Déclaration de M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche, sur la préparation de la loi d'orientation agricole, la réforme de la PAC et la crise de certains secteurs agricoles, notamment les fruits et légumes et la viande porcine, Paris le 23 avril 1998.

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Circonstance : Assemblée générale de la Confédération paysanne à Paris le 23 avril 1998

Texte intégral

Monsieur le porte-parole,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,

Je voudrais tout d'abord vous dire le plaisir que j'ai à me trouver parmi vous aujourd'hui. Vous dire également l'importance que j'attache à la participation de votre assemblée générale. Elle témoigne de la reconnaissance de la place que votre organisation occupe dans le monde du syndicalisme agricole français, et de l'intérêt que je porte aux idées et aux propositions que vous formulez.

Cette place, j'ai voulu qu'elle soit reconnue autrement que dans les mots ou dans les discours. Dès ma prise de fonction, j'ai pris les décisions nécessaires pour que votre organisation soit représentée comme il convenait dans les offices agricoles. J'ai procédé à l'inventaire des différents organismes de concertation dont bénéficie le monde agricole, et je m'attache à ce que progressivement votre organisation puisse y trouver la place qui lui revient, correspondant à sa représentativité. Tout n'est pas achevé dans ce domaine, mais soyez certain de ma détermination à poursuivre les efforts entrepris dans ce sens jusqu'au bout, et à faire du pluralisme syndical qui est une valeur de notre république, un principe pleinement appliqué.

Vous aurez noté, à ce propos, que j'ai inscrit le principe du respect du pluralisme à l’ANDA dans la loi d'orientation agricole, ce qui devrait répondre à l'inquiétude dont vous avez fait état, Monsieur le porte-parole.

Je sais d'ailleurs que cela a de grandes conséquences sur la vie de votre organisation. Certaines sont heureuses, et il s'agit de la possibilité que vous avez désormais de faire valoir votre point de vue partout où c'est nécessaire. D'autres sont plus difficiles à vivre pour vous. En effet la participation à toutes ces instances représente une charge de travail difficile à assumer pour une organisation comme la vôtre ne disposant pas de moyens considérables. En ce domaine comme en d'autres des périodes d'adaptation sont nécessaires.

Je voudrais également essayer de vous faire partager une conviction. Nous vivons une période aussi passionnante que difficile pour notre agriculture.

J'ai déjà eu l'occasion de le dire, je pense que nous sommes à la croisée des chemins. Non seulement parce que le calendrier nous conduit à discuter des orientations et des principes essentiels que nous voulons mettre en œuvre pour garantir l'avenir de notre agriculture, je veux parler de la réforme de la PAC et de la préparation de la loi d'orientation agricole. Mais également parce que les mentalités ont considérablement évolué au cours des dernières années. La réflexion des agriculteurs a mûri, et ils sont désireux de trouver des solutions nouvelles, et attentifs aux propositions qui leur sont faites, même lorsqu'elles bousculent quelques certitudes.

Le regard que nos concitoyens portent sur l'agriculture de leur pays a également beaucoup évolué, leurs exigences se font plus fortes, et un nouveau mode de relations entre l'agriculture et le reste de la société doit maintenant être inventé.

Je voudrais évoquer devant vous les deux principales questions qui dominent l'agenda du ministre de l'agriculture et de la pêche aujourd’hui.

En premier lieu le dossier de la réforme de la PAC, dont la négociation a été officiellement engagée avec le conseil des ministres de l'agriculture du 31 mars dernier.

Je n'aborde pas cette négociation avec la volonté de refuser toute réforme de politique agricole commune, bien au contraire. Je ne prétends pas non plus être en mesure d'imposer à nos quatorze partenaires une contre-proposition en bonne et due forme constituant un projet alternatif à celui que présente la Commission.

J'ai bon espoir cependant de parvenir à une réorientation significative de la proposition qui est actuellement sur la table.

Il faut le reconnaître, les questions que pose la Commission pour justifier sa proposition de réforme de la PAC sont tout à fait pertinentes.

Oui il est légitime et nécessaire que l'Union européenne réfléchisse aux conditions dans lesquelles elle pourra participer à l'avenir au marché mondial des produits agricoles et alimentaires. Je pense comme vous qu'il ne s'agit que d'une des dimensions de la politique agricole et que tout ne doit pas être dicté par le seul souci de gagner des parts de marché hors de l'Union européenne. Mais cette question doit être examinée. J'ai eu l'occasion de le dire dans d'autres enceintes, à Bruxelles ou ailleurs, et cela a suscité beaucoup de réactions, nous ne devons pas oublier que l'exportation sur les pays tiers ne représente que 10 à 20 % de la production selon les secteurs d’activité et que l'Union européenne reste le principal débouché pour nos produits agricoles.

Alors est-ce qu'il est vraiment raisonnable d'envisager de tirer vers le bas ce grand marché solvable qu’est l’Union européenne, de faire baisser le prix payé à nos producteurs dans le seul but de conquérir des parts de marché hors l'Europe dans des conditions de prix beaucoup plus défavorables ?

Et puis constatons ensemble que ce qui se développe le plus depuis une quinzaine d'années ce ne sont pas les exportations de matières premières agricoles. Celles-ci, en valeur comme en volume, stagnent. À l'inverse nos exportations de produits agroalimentaires transformés, intégrant de la valeur ajoutée et du savoir-faire qui n'est pas reproductible dans les autres pays, se développent à un rythme rapide. Là se trouve me semblent-il l’avenir de nos exportations et de notre présence sur les marchés mondiaux.

J’en viens à la seconde justification du projet de réforme de la PAC. Selon la Commission il s'agit du prochain élargissement de l'Union européenne aux pays d'Europe centrale et orientale. Bien sûr on ne peut pas faire comme si cela n'allait pas arriver. Bien entendu notre politique agricole devra être adaptée pour prendre en compte l'arrivée de ces nouveaux membres dans l'Union européenne, avec leurs spécificités. Mais l'élargissement de l'Europe ne doit pas signifier l'alignement des économies d'Europe de l'ouest sur celles des pays d'Europe centrale et orientale. L'alignement doit se faire par le haut et non par le bas.

L'enjeu pour l’Europe est de définir une politique qui permettra aux candidats à l'adhésion à l'Union européenne de rattraper progressivement l'état de développement auquel nous sommes parvenus. Nous savons que cela sera long, cela nécessitera plusieurs années. Des transitions seront nécessaires dans le processus d'intégration de ces pays à l'Union européenne. Par-dessus tout, ce qu'il faut c'est une volonté politique permettant d'organiser ce processus d'élargissement de l'Union européenne. On ne peut pas, dans ce domaine comme dans d'autres, s’en remettre tout simplement au marché pour qu'il règle les problèmes. Procéder de cette façon c'est la garantie de l'échec pour les pays d'Europe centrale comme pour les pays d'Europe de l’ouest.

Enfin et c'est la dernière raison avancée par la Commission à l'appui de son projet, l'Union européenne ne peut pas non plus ignorer la perspective des négociations à venir dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce.

Mais là aussi il faut poser la question : suffira-t-il de baisser les prix garantis des matières premières agricoles dans l'Union européenne pour être assuré d'un accord demain à Genève au sein de l'organisation mondiale du commerce ?

Je ne le pense pas.

En effet les dernières négociations de ce qui s'appelait encore le GATT, portaient essentiellement sur deux sujets : la protection aux frontières et les subventions aux exportations. Sur ces deux sujets, l’Europe a fait d'importantes concessions au travers des accords de Marrakech en 1994.

Le statut des aides directes aux agriculteurs a été laissé de côté à ce moment-là. Il a fait l'objet de ce qui a été appelé « une clause de paix ».

Si les aides directes aux agriculteurs ont été laissées de côté c'est que les Américains les pratiquaient de leur côté largement, comme l'Union européenne.

Depuis lors les États-Unis ont modifié leur régime d'aides aux agriculteurs, et il les ont, plus que par le passé, découplées de la production.

Il est certain, et ils ont déjà annoncé la couleur, que leur volonté sera de faire porter les prochaines négociations sur le statut des aides directes aux agriculteurs.

Alors si nous ne conservons comme seul outil de politique agricole commune que ces aides directes aux agriculteurs, le risque est grand demain de voir ce qui reste de la PAC démantelé par l'organisation mondiale du commerce.

Une perspective à laquelle je ne saurais me résoudre.

Voilà pourquoi je trouve que si la Commission se pose de bonnes questions, la réponse qu'elle apporte à ces questions, à savoir la baisse de prix généralisée à tous les secteurs, ne constitue pas une réponse acceptable.

C'est pourquoi j'ai été amené à exprimer mon profond désaccord avec cette proposition à l'occasion du conseil des ministres de l'agriculture du 31 mars.

En disant cela je n'ai pas voulu m'opposer à toute idée de réforme de la PAC. Je considère au contraire qu'une réforme est nécessaire, et que ce que la Commission nous propose n'est pas une réforme. Il s'agit de la pure et simple prolongation de ce qui existe aujourd'hui tout en accentuant les effets indésirables que nous connaissons.

Réformer la PAC, cela veut dire trouver d'autres buts et d'autres justifications à l'intervention publique en faveur des agriculteurs.

La PAC des années 60 a eu sa nécessité et ses vertus. Il s'agissait de favoriser l'augmentation de la production agricole pour permettre l’auto-approvisionnement de l'Europe en produits alimentaires. Ces objectifs ont été largement atteints et dépassés. On ne peut pas faire comme si nous étions dans la même situation qu'il y a 40 ans. Maintenir des règles élaborées dans une situation donnée pour répondre à des objectifs donnés, alors que ces objectifs ont été atteints et que cette situation s'est transformée, serait une erreur profonde. C'est bien parce que les objectifs fixés ont été atteints qu'il nous faut nous en donner de nouveau.

Alors oui, il faut réformer la PAC, mais qu'est-ce que cela veut dire ?

Cela veut dire faire de la politique publique en faveur des agriculteurs un outil qui permettra de conforter l'ensemble des fonctions remplies par l'agriculture et les agriculteurs. Bien sûr sa fonction de production. L'agriculteur restera demain comme il l’est aujourd'hui un producteur de biens alimentaires. Mais son rôle ne se limite pas à cela. L'agriculteur est aussi un « ingénieur du vivant ». À ce titre il pourrait contribuer à la préservation et au renouvellement des ressources naturelles. Son activité durable en dépend, le bien-être de l'ensemble de nos concitoyens également.

Il doit contribuer au maintien d'un tissu social vivant sur l'ensemble du territoire.

Il doit produire des services à caractère collectif comme l'entretien des paysages, dont l'ensemble de nos concitoyens bénéficieront. Et puis la politique agricole doit cesser de favoriser l’hyper-spécialisation des exploitations sur des systèmes de plus en plus simples, de plus en plus pauvres et de plus en plus fragiles.

Tout le monde sait que des régions entières se sont spécialisées dans la production de céréales et d'oléagineux sans que cela soit justifié par les conditions naturelles de production. Seules des aides publiques accordées à tel ou tel moment ont encouragé ces évolutions. Que l'on change la règle du jeu, et ces exploitations seront extrêmement menacées.

C'est avec cette orientation qu'il faut rompre, en asseyant la légitimité de la politique agricole commune, et bien sûr de la politique agricole nationale, sur de nouvelles bases.

La politique agricole commune ne sera durable, justifiée aux yeux de l'opinion que si elle contribue à la création d'emplois dans le monde agricole, que si elle favorise la production de valeur ajoutée par les exploitations, que si elle permet aux agriculteurs d’assumer effectivement la multi-fonctionnalité de l’agriculture.

Pour y parvenir, il faut que la réforme de la PAC permette de rémunérer les agriculteurs pour l'ensemble de ces fonctions. Cela signifie très concrètement qu'il faut parvenir au découplage partiel entre les aides et la production.

Cela signifie qu'il est nécessaire qu'une partie des concours publics aux agriculteurs, leur soit attribuée non plus en fonction du volume de leur production, de la taille de leur exploitation, mais de la contribution effective qu'ils apportent à l'accomplissement d'un certain nombre d'objectifs définis par les pouvoirs publics.

Bien sûr nous ne pouvons pas passer brutalement d'un système à un autre. Nous ne pouvons pas basculer du jour au lendemain d'un régime fondé sur une distribution des aides proportionnelles à la taille de l'exploitation à un découplage complet entre les aides et la production.

Mais il faut absolument qu'à l'occasion de cette réforme le virage soit amorcé. Une fraction des aides doit être répartie en fonction de ces nouvelles préoccupations.

J'ai indiqué que dans mon esprit il faudrait parvenir à obtenir de la Commission la possibilité de moduler une partie des aides attribuée aux exploitations au titre des organisations communes de marché. Dans mon esprit cette modulation pourrait aller jusqu'à 15 - 20 % des aides directes accordées aux exploitations. Cette modulation devrait se faire à partir de critères tels que l'emploi, ou bien et cela n'est pas exclusif, en introduisant l'idée d'un écrêtement ou d'un plafonnement au-delà d'une certaine taille d’exploitation.

On peut parfaitement envisager que la mise en œuvre de cette modulation se fasse progressivement, qu'elle soit étalée dans le temps.

Il n'est peut-être pas nécessaire de prélever dès la première année de la mise en œuvre de la réforme la totalité de ce qui est envisagé pour financer les contrats territoriaux d'exploitation dont j'aurai l'occasion de reparler tout à l’heure.

Des crédits ainsi dégagés seraient affectés au financement de ces nouvelles fonctions de l'agriculture dans un cadre contractuel.

Si nous réussissons à introduire cette idée dans la réforme de la politique agricole commune, je pense que nous aurons vraiment avancé. Nous aurons avancé dans la voie d'une politique agricole plus juste et légitime. Ce faisant, je crois que nous serons en mesure de la protéger durablement.

Une politique agricole commune justifiée par des seules préoccupations de marché ne me semble pas être défendable de façon durable dans les enceintes internationales.

C'est donc le premier objectif principal que je poursuis dans cette négociation communautaire.

Au-delà de cet objectif général, j'ai eu l'occasion d'indiquer à quel point les solutions proposées secteur par secteur ne semblaient pas correspondre à l'attente des agriculteurs français.

La baisse des prix envisagée pour les céréales peut se discuter. En effet, nous ne sommes déjà plus très loin du prix mondial du blé constaté au cours des dernières années. Il n'est donc peut-être pas inutile de faire un pas supplémentaire pour être en mesure d'exporter la plupart du temps sans utiliser de restitutions

Mais on voit bien que cette proposition n'est pas sans poser problème au secteur des grandes cultures dans son ensemble. Les oléagineux ne sont pas traités de façon convenable, et la baisse des aides qui est proposée conduirait inévitablement à la réduction des surfaces emblavées en oléagineux. Et cela tout particulièrement dans le sud de la France où le tournesol se trouverait très menacé. Je vois une menace sur le revenu des exploitations de ces régions qui ne figurent déjà pas parmi les plus favorisées de notre pays.

J'entends également les producteurs de maïs s’inquiéter de leur avenir, et leurs interrogations me paraissent légitimes. Il y a donc un travail de fond à mener dans ce secteur aussi.

Vous connaissez mon refus de la proposition de la commission s'agissant de la viande bovine. Les améliorations qu'elle a apportées ne sont pas sans intérêt, mais c'est le principe de base lui-même qui est erroné.

Je ne pense pas qu'il soit réaliste de donner comme objectif à nos producteurs de viande bovine de se mettre au niveau du marché mondial pour exporter en Asie du Sud-Est.

Nous ne serons jamais en mesure d'aller inquiéter les producteurs argentins sur le marché mondial dans des conditions de concurrence normale.

Il me semble qu'en matière de viande bovine nous devons trouver une solution faisant appel de façon équilibrée à la foi à l'ajustement des prix nécessaire pour maintenir des parts de marché intérieur de la viande bovine et à la maîtrise de la production du cheptel allaitant comme du cheptel laitier.

C'est de cette façon et en faisant des efforts de positionnement et de promotion sur le marché intérieur de la viande bovine de qualité que nous arriverons à assurer la pérennité de cette production.

Enfin je récuse totalement l'orientation de la commission dans le secteur du lait. Ce qu'elle propose c'est ni plus ni moins que la remise en cause progressive du régime des quotas laitiers.

J’en connais les inconvénients pour être à la tête d'une administration qui doit gérer quotidiennement ce système compliqué.

Je connais aussi les avantages du régime des quotas laitiers. Ils ont permis le maintien d'une production répartie sur l'ensemble du territoire. Ils ont également permis que le prix du lait payé aux producteurs continus à assurer sa rémunération.

Je voudrais qu'on me démontre que ce qui est proposé l'emportera sur les avantages du système actuel. Pour l'instant je persiste à penser qu'il n'en est rien. C'est pourquoi je m'oppose à la baisse du prix compensé dans le secteur du lait. Voilà rapidement résumées mes principales objections à la proposition de réforme de la commission.

Au-delà des aspects sectoriels je l'ai dit, c'est une question d'orientation qui est en cause. Je l'ai décrit tout à l'heure, et vous savez que ma pensée est sur ce point totalement cohérente qu'il s'agisse de la politique européenne ou de la politique nationale.

Vous connaissez le projet de loi d'orientation agricole que j'ai préparé en concertation avec vous et avec les autres organisations syndicales depuis l'automne dernier.

Il s'inscrit totalement dans l'orientation quand je viens de vous décrire s’agissant des négociations communautaires.

Ce projet de loi d'orientation agricole peut être résumé en quelques idées simples.

La première, je l'ai déjà dit, c'est qu'il faut donner à la politique agricole de nouveaux objectifs. Il ne s'agit plus simplement de produire plus et moins cher comme cela fut le cas pendant 30 ans. Il faut aujourd'hui produire autrement, valoriser autrement, diversifier les cheminements et le développement des exportations, produire de la richesse plutôt que du volume.

La première ambition de ce projet de loi d'orientation agricole c'est donc de redéfinir les objectifs de l'intervention publique en faveur des agriculteurs. C'est l'objet du premier article de ce projet qui précise qu'il ne s'agit plus seulement d'encourager la production, mais d'assurer la pérennité des exploitations agricoles, de favoriser l'installation des jeunes dans l'agriculture, de permettre un partage plus équitable de la valeur ajoutée entre les agriculteurs, les industries de transformation et la distribution, d'encourager les modes de production plus respectueux de l’environnement.

Il s'agit donc d'inscrire dans les politiques publiques la multi-fonctionnalité de l'agriculture, non pas comme une référence obligée, mais au contraire comme le fondement même de sa légitimité.

La deuxième idée essentielle de ce projet, c'est que cette politique redéfinie dans ses objectifs doit être gérée autrement.

Il s'agit de passer d'une politique de guichets à une politique contractuelle.

Cela traduit les idées que j’'évoquais tout à l'heure. Les aides publiques doivent perdre leur caractère forfaitaire, automatique, proportionnel à la taille des exploitations. À cette logique doit s'en substituer une autre fondée sur l'implication des agriculteurs dans la réalisation d'objectifs d'intérêts collectifs. Cette implication se traduira par un contrat entre l'État et les agriculteurs précisant leurs engagements réciproques : le contrat territorial d’exploitation.

Tout cela n'aurait pas de sens si on ne se donnait pas les moyens de maîtriser la concentration des exploitations agricoles. C'est pourquoi ce projet fait une place importante au renforcement de ce que l'on appelle le contrôle des structures agricoles. Il s'agit tout simplement de permettre qu'un contrôle équivalent à celui qui pèse sur les personnes physiques s’applique aux sociétés. Vous savez tous que la concentration des exploitations agricoles au cours des 10 dernières années s'est faite essentiellement par le développement du phénomène sociétaire. Cet état de fait s’expliquait par les trous existants dans notre législation actuelle. Ce projet de loi, s'il est adopté, permettra d'y remédier. Il permettra réellement de mettre en œuvre les principes sur lesquels tout le monde prétend s'accorder, sur une agriculture à taille humaine, avec des exploitations nombreuses et réparties sur l'ensemble du territoire.

Le fil rouge de cette loi d'orientation agricole réside dans l'idée qu'il faut conforter la position des agriculteurs face à leurs interlocuteurs. C'est pourquoi il comprend un certain nombre de dispositions visant à renforcer la politique de qualité, à conforter la position des agriculteurs dans le développement des productions identifiés qui sont les appellations d'origine, les indications géographiques protégées, les labels, etc… Mon souci est que cette politique n'échappe pas progressivement à ceux auxquels elle doit bénéficier. Nous savons tous l'intérêt que les industries d’aval et la grande distribution portent aujourd'hui à ces signes de qualité comme outil de marketing. Les agriculteurs ne pourront défendre la politique de qualité comme élément de production de plus-value leur revenant pour l'essentiel que s'ils sont présents dans l'organisation qui porte ces signes de qualité.

C'est ce que permettra la loi d'orientation agricole.

L'organisation des marchés, la possibilité de mieux éviter les crises périodiques qui secouent les grandes filières de production constituent également une de mes préoccupations principales.

C’est pourquoi des dispositions sont prévues afin de permettre un renforcement du dialogue entre les différents partenaires en cas de crise.

D’autres dispositions qui ne sont pas secondaires figurent également dans ce projet de loi. Elles sont relatives au statut des conjoints d'exploitants, au développement de l'emploi en agriculture, à l'adaptation du statut de l'enseignement et de la recherche, aux nouvelles missions de l’agriculture.

Voilà rapidement décrites les principales dispositions du projet de loi d'orientation agricole. Vous le voyez, c'est un texte riche et qui ouvre clairement une orientation nouvelle pour la politique agricole commune. Je sais que la disposition qui suscite le plus large débat est celle qui est relative à la mise en œuvre de la contractualisation en matière de politique agricole. Je veux parler du contrat territorial d'exploitation. Bien sûr beaucoup de points d’interrogation devront être levés.

Dans mon esprit, ce contrat devrait être financé à la fois par le redéploiement d'une partie des crédits nationaux du budget du ministère de l'agriculture, et par le produit de la modulation des aides communautaires que j'évoquais tout à l'heure en parlant de la réforme de la politique agricole commune. Ce sont ces deux sources qui viendront alimenter le fonds de financement des contrats territoriaux d'exploitation prévus par le projet de loi d'orientation agricole.

Ces contrats comporteront deux grands chapitres : un chapitre relatif aux actions à caractère économique et social, et un chapitre consacré aux actions à caractère environnemental.

Le premier chapitre regrouperait les actions ayant pour but de développer la création de valeur ajoutée par les exploitations, d'encourager des modes de développement qui soient fondés sur la création de richesses plutôt que sur l'agrandissement d'exploitations. On peut penser à l'encouragement à la diversification de l'activité, aux encouragements à la reconversion dans l'agriculture biologique, aux démarches visant à produire des produits identifiés, etc…

Le second chapitre s'intéresserait à la réorientation de l'agriculture vers une agriculture plus respectueuse de l'environnement et à l'occupation du territoire. Les actions devront bien sûr être adaptées aux problèmes spécifiques qui se posent dans les régions dans lesquelles les exploitations sont situées.

Le contrat devra comporter nécessairement ces deux chapitres, il ne pourra pas porter exclusivement sur un ou sur l’autre.

Je pourrais bien entendu détailler plus précisément le contenu de ces contrats, mais cela risquerait d'être fastidieux. Par ailleurs, je considère qu'il ne revient pas au ministre de l'agriculture de définir de façon précise le contenu du cahier des charges lié à chacune des actions qui concrétiseront ces deux grands chapitres. C'est dans le dialogue entre les pouvoirs publics et les agriculteurs et leurs représentants que naîtront de façon concrète les cahiers des charges qui donneront corps à ces contrats territoriaux d’exploitation.

Il faudra bien entendu que nous y travaillions ensemble dans les semaines et les mois qui viennent pour définir les conditions de mise en œuvre de ces contrats et leur contenu.

J'évoquerai maintenant comme vous l'avez souhaité, Monsieur le porte-parole, des sujets plus conjoncturels.

Vous avez évoqué la crise du secteur des fruits et légumes.

Il est vrai que la climatologie a, sur ce secteur, des conséquences parfois très lourdes, et le gel qui vient de frapper le sud-est de la France le démontre à nouveau.

Mais je crois qu'il faut aussi, j'allais dire enfin, prendre en compte les raisons plus structurelles qui sont largement à l'origine de ces difficultés.

Certaines sont liées aux produits eux-mêmes. Les goûts des consommateurs français et européens évoluent, et nous devons être capables d'ajuster effectivement l'offre à la demande.

Ni l'État ni l'Union européenne n'ont vocation durablement à subventionner des produits invendus, surtout lorsque l'on peut presque mathématiquement prévoir chaque année leur existence.

Il appartient aux responsables de ces filières d'intégrer au plus vite les exigences de qualité, d'identification du produit, qui sont désormais une demande forte du consommateur.

D'autres sont liées à l'organisation des producteurs eux-mêmes, et à celles de la filière.

Près de 50 % des producteurs de fruits et légumes restent en dehors de l'organisation économique : cet individualisme archaïque condamne non seulement ces producteurs, mais tous ceux qui, trop peu nombreux, font eux, l'effort de s’organiser.

Une telle situation déséquilibre au détriment des producteurs le dialogue interprofessionnel, notamment avec la grande distribution.

Car, même si cela a une justification, il ne suffit pas de critiquer le comportement de celle-ci : il faut encore se donner les moyens de corriger le rapport de force actuel.

Cela suppose un effort rapide d'organisation commerciale.

Enfin, il est légitime de dire que ce secteur est insuffisamment pris en compte par les mécanismes européens.

La réforme de l'Organisation commune de marché, qui se met actuellement en place, est sans doute insuffisante, et je m'efforce progressivement de l’améliorer.

Il me paraît toutefois utile d'aller jusqu'au bout de sa mise en œuvre, d’en dresser le bilan et de procéder aux adaptations nécessaires.

C'est la démarche que, par exemple, j'ai engagé avec ma collègue espagnole en transmettant récemment un mémorandum dont l'objectif est précisément d'apporter quelques améliorations.

Mais cette OCM a au moins une vertu : elle incite plus que par le passé les producteurs à s'organiser, et leur rapporte des financements européens sur des programmes d'actions qu'ils ont eux-mêmes défini ensemble.

Je pense que cette méthode, une fois rodée, portera à terme ses fruits.

Tout cela nécessite une forte volonté politique pour faire bouger les inerties de ce secteur.

J'ai cette volonté, et je crois que de nombreux professionnels l’ont également.

Je réunirai par conséquent le 15 mai prochain une table ronde sur l'avenir de cette filière.

Vous y serez conviés, et je compte sur votre contribution.

J'espère que nous pourrons ensemble trouver les moyens de redonner des perspectives à ce secteur aujourd'hui inquiet.

Cela ne me fait pas oublier la conjoncture difficile que rencontrent de trop nombreuses exploitations, notamment du fait des aléas climatiques.

J'ai pris l'engagement de faire jouer la solidarité nationale dans le cadre de la procédure des calamités agricoles, et de faire en sorte que les délais de mise en œuvre de ce dispositif soient adaptés à la situation financière délicate de beaucoup d’exploitations.

Mon objectif est de permettre le versement des indemnités au moment où, s’il n'y avait pas eu de calamités, les agriculteurs auraient touché le revenu de la vente de leur production.

D'autres raisons conjoncturelles ont fragilisé certaines exploitations : je souhaite pouvoir leur rapporter un soutien, mais celui-ci sera individualisé, à partir d'une expertise cas par cas de leur situation.

Je confirmerai très prochainement ces mécanismes, qui s'appliquent dans toutes les régions concernées : je confirme que la Provence n'est pas traitée différemment de la Bretagne ou de l’Île-de-France.

Vous voyez donc que j'attache la plus grande importance à ce que des solutions efficaces soient trouvées pour ce secteur, qui est incontestablement un atout majeur pour l'économie de nos régions rurales, souvent parmi les plus difficiles.

Plus que d'autres, il est susceptible de maintenir et de créer des emplois, et d'occuper harmonieusement nos territoires.

Moins que d'autres, il est coûteux en fonds publics.

J'entends par conséquent en faire, à terme, le bénéficiaire du rééquilibrage des aides publiques, qui est, vous le savez, un des objectifs de la politique que je conduis.

Vous avez également évoqué, Monsieur le porte-parole, la crise annoncée du secteur porcin.

Vous avez raison de dire que celle qui arrive était annoncée. Elle a été évitée ou différée pendant quelques temps grâce peut-on dire au malheur des autres. Je veux parler des problèmes sanitaires très graves rencontrées par les Pays-Bas et dans une moindre mesure par l'Allemagne, au cours des derniers mois.

Mais les problèmes structurels finissent toujours par resurgir et vous avez raison de vous inquiéter des conséquences désastreuses des crises de surproduction que connaît le secteur porcin.

Chaque crise amène son lot d'agrandissement des exploitations, mais aussi de concentration de la production dans les régions où elle pose déjà de sérieux problèmes de qualité de l'eau. Ces excès sont à l'origine de la dégradation de l'image de l’élevage porcin.

Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les installations en production porcine ont diminué de moitié depuis 1990 et les élevages de moins de 500 porcs sont deux fois moins nombreux en 1997 qu'en 1990.

Comme vous le dites dans un document intéressant visant à promouvoir une réforme de l'OCM relative à la viande porcine, ne rien faire, c'est bien mal préparer l'avenir de cette production. Vous avez raison de dire qu'il faut assurer une meilleure stabilité du marché et que cela relève aussi de la responsabilité des producteurs eux-mêmes. Je l'ai dit dans d'autres enceintes, je suis prêt à aider et à conforter la production porcine pour peu qu’un certain nombre de disciplines nécessaires soient également acceptées par les producteurs.

Vous l'avez compris, les années 1998-2000 seront des années décisives tant pour l'agriculture de notre pays, que pour la construction européenne ou l'avancée des négociations internationales.

Nous ne résoudrons pas toutes les questions qui sont posées. Il faudra sûrement encore plus de temps, mais nous devons garder l'ambition de définir clairement le projet que nous voulons tant pour le monde agricole, que pour l'alimentation ou l'environnement dans lequel nous voulons vivre.

Nous devons prendre les décisions qui sont porteuses de cette nouvelle orientation. Ce que nous voulons, c'est faire en sorte que les politiques publiques permettent au monde agricole de mieux répondre aux attentes de nos concitoyens, de remplir des missions qui apparaissent au fil des débats de plus en plus riches et complexes. C'est une nouvelle vision du métier d'agriculteur que votre organisation contribue fortement à faire émerger que nous voulons faire reconnaître, tant à travers de la loi d'orientation agricole, qu'à travers la réforme de la politique agricole commune.

Ce que nous voulons, c'est une agriculture capable de prendre en compte le long terme, tout en réagissant au cours terme. C'est une agriculture attentive à la réalité des marchés comme à la bonne gestion des territoires. C'est une agriculture qui comprend que la production de richesse ne se réduit pas à la production de matière première brute. C'est un véritable enrichissement de la définition du métier d'agriculteur qui est devant nous et qu’attendent nos concitoyens.

J'y vois pour le monde agricole la possibilité d'accroître encore sa reconnaissance et sa dignité au sein de notre société.

J’y vois pour les politiques publiques une source de rénovation enthousiasmante.

Je sais ce qui vous est dû dans le renouvellement de nos débats. Je tiens à vous en remercier.

Ensemble, contribuons à faire de l'agriculture un secteur porteur d'innovation comme de solidarité, un vecteur de démocratie et un artisan de la construction européenne.