Interviews de Mme Corinne Lepage, ministre de l'environnement, dans "Maires de France" de septembre 1996, "L'Union" du 1er septembre et "Le Parisien" du 5, sur le développement durable dans les villes, le protocole signé avec le Crédit local de France (financement de projets locaux liés à l'environnement) et la création d'un "Comité de la prévention et de la précaution environnement - santé".

Prononcé le 1er septembre 1996

Intervenant(s) : 

Média : Association des Maires de France - Journal de l'Union interparlementaire - L'Union - Le Parisien - Maires de France - Presse régionale

Texte intégral

Maires de France - Septembre 1996

Maires de France : Comment concilier développement durable et développement économique ?

C. Lepage : Il n’y a pas à les concilier puisque le développement durable c’est du développement économique qui prend en considération ses effets en évitant ses conséquences irréversibles sur les générations actuelles et futures. Ce qui implique d’avoir des analyses beaucoup plus fines et d’appliquer systématiquement le principe de précaution (si tel avait été le cas, il n’y aurait jamais eu de « vache folle »). Mais cela signifie également privilégier, voire concevoir les filières qui sont porteuses, en termes économiques et sociaux, de cette approche. Les collectivités locales ont pour mission d’accompagner le développement économique dans cette perspective. Elles en sont d’ailleurs tout à fait conscientes et elles l’on exprimé lors du Sommet des villes à Istanbul. Il y a eu un certain consensus autour de la question des villes et du développement durable. Un comité de suivi d’Habitat II, composé d’élus locaux, d’associations représentatives et du ministère de l’environnement, travaille précisément sur ces objectifs et sur les méthodes pour y parvenir. Par ailleurs, une journée sera consacrée à la ville durable avant la fin de l’année. Il y a un élan qu’il reste à présent à transformer.

Maires de France : De quels moyens disposent les collectivités locales pour s’engager dans cette voie ?

C. Lepage : Le ministère de l’environnement a signé récemment un protocole de coopération avec le Crédit local de France. C’est la première banque française à avoir signé un tel accord quand plus de 80 banques de 30 pays ont adhéré en 1995 à la déclaration des banques sur l’environnement et le développement. Le premier protocole entre le ministère et le Crédit local de France offrait aux collectivités des prêts à longue durée spécialement adaptés aux investissements dans les domaines des réseaux d’eau et d’assainissement, des déchets et de l’énergie. Ce nouveau protocole permet des investissements adaptés aux déchetteries ainsi qu’un financement favorable au développement du véhicule électrique urbain ou propre. Des prêts à long terme pourront ainsi être accordés sur 30 ou 40 ans. Des appuis à l’innovation technique et aux études d’impact pourront également être octroyés.

Maires de France : Le secteur environnemental peut-il également apporter une réponse à la question de l’emploi ?

C. Lepage : Tout à fait. Une étude du ministère et de la Fédération des parcs naturels régionaux de France a d’ailleurs démontré que ces derniers, par exemple, ont entraîné pour l’année 1994 la création ou le maintien de 5 000 emplois : 900 directes, 1 300 indirects et 2 800 à 3 200 induits. Mais, ce qu’il faut souligner, c’est que ce sont des emplois pérennes. Les entreprises ont également un rôle important à jouer. D’une façon générale, tout ce qui, en termes d’éco-industrie, se traduit par une amélioration de la gestion environnementale (éco-management, processus de production, économies d’énergie…) a une réelle rationalité économique (image de marque, tourisme…)

 

L’Union de Reims - 1er septembre 1996

Q. : L’augmentation de la taxe sur le diesel semble inévitable…

C. Lepage : Dans le projet de loi sur l’air, l’article 22, adopté en première lecture de l’Assemblée nationale comme au Sénat, dit clairement que la fiscalité des carburants doit prendre en compte l’effet sur l’environnement des différents carburants. Les études que j’ai lues indiquent que les particules fines émises par le diesel posent un réel problème de santé publique. À mon avis, la différence de fiscalité entre l’essence et le gazole n’est donc pas justifiée sur le plan de l’environnement. Cependant, on ne peut pas inverser brutalement une tendance, poursuivie depuis des années, d’achat des voitures diesel plus économiques. Il faut être respectueux des choix des particuliers. Pour ma part, il est clair qu’il faut aller dans le sens que le Gouvernement avait déjà amorcé l’an dernier : proportionnellement, la taxe avait augmenté davantage pour le gazole que pour l’essence ;

Q. : Les pouvoirs publics ne doivent-ils pas développer davantage les transports en commun ?

C. Lepage : Le projet de loi sur l’air contient un certain nombre d’éléments d’incitation au développement des transports collectifs propres, et l’obligation de créer des plans de déplacements urbains pour des agglomérations de 100 000 habitants, et de partager les voiries. C’est à chaque ville d’engager sa politique, l’objectif étant bien entendu de rendre attractifs les transports publics.

 

Le Parisien - 5 septembre 1996

Le Parisien : Pourquoi mettre en place une structure de plus ?

Corinne Lepage : Il ne s’agit pas de créer une nouvelle structure, mais bien de s’occuper des sujets qui préoccupent tous les Français soucieux de leur bien-être, ayant envie de connaître les risques et d’être rassurés ou protégés. Il existe un programme de recherches « Santé environnement » au ministère de l’environnement sur ces questions, mais il y a un vide entre ce dernier et moi-même. Ce comité présidé par le Pr Alain Grimfeld, dont le fonctionnement sera souple, aura une triple mission : expertise, alerte et veille. Les politiques de l’environnement ont un aspect de prévention sanitaire. Je dois être à même d’évaluer les conséquences de la qualité de l’air, de l’eau, des sols, des rayonnements, du bruit et des substances chimiques et biologiques sur la santé. Les experts doivent pouvoir travailler sur le long terme afin de pouvoir anticiper et ainsi préparer d’éventuelles décisions.

Le Parisien : N’est-ce pas la tâche du ministère de la santé ?

Corinne Lepage : Il n’y a ni contradiction, ni concurrence avec le ministère de la santé. Il s’agit bien d’un comité de l’environnement dont l’action est parfaitement complémentaire de la politique de santé publique. Le ministère de l’environnement est aussi le ministère de la qualité de la vie. Par exemple, ce comité pourrait préciser les impacts de la pollution de l’air sur la santé des cyclistes qui roulent en ville.

Le Parisien : Quels sont les dossiers qui vous paraissent prioritaires ?

Corinne Lepage : Je compte poser certaines questions, mais le comité doit me proposer des sujets qui lui paraissent justifier son intervention. Concernant la maladie de la vache folle, la commission du Pr Dormont doit continuer à coordonner seule ce dossier. Mais il y a d’autres domaines que le comité pourrait analyser. J’aimerais bien avoir des états des lieux détaillés sur les boues d’épandage, sur l’impact effectifs des particules fines, notamment celles émises par les moteurs Diesel, ou sur les dioxines, ces émanations produites par les usines d’incinération. Les nuisances sonores ainsi que les effets des changements climatiques en France, même s’il n’y a pas d’urgence pour ce dernier dossier, doivent absolument être étudiés. Et justement, si on s’y prend suffisamment tôt, on maîtrise mieux le risque.