Déclaration de M. Jean-Claude Gaudin, ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration, sur les orientations et les principes du schéma national d'aménagement du territoire, Paris le 16 juillet 1996.

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  • Jean-Claude Gaudin - Ministre de l'aménagement du territoire de la ville et de l'intégration

Circonstance : Présentation des travaux des commissions thématiques nationales pour l'élaboration du schéma national d'aménagement et de développement du territoire, à Paris le 16 juillet 1996

Texte intégral

Messieurs les ministres,
Messieurs les députés et sénateurs,
Mesdames et Messieurs les présidents,
Messieurs les préfets de région,
Messieurs les délégués, commissaires et directeurs,
Mesdames et Messieurs,

Je voudrais d'emblée vous dire toute l'importance que j'attache au schéma national d'aménagement et de développement du territoire dont la préparation nous réunit aujourd'hui, et en conséquence vous remercier d'avoir bien voulu participer aussi nombreux à cette réunion.

Je sais d'ailleurs que certains d'entre vous sont revenus spécialement à Paris pour cette occasion et je les en remercie tout particulièrement.

Le schéma national d'aménagement et de développement du territoire est une nécessité pour plusieurs raisons simples.

La première est que, sauf à être prêt à accepter n'importe quoi, ou à faire preuve d'un optimisme béat et considérer que l'évolution spontanée de notre territoire aboutira à un résultat satisfaisant, il est impératif que nous sachions ce que nous voulons que notre pays devienne.

La deuxième est que les acteurs de l'aménagement sont nombreux, à commencer par l'État et les collectivités territoriales, et de même qu'on n'imagine pas un orchestre où les musiciens n'auraient pas de partition, on ne saurait envisager que l'aménagement de notre territoire ne soit que l'addition désordonnée de politiques et d'initiatives qui s'ignorent, voire se contrarient.

La troisième, enfin, est que la plupart des décisions et des actes qui rythment la vie courante, qu'ils émanent des pouvoirs publics, des entreprises ou des ménages, ont une dimension d'aménagement du territoire. De la même façon qu'une mauvaise orientation de toutes ces décisions collectives et individuelles pourrait conduire à un résultat désastreux, une convergence consciente des comportements vers des objectifs clairement identifiés et reconnus produirait des effets positifs spectaculaires pour un coût très faible.

Il ne fait donc pas de doute que la nécessité d'un projet d'aménagement du territoire cohérent, recueillant la plus large adhésion de nos concitoyens, s'impose.

On peut d'ailleurs s'étonner qu'il ait fallu attendre la loi du 4 février 1995 pour que cette nécessité soit reconnue par le législateur au travers de l'institution d'un schéma national, alors même que l'aménagement du territoire est depuis longtemps une grande ambition.

C'est en effet dès 1955 que cette politique a été soutenue au plus haut niveau de l'État et servie par une élite de hauts fonctionnaires et de préfets d'une exceptionnelle qualité. C'est en 1963 que la DATAR, qui s'est imposée dès sa création parmi les grands services de l'État, a été constituée sous l'impulsion d'Olivier GUICHARD.

Dans une première période, durant les années 50 et 60, l'aménagement du territoire a été « constructeur » et « modernisateur ». C'est à cette époque, par exemple, que l'industrialisation de la Bretagne et de l'Ouest français a été fortement appuyée, que les villes nouvelles ont été créées, que l'on a transformé en « or blanc » les pentes neigeuses des Alpes et valorisé les littoraux du Languedoc-Roussillon ou d'Aquitaine, que nos métropoles d'équilibres ont été confortées avec l'aéronautique à Toulouse, l'électronique à Grenoble, les télécommunications et l'automobile à Rennes, que le territoire a commencé d'être équipé en aéroports internationaux et en liaisons routières rapides.

Dans une deuxième période, à partir du choc pétrolier et l'entrée dans une crise durable, l'effort d'équipement du pays a été poursuivi mais l'aménagement du territoire est devenu essentiellement « curatif » et « économique » pour venir en aide aux régions en reconversion industrielle.

Dans une troisième période, enfin, qui a commencé au début des années 80 et s'est achevée avec le grand débat qui a précédé le vote de la loi d'orientation, on a considéré, au moins implicitement, que la décentralisation, en libérant les initiatives et en attribuant des compétences nouvelles aux collectivités territoriales, ne justifiait plus que l'État s'implique fortement dans l'aménagement du territoire.

S'il est un reproche à faire, c'est ainsi celui de n'avoir pas compris que l'État, du fait même qu’il décentralisait largement certaines compétences, avait une responsabilité accrue de définition des orientations et de coordination des acteurs.

Le schéma national, qui n'était pas une nécessité absolue lorsque l'État dirigeait seul, encore qu'il ait été utile, aurait dû, de mon point de vue, être un élément essentiel du dispositif de décentralisation.

Aujourd'hui, l'existence de ce schéma national est inscrite dans la loi. Il nous appartient de le faire exister concrètement et d'en écrire la première version, celle qui doit dessiner les contours de la France de 2015.

Je voudrais à ce sujet revenir sur la méthode retenue pour son élaboration que M. Raymond-Max AUBERT, délégué à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, vous a présentée au début de notre réunion.

L'assemblée que vous constituez cet après-midi illustre bien la volonté du Premier ministre que la préparation du schéma national donne lieu à la plus large concertation. Sont en effet réunis aujourd'hui, les co-présidents des conférences régionales d'aménagement et de développement du territoire, c'est à dire, pour chaque région, le président du conseil régional et le préfet de région, les membres du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire ainsi que les membres du groupe interministériel de pilotage.

Cette volonté s'exprime aussi au travers de la méthode retenue, puisque les travaux des commissions thématiques nationales qui nous ont été présentés aujourd'hui ont pris appui sur les contributions de chacune des régions, sur les réflexions prospectives des groupes de travail transversaux du Commissariat général du plan et sur les contributions des différents ministères. Je remercie tous ceux, élus, acteurs sociaux-économiques, universitaires, responsables d'associations, représentants de l'État, qui ont bien voulu consacrer une partie de leur temps à cette entreprise.

La volonté de concertation du gouvernement s'exprime enfin au travers des nombreuses consultations dont l'avant-projet de schéma national fera l'objet avant d'être soumis au Parlement.

En effet, lorsque cet avant-projet existera et qu'il aura été soumis à l'avis du CNADT, il sera envoyé aux régions, aux départements, ainsi qu'aux principales organisations représentatives des communes urbaines et rurales et de leurs groupements qui disposeront alors d'un délai de 4 mois pour délibérer ou faire connaître leur avis. De surcroît, nous nous donnerons ensuite le temps de tenir compte des observations et des délibérations des uns et des autres.

Alors, certes, cela peut paraître long et compliqué, mais je crois qu'une véritable concertation était à ce prix.

Pour en venir plus précisément à l'objet de la réunion, l'achèvement des travaux des cinq commissions thématiques nationales marque la fin de la première étape du processus.

La DATAR va devoir maintenant, sur la base des rapports que les présidents FRANÇOIS-PONCET, CAZIN d'HONINCTHUN, LARCHER, BALLIGAND et OLLIER nous ont présentés, préparer un avant-projet de schéma. Ce ne sera pas la partie la plus facile de l'exercice.

Je voudrais à ce stade vous dire comment je vois les choses, à commencer par le contenu du schéma lui-même.

Ce schéma me paraît d'abord devoir comporter la description argumentée de l'image de notre territoire vers laquelle il faut tendre.

Je l'indiquais au début de mon propos : il faut que nous définissions ce que nous voulons et pourquoi. Nos concitoyens l'attendent. Cela fait des mois qu'ils entendent parler d'aménagement du territoire en des termes compliqués, de zonages, de fiscalité locale, d'intercommunalité, de compétences, etc., toutes choses qui ne sont que des outils.

Les Français veulent bien qu'on leur parle de temps en temps de taxe professionnelle et d'objectif 5 b, mais pas trop. Ils veulent surtout qu'on leur propose le schéma d'une France dans laquelle ils auront l'espoir de vivre mieux, dans laquelle les entreprises trouveront intérêt à s'installer et se développer pour y créer des emplois, dans laquelle l'espace rural ne sera pas synonyme de moindres chances, dans laquelle la ville sera moins inquiétante et moins pénible à vivre, dans laquelle l'environnement sera mieux préservé.

Ils veulent, par exemple, que l'on dise clairement que l'un des buts à atteindre c'est de ne pas continuer à gaspiller l'espace et dégrader le cadre de vie en laissant les grandes agglomérations développer uniformément des banlieues et de la périurbanisation sur des centaines de kilomètres carrés.

Ils veulent aussi, autre exemple, que l’on favorise le maintien sur l’ensemble du territoire, y compris dans les espaces de faible densité démographique, de villes moyennes et de bourgs centres capables d'apporter les services essentiels et d'être des lieux d'animation commerciale et culturelle.

En un mot, et même s'il ne doit évidemment pas se réduire à cela, le schéma doit proposer une vision du territoire qui soit une réponse concrète aux problèmes qui touchent directement nos concitoyens.

Le schéma national manquerait son but et serait dépourvu de toute assise s'il ne comportait pas le « dessin » de la France à laquelle le plus grand nombre aspire.
 
Ce dessin doit en premier lieu représenter une France équilibrée.

Les Français sont profondément attachés à leur capitale et aux prestations culturelles, économiques, universitaires, touristiques qu'elle garantit à l'ensemble du territoire. Mais ils sont en même temps, et à juste titre, demandeurs d'un meilleur équilibre avec les autres métropoles.

Aussi, tout en permettant le rayonnement international de l'Île-de-France au bénéfice du pays tout entier, le schéma doit affirmer la nécessité de maîtriser sa croissance et corrélativement favoriser le développement de quelques métropoles concurrentes. Cette exigence est à mon avis toujours d'actualité.

Avec l'appui des territoires situés dans leur zone d'influence qu'elles entraîneront, grâce également aux services qualifiés qu’elles offriront, ces métropoles régionales pourront se hisser au niveau européen. Mais, pour qu'elles ne deviennent pas les banlieues que j'évoquais il y a un instant, le schéma doit prévoir que ces métropoles auront plusieurs centres, que les villes qui les constitueront resteront à taille humaine et qu'elles seront organisées en « agglomérations ».

Il faut en effet qu'elles disposent des moyens juridiques et financiers nécessaires à leur cohésion.

Le schéma doit aussi prévoir le maillage du territoire par des villes moyennes, bien reliées entre elles, de façon à ce qu'on y trouve les services et les emplois qui conditionnent les choix résidentiels. Cette trame maintenue de villes petites ou moyennes permettra de structurer les territoires peu denses, qu'il conviendra d'organiser en « pays », afin de concrétiser les solidarités entre les villes et les campagnes propres à maintenir l'activité économique et les populations au sein de l'espace rural.

Car là aussi, comme dans les grandes agglomérations, pour pouvoir faire plus et mieux, il faut atténuer les concurrences coûteuses entre les communes. C'est notamment de cette façon que l'on pourra reconquérir les périphéries d'agglomération trop souvent dégradées par un urbanisme commercial sauvage, et maîtriser la périurbanisation.

Ce dessin de la France que je viens d'esquisser est sommaire et très incomplet. Mais l'idée est celle-là. Le schéma doit d'abord proposer une organisation physique du territoire qui concilie l'égalité des chances, la compétitivité économique et la préservation du cadre de vie, trois objectifs qui se confortent d'ailleurs mutuellement.

Il doit également, dans une deuxième partie, identifier les leviers sur lesquels il est possible d'agir pour faire converger toutes les volontés et toutes les politiques sectorielles vers le but à atteindre.

Les conclusions des commissions thématiques nationales, qui viennent de nous être présentées avec talent, constituent la base de cette deuxième partie.

Elles ont été établies, je l'ai rappelé, en bénéficiant de l'éclairage de quatre groupes de réflexion prospective animés par le Commissariat général du plan que je remercie en la personne de M. Henri GUAINO. Je remercie également MM. BOURDIN, BOYON, ZELLER et DELEVOYE qui les ont présidés. Il importait en effet de ne pas se limiter à envisager l'avenir en fonction des processus et des comportements d'aujourd'hui.

Pour ne pas trop allonger mon propos, je ne reviendrai pas sur les conclusions des 5 commissions. Elles sont riches. Certaines sont ambitieuses. Je vais les étudier attentivement. Il appartiendra au gouvernement de choisir, parmi les suggestions gui viennent de lui être ainsi faites, celles qu'il proposera au Parlement de retenir.

Le schéma doit enfin, à moins de n'être qu'un « énième » rapport sur l'aménagement du territoire, comporter une troisième partie qui serait l'énoncé des principes simples mais forts auxquels devraient se plier toutes les politiques publiques pour parvenir à l'image du territoire souhaité.

Seul cet énoncé est de nature à donner au schéma le caractère opérationnel qui résultera de la possibilité de juger si les politiques publiques conduites jour après jour sont bien conformes à l'objectif d'aménagement poursuivi.

Voilà Mesdames et Messieurs, résumée aussi brièvement que possible car le sujet est vaste, la façon dont j'envisage le schéma national d'aménagement et de développement du territoire.

Il ressort de cette vision du schéma que celui-ci pourrait ne pas comporter de carte. Toutes les parties du territoire ont en effet vocation à se développer et il n'appartient pas à l'État d'établir des hiérarchies entre les régions. Il lui revient en revanche de leur donner les moyens de se développer harmonieusement en organisant mieux tout ce qui dépend de lui, en corrigeant les disparités et en veillant à la prise en compte des enjeux nationaux.

Je suis convaincu que l'aménagement du territoire est largement un problème d'organisation.

C'est au schéma de décrire l'organisation la meilleure. Elle aura vocation à s'appliquer sur l'ensemble du territoire et les régions devront saisir leur chance.