Texte intégral
M. FIELD. – Dans un instant, « Public » reçoit Ségolène Royal, la ministre déléguée, chargée de l'Enseignement scolaire. Nous évoquerons avec elle les grands thèmes de l'actualité de la semaine. Et puis, évidemment, nous parlerons de l'école avec des enseignants et des lycéens qui interrogeront la ministre sur leur quotidien scolaire.
Dans un instant, Ségolène Royal est l'invitée de « Public ».
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M. FIELD. – Bonsoir à toutes, bonsoir à tous. Merci de rejoindre « Public ».
Merci Ségolène Royal d'avoir accepté notre invitation. Vous êtes ministre déléguée, chargée de l'Enseignement scolaire. Donc, vous partagez le Ministère de l'Education Nationale avec Claude Allègre que j'ai déjà reçu il y a quelques semaines.
Nous allons parler, dans la deuxième partie de l'émission, de quelque chose qui, je crois, vous touche particulièrement puisque c'est un petit peu le centre de votre action concernant les zones d'éducation prioritaire, c'est-à-dire les zones les plus difficiles. Là où, peut-être, on attend le plus de l'école et du collège et là où c'est, sans doute, le plus difficile pour des enseignants, des collégiens ou des lycéens de travailler. Il y a en a quelques-uns sur ce plateau qui diront un petit peu ce qu'ils pensent de votre action et ce qu'ils attendent du ministre que vous êtes.
Auparavant, nous déclinerons les rendez-vous habituels de cette émission. Votre portrait auquel vous aurez, évidemment, tout loisir de réagir. Un sujet de télévision étrangère : comment la RAI a perçu l'inauguration du Grand Stade de France et puis L'Edito sur les grands faits d'actualité.
Nous nous retrouvons dans un instant et, après, c'est parti pour une heure.
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M. FIELD. – Retour à « Public » avec Ségolène Royal, ministre déléguée, chargée de l'Enseignement scolaire.
Madame la ministre, on a l'impression que l'enseignement scolaire correspond bien à ce qu'est votre singularité, je dirais, votre créneau, même si je voulais être un peu méchant, c'est-à-dire une façon de faire de la politique très au quotidien, en prenant en charge les petits problèmes qui intéressent évidemment les gens, mais qui sont un peu loin des grands enjeux idéologiques. C'est une marque de fabrique ? C'est propre à Ségolène Royal que d'avoir cette perception un peu minimaliste des choses ?
Mme ROYAL. – Je n'ai jamais fait, pour ma part, de différence entre les problèmes concrets, les problèmes quotidiens et les grands enjeux de la Société. Je pense que les deux sont étroitement liés. Et lorsque l'on a en charge les 12,5 millions d'élèves qui vont de la maternelle au baccalauréat, il y a forcément de gros enjeux de Société. On le voit aujourd'hui : les interrogations, par exemple, sur la délinquance des mineurs. L'école est interrogée par rapport à cela. En même temps, c'est vrai que le système scolaire s'améliore au quotidien par des choses concrètes. Et ma volonté politique, c'est d'abord d'être dans les classes. Et toutes les semaines, sans exception, je suis dans une classe que ce soit en primaire, en collège ou en lycée, pour repérer ce qui se passe, pour voir là où ça va mal, pour généraliser ce que les enseignants ont inventé au quotidien, au jour le jour, et donc pour faire un projet politique à partir des actions de terrain qui réussissent.
M. FIELD. – Comment éviter le catalogue de bonnes intentions ? Parce que quelquefois quand on vous écoute ou quand on lit les circulaires qui émanent de votre ministère, on se dit : « par rapport à des problèmes aussi compliqués que la violence, que la situation de l'école ou du collège dans des cités difficiles, etc. viennent de votre ministère des textes qui ont l'air un peu irréel, sur le retour de l'instruction civique, etc. » Il y a une sorte de dichotomie terrible entre les bonnes intentions de ces textes-là et la réalité que les enseignants vivent au quotidien.
Mme ROYAL. – Je crois que, au contraire, on a pris une série de décisions extrêmement concrètes. Par exemple, le fonds social pour les cantines qui a permis de remettre dans les cantines scolaires des enfants qui en avaient été écartés par des réformes malheureuses. 290 millions de francs, plusieurs milliers d'enfants qui, à nouveau, mangent à leur faim. Cela est concret, ce n'est pas complètement abstrait. Il y a eu la réembauche des maîtres auxiliaires. En tout, nous avons créé 60.000 emplois depuis que nous sommes là, avec Claude Allègre ; 28.000 maîtres auxiliaires ont été embauchés. Ils manifestaient dans la rue tous les jours. Et puis des contrats-jeunes, des aides éducateurs aussi qui, maintenant, sont dans les écoles. Cela est très concret.
Je peux vous dire que, dans les collèges, dans les zones de violence où les aides éducateurs ont été embauchés, lorsque, notamment, elles viennent où sont intégrés ces collèges et ces écoles, la violence a pratiquement disparu de ces collèges. Donc, ce sont des décisions extrêmement opérationnelles qui sont prises sur le terrain. Lorsque aussi j'obtiens la création de 600 postes d'infirmières et d'assistantes sociales qui vont être présents dans les collèges et dans les lycées, cela, aussi, est extrêmement concret au quotidien.
Je crois que nous sommes, au contraire, guidés par une volonté d'actions opérationnelles. Et pour ce qui me concerne, j'ai des priorités extrêmement simples : c'est d'abord la réussite scolaire pour tous les élèves...
M. FIELD. – ... c'est simple à dire, mais c'est plus compliqué à faire.
Mme ROYAL. – C'est simple à dire et plus compliqué à faire, mais en même temps c'est un cap extrêmement clair qui guide l'ensemble de mes actions. Il y a ensuite la lutte contre les inégalités, contre l'échec scolaire. Par exemple, je me suis attelée au chantier de la lutte contre l'illettrisme. J'y arriverai parce que j'en ai la volonté politique et que je n'accepte pas que, dans la France contemporaine, tout soit joué pour un enfant à l'âge de 8 ou 10 ans, c'est-à-dire quand il a accumulé un certain retard et qu'il sait qu'il rentrera en 6ème sans savoir correctement lire, ni s'exprimer en français. Cette injustice-là est insupportable pour un gouvernement socialiste et ma mission, c'est de réussir...
M. FIELD. – ... insupportable, tout court ! Même pour un gouvernement qui ne serait pas socialiste. Nous sommes bien d'accord ?
Mme ROYAL. – Bien sûr, elle est insupportable tout court, mais encore plus pour un gouvernement qui a fait de la lutte contre les inégalités sa principale priorité.
M. FIELD. – Aujourd'hui, il y avait les instituteurs et les professeurs d'école qui étaient dans la rue pour réclamer l'accélération du plan d'intégration. Le 3 février, c'est-à-dire après-demain, il va y avoir manifestation et grève des professeurs du secondaire. Comment voyez-vous ces mouvements ? Ce sont des interpellations qui vous font un peu peur, qui vous inquiètent ?
Mme ROYAL. – La revendication des instituteurs ne me choque pas du tout. Un pays qui paie bien ses enseignants, ce n'est jamais perdu pour lui. Je crois que c'est une mission, aujourd'hui essentielle dans la société contemporaine. Beaucoup de choses se jouent à l'école. C'est là que, dans certains quartiers, reste le seul service public. Donc, c'est vrai que les enseignants sont aujourd'hui en première ligne, on vient de le dire. À l'école primaire, c'est là que doit s'exercer le rattrapage de toutes les lacunes ou de tous les handicaps.
M. FIELD. – Donc, vous étiez d'accord avec les revendications des manifestants aujourd'hui ?
Mme ROYAL. – Je les comprends parce que c'est vrai que la revalorisation, qui a été faite, d'ailleurs, par Lionel Jospin, qui a donné lieu à des accords qui ont été respectés, entraîne dans les écoles un sentiment de gêne puisque, pour exercer le même métier, certains ne reçoivent pas le même salaire.
M. FIELD. – Il y a deux statuts différents.
Mme ROYAL. – Oui. Vous savez, un verre est soit à moitié plein, soit à moitié vide. Fallait-il ne pas faire la revalorisation des instituteurs, c'est-à-dire la création du corps des professeurs des écoles ? Je ne le pense pas.
M. FIELD. – Vous allez en toucher un petit mot à Lionel Jospin pour essayer d'accélérer ce plan ou...
Mme ROYAL. – ... je pense qu'il est conscient de la difficulté de la tâche et de la légitimité de la revendication. Mais en même temps l'Etat a tenu sa parole. Le contrat signé est respecté C'est vrai que la tension existe dans les écoles et que, de toute façon, des discussions sont ouvertes aussi sur la mutation du métier d'enseignant, sur les exigences nouvelles qui pèsent sur les enseignants. Et, par conséquent, j'espère que, dans les années qui viennent, si le chômage recule, si la situation économique s'améliore, ce sera en tout cas, dans le système scolaire, l'une des principales revendications qui sera prise en considération dès que nous le pourrons.
M. FIELD. – On va faire un petit détour par vous, par vous-même et votre carrière politique avec le portrait. Regardez-le, écoutez-le et réagissez.
PORTRAIT
M. FIELD. – Vous en rêvez !
Mme ROYAL. – Oh ! Pas du tout. Quelle chute ! Entre le chabichou... mais le chabichou mène peut-être suffisamment loin ! Je ne sais pas...
M. FIELD. – ... peut-être la présidence de la République, mais vous aviez, à un moment donné, brigué la présidence de l'Assemblée nationale... enfin, brigué... laissez entendre que vous la prendriez volontiers. Puis, cela ne s'est pas fait.
Mme ROYAL. – Oui, pourquoi pas ! Cela fait partie aussi de mon engagement de femme en politique. A partir du moment où une femme à une légitimité d'exercer une compétence, pourquoi ne serait-elle pas à la hauteur de cette compétence-là ? C'était tout.
M. FIELD. – Mais la présidence de l'Assemblée, on a eu l'impression que c'était aussi un enjeu. C'est-à-dire que dans le fait que cela n'ait pas abouti, il y avait aussi le fait que c'était, parce que vous étiez une femme, que finalement la chose a été très rapidement dégagée par vos camarades socialistes.
Mme ROYAL. – Oh ! Je ne sais pas ! Pour moi, c'est une page tournée. Ce n'est pas bien important. On pout parler peut-être d'autre chose que de moi.
M. FIELD. – Si vous voulez ! Encore un peu de vous, tout de même. Dans la répartition des tâches avec Claude Allègre, puisque le portrait le dit, au début de vos prises de fonction respective, Claude Allègre est celui qui y est allé carrément et on avait l'impression que vous étiez derrière pour calmer un petit peu le jeu de ses déclarations qui ont fait grand bruit et qui ont beaucoup choqué les enseignants.
Mme ROYAL. – Ce qui compte entre nous, c'est la solidarité et l'unicité de vue par rapport à la nécessité de l'action. Claude Allègre est un grand scientifique qui voit loin, qui essaie d'anticiper. Moi, je suis une femme politique qui a une expérience de terrain, différente de la sienne. Et je pense que nous nous complétons à la fois très bien et qu'en même temps nous sommes en phase par rapport à ce qu'attend de nous le système éducatif.
M. FIELD. – Et cela ne pose pas de problème dans la prise de décision, cette dualité comme ça, de deux ministres dans un ministère aussi important que celui de l'Education Nationale ?
Mme ROYAL. – Non, au contraire ! Je pense que nous nous confortons, nous nous épaulons. Mais c'est vrai aussi au niveau du gouvernement. Ce qui est assez exceptionnel dans ce gouvernement, c'est la façon dont s'entendent les ministres. Parce que nous travaillons aussi sur l'Education avec d'autres ministres. Le chantier de lutte contre la violence à l'école, nous réussissons parce que nous sommes en phase, et avec Elisabeth Guigou et avec Jean-Pierre Chevènement. La lutte contre la maltraitance sur les enfants. Si j'ai pu avancer sur la lutte contre le bizutage, c'est parce que je me suis entendue avec Elisabeth Guigou pour le faire. Les emplois-jeunes, c'est parce que nous y avons travaillé avec Martine Aubry. Ce qui fait la force d'action de ce gouvernement, c'est vraiment parce que les ministres, je crois, sont sur la même longueur d'ondes et travaillent sur une dynamique claire que nous assigne Lionel Jospin.
M. FIELD. – Cela a soufflé un petit peu fort quand même dans les voiles du gouvernement ces derniers jours et ces dernières semaines ?
Mme ROYAL. – Un peu trop fort. Vous faites allusion sans doute au conflit des chômeurs et des différentes prises de position des ministres...
M. FIELD. – Oui.
Mme ROYAL. – Oui, je pense qu'il y a un temps pour le débat. Et ce débat existe puisque, tous les 15 jours, Lionel Jospin réunit ses ministres à Matignon. Puis il y a un temps pour l'action et un temps pour la discipline gouvernementale.
M. FIELD. – Vous avez été choquée des déclarations un petit peu divergentes de certains de vos collègues du gouvernement ? Vous auriez attendu plus de solidarité active de leur part autour de Lionel Jospin ?
Mme ROYAL. – Je crois que l'efficacité du gouvernement vient de sa solidarité et de son sens de la cohérence. S'il peut y avoir des nuances dans l'appréciation des choses – ce qui fait aussi la richesse de ce gouvernement, ce sont les différentes personnalités qui y sont, les différents courants politiques qui se retrouvent – en revanche, une fois qu'il y a une décision du chef du gouvernement, il faut une cohérence de l'action. Il n'y a pas d'un côté les ministres qui auraient plus de coeur que d'autres. Donc, il faut, à un moment, savoir garder l'expression de ses sentiments derrière l'efficacité gouvernementale. En tout cas, c'est cela qu'attend un pays.
M. FIELD. – On va feuilleter un petit peu les grands faits de l'actualité de la semaine. Et puis évidemment, vous le savez, surtout vous étiez devant votre écran de télévision regardant TF1 mercredi, l'inauguration du Stade de France a été un de ces grands événements de la semaine. On a demandé à une télévision étrangère, en l'occurrence nos confrères italiens de la RAI, quel était leur regard sur cette inauguration ? Eh bien vous allez voir, on ne regarde pas exactement de la même façon en Italie qu'en France. On regarde.
(LA FRANCE VUE PAR LA RAI - ITALIE)
JOURNALISTE. – Le Grand Stade n'a pas de parking. La seule manière d'y accéder, c'est de prendre le métro. La radio et la télévision l'ont répété pendant des jours. 80.000 personnes, à commencer par le Premier ministre, Lionel Jospin, se sont sagement alignés pour arriver au Grand Stade, que l'on voit dès la sortie de la station de métro.
Il est beau, il faut le dire, ce stade édifié à toute vitesse, en 30 mois, qui a coûté 1.000 milliards de lires – la moitie à la charge de l'Etat –, c'est-à-dire pour chaque Français, du nourrisson aux personnes âgées, 20 francs, soit 6.000 lires.
Après la Coupe du Monde, ce stade sera utilisé une douzaine de fois par an seulement. Trop peu pour payer les coûts de fonctionnement. Mais c'est le dernier des grands travaux du siècle. La France fait ce soir la fête autour du Président, Jacques Chirac. Les polémiques arriveront demain quand on commencera à discuter du devenir de ce grand vaisseau fantôme ancré dans une banlieue peu heureuse, celle de Saint-Denis.
Dans tous les cas, l'image du Grand Stade est une très belle image. Celle de la France qui va bien, qui court vers le nouveau millénaire, mais qui cohabite avec une autre France, celle qui a peur de demain, celle des chômeurs. C'est la France qui court qui fait la fête ce soir. Réussira-t-elle à entraîner celle qui a peur ? ».
M. FIELD. – Ces deux France, vous les avez vu cohabiter au moment de cette inauguration du Grand Stade ?
Mme ROYAL. – De toute façon, le peuple français est un peuple paradoxal : c'est à la fois un peuple tourné vers l'avenir et, en même temps, soucieux de ses traditions. C'est un peuple qui, à la fois, a peur des évolutions et qui, en même temps, est capable de formidables engouements pour les nouvelles technologies, par exemple. C'est un peuple extrêmement généreux et parfois replié sur lui-même. Donc, ce paradoxe-là, cette diversité-là, elle existe forcément dans un stade de 80.000 personnes.
M. FIELD. – Mais vous qui êtes un ministère ou quelquefois des enseignants, des principaux de collège viennent vous voir pour essayer d'avoir un tout petit bout de terrain de sports, parce qu'il en manque tellement et les équipements collectifs dans les collèges sont tellement en-deçà de ce qu'ils devraient être, par rapport à un monument pareil, cela ne vous fait pas réfléchir un peu ? Cette distorsion-là.
Mme ROYAL. – Bien sûr, le débat peut toujours se poser. Mais maintenant ce stade est là, les contrats ont été signés...
M. FIELD. – ... vous assumez tout l'héritage ? y compris, quand on lit dans le rapport de la Cour des Comptes, la mise en cause de ce que fut l'action du Premier ministre de l'époque, Edouard Balladur, dont le rapport dit « qu'il a imprimé à l'opération une concession, un rythme incompatible avec la rigueur et la minutie qu'exigeait une pareille construction juridique » ?
Mme ROYAL. – On verra ce que donnera l'application de cette convention qui paraît, en effet, parfois un peu déséquilibrée puisqu'elle pose certaines conditions qui ne sont pas forcément remplies. Mais ce qui m'intéresse dans ce Grand Stade et dans la Coupe du Monde, c'est ce que l'on peut en faire aujourd'hui dans les établissements scolaires.
Nous avons lancé avec Marie-George Buffet une action en liaison avec l'éducation civique par rapport à la Coupe du Monde. C'est-à-dire que nous allons faire réfléchir les élèves, ceux qui le souhaitent, sur les problèmes d'éthique du sport, sur le problème de respect de la règle de droit, sur les obligations que donne l'organisation d'un jeu, mais au-delà une réflexion sur la vie : qu'est-ce que cela veut dire qu'obéir à un règlement ? sur les droits et les devoirs des joueurs. Et ce travail qui a déjà été entamé dans certains établissements scolaires permettra d'approfondir ce que j'ai voulu organiser dans toutes les écoles de France, les initiatives citoyennes pour apprendre à vivre ensemble.
Un grand événement comme celui-là peut permettre une réflexion sur l'éthique du sport, donc sur l'éthique des comportements que l'on doit avoir les uns avec les autres. C'est une nouvelle mission de l'école.
M. FIELD. – On y reviendra. Dans la deuxième partie de l'émission, on reviendra sur vos axes prioritaires.
Mme ROYAL. – A partir d'événements comme celui-là qui touchent toute une population, on peut décliner dans les écoles des actes très concrets, sur une prise de conscience de l'éducation civique.
M. FIELD. – Nul doute que d'autres thèmes de l'actualité, que l'on va voir maintenant dans L'EDITO, notamment, par exemple l'affaire Dumas, peuvent prêter le flanc à une belle réflexion sur la morale publique.
(L'EDITO)
M. FIELD. – Ségolène Royal, un mot sur ce qui se passe aux Etats-Unis et cette façon, finalement, de recentrer ce fait-divers un peu croustillant sur la thèse d'un complot politique puisqu'il s'est avéré que le procureur Starr a, en effet, dans les ramifications, toute une Extrême-Droite américaine, puritaine, moraliste, les ligues anti-avortement qui sont derrière et qui soufflent, si j'ose dire, sur les braises.
Mme ROYAL. – En tout cas, le peuple américain est beaucoup plus raisonnable que la presse puisque, dans les derniers sondages, il vient de réaffirmer sa confiance à Bill Clinton. Il a compris que les problèmes de vie personnelle ne pouvaient pas déstabiliser le chef du principal Etat engagé, actuellement, dans des négociations difficiles pour le maintien de la paix, en particulier. Donc, je voudrais simplement saluer le peuple américain de ce point de vue-là.
M. FIELD. – Est-ce que cela ne vous fait pas réfléchir, mutatis mutandis, mais tout à l'heure dans votre portrait, on revoyait les photos quand vous aviez accepté de poser au moment de votre maternité. Il y a aussi un usage politique que les hommes et les femmes politiques font de leur vie privée. Donc, finalement, qui doit décider de la part de vie privée qu'on montre et puis de celle qui n'est pas montrable ou qui ne doit pas interférer avec la vie publique ?
Mme ROYAL. – Ce qui est insupportable, c'est l'inquisition poussée à l'extrême, qui est poussée par la loi de l'argent essentiellement. C'est ce qui se passe aux Etats-Unis aujourd'hui. Donc, de ce point de vue-là, il faut aussi faire preuve d'une forme de résistance que la presse française, d'ailleurs, n'a pas tellement eu par rapport à ce qui se passe aux Etats-Unis.
Moi, j'aurais pensé qu'il y aurait eu plus de réserves de la part de la presse française par rapport à ce déferlement de ragots américains. Cela n'a pas été le cas. Donc, c'est qu'il y a aussi en France de l'argent à gagner sur ce genre de révélations et c'est cela qui est relativement dommage. Mais, d'une certaine façon, je crois que la principale révélation de cette lamentable histoire, c'est peut-être Hillary Clinton finalement. S'il y a une femme qui sauve les femmes, sans doute c'est elle. Avec sa force, sa dignité, la façon dont elle vient soutenir son mari, je crois qu'elle force l'admiration et le respect.
M. FIELD. – Autre affaire peu souriante, les soupçons d'une éventuelle implication de l'actuel Président du Conseil constitutionnel dans cette affaire de pots-de-vin et de commissions concernant la vente de frégates à Taïwan. Ce que disait Philippe Séguin : « de toute façon, c'est très grave pour le fonctionnement des institutions françaises qu'une personnalité de premier plan... »
Mme ROYAL. – ... je pense que nous avons changé d'époque, que l'ère du soupçon, puisque certains parlent de soupçon, est terminé, que l'ère de la justice spectacle aussi doit se terminer. Aujourd'hui, la Justice n'a jamais été aussi libre qu'elle l'est. Donc, si elle veut faire des investigations, je crois qu'elle les fait. C'est à elle de nous dire quelle est la vérité et tout le reste n'est plus de mise aujourd'hui...
M. FIELD. – … Vous trouvez, par exemple, que ces perquisitions publiques avec télé et tout des deux juges d'instruction, c'est une façon de céder à la justice spectacle ?
Mme ROYAL. – Je pense que les juges font leur travail, que tout le reste est de la politique spectacle. Il faut les laisser faire leur travail. Ils n'ont jamais été aussi libres qu'aujourd'hui, je le répète. C'est une grande conquête démocratique que la France est en train de conquérir et, je pense, définitivement. C'est la promesse qu'avait faite Lionel Jospin. C'est ce qu'Elisabeth Guigou est en train de mettre en place avec la réforme de la Justice et il n'y a plus aucun obstacle aux investigations de la Justice, même lorsque des plus hauts personnages de l'Etat. Donc, attendons la vérité par la Justice et nous verrons ensuite. Car, aujourd'hui, aucun fait n'est prouvé, donc Roland Dumas a encore droit à la présomption d'innocence.
M. FIELD. – En même temps, n'est-ce pas un retour, je dirais, presque obsessionnel à toute cette période ou le socialisme rimait avec affaires, avec fric, avec choses pas nettes ? Vous avez cru pouvoir tourner cette page-là avec le droit d'inventaire, mais finalement est-ce que l'histoire ne continue pas à vous poursuivre ?
Mme ROYAL. – Heureusement, le socialisme ne se résume pas à cela. C'est comme si on disait que le gaullisme ou le chiraquisme se résumait à l'ancien maire de Grenoble. Non, ce sont des choses que je ne dirais pas, que je ne penserais pas. Ces courants politiques s'inscrivent dans l'histoire et on ne peut pas les résumer à des malversations si elles existent ou si elles sont avérées aussi déplorables.
Je crois et je le répète, aujourd'hui, on a changé d'époque. Combien de fois a-t-on vu, dans les affaires précédentes, le Pouvoir essayer d'enrayer les investigations de la Justice ? Aujourd'hui, cela n'existe plus et je pense que les Français le sentent. Donc, attendons ! Attendons le verdict des juges. Laissons-les faire leur travail.
M. FIELD. – Ségolène Royal, on se retrouve après une page de publicité. Puis on revient sur les grandes priorités que vous avez définies dans votre action concernant la vie scolaire, lors d'un dialogue avec des professeurs, des principaux et des lycéens.
A tout de suite.
(Publicité)
M. FIELD. – Retour sur le plateau de PUBLIC en compagnie de Ségolène Royal, la ministre déléguée chargée de l'enseignement scolaire, avant des échanges avec des professeurs, des lycéens et des collégiens. On va parler un peu d'INTERNET, puisque c'est un de vos grands chantiers d'essayer de connecter comme cela le maximum d'établissements scolaires avec les nouveaux médias.
Jérôme Paoli et Sandra Le Texier sont allés y voir de plus près en surfant sur le NET.
(REPORTAGE)
Cette fois, c'est parti. INTERNET fait son entrée dans les écoles. Pour le Gouvernement, c'est même devenu une priorité nationale. Et Claude Allègre l'a crié sur toutes les ondes : « D'ici l'an 2000, toutes les classes de France et de Navarre seront connectées au réseau mondial ».
M. FIELD. – N'est-ce pas un peu le gadget que de dire : « Finalement, le Net aujourd'hui, c'est une des priorités du ministère ». On voit bien, là encore, cela revient à ce que je vous disais tout à l'heure, des bonnes intentions. Mais, en même temps, est-ce vraiment cela le quotidien des profs ? Est-ce la priorité qu'ils attendent de vous ?
Mme ROYAL. – Il ne faut pas se tromper. Ce qui est important, ce n'est pas l'écran. C'est le projet qu'il y a derrière, le projet éducatif. Et c'est vrai pour les quartiers, comme on vient de le voir, que pour les zones rurales. Je suis allée récemment dans le département de la Creuse ou toutes les écoles primaires sont reliées entre elles sur Internet. Et cela a été fait parce que, dans les classes, les institutrices et les instituteurs ont porté un projet pédagogique à partir duquel ils ont fait fonctionner Internet. Par exemple, ils ont mis en réseau une classe de la Creuse avec une classe anglaise ou une classe en Italie. Et, donc, les élèves communiquent entre eux.
Par exemple, aussi, chaque classe raconte l'histoire de son village et toutes les écoles communiquent entre elles par rapport à un sujet commun qui est échangé ensuite, d'une classe à l'autre. Et c'est extraordinaire, y compris les élèves de Maternelle qui travaillent sur Internet. Il faut aller voir, Michel Field, c'est absolument extraordinaire.
M. FIELD. – J'ai vu, j'ai vu. J'ai même fait une émission dans une école, naguère, sur une autre chaîne. Mais sauf que là vous évoquez une sorte d'école : « Voilà, on est tous très émus, c'est l'école de village, etc. ». Mais dans les bahuts au le matériel est cassé tous les soirs…
Mme ROYAL. – … Ah non, c'est une autre question, là. Il ne faut pas que le matériel soit cassé, bien évidemment.
M. FIELD. – ... C'est une autre question, mais c'est le problème.
Mme ROYAL. – Mais, là, vous me posez la question sur Internet à l'école.
M. FIELD. – C'est la distorsion entre les deux.
Mme ROYAL. – Internet ne remplacera jamais les enseignants, au contraire. Ce sont les enseignants qui conçoivent le projet et à ce moment-là Internet a un sens ou n'en a pas. Et c'est si vrai que, par rapport au problème que j'évoquais tout à l'heure : sur l'échec devant la lecture, Internet, l'informatique, l'ordinateur peut aussi aider les élèves qui sont en situation d'échec par rapport à la lecture, parce qu'ils apprennent d'une autre façon, grâce à des textes qu'il faut rédiger pour pouvoir communiquer avec la classe d'à côté, c'est-à-dire que le texte écrit, paradoxalement, reprend de l'importance avec Internet. Parce que, pour pouvoir parler avec la classe du village voisin ou avec la classe anglaise, il faut d'abord pouvoir écrire un texte, le rentrer sur l'écran dans l'ordinateur ; à l'inverse, lire le texte que l'on reçoit et pouvoir exprimer ce texte.
Donc, il y a un travail sur la lecture, sur le texte écrit et sur l'expression orale. Et quand on met les nouvelles technologies au service de ce qui fait le fondement essentiel de l'école, c'est-à-dire l'acquisition des langages et, en particulier, des langages écrits et du langage parlé à ce moment-là on se rend compte de tout le bénéfice que l'on peut tirer de cette révolution technologique.
M. FIELD. – Vous avez annoncé un certain nombre de mesures pour revaloriser l'action, redéterminer, redynamiser l'action dans les Z.E.P. – les Zones d'Education Prioritaire – qui sont des zones définies par le ministère comme des zones particulièrement sensibles.
Alors, il y a un certain nombre d'enseignants qui sont là et d'acteurs de ces ZEP.
Yann Flageol, vous êtes professeur de P.S. dans un collège de Stains et vous avez, vous, un regard un peu critique sur les ZEP et ce que l'on y demande aux enseignants.
M. FLAGEOL. – Je voudrais dire en premier lieu que Stains est juste à côté de Saint-Denis, puisque l'on s'adresse à la France. Vous avez dit : « Le Stade de France est là. Maintenant, il faut le gérer ». Nous, nous voulons bien l'utiliser. C'était la juste parenthèse, on manque de moyens, on veut bien l'utiliser.
Mme ROYAL. – C'est-à-dire ?
M. FLAGEOL. – C'est-à-dire aller travailler dedans, tout simplement. Un magnifique stade, nous, nous n'en avons pas !
Mme ROYAL. – Aller travailler pour faire du sport, vous voulez dire ?
M. FIELD. – Que ce soit ouvert aux collèges et aux lycées, c'est cela qu'il veut dire.
Mme ROYAL. – Pourquoi pas !
M. FLAGEOL. – Je prends note. Oui, mais, en fait, très sérieusement, je dirai que nous avons des gros problèmes à affronter, le grand mot quand même à notre décharge, à la vôtre également, parce que l'on est tous de la même famille : on attend de l'école qu'elle règle tous les maux de la société. Mais il faudrait déjà que la société règle ses propres maux pour pas qu'elle vienne nous les emmener dans l'école.
Je dirais que si l'on veut faire des cours de morale aux enfants, ce que l'on fait, l'éducation à la citoyenneté, on n'a pas attendu qu'elle apparaisse en 1995 dans les textes pour le faire, on le fait depuis très longtemps.
Mme ROYAL. – Bien sûr !
M. FLAGEOL. – Le gros problème, c'est que notre discours devient caduc quand l'enfant sort. Il suffit de regarder ce que l'on vient de voir : l'image de ministre impliqué, l'image que j'ai en bas de chez moi de dealers qui se promènent encore dans des GOLF GTI décapotables. Cela, c'est inconcevable. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment je peux tenir un discours aux enfants qui me renvoient ce discours en me disant : « Mais, vous rêvez ! Je gagne en 5 minutes, ce que vous gagnez en 10 ans ». Et, là, je ne vois pas comment je peux avoir une action.
La question que j'aimerais vous poser concerne la formation initiale des enseignants. Vous nous taxez d'ailleurs, dans la dernière émission que vous avez faite avec Jean-Marie Cavada, d'activité périphérique. Et, paradoxalement, l'activité périphérique, donc le P.S., est une des rares disciplines à bénéficier, pendant toute sa formation, d'une préparation de l'enseignant aux Sciences de l'Education (la didactique, la pédagogie, la psychologie de l'enfant, la psychologie de l'apprentissage). C'est un peu là où le manque se fait sentir dans les autres disciplines dites centrales par vous-même…
M. FIELD. – Donc, une interrogation sur La formation des enseignants ?
M. FLAGEOL. – Formation initiale. Je n'arrive pas à comprendre pourquoi il n'y a pas cette formation qui se développe ?
Mme ROYAL. – D'abord, sur les activités périphériques, je ne crois pas avoir dit que l'éducation physique et sportive était une activité périphérique…
M. FLAGEOL. – Non, vous avez parlé des profs de Gym.
M. FIELD. – De toute façon, c'était chez Cavada, on ne le regarde pas. Allons-y !
M. FLAGEOL. – Vous avez parlée des profs de Gym.
Mme ROYAL. – Dans le plan de relance des zones d'éducation prioritaire ou des Z.E.P., en effet nous accordons une attention toute particulière à la formation des enseignants qui choisissent d'aller en Z.E.P.
Par rapport à votre activité, ce qui est très clair, c'est que les Z.E.P. qui réussissent, parce que c'est cela qui est intéressant, c'est de voir où cela réussit et que peut-on faire, ailleurs, là où cela marche moins bien ?
Les Z.E.P. qui réussissent, c'est là où il y a une équipe pédagogique, c'est-à-dire où tous les enseignants travaillent ensemble autour d'un projet d'établissement et où tout le monde est autour de l'élève par rapport à la façon dont il faut détecter les talents d'un élève pour pouvoir le faire progresser. Il peut être très bon en sport et moins bon en math, et c'est peut-être le professeur de sport qui, précisément, va le remettre dans le chemin de la réussite scolaire, parce qu'il lui fera comprendre ce qu'est un effort scolaire, ce qu'est un effort sur lui-même, ce que c'est que de progresser, ce que c'est que d'être encouragé. Et cette pédagogie-là est déjà réinstallée, non seulement dans les Z.E.P., mais dans l'ensemble des établissements scolaires, et nous allons lui accorder une attention beaucoup plus intense.
M. FLAGEOL. – Je ne suis pas certain que vous ayez répondu à la question. La formation initiale, cela concerne, justement, avant que le prof soit sur le terrain, c'est-à-dire la formation antérieure : quand il est en 1ère année D.E.U.G., 2ème année D.E.U.G., année de licence, là il n'y a aucune formation. Pourtant il y a des étudiants qui ont déjà la vocation après le bac, qui veulent devenir enseignants. On ne leur offre que des petits modules. Ils ont 4 années de contenu disciplinaire pour 1 mois… 1 mois juste, ils sont en plus dans leur année de concours, ils ont vraiment autre chose à penser, et 1 mois sur le terrain à voir, généralement dans des conditions qui sont assez optimales, et, là, ils se confrontent une fois dans leur vie à l'élève.
Mme ROYAL. – Vous voulez dire qu'il y a un enseignement dans la matière et pas suffisamment dans la pédagogie et dans l'art d'enseigner ?
M. FLAGEOL. – C'est l'enfant, l'enfant. Il ne connaît pas l'enfant.
Mme ROYAL. – C'est juste.
M. FIELD. – C'est votre avis ?
Mme ROYAL. – Oui, c'est mon avis. C'est-à-dire que, dans le primaire...
M. FIELD. – Eh bien, changez-le, vous êtes ministre.
Mme ROYAL. – ... cet enseignement est fait et, dans le secondaire, il est beaucoup moins fait. Cela commence à changer. Mais c'est vrai que le chantier est devant nous. On est conscients de cela. On le fait dans les Z.E.P., puisque, dans ce plan-là de relance que j'ai annoncé, il va y avoir un travail sur l'accueil des enseignants dans les Z.E.P., c'est-à-dire une formation aussi à toutes les questions relatives à la pédagogie, relatives aussi à l'éducation citoyenne, au problème de la sanction. Les enseignants sont très peu formés à la pédagogie de la sanction. Comme sanctionne-t-on un adolescent pour qu'il puisse à la fois ne pas se sentir agressé, mais, en même temps, comprendre le caractère restructurant d'une sanction ? Ce sont des choses très nouvelles dans la formation des maîtres qu'il faut absolument renforcer. J'en suis très consciente.
M. FIELD. – Gérard Postel, vous êtes Prof d'électro-technique au L.E.P. Pierre Mendès-France de Ris-Orangis et, vous, vous êtes en grève depuis le 16 janvier après l'agression d'un élève ?
M. POSTEL. – Absolument. Et, donc, aujourd'hui, nous nous posons la question : que doit-on faire ? Parce que, quand on se retrouve en cours aujourd'hui avec 30 élèves devant nous, comment peut-on travailler avec 30 élèves ? Quand on a mis la paix la classe, que l'on a fait l'appel, il nous reste sur une heure de cours, environ 20 à 25 minutes de travail efficace.
Donc, aujourd'hui, on demande d'être classé Z.E.P. Dans le lycée, nous sommes en suspension de cours, donc nous sommes tous d'accord pour passer en Z.E.P. Actuellement, nous n'avons aucune réponse de nos Autorités de Tutelle.
M. FIELD. – Est-ce un mouvement qui se généralise, c'est-à-dire des enseignants qui réclament le statut de Z.E.P. ? Parce qu'il y a quand même un petit peu de « bonus » budgétaire pour les Z.E.P. et l'on peut y travailler de façon moins difficile qu'ailleurs ?
Mme ROYAL. – Oui, et je dirais que c'est bien, parce que c'est signe que certaines Z.E.P. ont réussi et que cela se sait. Et qu'à une époque, lorsque les Z.E.P. ont été créées, certains établissements n'ont pas voulu rentrer en Z.E.P.
M. FIELD. – Qu'est-ce que cela changerait ? Pouvez-vous nous dire concrètement qu'est-ce que cela vous apporterait ? Des postes en plus ? Un encadrement supplémentaire ?
M. POSTEL. – Probablement un encadrement d'adultes supplémentaire dans le lycée, parce qu'il faut savoir qu'aujourd'hui nous travaillons avec 70 heures qui nous manquent sur notre dotation horaire globale, c'est-à-dire qu'actuellement les cours ne sont pas assurés dans leur totalité.
Mme ROYAL. – Les cours sont assurés, mais ce dont vous manquez, parce que ce dont manquent ces établissements qui sont en situation difficile et de tension intérieure, c'est du temps pour les enseignants pour préparer, pour parler entre eux…
M. FIELD. – C'est du travail collectif.
Mme ROYAL. – C'est du travail collectif.
M. POSTEL. – Il nous manque absolument des heures de cours, parce que, par rapport au référentiel, nous n'assurons pas toutes les heures de cours. Chaque année, la DHG a diminué... cette année encore nous l'avons refusé en conseil d'administration : il nous manque 70 heures pour pouvoir assurer les maxima horaires.
M. FIELD. – Et cet incident qui a provoqué finalement votre mouvement de suspension de cours, c'était un incident qui s'inscrivait dans la série d'autres événements, cette agression, cette violence ?
M. POSTEL. – Cela fait 4 ans que nous demandons le classement Z.E.P., nous avons été reçus à la cellule d'écoute du Rectorat depuis 4 ans, régulièrement. Et l'on n'a jamais eu aucune réponse.
Mme ROYAL. – De toute façon, oui. En 4 ans, il ne s'est rien passé sur les Z.E.P., puisque le précédent ministre, en 4 ans, n'a pas prononcé une seule fois le mot de Z.E.P. Donc, la réouverture de la carte, je viens seulement de l'annoncer et de la réouvrir. Cela veut dire que certains établissements vont pouvoir rentrer en Z.E.P., peut-être le vôtre, je l'espère ! Je viendrai vous voir. Je viendrai dans votre établissement dès la semaine qui vient, pour voir avec vous ce qui se passe. Parce que ce que vous me dites là est tout à fait anormal. Si, en effet, vous n'avez pas les heures de cours pour remplir les obligations de cours, c'est tout à fait anormal. Je vais venir vous voir, monsieur, dans votre établissement.
M. POSTEL. – Je vous remercie.
Mme ROYAL. – La carte est ouverte.
M. FIELD. – Voilà, il faut demander. Quand vous voulez un truc pour Ségolène Royal, vous venez dans mon émission…
Mme ROYAL. – Cela ne veut pas dire que tous les établissements vont pouvoir rentrer. Mais cela m'intéresse, parce que cela fait trop longtemps que vous êtes en grève. Donc, il y a certainement un problème dur à régler. Et dans la mesure où j'ai réouvert cette carte, il va falloir que des établissements y entrent, d'autres en sortent et que je mette en place des réseaux d'éducation prioritaire pour qu'il n'y est, en effet, plus cet effet de zone, entre ceux qui y sont et puis ceux qui n'y sont pas. Nous allons y travailler ensemble. Je vais venir vous voir.
M. FIELD. – Je voudrais juste faire parler, puisque l'on parfait de la violence scolaire, Lubna Méliane, vous êtes lycéenne, avant de faire parler Monsieur Chilardi, vous, vous vous êtes engagée assez vite dans les comités anti-violence dans les lycées, dont on avait d'ailleurs parlé quand on a fait l'émission sur les problèmes de violence urbaine, et vous étiez subventionnée par l'ancien ministère, une petite subvention, que l'équipe Claude Allègre – Ségolène Royal vous a coupée ? Ce qui n'est pas bien, à mon avis.
Mlle MELIANE. – Tout à fait.
M. FIELD. – Alors, voilà. Vous l'avez en face de vous, expliquez-vous !
Mlle MELIANE. – Je vais expliquer un petit peu pour remettre tout cela dans le cadre : je fais partie de la Fédération Indépendante Démocratique Lycéenne. L'année dernière, on avait fait un grand Forum qui, jour pour jour cela fait un an, a eu lieu le 1er et le 2 février, dans le lycée Diderot. On avait des subventions, on avait un local, avec un numéro vert, il y avait les élus du CSER – Conseil Supérieur de l'Education et de la Recherche – qui allaient dans différents lycées pour mener les débats. Depuis que le nouveau gouvernement s'est installé on n'a plus rien aujourd'hui et l'on aimerait savoir pourquoi ?
Mme ROYAL. – Cela m'étonne beaucoup. On n'a rien pu couper, puisque l'on a fini l'année avec le Budget Bayrou de 1997. Ce n'est pas nous qui l'avons voté, donc on l'avait…
M. FIELD. – ... parce que c'est plutôt bien, des lycéens qui prennent une initiative eux-mêmes de se bagarrer contre la violence ?
Mme ROYAL. – Ecoutez, on est au mois de janvier, les subventions n'ont pas encore été ni notifiées, ni attribuées aux différentes associations. Il faut un petit peu de patience. On va regarder cela. S'il y a du bon travail qui est fait, il n'y a aucune raison que le ministère n'aide pas. D'autant que cela correspond à l'une de nos priorités : la lutte contre la violence, l'éducation citoyenne…
M. FIELD. – ... cela participe, j'allais dire, de l'instruction civique et de la citoyenneté que des lycéens se prennent en charge pour lutter contre la violence et réfléchir entre eux là-dessus.
Mme ROYAL. – Bien sûr. Et ce que nous souhaitons, c'est aider les projets opérationnels, concrets, dans tous les établissements, qui se développent à la base, les valider, les valoriser. Il y a plein de choses qui se passent partout. Comme vous le disiez tout à l'heure heureusement que, dans certains établissements, on n'a pas attendu les instructions pour faire de l'éducation civique. Et, aujourd'hui, on dit aux enseignants qui, parfois, faisaient cela un peu dans le secret, en se disant : « Est-ce bien notre rôle de refaire cette éducation de base sur les droits et les devoirs des élèves, sur le respect mutuel ? ». Aujourd'hui, on leur dit : « Oui, vous êtes dans votre classe, il faut continuer cela. On va vous encourager ».
Il y aura une semaine nationale des initiatives citoyennes, qui valorisera tout ce qui se fait à travers le pays, et qui fait ses preuves pour rétablir, dans certains établissements, la non violence, le respect mutuel.
Je connais des collèges qui étaient en situation d'extrême violence et qui, en peu de temps, ont réussi à rétablir la tranquillité. C'est dû au chef d'établissement quand il s'implique, à l'équipe éducative, à la façon dont, par exemple, le chef d'établissement est à l'entrée, est à la grille d'entrée, où l'on se redit bonjour, il dit bonjour aux élèves et les élèves réapprennent à dire bonjour. Ce sont des choses aussi élémentaires que celles-là, qui nécessitent un effort surhumain, parfois, de la part des enseignants, des éducateurs, des conseillers principaux d'éducation, des infirmières, des assistantes sociales, et quand tous s'y mettent, cela marche.
M. FIELD. – Joseph Chilardi, vous êtes le Principal du Collège André Malraux à Asnières, justement dans une Z.E.P. Ce que vient de dire la ministre, c'est un petit peu le résumé aussi de votre propre action dans ce collège ?
M. CHILARDI. – Bonsoir, madame la Ministre. C'est effectivement le quotidien que nous vivons. Quand madame la Ministre parle de la relance des Z.E.P., je suis en Zone d'Education Prioritaire dans un établissement classé difficile, en plus, dans la commune d'Asnières, nous n'avons quand même pas, avec les équipes éducatives, l'impression d'avoir été un petit peu La Belle au Bois dormant. Et, effectivement, je voudrais rendre un hommage particulièrement appuyé aux enseignants qui, dans des conditions qui ne sont pas faciles, font un travail énorme.
M. FIELD. – Vous avez un établissement de plus de 1.200 élèves dans une zone difficile, il n'y a pas d'assistante sociale attachée à votre établissement ?
M. CHILARDI. – Nous avons une assistante sociale qui est en congé maladie actuellement, et nous avons cette carence effectivement. Mais c'est un point qui ne nous empêche quand même pas de travailler avec les équipes. C'est vrai que, sur certains points, il y aurait peut-être quelques améliorations à apporter dans le système, mais, de toute façon, sur le plan du travail, sur le plan de l'engagement pédagogique, je peux considérer, effectivement, que mon établissement, comme beaucoup d'autres établissements, est une Zone d'Excellence Pédagogique.
M. FIELD. – C'est une façon de détourner le sigle Z.E.P. ?
M. CHILARDI. – Il y en a d'autres. On peut dire que c'est une Zone d'Engagement Partenarial, aussi. Si l'on veut continuer sur les sigles.
M. FIELD. – Vous pensez vraiment que c'est un levier efficace et, à votre avis, appelé à se généraliser que cette classification dans les Zones d'Education Prioritaire ?
Mme ROYAL. – Oui, mais en même temps cela doit évoluer, c'est-à-dire que l'on peut considérer que 1/3 des Z.E.P., sur les 700 à peu près, ont des résultats supérieurs à la moyenne nationale, au moins égaux ou supérieurs, c'est-à-dire que le fait de donner plus à des élèves qui ont moins, a marché. Cela a réussi parce que les équipes qui sont venues, sont venues sur la base du volontariat, se sont battues, se sont mobilisées.
La deuxième chose : en s'occupant des Z.E.P., on s'occupe de tous les élèves de France et pas seulement de ceux qui sont en Z.E.P. Parce que c'est dans les Z.E.P., là où c'était le plus dur, que sont nées plein d'innovations pédagogiques. C'est là qu'a été inventé le travail en équipe. C'est là qu'a été inventé le projet d'établissement qui, maintenant, existe partout. C'est là qu'a été inventé l'aménagement des rythmes scolaires…
M. FIELD. – ... c'est-à-dire, dans l'urgence, on est vraiment obligés…
Mme ROYAL. – ... c'est-à-dire que, dans l'urgence, on fait face, on invente, on fait émerger du terrain l'adaptation des méthodes aux difficultés. Et, donc, ensuite, cela bénéficie à l'ensemble du système scolaire, parce qu'il y a des élèves qui sont en difficulté pas seulement dans les Z.E.P., mais partout. Et, indépendamment des élèves en difficulté, mon souci est que le système scolaire soit plus efficace pour tout le monde. Et c'est cela qui est intéressant, c'est que les Z.E.P. constituent des locomotives et pas des ghettos. C'est pour cela que je veux les transformer aussi en réseaux d'éducation prioritaire pour que cela diffuse, pour que les méthodes, les connaissances, l'échange d'expériences puissent bénéficier à tout le monde.
M. FIELD. – Il y a une valorisation pour les enseignants de venir en Z.E.P. par rapport à leurs points, à leur barème, etc. Mais, en même temps, le mouvement général, c'est de passer dans une Z.E.P. et de ne pas y rester ?
Mme ROYAL. – Mais, justement, dans la relance des Z.E.P., les décisions, que nous allons mettre en place, avec une discussion avec les organisations professionnelles, seront de valoriser un peu plus le rôle du chef d'établissement, pour stabiliser les équipes en place et pour inviter les chefs d'établissement chevronnés à rester en Z.E.P. et, donc, à classer des établissements de façon que leur carrière puisse progresser en restant là.
Mais ce que je voudrais dire aussi par rapport aux collèges de plus de 1.200 élèves : il faut vraiment revoir cette question-là et que ce n'est pas possible pour un chef d'établissement de connaître individuellement 1.200 élèves. Donc, je veux absolument réussir, pour les collèges qui le voudront, à couper en deux ces collèges, en faire deux unités de 600 élèves – 6ème-5ème, 4ème-3ème ce qui évitera que les petits élèves de 6ème soient mélangés aux grands gaillards de la classe de 3ème, et que la tranquillité revienne dans ces établissements.
M. FIELD. – Il y a du pain sur la planche. On aura l'occasion sans doute d'en reparler.
Ségolène Royal, merci.
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A la semaine prochaine.