lorsqu'elle devient héréditaire, c'est un retour très fort de la question sociale, et je suis révolté par cela. Je me dis, devant cette injustice parce que c'est un retour de l'injustice sociale, et dans le même temps d'observer le formidable potentiel de talents, d'énergie qui existe à la base de la Société, qui porte les solutions pour s'en sortir et pour créer des emplois dont nous avons besoin. Donc, le gâchis des talents d'un côté, l'injustice de l'autre, c'est la faute à qui ?

Mme Chabot : Oui, c'est la question que nous allions vous poser Qui est responsable de la panne de l'ascenseur social ?

M. Madelin : C'est la faute à qui ? Vous pouvez dire : quand les docteurs de droite et les docteurs de gauche se sont penchés depuis longtemps au chevet du malade et que les potions des uns et des autres n'ont pas eu vraiment de résultat...

M. Duhamel : ... Eh bien ?

M. Madelin : C'est la faute au système.

M. Duhamel : Français ou au-delà ?

M. Madelin : Aux structures, aux institutions, à tout un système de pouvoirs et de décisions qui est aujourd'hui usé. Il y a une vitalité en bas, il y a une injustice en bas et puis il y a un système qui, en haut, bloque les choses. Alors, je voudrais essayer de contribuer par des réformes audacieuses à retrouver l'initiative, à libérer les énergies, à mieux utiliser ce potentiel de talents.

M. Duhamel : Aujourd'hui, justement, coïncidence, il y a un projet de loi gouvernemental de Jacques Barrot et de Xavier Emmanuelli dont l'objectif est de lutter contre l'exclusion. Est-ce que cela fait partie de ces réformes audacieuses dont vous parliez à l'instant ?

M. Madelin : Oui, je crois que les contrats d'initiative locale, on peut en discuter les modalités, mais l'idée de faire en sorte que des gens ne soient pas enfermés dans l'inutilité est une idée forte. Il y a des gens qui se trouvent aujourd'hui dans le besoin, il faut faire jouer, bien sûr, la solidarité nationale. Le revenu minimum d'insertion, moi, je suis pour, j'ai toujours été pour. Et mon département d'Ille-et-Vilaine est le premier à l'avoir expérimenté avec Pierre Méhaignerie avant même que la loi ne le crée. Mais il y a un « I » pour insertion, et je mesure aujourd'hui à quel point la pire des choses peut-être, c'est d'avoir le sentiment d'inutilité. On ne sert à rien, on n'est plus considéré. On est un numéro anonyme sur un dossier. On n'est plus un nom, on n'est plus une personne. On ne croise plus la considération des autres dans le regard des autres, ni même dans le regard de ses enfants.

Oui, c'est vrai, avec ces contrats d'initiative locale, de pouvoir donner à des gens qui se trouvent enfermés dans des revenus d'assistance la possibilité de faire un travail utile dans les collectivités locales, c'est quelque chose que je veux mettre en oeuvre chez moi, dans ma ville, à Redon, cela me paraît être une bonne chose. Cela étant, il n'en reste pas moins que ce n'est pas la réponse au problème du chômage.

M. Duhamel : Non, non, ce n'était d'ailleurs pas la question.

M. Madelin : La réponse au problème du chômage, c'est de créer des places nouvelles.

Mme Chabot : On peut revenir sur ces situations de détresse parce que je crois que deux témoignages vous avaient frappé lors de leur diffusion à l'époque. C'était dans l'émission « Bas les Masques » de Mireille Dumas, c'était en novembre 1994, et je vous propose de réécouter ces deux témoignages.

« 1994 : Bas les Masques

Intervenant : Ce que je recherche comme travail ? N'importe quoi. Chauffeur poids lourd si je trouve chauffeur poids lourd. Chauffeur VL, si je trouve chauffeur VL. Jardinier, si on me dit : « il faut que tu remues la terre », tu remues la terre. Si c'est ramasseur de merde, je ramasse la merde, je m'en fous ! N'importe quoi, du moment que je ne reste pas à ne rien faire.

Intervenant : J'ai été un moment au chômage. Lorsque vous êtes chômeur, on est exclu, tout vous est fermé, on n'a droit à rien. On nous dit qu'on a droit à ceci ou à cela et enfin de compte on n'a droit à rien puisque que quand on demande, eh bien « non », on n'est pas capable de nous mettre sur la voie à suivre. On n'est pas capable de nous diriger vers des endroits où nous pourrions nous aider. De toute façon, ce n'est pas le but, on ne veut pas être assisté. Moi, j'ai toujours travaillé dans ma vie, je n'ai jamais demandé le chômage, ni d'être assisté. Mon but est que je crie tout fort, tout haut : « je veux travailler, qu'on me donne les moyens de travailler ». Il y en a marre de cette Société où nous sommes des mendiants. Nous sommes des exclus. Cela ne va pas, il faut le crier très fort, il faut que ça change. »

M. Duhamel : Alors, Alain Madelin ?

M. Madelin : Oui, c'est moi qui vous avais indiqué ces témoignages de l'émission de Mireille Dumas. Ils m'avaient vraiment frappé parce que c'était à la fois l'exclusion et, en même temps, la volonté de s'en sortir. Quand il y a une telle volonté de s'en sortir, le fait que l'on ne soit pas capable de répondre, qu'il y ait tant d'obstacles pour que des gens puissent trouver un travail ou se mettre à leur compte, puisque c'était un des cas, c'est une responsabilité de la Société.

Comme en Union soviétique, hier, on faisait la queue pour avoir du pain, ce n'était pas la faute à la famine, c'était la faute à l'organisation de la Société. Quand, en France, on fait la queue pour avoir un emploi, c'est la faute à l'organisation de notre Société.

M. Duhamel : Et pour aider des gens qui sont dans une situation de ce genre, vous pensez que la bonne solution, comme le disent certains libéraux, c'est de déréglementer ? D'assouplir les minimas sociaux ?

Mme Chabot : « Il ne faut pas que l'on s'incruste dans le chômage » disait, par exemple, Raymond Barre, il y a deux ou trois jours.

M. Madelin : Non, non...

M. Duhamel : ... Certains le disent, vous êtes d'accord ?

M. Madelin : Moi, je dis : « la liberté du travail ». Il y a quelque temps j'étais avec Emmanuelli, le secrétaire d'État...

M. Duhamel : ... Xavier Emmanuelli, à ne pas confondre avec Henri Emmanuelli, le socialiste.

M. Madelin : Xavier, l'ancien de « Médecins sans frontières » et pas l'ancien du PS.

M. Duhamel : L'actuel.

M. Madelin : Xavier Emmanuelli, donc celui qui est en charge de l'action sociale au sein du gouvernement, qui avait mené une action tout à fait exemplaire sur Paris, en termes d'action d'urgence, j'étais avec lui à la gare de Lyon et je voyais cette situation totalement absurde. Dans les sous-sols de la gare de Lyon, un centre de fortune où des jeunes gens valides, complètement paumés dans l'existence, sont là à attendre un café, un conseil toute la journée alors que, quelques étages plus haut, dans la même gare de Lyon, bien moderne, on ne trouve personne pour porter ses bagages.

Autrefois, lorsque des gens tombaient du train de la croissance ou lorsque des gens ne réussissaient pas à monter dans le train, il y avait toute une série d'opportunités, de métiers qui existaient dans la Société. On a tellement réglementé tout cela que ces mêmes opportunités n'existent pas. C'est ce que j'appelle la liberté du travail.

Si on veut créer des emplois, les emplois qui manquent pour ceux qui regardent le train passer aujourd'hui, il n'y a pas d'autre solution que de libérer les entrepreneurs. Si quelqu'un a une meilleure solution dans le monde qu'il le dise, moi, je n'en connais pas de meilleure.

Mme Chabot : Sur cet ascenseur social en panne, nous avons aussi interrogé les Français par le biais d'IPSOS, je vous propose de regarder le résultat de la question posée aux Français :

« Avez-vous le sentiment, au fond, que vos enfants vivront mieux, que leur vie sera plus facile ? 10 %.
Sera plus difficile ? 81 %, cela va dans le sens de votre démonstration.
Et 7 % que leur vie ou leur niveau de vie sera équivalent ».

M. Madelin : Arlette Chabot, c'est dramatique ces chiffres ! C'est dramatique ! C'est la première fois, depuis plusieurs générations, que des parents sont en train de penser que leurs enfants vont avoir une vie plus dure que celle qu'ils ont eux-mêmes connue ! Je crois que c'est de nature à remettre en cause la Société, à remettre en cause le régime, à remettre en cause l'idée même de progrès. Donc, je ne me résous pas à cela : renoncer au renoncement.

Alors que, quand on regarde autour de nous, il y a des pays qui ont trouvé des solutions, et les solutions sont chez nous quand on regarde un petit peu, comme le fait le Président de la République aujourd'hui dans le Pas-de-Calais, le formidable dynamisme de l'initiative locale.

Alors qu'y-a-t-il ? Il y a des freins. Il y a des obstacles. L'idée de faire sauter ces freins et ces obstacles, même si ce n'est pas politiquement correct, c'est mon combat politique.

Mme Chabot : Vous allez pouvoir discuter de vos solutions, de vos projets avec votre contradicteur qui va venir nous rejoindre à l'instant, qui est Robert Hue, Secrétaire national du parti communiste...

M. Duhamel : Vous ne saviez pas qui se serait !

Mme Chabot : Vous ne saviez pas ! Le voilà, il vous a écouté...

M. Hue : Alain Madelin, bonjour.

M. Duhamel : Il vous a écouté, et pour commencer il va déjà dire ce qu'il pense de vos solutions.

Mme Chabot : Et de l'analyse sur l'ascenseur social, d'accord avec Monsieur Madelin ou pas là-dessus ?

M. Hue : Écoutez, on parle franchement ?

M. Duhamel : Ah ! oui.

M. Hue : S'il faut quelqu'un pour réparer l'ascenseur social, je ne pense pas que les Français doivent faire appel à vous, Monsieur Madelin. Pourquoi ? Je ne veux pas être dur avec vous d'emblée, mais mon opinion, c'est que la panne de l'ascenseur social n'est pas le fait du hasard – vous l'avez dit, j'ai entendu le début de l'émission – mais, pour moi, la cause, l'origine, ce n'est pas la même que celle que vous diagnostiquez. J'estime que la Société française a des atouts, beaucoup de moyens. Il y a de l'argent dans cette Société, beaucoup d'argent, mais il ne va pas à l'emploi. Il va pour l'essentiel à la spéculation et, dans ces conditions, on ne peut pas avoir la baisse des inégalités si on ne l'utilise pas.

Je voudrais dire encore quelque chose à propos de cela : ces 20 dernières années, les inégalités ont grandi terriblement. On vient d'évoquer la jeunesse, j'ai vu le sondage, l'INSEE vient de montrer qu'il y avait même un recul du pouvoir d'achat des jeunes de moins de 25 ans dans la dernière période.
Ces 10 dernières années, Monsieur Madelin, vous avez été au pouvoir I Il n'y a pas eu que des gouvernements de droite, mais sur 10 ans, vous avez été 5 ans au pouvoir.

Alors, voyez-vous, et ce sera ma première remarque de fond : si les jeunes ont du mal à croire à des propos qui sont tenus aujourd'hui par des hommes politiques, c'est que la plupart du temps on tient des promesses quand on est, comme vous êtes, hors du gouvernement, et, ensuite, on ne les tient plus, on les lâche.

Je prends un exemple de votre livre...

M. Duhamel : Et, ensuite, Alain Madelin, vous répondez, parce que c'est un dialogue entre vous.

M. Hue : Volontiers. Voyez-vous, vous avez mené la campagne présidentielle avec Monsieur Chirac, vous avez dit tout à l'heure ce que vous attendiez, votre déception peut-être !

J'ai lu attentivement votre livre puisque j'étais votre contradicteur aujourd'hui, « Les entretiens », pendant la campagne présidentielle, vous disiez : « Il ne faut surtout pas augmenter la TVA ; il ne faut surtout pas que les allègements que vont avoir les patrons soient pris sur la TVA », et naturellement vos interlocuteurs vous posent la question dans le livre que vous avez écrit. « Vous aviez pourtant écrit, disent-ils, que vous étiez contre cet allègement des charges sociales financées par la TVA ».

Vous répondez – et c'est cela qui me choque – : « C'est vrai, mais c'était une demande forte du patronat ».

Alors, évidemment, on ne peut pas être du côté du patronat dans cette Société, du grand patronat - je ne parle pas des PMI - et en même temps réparer l'ascenseur social.

M. Duhamel : Alors, Alain Madelin ?

Mme Chabot : Et puis les solutions, après. Présentez vos solutions, car c'est ce qui intéresse les Français.

M. Hue : Un peu de politique quand même !

Mme Chabot : Moins de politique et plus de solutions.

M. Madelin : De quoi s'agit-il ? Il s'agit de créer des emplois, car ce qui va nous permettre de réparer l'ascenseur social, c'est d'élargir le nombre de places disponibles. Aujourd'hui, c'est la lutte des places. Et si l'on veut créer des emplois, je crois qu'il vaut mieux faire appel à une politique libérale qu'à une politique communiste. Je ne dirai pas cela par idéologie, je dirai simplement par expérimentation.

Aux États-Unis, au cours des trois dernières années, on a créé 10 millions d'emplois.

L'Italie du Nord, il n'y a pratiquement pas de chômage. La création d'entreprises est le double de la création d'entreprises en France.

L'Angleterre, depuis 1992, 25 % de réduction du chômage. En France, augmentation de 20 % dans la même période.

Je dirai que les solutions que je propose, c'est celles qui consistent à faire confiance dans... j'allais dire : dans l'entrepreneur. Ce n'est pas dans l'entreprise, c'est dans l'entrepreneur, dans l'acte d'entreprendre.
Celui qui se met à son compte, celui qui fait preuve d'initiative à l'intérieur de l'entreprise, etc., c'est cela les bonnes solutions.

Mme Chabot : Concrètement ?

M. Madelin : Pour multiplier le nombre d'emplois, il faut multiplier le nombre d'entrepreneurs, favoriser la création d'entreprises et diviser les obstacles qui sont sur le chemin des entreprises.

Il est vrai que Monsieur Hue a raison pour une part en disant que l'argent et les talents, d'ailleurs souvent, ne vont pas au bon endroit. C'est vrai ! Je suis un peu malheureux quand je vois les sommes qui ont été gaspillées dans les grands déficits des grandes entreprises publiques, grands déficits et grandes entreprises publiques que vous défendez, Monsieur Hue, et qui sont des sommes qui manquent par ailleurs à la création d'emplois. Donc, c'est vrai qu'il y a là quelque chose à réparer sur le plan financier, Enfin, un dernier mot.
C'est vrai qu'avec ce gouvernement j'ai, dans les premiers jours, contribué à augmenter la TVA. C'est vrai que ce n'était pas mon choix. J'avais dit et écrit qu'il ne fallait pas le faire avant les élections, c'est un arbitrage du Premier ministre, mais c'est vrai aussi que c'était une demande du patronat. Je me souviens de Monsieur Gandois, dans mon bureau, à Bercy, que j'avais essayé de dissuader, car je pense, pour ma part, qu'abaisser les charges sociales par des transferts massifs aux entreprises pour créer des emplois, c'est une politique qui ne marche pas.

M. Duhamel : Alors, qui commande ?

M. Madelin : Dans ce cas-là, il se trouve que c'est le Premier ministre qui a arbitré sur cette politique. Je rappelle que la baisse des charges sociales pour créer des emplois, c'est plus la continuation de la politique d'avant que la politique Chirac. Chirac n'ayant jamais pris cet engagement, sauf une fois dans sa campagne électorale lorsqu'il a dit : « Le jour où l'assainissement financier sera réalisé ».

Pourquoi ça ne peut pas marcher ? Pour une raison très simple, c'est que baisser des charges pour créer des emplois, bien sûr ça peut marcher ! À une condition, c'est que dans le même temps on baisse les dépenses. Si l'on ne dépense pas les dépenses, vous transférez de Paul vers Jacques, et puis finalement cela ne change rigoureusement rien...

M. Duhamel : Robert Hue ?

Mme Chabot : Quelles solutions ?

M. Hue : Je conteste la façon dont Monsieur Madelin pose les choses, présente les choses parce que, quand vous avez quitté le gouvernement, vous l'avez quitté sur des choses précises. C'est que vous disiez que les obstacles, qu'il y avait effectivement à l'époque, étaient les RMIstes qui avaient un revenu un peu équivalent au SMIC... – vous vous souvenez de cela ? – ... alors qu'il n'y avait pas le travail.

Vous posiez le problème de la fonction publique qui était pléthorique. Vous vouliez supprimer 20 000 emplois dans la fonction publique.

Vous voyez, ce type de démarche, ce n'est pas là qu'il y a blocage ! Parce que on peut imaginer comment peuvent être entendus vos propos par un RMIste ! Je veux dire, au fond, un RMIste qui gagne 2 500 F par mois. Et dans cette Société, Monsieur Madelin, votre Société dite libérale, capitaliste, appelons-la par son nom... dans cette Société, quand vous ouvrez La Tribune, journal économique connu, sérieux, et que vous voyez que Claude Bébéar, patron d'AXA, gagne par mois 400 fois ce que gagne le RMIste. C'est révoltant. Ça explose. Votre politique libérale ne tient pas la route dans ce domaine.

M. Madelin : Monsieur, je ne suis pas un conservateur qui dit : « Ah ! Regardez cet argent que l'on gaspille dans des allocations sociales ». Je n'ai jamais dit cela. Et je vous ai même dit d'ailleurs que le RMI, j'avais été l'un des premiers à le prôner, à le mettre en application en Ille-et-Vilaine.

Non, ce que je dis en revanche, parce que je suis un libéral : « Regardez, voilà des vies que l'on gâche. Des vies que l'on gâche, parce que des gens que l'on enferme dans l'assistance, et l'assistance héréditaire de père en fils ». La pauvreté, c'est un drame. La pauvreté héréditaire, c'est une catastrophe sociale, je n'accepte pas cela. Et l'on sait très bien que, au bout de deux ou trois générations, quand les enfants ont perdu tout lien entre l'argent, le revenu du foyer et le travail, il n'y a plus de recette d'intégration connue. C'est ce que j'ai dit. Et je crois qu'il y a des tas de gens qui, aujourd'hui, sont dans l'assistance et qui me comprennent !

M. Hue : Mais, Monsieur Madelin, votre ton ne change rien au fond. Votre ton est pathétique, je partagerai presque vos propos, mais quand vous êtes au pouvoir, quand vous êtes aux affaires, vous ne pratiquez pas de la sorte !

M. Madelin : Si, Monsieur.

M. Hue : Les gouvernements dans lesquels vous avez été... Vous évoquiez les fonds publics tout à l'heure, la diminution des charges ou les fonds publics qui peuvent aller aux entreprises et qui, en fait, ne vont pas à l'emploi, parce que, pour l'essentiel, dans ce pays, les milliards de fonds publics destinés à l'emploi ne vont pas à l'emploi mais à la spéculation. Vous le savez bien.
Or, dans les périodes que vous avez...

M. Madelin : Vous ne savez pas ce qu'est un emploi, Monsieur Hue !

M. Hue : Je vous en prie !

M. Madelin : Vous ne connaissez que les emplois de fonctionnaires. Vous ne savez pas ce que c'est que la création, c'est tout !

M. Hue : D'abord, il n'y a rien de méprisant dans les emplois de fonctionnaires, Monsieur Madelin...

M. Madelin : Mais il n'y a rien de méprisant.

M. Hue : Si, vous êtes très méprisant.

M. Madelin : Non, pas du tout.

M. Hue : Je dis : il faut des emplois, il faut des infirmières, il faut des instituteurs, il faut des électriciens...

M. Madelin : Bien sûr !

M. Hue : … Ne les considérez pas avec mépris…

M. Madelin : Et il faut des emplois du secteur marchand pour payer tout cela !

M. Hue : Oui, d'accord. Mais qui dit le contraire ?

M. Madelin : Il faut des emplois du secteur marchand.

M. Hue : Qui dit le contraire ?

Je dis que, dans le secteur marchand, l'essentiel des fonds publics, des richesses aussi créées par ces fonctionnaires ne vont pas à l'emploi, elles vont à la spéculation. Elles vont à ceux que vous défendez à savoir les marchés financiers. Et cela, ce n'est pas acceptable !

Vous savez, si vraiment il n'y avait pas les moyens dans cette Société de faire autrement, je dirais : « Monsieur Madelin, après tout, je me suis planté, vous avez raison ». Mais je dis le contraire. Je dis : actuellement le pouvoir, le type de régime que vous défendez, va complètement à l'envers du besoin de notre Société d'aujourd'hui ». Il faut effectivement, dans cette Société, que les richesses créées puissent aller à l'emploi. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, et il faut changer profondément cette Société. Elle va éclater, cette Société.
Et je dis que, aujourd'hui, les remèdes que vous proposez, vous les affichez avec des habits neufs, mais c'est la vieille « sauce capitaliste » que vous nous servez. Donc, il faut faire autre chose aujourd'hui, et je prétends que les Forces Progressistes dans ce pays, qui n'ont pas encore d'alternative progressiste, je suis d'accord, peuvent être en mesure d'apporter des mesures fondamentales.

M. Madelin : Monsieur Duhamel, il ne vous surprendra pas que je ne partage pas les solutions de Monsieur Hue...

M. Duhamel : Pas tout à fait, effectivement.

M. Madelin : Ni même l'approche générale de Monsieur Hue des questions économiques. Et, voyez-vous, les richesses dont on parle, ce n'est pas quelque chose qui existe sur les rayons d'une étagère. C'est quelque chose qui se fabrique. Et l'économie, ce n'est pas une science de comptabilité publique, ce ne sont pas des chiffres que l'on additionne, l'économie, ce sont des hommes et des femmes qui sont plus ou moins incités à entreprendre, à faire preuve d'initiatives, à créer des richesses et où les structures sociales favorisent ou ne favorisent pas la responsabilité.

En tout cas, voilà l'approche qui est la mienne de l'économie. Je n'ai pas cette approche macro-économique, j'ai une approche par en bas.

Pour inciter les hommes, il y a des mécanismes qui sont simples.

Vous savez, c'est très simple, Monsieur Hue, je vais vous dire quelque chose : lorsque quelqu'un travaille et qu'il sait que, sur 10 heures de travail supplémentaire, 7 heures vont être confisquées par le charges sociales et les impôts, il n'est pas incité à travailler. C'est tout bête l'économie, c'est cela !

Ce que cherche, c'est de créer des richesses et des emplois supplémentaires. On ne s'en sortira pas dans un jeu à somme nulle. Dans un jeu à somme nulle, ce qui est en train de se passer, c'est la guerre de tous contre tous, ce qui est donné aux uns, est enlevé aux autres. Et c'est la recette des tensions sociales permanentes que vous observez aujourd'hui. La seule façon pour s'en sortir : c'est d'élargir le gâteau. Elargir le gâteau, cela suppose des politiques que je qualifie de libérales, des politiques fondées sur l'initiative et la responsabilité.

M. Hue : Mais, Monsieur Madelin, les richesses créées dans ce pays par les hommes, les femmes, les jeunes dans ce pays, quand ils ont du travail – malheureusement ils sont nombreux à ne pas en avoir –, en fait, ces richesses où passent-elles ? Elles ne passent pas dans une redistribution qui va dans le sens de créer des emplois, assurer l'avenir de la jeunesse ! C'est vrai, l'essentiel des profits...

M. Duhamel : Monsieur Hue, à 55 %, les richesses créées vont vers l'État et les systèmes publics. 55 %.

M. Hue : Je vous dirai, Monsieur Madelin, que plus de 50 % des profits réalisés en ce pays ne vont pas à l'investissement productif mais vont à la spéculation. C'est la réalité. Ce n'est pas moi, c'est l'INSEE qui le dit…
En matière de complication et d'économie, on peut parler au même niveau tous les deux. Nous ne sommes pas d'accord, nous sommes fondamentalement opposés, mais j'ai des propositions à formuler...

Mme Chabot : Alors, pour terminer, quelles sont les propositions de chacun ?

M. Hue : Si vous le permettez, je voudrais encore dire une chose à Monsieur Madelin, ce n'est pas très agréable, mais cela dit, je veux le dire : par ailleurs, son attachement forcené à la monnaie unique et à la voie qui y conduit est par ailleurs terriblement producteur de difficultés, de souffrances pour notre pays.

Je ne dis pas cela parce que je ne serais pas européen, je suis profondément pour l'Europe. Mais je dis qu'actuellement la voie à la monnaie unique, c'est en fait plier notre Société à un modèle étranger. C'est en fait la voie des marchés financiers, c'est le BundesBank qui va déterminer les emplois à créer dans notre pays. On parlait des emplois à créer et de l'ascenseur social, je pense que la voie à la monnaie unique, ce n'est pas la relance de l'ascenseur social, c'est la descente aux enfers. Voilà ce que je voulais vous dire en toute honnêteté et en toute franchise.

M. Duhamel : Maintenant vous allez avoir 30 secondes chacun pour conclure là-dessus...

Mme Chabot : … Et avec une idée ou une mesure urgente que vous voudriez proposer l'un ou l'autre ?

M. Madelin : L'assainissement financier dont parle Monsieur Hue et qui est lié à la monnaie unique est nécessaire. L'État se trouve dans la situation d'un ménage qui aurait 270 000 F de dettes, 10 000 F de dépenses mensuelles et seulement 8 000 F de revenus. Donc, il n'y a aucun doute, il faut pratiquer cet assainissement financier.

Cela étant, je ne crois pas que l'on peut, dans une telle situation, s'en sortir exclusivement en se serrant la ceinture, ce n'est pas possible, il faut aussi augmenter son revenu. Et c'est pour cela que la politique pour laquelle j'avais milité pendant la campagne présidentielle, et qui me semble plus que jamais nécessaire, c'est certes une politique d'assainissement financier d'un côté, mais, de l'autre côté, une politique de libération des forces vives par des réformes profondes des réformes de l'État, des réformes de la protection sociale, des réformes fiscales qui soient audacieuses et qui permettent aux gens de retrouver confiance et d'entreprendre.

M. Duhamel : Robert Hue, même langage ?

M. Hue : Entreprendre, certes ! Mais à condition de faire fonctionner les entreprises. Or, pour faire fonctionner les entreprises de ce pays, et tous les patrons le disent – j'entends ce que disent les PME/PMI par exemple – : il s'agit de relancer la consommation.

Fabriquer de produits dans une entreprise s'ils ne peuvent pas être achetés par les gens qui ont un pouvoir d'achat qui n'est pas suffisant, eh bien cela ne va pas ! Cela ne fonctionne pas ! L'économie ne peut pas être relancée. Donc, je préconise une relance par une augmentation sensible des salaires. Il faut augmenter les salaires, les retraites, les pensions dans ce pays pour que la machine économique soit relancée.

J'aurais bien d'autres propositions, mais...

Mme Chabot : Vous reviendrez !

M. Duhamel : C'était la règle du jeu de ce soir.

M. Hue : Je vous remercie.

Mme Chabot : Un mot sur cela, pour vraiment conclure, Alain Madelin, et l'on passe à la suite ?

M. Madelin : Relancer par une distribution de pouvoir d'achat supplémentaire, oui ! à condition, Monsieur Hue, que l'on fabrique un nouveau pouvoir d'achat supplémentaire, et cela, c'est l'initiative et la créativité.

Mme Chabot : Merci, Robert Hue que nous retrouverons sûrement dans cette émission.

La suite, c'est en quelque sorte le bilan de l'action d'Alain Madelin

Bilan

M. Duhamel : Monsieur Alain Madelin, si l'on vous demandait – c'est une question apparemment facile – ce qu'était à vos propres yeux votre plus grand succès depuis que vous étiez en politique, qu'est-ce que se serait ? Apparemment facile !

M. Madelin : J'espère bien que les succès sont à venir !

M. Duhamel : Girouette, girouette !
Au fond, de quoi êtes-vous le plus fier de ce que vous avez fait en politique jusqu'ici ?

M. Madelin : J'ai exercé deux responsabilités, on ne parle que de ce que l'on a fait dans les responsabilités qui sont les siennes : quand j'étais ministre de l'industrie, j'ai baissé mon budget de 20 %, c'était novateur à l'époque, et cela correspond, depuis 15 ans, à la plus forte période do production industrielle.

M. Duhamel : Ceci expliquant cela à vos yeux ?

M. Madelin : Partiellement cela. Parce que cela prouve que l'argent que l'on ne mettait plus dans les secteurs du passé, on le mettait dans les secteurs d'avenir, et l'on avait des locomotives pour tirer la croissance.

Et puis une autre chose qui est peut-être plus importante à mes yeux, ce serait quand j'étais ministre des entreprises : le statut de l'entreprise individuelle que j'ai fait pour simplifier la vie des quelque 1 600 000 entrepreneurs individuels qui existent aujourd'hui. Et puis aussi, je l'espère, pour créer des emplois de demain.

Vous savez qu'il y a aujourd'hui un formidable appétit de réussite et d'entreprendre dans ce pays. Tout la monde ne veut pas s'enfermer dans des emplois de fonction publique, il y a plus de 40 % des Français qui souhaiteraient créer leur entreprise, et même plus encore chez les jeunes. Je crois qu'il faut imaginer des formes nouvelles, simples, pour créer son entreprise, de nouvelles formes de travail. Et le statut de l'entreprise individuelle préfigurait la voie. Il faudra sans doute l'amplifier. Mais c'est à terme, quand on fera, dans quelques années, le bilan des créations d'emplois de cette période, je pense que cela aura beaucoup contribué.

Mme Chabot : Petite question, on ne l'a pas dit tout à l'heure, mais vous avez été avocat, vous avez plaidez quelquefois ?

M. Madelin : Oui, oui…

Mme Chabot : ... On se dit : vous auriez pu être chef d'entreprise, non ?

M. Madelin : Sûrement aussi. Cela m'aurait plu.

Mme Chabot : C'est plus drôle que d'être homme politique, député ?

M. Madelin : Je ne sais pas si le mot « drôle » convient ! Je ne sais pas ! Mais c'est une forme aussi de l'esprit d'entreprise. Avocat, c'est une entreprise individuelle ou une petite entreprise de groupe. L'aventure d'une entreprise est une aventure merveilleuse, bien sûr.

Mme Chabot : Question proposée par Minitel : 3615 Code France 2 : Madame SPA d'Ozoir-la-Ferrière qui pense aussi à votre carrière. Elle vous demande si vous voyez bien un jour à Matignon et voire, demain, à l'Élysée ? Premier ministre, Président ?

M. Madelin : Non. Réellement ce que je souhaite faire aujourd'hui, c'est essayer de contribuer à mettre la politique que je représente, le choix politique que je représente, au poste de commande du gouvernement, c'est vrai, avec qui voudra, et dans quelles circonstances, je n'en sais rien !

Mais ce que je travaille à faire aujourd'hui, c'est essayer de faire grandir l'exigence de cette politique chez les Français et essayer de faire en sorte que demain puisse se rassembler une majorité politique autour des propositions et des solutions que j'énonce.

M. Duhamel : Monsieur Madelin, aujourd'hui c'est un jour de grève importante à l'éducation nationale. Il va bientôt y avoir une grève des fonctionnaires.

Il y a parmi les questions, une question de Monsieur Huguenin de Lagne qui se demande si vous seriez partisan ou non de remettre en question le droit de grève des fonctionnaires, de limiter cet exercice ?

M. Madelin : Dans les services publics, je crois que la question se pose, elle n'est pas simple.

M. Duhamel : Et votre réponse ?

M. Madelin : Je crois que l'on aurait pu commencer à la résoudre sous forme d'accords contractuels dans un certain nombre de services publics. Si l'on ne réussissait pas, c'est sans doute par la loi qu'il faudrait faire.

Mais je ne voudrais pas me laisser enfermer dans cette réponse parce que si les gens font grève, c'est qu'ils ne sont pas contents, c'est qu'ils sont malheureux, et s'ils sont malheureux, c'est qu'ils sont aussi les prisonniers d'un système. Système de la fonction publique qui est un système qui ne sait pas valoriser les hommes, qui ne sait pas récompenser le mérite, qui ne sait pas bien gérer les talents qui y sont. Et c'est la raison pour laquelle je crois que, aujourd'hui, avant de penser à réglementer le droit de grève, je voudrais essayer d'entraîner les fonctionnaires dans un projet.

On parlait, il y a un instant, de l'augmentation des salaires dans le secteur privé : quand il y a augmentation des salaires dans le secteur privé, c'est parce que c'est payé par des richesses supplémentaires, par des gains de productivité que l'on fait. Eh bien, dans l'État aussi il y a des gains de productivité à faire, il y a l'amélioration des Services. Je ne veux pas geler le salaire des fonctionnaires, je l'avais dit il y a un an. Ce que je voudrais faire, en revanche, c'est proposer aux fonctionnaires un formidable contrat de modernisation de l'État et les intéresser aux résultats et aux bénéfices.

M. Duhamel : Monsieur Madelin, d'un mot, vous disiez : quand on augmente les salaires dans le secteur privé. Je trouve que, cette année, on ne les a pas beaucoup augmentés dans le secteur privé, alors même que, dans certains secteurs, les choses se passaient convenablement, dans d'autres très mal.
Quand dans un secteur les choses se passent bien et qu'il n'y a pas d'augmentation de salaires, est-ce que vous trouvez que les chefs d'entreprise font leur métier ?

M. Madelin : Je ne peux pas répondre à cette question...

M. Duhamel : Vous avez sûrement réfléchi à cela !

M. Madelin : … Car c'est une question qui n'a de réponse qu'entreprise par entreprise. Cela étant, si vous suivez un peu ce que je dis...

M. Duhamel : Et c'est pour cela que je vous pose la question !

M. Madelin : Difficile à exprimer en deux mots : je crois qu'il y a une situation économique tout à fait nouvelle qui provoque une baisse des prix : la baisse des prix de votre appartement, Monsieur Duhamel...

M. Duhamel : ... Oui, j'écoute.

M. Madelin : ... La baisse des salaires, la baisse des prix à la consommation, la baisse des prix industriels. C'est une situation tout à fait nouvelle à laquelle les décideurs politiques n'ont pas été habitués puisqu'ils ont grandi dans une période d'inflation. C'est une situation dangereuse parce qu'il y a beaucoup de gens qui sont coincés entre les dettes d'hier, qu'il faut rembourser très cher, et puis des recettes d'aujourd'hui qui se font sur des prix qui baissent.

Cette situation nouvelle implique des solutions nouvelles parce que les remèdes d'hier et les instruments de bord de prévisions économiques d'hier ne fonctionnent plus. Dans cette situation-là, j'y reviens, il n'y a pas d'autre solution que de développer les Forces vives pour créer un pouvoir d'achat nouveau, faute de quoi on risque d'être pris dans ce piège où tout baisse.

Mme Chabot : Vous avez parlé de votre succès, ce que vous considérez comme une réussite. Nous vous proposons ce que beaucoup considèrent comme votre échec.

Reportage

« Trop d'impôts tuent l'impôt », l'un des thèmes de campagne de Jacques Chirac en 1995. Son grand inspirateur en la matière, Alain Madelin, mais quand ce dernier se retrouve à Bercy, il faut bien augmenter les taxes. Le premier Plan Juppé/Madelin, dans la majorité comme dans l'opposition, on s'en souvient encore !

M. Hollande : En trois mois, il aura augmenté de 120 milliards les impôts. Il est rare qu'un ministre de l'économie et des finances en si peu de temps ait augmenté autant les impôts. Alors, avant il pouvait prétendre qu'il allait les baisser, après il aura bien du mal de justifier que ce qu'il a fait, n'était pas ce qu'il pensait.

Journaliste : Alors, y aurait-il plusieurs Alain Madelin, plusieurs discours d'Alain Madelin ? Au gouvernement, dans l'opposition, dans l'opposition de la majorité ? Franchement ?

Mme Chabot : Nous avons parlé un peu de l'augmentation de la TVA avec Robert Hue, beaucoup vous la reproche. Néanmoins, sur le fond ?

M. Madelin : Sur le fond, c'est une bonne occasion de s'expliquer !

M. Duhamel : Sur le fond, c'est vrai que, par exemple, dans le monde politique, puisqu'on parle franchement, on vous reconnaît beaucoup de qualités et parmi les défauts qu'on vous prête, tort ou à raison, c'est d'avoir des discours différents selon les moments...

M. Madelin : Ah ! Non... Ah ! Non...

M. Duhamel : Ah ! Si... Ah ! Si… Si, si...

M. Madelin : Si ?

M. Duhamel : Franchement. C'est ce que l'on vous reproche. Alors, à vous de dire si c'est vrai ou faux, mais c'est ce qui vous est reproché !

M. Madelin : Je crois très sincèrement, au contraire, être marqué plutôt par une cohérence des idées, et j'essaie de mettre mes idées en action. Quand je vois que ce n'est pas possible de mettre mes idées en action, cela aboutit à mon divorce avec Alain Juppé. Mais c'est le signe d'une fidélité à mes idées, cela !
L'augmentation des impôts : il y avait une situation où effectivement, quand Jacques Chirac est devenu Président de la République, vous aviez une dérive formidable des dépenses publiques : les taux d'intérêt qui avaient augmenté, la charge de la dette, des dépenses qui étaient mal budgétées, des recettes qui tombaient.

M. Duhamel : Des déficits.

M. Madelin : Des déficits. Bien. Il fallait les combler. Alors, vous pouvez faire un peu d'économies, mais en cours d'année ce n'est pas facile de faire des économies qui sont liées à des réformes de structures, parce qu'il faut le temps de faire ces réformes de structures. Donc il y a eu un peu d'économies et il y a eu un peu de recettes nouvelles.

M. Duhamel : Beaucoup.

M. Madelin : Mais il y a un surplus de recettes nouvelles qui était lié à cette idée de baisse des charges sociales pour créer des emplois. Idée qui n'est pas la mienne, à laquelle je ne crois pas, et qui n'était pas celle de Jacques Chirac dans sa campagne électorale, plus un contrat initiative emploi - pour tout dire - qui avait été proposé par Jacques Chirac dans sa campagne électorale...

M. Duhamel : ... Et par vous.

M. Madelin : … – et par moi – comme réservé aux emplois nouveaux agrandir la taille du bateau, toujours cette obsession... agrandir la taille du bateau, et non pas en faire un emploi subventionné de plus, ce qui a alourdi la facture. Donc, la barque a été chargée, vrai ! Mais je me disais : on va compenser cela, parce que c'est une augmentation d'impôt provisoire, par une réforme fiscale tout de suite, c'est-à-dire dès septembre 1995, c'était celle que je souhaitais mettre en oeuvre, et j'avais préparé une réforme fiscale qui provoquait, en première année, c'est une première étape, une baisse générale des tranches d'imposition de 20 à 25 %, gagée, il est vrai, par la disparition de toute une série d'avantages et d'abattements fiscaux.

J'avais proposé de faire, dès l'an dernier, ce que l'on propose aujourd'hui de faire en 5 ans.

Donc, l'idée qui était la mienne : d'accord pour qu'il y ait éventuellement des augmentations d'impôts, mais à condition que ces augmentations d'impôts servent à augmenter les incitations à produire, à travailler, à épargner par une réforme profonde de notre fiscalité. Cela n'a pas été possible. Je suis parti. C'est quand même un signe de fidélité à ses idées, non ?

Mme Chabot : OK, vous êtes fidèle à vos idées.
Regardez maintenant comment les Français vous voient. C'est la dernière partie de notre enquête IPSOS. On a posé des questions aux personnes interrogées. On leur a demandé : quels sont les mots qui leur viennent spontanément à l'esprit lorsqu'on leur dit : Alain Madelin.
En ce qui est positif : il est compétent, sérieux, dynamique novateur.
Ça vous va ?

M. Madelin : Continuez !

M. Duhamel : C'est moins bien en ce qui est négatif : escroc, magouilleur, arriviste. C'est moins agréable !

M. Madelin : Est-ce un portrait personnel ? Ou est-ce un portrait général d'homme politique ? Si c'était le premier cas, j'en serais profondément désolé. Si c'est le deuxième cas, c'est un vrai problème pour l'ensemble du monde politique, et un témoignage de plus du fossé qui se creuse entre ceux d'en bas et ceux d'en haut.

Mme Chabot : Appréciation plus neutre – dernière partie de ce sondage – : on vous voit encore ministre... Il y en a qui ont raté un épisode de votre départ…

M. Duhamel : ... Ou est-ce que vous avez une tête de ministre ?

M. Madelin : Peut-être !

Mme Chabot : Homme de droite et libéral.
Et 38 % restent sans opinion, n'ont pas de mots qui leur viennent spontanément à l'esprit lorsqu'on leur donne votre nom. C'est qu'il faut vous faire connaître encore ?

M. Madelin : Cela m'incite à continuer à développer la défense de mes idées pour mieux me faire connaître.

Mme Chabot : Dernière partie : parlant avec vous de ce que vous faites lorsque la politique vous laisse un peu de temps libre...

M. Duhamel : ... Et de répit.

Mme Chabot : ... Dans votre vie personnelle, et de répit, comme dit Alain.

Ailleurs

Extrait opéra : Rigoletto (Verdi) : Roberto Alagna

Mme Chabot : Nous nous sommes laissé dire que vous écoutiez de l'opéra, que vous aimiez Verdi, Rigoletto. On vient de voir un extrait d'une répétition de Rigoletto enregistré à Toulouse avec Roberto Alagna dans le rôle du duc de Mantoue, alors pourquoi Verdi ?

M. Duhamel : Qu'est-ce que vous aimez dans l'opéra ?

M. Madelin : Il n'y a pas que Verdi. J'aime la musique. C'est un formidable héritage. On a le sentiment, pour le prix d'un CD, d'hériter d'un génie de civilisation...

M. Duhamel : Et l'opéra en particulier ?

M. Madelin : Parce que ce génie créateur se mélange avec la voix, avec l'émotion humaine : la tragédie, la comédie, et c'est le mélange des deux que j'aime bien.

M. Duhamel : Et Verdi spécialement ?

M. Madelin : Non, Mozart aussi ou bien d'autres ! Mais Verdi, c'est la tragédie, « Le Roi s'amuse », « Rigoletto » …

Mme Chabot : Si vous regardez, j'imagine, « Musiques au coeur » dont était extrait le passage que nous venons d'entendre, d'Eve Ruggieri, est-ce que vous allez, vous aussi, de temps en temps à l'opéra ?

M. Madelin : Rarement. Mais je m'intéresse énormément… Je veux dire, c'est la filière...

Mme Chabot : … Pourquoi vous n'allez pas à l'opéra, parce que c'est le côté « on s'habille », etc., « un peu chic » ?

M. Madelin : Peut-être un peu ! Un peu moins maintenant.

M. Duhamel : Vous aimez l'opéra comment, vous ? Vous vous mettez dans une pièce avec un casque...

M. Madelin : Pour tout vous dire, je suis en plus un fana des techniques de reproductions sonores et des nouvelles technologiques qui permettent aujourd'hui de retrouver...

M. Duhamel : … Alors vous avez un équipement à vous ?

M. Madelin : Oui, oui, tout à fait, que je perfectionne sans cesse, avec quelques amateurs. Non seulement je fais cela, mais en plus j'essaie d'attirer les amateurs passionnés par cela et les industriels. C'est un métier d'artisan en même temps, le beau son, la Haute-Fidélité, ce n'est pas seulement un métier de grands industriels. J'essaie de les attirer dans ma région à Redon. Avis aux amateurs.

Mme Chabot : Si vous avez envie d'aller voir quand même Rigoletto à l'opéra Bastille, je signale que c'est le 3, le 5 et le 9 octobre dans une mise en scène de Jérôme Savary.
Et maintenant autre passion d'Alain Madelin, dévoilée celle-là par notre consoeur Danielle Sportiello de France 3, c'est à Redon, c'est chez vous et cela s'appelle un potager.

Reportage à Redon

M. Madelin : Des tomates... sentez l'odeur !

Journaliste : Il y en a des mûres de ce côté-ci.

M. Duhamel : Monsieur Coffe, c'est un potager sérieux que vous avez vu ou pas ?

M. Coffe : Ah ! Oui, mais ce n'est pas un potager que vous faites vous-même ?

M. Madelin : Je me fais aider, oui, bien sûr. Mais c'est moi qui fais des sélections, comme cela !

M. Coffe : C'est vous qui faites des sélections.
Je voudrais vous poser une question puisque vous êtes amateur : j'ai de l'oseille chez moi, vous en avez ?

M. Madelin : Oui.

M. Coffe : J'ai des limaces qui mangent mon oseille, comment je fais pour m'en débarrasser ?

M. Madelin : Vous mettez un peu de bière autour.

M. Coffe : Vous mettez de la bière ? Ah ! Très bien !
Qu'utilisez-vous comme engrais ?

M. Madelin : Exclusivement de l'engrais naturel ?

M. Coffe : C'est quoi comme genre ?

M. Madelin : Eh bien, cela s'appelle du crottin de cheval.

M. Coffe : Ah ! D'accord.
Et comment vous l'achetez ?

M. Madelin : Par des amis, dans des fermes aux alentours.

M. Coffe : Vous n'avez jamais essayé le purin d'orties ?

M. Madelin : Ah ! Si, bien sûr !

M. Coffe : C'est bien, hein ?

M. Madelin : Ah ! Oui, oui…

M. Coffe : Et le purin de Kousoude, vous avez essayé ?

M. Madelin : De quoi ?

M. Coffe : Le purin de Kousoude, le Kousoude de Russie, c'est très bien.
Je vois que vous êtes très amateur de tomates, vous avez donc un très bon goût évidemment. Je voudrais vous demander pourquoi l'autoconsommation augmente tellement depuis 4, 5 ans ? Vous savez, les gens qui ont un potager comme vous, il y en a de plus en plus, pourquoi ? Parce que cela va-t-il mal, selon vous, ou bien les gens courent-ils après la qualité de plus en plus et qu'ils ne la trouvent pas ?

M. Madelin : Les deux.

M. Coffe : Ah ! Les deux.

M. Madelin : Je suis un représentant typique.

M. Coffe : Le potager vous coûte-t-il cher ?

M. Madelin : Ah oui !

M. Coffe : Très cher ? Donc les gens qui n'ont pas les moyens de manger, n'ont peut-être pas les moyens de faire un potager ?

M. Madelin : Oui et non, vous connaissez les jardins-ouvriers, Monsieur Coffe ?

M. Coffe : Oui. Mais ce n'est pas la majorité quand même !

M. Madelin : Non, mais j'ai eu cela quand j'étais gosse. Les jardins ouvriers dans la banlieue parisienne, on allait faire son potager...

M. Coffe : Ça se resserre les jardins ouvriers, ça se resserre...

M. Madelin : Maintenant vous avez les jardins familiaux, et à Redon j'essaie de développer les jardins familiaux justement pour les gens qui se trouvent aujourd'hui dans l'inactivité.

M. Coffe : Ça marche ?

M. Madelin : Oui, bien sûr, ça marche, et je vais encore étendre cela. Donc je crois que le jardin familial ou le jardin ouvrier, c'est aussi une réponse économique, ce n'est pas seulement une réponse de luxe pour des maniaques comme vous et moi.

M. Coffe : À Redon, dans les écoles, les enfants mangent comment ?

M. Madelin : Qu'est-ce que vous voulez dire ? Dans les cantines ?

M. Coffe : Nourriture industrielle ou ce sont les intendants de l'école qui font cela ?

M. Madelin : Ah ! Non, ce sont les intendants de l'école.

M. Coffe : Ce sont encore les intendants de l'école ?

M. Madelin : Oui, oui. Plusieurs écoles à la fois.

M. Coffe : Vous savez que la nourriture industrielle s'est généralisée dans les cantines, croyez-vous que, là, vraiment, il y a une chance pour que les enfants ne retrouvent jamais le goût ?

M. Madelin : Oui, bien sûr, parce qu'on fait les journées du goût comme partout.

M. Coffe : Oui, enfin, ça dure 8 jours quand même, n'exagérons pas !

M. Madelin : Oui, mais les enfants, c'est : « dessine-moi un poisson ? » et un petit rectangle, parce que les enfants ne savent plus ce que c'est que le poisson, ils ne connaissent plus que l'igloo surgelé.

M. Coffe : Je voudrais vous poser un peu la même question que la dame vous a posée tout à l'heure : si vous étiez Premier ministre, que feriez-vous pour que votre ministre de l'éducation nationale apprenne la qualité et les produits dans les écoles ? Cela vous paraît-il indispensable d'abord ?

M. Madelin : Est-ce que vous pensez que c'est une solution qui doit remonter jusqu'au niveau du ministre de l'éducation nationale ? Ça, c'est bien français : il faut que le ministre de l'éducation nationale décide.
Les enseignants ne sont-ils pas capables eux-mêmes, s'ils avaient un peu plus de liberté, de faire apprendre le bon goût à leurs enfants ?

M. Coffe : Alors comment se fait-il que cela a disparu totalement depuis maintenant 15 ou 20 ans ?

M. Madelin : Peut-être n'ont-ils pas assez de plage de liberté.
Vous savez ce que l'on veut faire - le Président de la République, d'ailleurs, est très attentif à cela - : c'est la modification des rythmes scolaires.
Modification des rythmes scolaires : il y a l'enseignement et puis il y a des tas d'activités à côté. Dans les activités à côté, il y a des· activités culturelles, il y a des activités sportives...

M. Duhamel : ... Et puis il peut y avoir du potager.

M. Madelin : ... Et puis il peut y avoir du potager, on peut faire l'éducation au bout !

M. Coffe : Ce sont vraiment de très jolis rêves qui n'ont absolument aucune consistance dans la réalité. Je suis sûr qu'à Redon dans les écoles, vos instituteurs qui dépendent de vos écoles, ne font pas cela !

M. Madelin : Non, parce qu'on ne l'a pas encore fait…

M. Coffe : Cela n'existe plus nulle part, c'est navrant !

M. Madelin : C'est parce qu'on ne sait pas encore faire, Monsieur Coffe, le mélange entre des activités scolaires sur une partie de la journée et des activités parascolaires pour une autre partie, sportives et culturelles.

M. Coffe : Vous pensez qu'après un grand creux de 30 ans cela va recommencer ?

M. Madelin : Mais, bien sûr, ce sont des solutions que l'on doit trouver...

M. Coffe : Pouvez-vous répondre à une question ?

Mme Chabot : Oui, Monsieur Coffe, vous avez plein de tomates en plus...

M. Madelin : Cela, c'est de la « cornue andine » ...

M. Coffe : Oh, alors là, le « top » du spécialiste la « cornue andine », c'est très bien.
Celle-là ?

M. Madelin : Ça vient d'où, ça d'abord ?
De quel coin ?

M. Coffe : Elles viennent de la Ferme Sainte Marthe que vous connaissez...

M. Madelin : Ah ! Sainte Marthe, Desbrosse...

M. Coffe : Le seul homme politique à avoir écrit à Desbrosse qui fait de gros efforts pour la culture bio, et j'ai appris que vous étiez le seul, unique homme politique à lui avoir écrit, c'est un bon point pour moi.

Mme Chabot : Autre test de tomate.

M. Coffe : Tenez, regardez, en voilà encore une, est-ce que vous la connaissez celle-là ?

M. Madelin : Non, je ne vois pas du tout ce que c'est !

M. Duhamel : Faites-lui plaisir, dites-lui non.

M. Madelin : Ce n'est pas de la « poirotte » ?

M. Coffe : Non. Celle-là, vous la connaissez, elle est assez belle, regardez ? C'est beau ? C'est de la Sainte Lucy.
Et puis je vais vous en montrer une que vous devriez reconnaître...

Mme Chabot : Une dernière, parce qu'il va falloir terminer sur ces tomates.

M. Madelin : Je ne sais pas.

M. Coffe : C'est de la « rouge de Bretagne ».

M. Madelin : Ah !

M. Duhamel : Il allait le dire !

M. Madelin : C'est extrêmement difficile de reconnaître une tomate d'une autre au goût…

M. Coffe : ... De jardin et une tomate industrielle.
Ce que je voudrais quand même dire sur les tomates : les producteurs de tomates françaises, actuellement, tomates industrielles, de serre, font de sérieux efforts, et c'est probablement, en France, le seul pays où l'on trouve de la tomate qui n'est pas traitée, pas de pesticide, pas d'insecticide. Ce n'est pas mal, quand même !

Mme Chabot : Un mot, parce qu'il faut conclure.

M. Madelin : Monsieur Coffe, est-ce que vous ne pensez pas que, sur les marchés, sur les parkings, dans la rue ou ailleurs, on ne pourrait pas avoir des gens qui nous donnent à choisir entre différentes pommes, différentes tomates...

M. Coffe : ... On trouve cela, il faut que vous alliez sur les marchés plus souvent... On trouve cela, je vous le promets...

M. Madelin : Non, vous ne trouvez pas cela assez ! Vous ne trouvez cela que sur quelques variétés...

M. Coffe : Mais si ! J'ai fait 350 marchés dans ma vie de marché, je vous garantis que cela se fait sur les marchés.
Cela dit, je voudrais vous faire un petit cadeau. Tenez, des graines.

M. Madelin : Merci, Monsieur Coffe. C'est ce que l'on essaie de développer chez moi, c'est d'essayer de faire en sorte qu'il y ait des tas de métiers nouveaux liés au goût, à la diffusion de ces produits. Un exemple, un seul : dans la région de Lyon, il y a des jardins du coeur, si l'on peut dire, des sortes de potagers familiaux qui ont été faits et qui proposent un abonnement de légumes, de bons légumes biologiques aux Lyonnais. Voilà une bonne idée. Voilà un métier nouveau, une initiative. Un exemple de ce que je veux dire.

Mme Chabot : Conclusion. Merci à Jean-Pierre Coffe.
D'un mot, Alain Madelin, vous avez eu 50 ans. On a parlé tout à l'heure de votre carrière politique : vous voulez être Premier ministre, Président de la République. Un vrai souhait, pour conclure cette émission, en 10 secondes, que voulez-vous faire quand on a 50 ans ?

M. Madelin : J'ai des tas de souhaits de vie personnelle. En vie politique, ce que j'aimerais faire, c'est vraiment aider à trouver la voie qui permette à notre pays de sortir de ses difficultés, éviter les malheurs inutiles, que des gens retrouvent un peu confiance. Le sondage de tout à l'heure, je n'accepte pas.

Mme Chabot : Merci Alain Madelin.

M. Duhamel : Merci.

Mme Chabot : Bonsoir et rendez-vous le mois prochain.