Interviews de M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture, dans "La Vie" et à France 2 le 12 septembre 1996, dans "Valeurs actuelles" le 14 et à RTL le 15 septembre, sur la protection du patrimoine et les journées du patrimoine.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Journées du patrimoine les 14 et 15 septembre 1996

Média : CFTC La Vie à défendre - Emission L'Invité de RTL - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - La Vie - RTL - Télévision - Valeurs actuelles

Texte intégral

La Vie - 12 septembre 1996

La Vie : Pour quelles raisons lancez-vous cette opération ?

Philippe Douste-Blazy : On compte en France 38 000 monuments historiques, classés et protégés par l'État. À côté, il y a ce qu'on appelle le « patrimoine de proximité », c'est-à-dire celui que nous côtoyons tous et qui nous est intimement cher : la vieille église de notre baptême ou de notre mariage, le village de montagne, la ferme ou le petit port de nos vacances, l'école rurale de notre enfance... Un monument de caractère, lavoir, moulin, fontaine, grange, rempart, fabrique, château jalonne notre pays tous les cinq kilomètres. Or, 400 000 de ces édifices divers, qui ne sont pas inscrits aux monuments historiques, se dégradent, tombent en ruine. Les municipalités n’ont pas les moyens de les entretenir. Les bienfaiteurs les ignorent. Et le budget du ministère de la Culture est insuffisant. Alors, que faire ?

L’idée est de mettre en place une institution nationale privée. Celle-ci s'inspire, dans son principe, de la National Trust britannique, qui existe depuis un siècle et compte aujourd'hui quelque 2 500 000 adhérents.

La Vie : Quelles sont les ambitions de cette Fondation du patrimoine ?

Philippe Douste-Blazy : D'abord, que tous nos compatriotes s'approprient leur patrimoine, sentent qu'il est totalement à eux. Dans ses multiples aspects, y compris le paysage. Cet héritage commun est le premier loisir culturel en France, avant le cinéma et la musique. Un puissant courant le porte désormais. C'est pourquoi la mise en œuvre du projet, initié par mon ministère dans vingt départements pilotes, puis bientôt sur tout le territoire, appartient aux Français. Au sein du conseil d'administration de la Fondation, l'État n'est d'ailleurs pas majoritaire.

La Vie : Outre le ministère de la Culture, quels en sont les membres fondateurs ?

Philippe Douste-Blazy : Dix grands groupes placeront chacun quatre millions de francs dans le capital initial. Puis la Fondation, associée aux collectivités locales et territoriales, réunira à la fois des mécènes privés, des entreprises et des adhérents, ces derniers donnant ce qu'ils pourront, 50 F, 100 F, 200 F... Tant par leur participation que par leur cotisation, ces citoyens pourront, avec la Fondation, intervenir directement dans la valorisation de leur environnement immédiat. Leur adhésion sera consacrée à un fonds de financement départemental dont ils pourront orienter les choix. Par leur vigilance, ils seront les premiers informateurs de la Fondation. Pour que ça marche, nous espérons au moins 100 000 adhérents fin 1998. Bien entendu, les associations de défense et de mise en valeur du patrimoine auront au sein de la Fondation une place privilégiée, reflétant le formidable travail bénévole qu'elles mènent sur le terrain depuis longtemps déjà.

La Vie : Comment le système va-t-il fonctionner ?

Philippe Douste-Blazy : En leur qualité de principales propriétaires du patrimoine rural, les communes auront la responsabilité de proposer des projets de restauration susceptibles de s'inscrire dans une démarche globale d'animation et d'accueil. Les choix, dont ceux concernant des propriétés privées (plafonnés à 40 % des interventions de la Fondation), s'effectueront au sein d'un conseil d'orientation qui travaillera en symbiose avec les collectivités locales et territoriales. J'ajoute que la Fondation ne sera ni technocratique, ni bureaucratique, et qu'elle entraînera très peu de frais de fonctionnement.

La Vie : Quel intérêt les entreprises peuvent-elles trouver dans la réhabilitation du patrimoine de proximité ?

Philippe Douste-Blazy : Je prendrai un seul exemple. Afin de remercier ses plus importants clients, tel patron dépense un million de francs pour un concert et un dîner annuels donnés dans un monument prestigieux et classé. Sans autre retombée que celle d'avoir fait plaisir à quelques personnes triées sur le volet. Le même patron pourra demain - avec le soutien de la Fondation et des pouvoirs publics - réserver cette somme à la restauration totale ou partielle d'une abbaye, d'un moulin communal, des façades d'une rue de village, qui profiteront ensuite à tout le monde. En faisant connaître ce parrainage, il en tirera nombre de bénéfices, en continu, auprès de sa clientèle, pourquoi pas associée à ce mécénat populaire et social et non plus élitiste. Et aussi auprès du personnel et des partenaires de son entreprise.

La Vie : Quelles seront les conséquences économiques de votre initiative ?

Philippe Douste-Blazy : C'est notre second enjeu. Pour sauvegarder ces 400 000 édifices en danger, il faut vite se retrousser les manches. La Fondation suscitera dans les prochains mois l'ouverture de près de 3 000 chantiers de restauration ; lesquels représenteront un volume d'affaires considérable pour les entreprises et artisans du bâtiment et des travaux publics. On peut estimer que ces travaux vont permettre la création à court terme de 6 000 à 8 000 emplois. Beaucoup plus quand les bâtiments, sitôt rénovés, seront exploités comme gites, auberges, sites touristiques et culturels.

Certes, nous proposons une œuvre de longue haleine, qui n'aboutira peut-être que dans une cinquantaine d'années. Cependant, la Fondation du patrimoine devrait d'ores et déjà non seulement faciliter des insertions, créer des emplois, mais sauvegarder et développer des savoir-faire qui ont tendance à disparaître : la ferronnerie d'art, l'ébénisterie, la taille de la pierre, le crépissage, etc. Et également encourager tous ceux qui s'intéressent à la photographie, à l'histoire du cinéma français, aux instruments de musique anciens, aux végétaux que l'on cultivait jadis, à la gastronomie de terroir, ou qui collectionnent les objets familiers du temps passé.

La Vie : Quelle est votre intention politique ?

Philippe Douste-Blazy : Pour moi, la politique c'est réaliser des choses concrètes - en l'occurrence créer des emplois pour la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine - dans une philosophie générale qui donne du sens à la vie de mes concitoyens. Alors qu'aujourd'hui nous sommes en perte de sens, le retour aux symboles forts que véhicule le patrimoine de proximité, avec ses espaces naturels, ses merveilles architecturales, ses traditions artisanales et culturelles, s'inscrit dans ce courant de pensée. D'autre part, pour ce qui est de la revitalisation du tissu rural, du calme et de la durée du monde rural comme réponse à la frénésie urbaine, je pense qu'on pourrait assister à une inversion de la désertification actuelle. À condition que soit, parallèlement à notre action, menée une véritable politique d'aménagement du territoire. En ce cas, nous verrons peut-être renaître une épicerie, une boulangerie, un restaurant, une école, une poste là où un bâtiment réhabilité attirera des visiteurs à longueur d'années et ramènera au village les familles qui l'avaient quitté.

 

France 2 - jeudi 12 septembre 1996

G. Leclerc : Le week-end qui vient sera celui des Journées du Patrimoine, les 13e du genre, 7 millions de Français sont attendus. Quel est l'intérêt de ces journées ?

P. Douste-Blazy : C'est de connaître son patrimoine. Les institutions publiques ouvriront leurs monuments, les propriétaires privés ouvriront les portes de leurs demeures et il y aura 11 000 sites, 10 % de plus que l'année dernière. C'est l'occasion pour les Français de rentrer dans les plus belles demeures, les plus belles maisons, les plus beaux sites de ce pays. Cette année, on a pris deux thèmes. 1. Patrimoine et littérature. Et également on s'est dit que les Journées du Patrimoine c'était bien, mais que les Nuits du Patrimoine c'était bien mieux. Et donc, nous avons fait « Patrimoine et littérature », on va proposer aux Français de rentrer dans les demeures des écrivains, ou alors dans leurs maisons natales, ou dans leurs maisons de vacances ou de villégiature et puis nous avons organisé des parcours littéraires. On va lire des textes, on va lire des livres. On peut mieux comprendre que ces lieux étaient des lieux de création littéraire. Et puis, on va prendre des lieux qu'on va éclairer la nuit, entre le 14 et le 15 septembre, pour faire des promenades extérieures mais aussi intérieures, à la bougie.

G. Leclerc : Le patrimoine français est l'un des plus riches du monde, mais souvent il y a des problèmes de restauration. Quelles sont vos priorités en la matière ?

P. Douste-Blazy : D'abord, il y a depuis A. Malraux des lois de programme, des lois qui permettent de donner de l'argent à la restauration. Cette année, il y aura eu 600 millions de francs pour la restauration des monuments d'État mais aussi de collectivités publiques. Comment fait-on ? Soit on a un monument qui est authentique, très rare, presque unique, d'importance nationale, et on le classe. Soit c'est une commune qui l'a et on donne des subventions ; soit c'est un propriétaire privé qui l'a et on lui donne 50 % des frais de travaux de restauration et des déductions fiscales. Ensuite, le deuxième point, et qui est capital pour moi à mon avis, c'est qu'à côté du classement, il y a l'inscription. Vous avez une maison qui a un intérêt Là aussi, le ministère de la Culture peut vous aider. Soit avec une déduction fiscale, soit avec aussi une subvention s'il y a une commune. À côté de ces monuments merveilleux, il y a des monuments qui sont dans tous les villages de France, ce que j'appelle le patrimoine de proximité, le patrimoine rural. Il n'y a pas un seul village de France qui n'ait pas une église, une chapelle, un lavoir, un rempart, une ferme de caractère et là, nous avons créé la Fondation du Patrimoine, c'est une révolution culturelle ; c'est une fondation privée, tous les Français pourront y souscrire, les entreprises privées aussi. Nous allons ensemble rénover les centaines de milliers de bâtiments que nous côtoyons tous les jours. Si on ne les entretient pas, ils vont tomber.

G. Leclerc : Une polémique s'est développée sur des aqueducs à Paris. On dit que l'aqueduc de Montsouris va être quasiment détruit, qu'il ne serait restauré que sur 300 mètres ?

P. Douste-Blazy : Ma position, c'est que le ministère de la Culture doit tout faire pour conserver, protéger au maximum tout ce qui est notre mémoire, notre histoire, j'allais même dire notre civilisation. Nous sommes là pour garder en mémoire tout ce qu'on nous a transmis, il faut toujours le transmettre aux générations futures.

G. Leclerc : Dans ce cas précis ?

P. Douste-Blazy : Nous avons des milliers de kilomètres d'aqueduc que nous avons gardés. Pour celui-là, nous regardons, parce qu’en effet, dans un premier temps, le ministère de la Culture avait pensé ne pas le garder. C'est vrai qu'aujourd'hui une polémique est née et nous réfléchissons à ce que nous allons faire définitivement.

G. Leclerc : Vous avez un budget qui est un peu symbolique, le fameux 1 %, allez-vous le conserver ?

P. Douste-Blazy : J'ai fait tout pour conserver le budget qui permettra à tous les artistes de ce pays de continuer à créer et à diffuser la musique, le théâtre, les arts plastiques... Enfin, bref, tous les arts. Cela, je peux vous dire que je l'aurai. Ce qu'on appelle le « titre IV », tout ce que l'on donne au niveau des scènes nationales, des centres dramatiques nationaux, au niveau des orchestres, au niveau des compagnies, tout cela sera conservé.

G. Leclerc : Et pour le patrimoine ?

P. Douste-Blazy : Pour le patrimoine, nous sommes justement obligés, comme dans toutes les lois de programme... Vous savez que le Gouvernement marque pour la première fois son intention de ne pas augmenter le budget de l'année prochaine par rapport aux précédents, parce que les difficultés de la France sont telles qu'il ne faut pas les aggraver. Eh bien, la Culture sera comme les autres ministères : les lois de programme, plutôt que de les faire en 5 ans, on les fera en 6 ans.

G. Leclerc : Certains disent qu'il faut interdire le FN, d'autres qu'il faut en tout cas engager des procédures contre J.-M. Le Pen. Quelle est votre position ?

P. Douste-Blazy : En tant que médecin, j'ai travaillé sur la génétique, en tant que responsable politique, en tant qu'homme, je pense que c'est scandaleux. Je suis profondément choqué par le fait que l'on puisse même dire que les races soient inégales. Il y a eu des drames dans le passé, pour des gens qui pensaient que les races n'étaient pas égales. Je pense que c'est honteux, je suis profondément choqué…

G. Leclerc : ...cela veut dire qu'il faut faire des procédures contre J.-M. Le Pen ?

P. Douste-Blazy : Je pense en même temps que c'est une provocation, comme d'habitude. J.-M. Le Pen fait de la provocation. Faut-il tomber dans la provocation et ne parler plus que de lui et ne parler plus que du FN ? Je ne le crois pas. Cela fait 15 ans qu’à force de le diaboliser, on fait monter le FN. À la limite, j'ai envie de lui répondre sur son terrain qu'il a choisi, sur le plan scientifique, en lui prouvant que c'est une monstruosité.

 

Valeurs Actuelles - 14 septembre 1996

Valeurs Actuelles : En quoi votre conception du patrimoine diffère-t-elle de celle de vos prédécesseurs ?

Philippe Douste-Blazy : L'action que je mène en faveur du patrimoine depuis mon arrivée à la tête de ce ministère ne s'inscrit pas a priori dans une logique de rupture. Au-delà de la responsabilité qui incombe à mon ministère pour la préservation et la restauration des édifices protégés, je suis particulièrement attaché à rendre plus accessibles le plus grand nombre de monuments à un public le plus vaste possible.

La visite des monuments est d'ailleurs aujourd'hui, comme vous le savez, la première pratique culturelle des Français. Le succès croissant des journées du patrimoine (sept millions de visiteurs en 1995, soit 10 % de plus qu'en 1994) est la preuve éclatante de l'intérêt de nos concitoyens pour les vestiges du passé.

Cet engouement traduit certainement, en cette fin de siècle, le besoin de retrouver une mémoire collective et répond à un vif désir d'appropriation et d'identité.

Pour ma part, je suis convaincu du rôle intégrateur du patrimoine, qui rassemble une communauté autour d'un passé commun.

Mon souci que le patrimoine soit plus largement accessible ne relève pas du poncif mais bien d'une volonté inscrite au cœur de ma politique.

Celle-ci implique à la fois une action en faveur de l'ouverture et de la mise en valeur des monuments historiques. Il convient de développer l'intérêt public pour les monuments les plus célèbres comme pour les plus modestes. La visite du patrimoine ne doit plus être passive. C'est la raison pour laquelle se développent de plus en plus les visites thématiques, les circuits de visites, les expositions... en relation étroite avec le monument. Je citerai pour exemple, les Imaginaires du Mont-Saint-Michel ou d'Azay-le-Rideau, les opérations « Le monument et ses artisans », « La nuit du cinéma ».

De même, la direction du patrimoine mène en étroite collaboration avec les collectivités territoriales une politique d'animation intelligente dans les « cent trente villes et pays d'art et d'histoire » que compte notre pays. Ce label garantit la qualité des visites assurées par des guides-conférenciers qualifiés.

Je souhaite que partout en France des initiatives similaires se mettent en place.

Nouvelle priorité : 400 000 éléments du patrimoine de proximité

Le patrimoine est en outre, si j'en juge par les six mille associations rassemblant cinq cent mille adhérents, un thème extrêmement mobilisateur. Or il existe en France, au-delà des quarante mille édifices protégés au titre des Monuments historiques, quatre cent mille éléments du patrimoine de proximité qui forgent l'identité de la France et qui sont sous la responsabilité de chacun d'entre nous. Ce patrimoine de proximité est une autre de mes préoccupations, il est au cœur de la nouvelle fondation du patrimoine que j'ai souhaité créer.

Valeurs Actuelles : La Fondation du patrimoine vous tient à cœur. Où en est-elle ?

Philippe Douste-Blazy : Nous sommes aujourd'hui à la veille de l'installation effective de la Fondation du patrimoine dans ses missions, qui interviendra courant octobre de cette année.

Le capital prévu de 40 millions de francs est constitué et les statuts sont prêts. J'en communiquerai la teneur exacte dès qu'ils auront été approuvés par le Conseil d'État.

Quatre-vingts départements se sont mobilisés pour commencer à recenser les chantiers prioritaires, et ont définis cent quarante thèmes d'intervention. Chaque thème représente cinquante à cent chantiers.

Vingt conseils généraux ont confirmé leur accord pour participer au financement de ces premiers chantiers, qui ouvriront donc dès 1996, grâce à un financement partenarial de 200 millions de francs, qui donnera lieu à la signature de conventions « patrimoine et emploi » en cours d'élaboration.

Les trois fédérations professionnelles du bâtiment, la Fédération nationale du bâtiment (FNB), la Confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment (Capeb) et le Groupement national des entreprises de restauration de monuments historiques, s'apprêtent à signer avec Jacques Barrot, Corinne Lepage et moi-même la charte « Patrimoine et emploi », aux termes de laquelle ils s'engagent avec nous à maintenir et à créer des emplois grâce à cette action.

Mille cent artisans du bâtiment ont été recensés par les services du ministère et vont être informés directement des possibilités que leur offre la Fondation du patrimoine.

J'ai, en effet, réservé 20 millions de francs pour la création d'un fonds de garantie destiné à permettre la création ou la reprise d'entreprises d'entretien et d'animation du patrimoine national, en collaboration avec les chambres de commerce et d'industrie, et ce système va être évalué dès octobre 1996 dans cinq départements expérimentaux.

J'ai informé l'Union européenne de notre action, et le Danemark et l'Italie étudient avec nous la mise en place de projets communs relatifs au patrimoine et à l'emploi. J'envisage un symposium européen en décembre 1996 pour réunir tous les partenaires européens susceptibles de travailler avec nous.

Voilà, en résumé, où nous en sommes avec la Fondation du patrimoine. Quinze personnes au ministère sont mobilisées en permanence sur ce dossier. Je pense que l'annonce que je vais en faire, dans très peu de temps, sera à la hauteur des ambitions du projet et des attentes des Français.

Valeurs Actuelles : Les journées du patrimoine sont axées cette année sur le patrimoine écrit. L’écrit n’est-il pas le parent pauvre du patrimoine ?

Philippe Douste-Blazy : Plus précisément, le thème retenu pour les treizièmes journées du patrimoine est la littérature. C'est en effet de la littérature qu'est né le sentiment patrimonial que nous connaissons aujourd'hui. Il s'est imposé au XIXe siècle avec la génération des écrivains romantiques, qui ont fait des monuments anciens des objets de vénération chargés d'émotion.

Quant au patrimoine écrit dans son ensemble, il représente une de nos plus importantes richesses culturelles. Il importe de valoriser cette richesse et d'en permettre la découverte par le plus large public. C'est pourquoi le patrimoine écrit à sa fête : « Le mois du patrimoine écrit », organisé par la Fédération française de coopération entre bibliothèques (FFCB), avec le concours de mon ministère. Symboliquement, cette fête commence au moment des journées du patrimoine, le 14 septembre, et s'achève pendant le Temps des livres, le 20 octobre.

Cette année, le thème de cette fête est « itinéraire et voyage à travers le patrimoine écrit ». Il mobilise plus de trois cents bibliothèques dans toute la France. Je souhaite insister sur ce point.

Lorsqu'on pense au patrimoine écrit, on pense en effet d’abord à la Bibliothèque nationale de France, qui est une des quatre plus grandes bibliothèques patrimoniales du monde. Et vous savez quel effort absolument exceptionnel la collectivité nationale consent pour cette bibliothèque. Mais il faut bien avoir conscience que sur tout notre territoire quelque quatre cents bibliothèques territoriales, associatives ou universitaires renferment un trésor qui approche en quantité et en qualité celui de la Bibliothèque nationale de France. C'est sur ce « second trésor » que je veux faire aussi porter l'effort de mon ministère. Le plan pour le livre et la lecture que j'ai présenté au même moment et dont la mise en œuvre se poursuit comporte un important volet patrimonial : augmentation des crédits des fonds régionaux d'acquisition des bibliothèques, création de deux nouveaux fonds régionaux, collaboration accrue de l'État aux actions menées par les collectivités territoriales, comme l'édition de CD-Rom.

 

RTL - dimanche 15 septembre 1996

J.-P. Tison : Quels sont les chiffres du bilan de cette treizième édition des Journées du patrimoine ?

P. Douste-Blazy : Record battu : 8 millions de Français sont allés voir leur patrimoine. Le patrimoine est un phénomène de société qui constitue un mouvement de masse, et les Français ont la passion de leur patrimoine. Maintenant, il faut qu'ils se l'approprient, et c'est ce que je leur propose avec la Fondation du patrimoine.

J.-P. Tison : 1 million de personnes de plus par rapport à l'an dernier.

P. Douste-Blazy : Nous avions tenu, cette année, à augmenter de 10 % le nombre de sites ouverts. Cette année se dégage déjà un phénomène : autant, l'année dernière, il n'y avait que la province qui avait véritablement augmenté par rapport à l'année précédente, cette année c'est à la fois Paris et la province - que ce soit les palais nationaux, les églises, les chapelles, les monuments en général.

J.-P. Tison : Au moment où le pouvoir est contesté, on observe que les lieux de pouvoir attirent une foule très nombreuse. Ils continuent de fasciner le public.

P. Douste-Blazy : Au moment où l'on voit qu'un certain nombre de repères disparaître on s'aperçoit en même temps que le patrimoine n'a jamais été autant couru par les Français, autant considéré. Prenons l'exemple de l'Assemblée nationale : l'an dernier, 6 000 personnes, 12 000 cette année. L'Élysée est passé de 6 800 à 8 700. Le Sénat, et même le ministère de la Culture qui a augmenté de 10 % le nombre de ses visiteurs.

J.-P. Tison : Quel a été votre propre périple ?

P. Douste-Blazy : J'ai commencé par mon département : les Hautes-Pyrénées, la haute vallée du Louron que nous avons classée. Les Journées du patrimoine, il s'agissait des Journées du patrimoine bâti, mais aussi naturel. Le ministère de la Culture doit se battre et classer, à côté du ministère de l'Environnement, les vallées. Ainsi la haute vallée du Louron ne pourra-t-elle plus voir le risque d'une ligne à très haute-tension. Il y avait aussi les églises romanes, les peintures murales du XVIe siècle. Je suis allé à Toulouse en passant par Saint-Bertrand-de-Comminges. Et aujourd'hui c'était, dans les Pyrénées-Orientales, la vallée de la Têt, avec les églises baroques, les citadelles, le patrimoine archéologique. Je dois dire que la vallée de la Têt est magnifique, parce qu'elle témoigne de la richesse patrimoniale de ce pays.

J.-P. Tison : Journées, mais aussi les Nuits du patrimoine.

P. Douste-Blazy : Cette année, nous avions pris deux thèmes : à la fois le patrimoine et la littérature, pour montrer les maisons natales, et les maisons dans lesquelles les différents écrivains français avaient puisé leur inspiration. Mais également les nuits du patrimoine. Nous avons éclairé un certain nombre de monuments, à l'extérieur comme à l'intérieur, à la bougie ; où l'on a pu lire des textes et passer un moment dans la nuit avec ce patrimoine.

J.-P. Tison : Vous êtes un ministre heureux ce soir. Un vœu un an avant la prochaine opération ?

P. Douste-Blazy : Le vœu que je forme : je souhaite que les Français, devant ce phénomène de masse, s'approprient leur patrimoine. Pas uniquement les monuments d'État, les grands monuments classés et inscrits, mais également ce que l'on appelle le patrimoine de proximité, celui que nous cotoyons tous les jours, qui est dans tous nos villages, toutes nos communes. Il est important que nous le rénovions, car malheureusement, si on ne l'entretient pas, si on ne s'en occupe pas, cette richesse disparaitra. Et pourtant, c'est ce que nous voulons léguer à nos générations futures. Cela ne peut se faire qu'avec des métiers d'art, des artisans, des femmes et des hommes qui se battent pour garder leur savoir-faire. Cela aussi c'est notre patrimoine culturel. Le patrimoine c'est, à la fois, la tradition et la modernité.