Article de M. Bernard Kouchner, président délégué de Radical, dans "Le Figaro" du 27 juin 1996, sur la réforme fiscale et ses propositions, intitulé "Réforme fiscale : un trompe-l'oeil".

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Le Premier ministre a annoncé, le 3 juin 1896, les grandes lignes de la réforme fiscale, dont il estime qu'elle poursuit trois objectifs ; rendre les impôts moins lourds, plus justes, plus simples. Il est à craindre que les mesures annoncées aboutissent aux résultats inverses.

Moins justes

Nous avons un système de prélèvements obligatoires dont la caractéristique principale est d'être le moins progressif de l'OCDE et donc le moins juste.

Rappelons quelques données simples : lorsque l'on crée 100 F de richesses en France, 46 F sont prélevés pour les dépenses publiques et se répartissent ainsi : 16 F pour l'État, 21 F pour la sécurité sociale, 8 F pour les collectivités locales, 1 F pour l'Europe.

Sur les 20 dernières années, les prélèvements pour la sécurité sociale ont doublé, alors que les impôts d'État sont restés stables.

Or, sur les 15 F prélevés pour l'État, seuls 8 F concernent un prélèvement progressif en fonction du revenu. Les autres - ceux qui ont le plus augmenté - sont soit proportionnels aux revenus, soit dégressifs en fonction de celui-ci.

Qu'annonce ·M. Juppé ? Le seul impôt qui baissera est celui qui est le plus redistributif des richesses. En abaissant le barème de l'impôt sur le revenu, on accroît l'injustice sociale. Ceci d'autant plus que cet allégement ne bénéficiera pas aux 50 % des foyers les plus modestes, qui ne sont pas concernés par cet impôt.

Moins simples

Dans ce pays, dirigé par les énarques, même un inspecteur des finances ne s'y retrouve pas dans la jungle des taxes.

Le gouvernement disposait d'un rapport – celui commandé par M. Sarkozy à M. Ducamin – qui établissait la liste des 130 privilèges ou mesures catégorielles qui rendent notre système fiscal plus complexe que tout autre au monde.

M. Juppé s'y attaque-t-il pour simplifier ? Non. Les préoccupations électoralistes l'ont emporté sur les considérations d'intérêt général.

Pourquoi avoir créé avec le RDS un faux jumeau de la CSG, si ce n'est par amour des sigles ?

Plus lourds

Malgré les promesses de M. Chirac, les prélèvements obligatoires n'ont jamais autant augmenté qu'en un an de gouvernement Juppé. Après des augmentations certaines, on fait miroiter d'éventuelles baisses... d'ici 6 ans.

Aujourd'hui, on plume gratis ; demain on veut nous faire croire qu'on rasera gratis. Comment y accorder foi ? Les 50 milliards de déficit 1996 de la sécurité sociale devraient, pour une bonne part, être imputés sur le budget de campagne du candidat Jacques Chirac. N'est-ce pas lui qui a libéré les énergies dépensières, en clamant urbi et orbi que la maîtrise des dépenses de santé était illégitime ?

Bref, ce qui a été annoncé apparaît comma présage d'impôts plus lourds, moins justes, moins simples. Seuls les Français qui gagnent plus d'un million par an paieront un peu moins.

Pour notre part, à Radical, noua entendons formuler quelques propositions qui vont dans le sens d'une plus grande justice fiscale et d'un encouragement de l'emploi.

Quatre propositions :

1re proposition : rendre le système des prélèvements obligatoires plus redistributif.

L'urgence n'est pas de réduire l'impôt sur le revenu, elle est de rétablir l'équité. Pour cela, nous proposons un impôt personnel plus juste, ayant pour assiette toutes les sources de revenus, se substituant partiellement aux charges salariales et prélevé à la source.

Cet impôt personnel doit être simplifié grâce, notamment, à la suppression des nombreuses exonérations qui bénéficient aux catégories les plus privilégiées. Il devra répondre, en fonction des richesses des revenus et du patrimoine, à deux taux principaux comme dans tous les pays modernes.

2e proposition : ne plus faire porter les prélèvements sur le coût du travail.

Nous proposons que les charges sociales ne reposent plus sur la masse salariale, mais sur la valeur ajoutée. Cette mesure favorisera les entreprises qui privilégient l'emploi, par rapport à celles qui substituent la machine à l'homme. Ceci doit se faire en parallèle avec le transfert progressif des charges salariales sur l'impôt personnel élargi.

3e proposition : Il faut expérimenter des mesures contractuelles favorisant les entreprises qui font un effort dans la lutte contre le chômage. Celles-ci doivent reposer sur une modulation des charges sociales.

On peut se fonder sur l'exemple de cotisations d'accidents du travail : quand une entreprise – ou une branche d'activité – diminue, par sa vigilance, les accidents du travail, sa cotisation baisse et inversement.

On peut et on doit envisager de telles modulations par rapport à l'emploi, qui doit être considéré aussi comme un risque social vis-à-vis duquel l'entreprise a une responsabilité.

Ainsi, il faut pouvoir, par exemple :

- moduler les charges sociales en fonction de la réduction du temps du travail et de la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée ;
- moduler les cotisations de chômage en fonction de la politique d'emploi des entreprises.

4e proposition : réformer la taxe professionnelle pour en faire un instrument de la politique de ville.

Sur ce sujet, le Premier ministre annonce des mesurettes. De la taxe professionnelle, créée il y a 20 ans par M. Chirac, veut-il nous faire une nouvelle « Juppette » ?

La taxe professionnelle est un impôt, assis, en partie, sur la masse salariale qui bénéficie aux communes sur lesquelles sont implantées les entreprises. Il accentue l'inégalité entre les communes.

Exemple : Boulogne-Billancourt bénéficiait de la taxe professionnelle de Renault, alors que les employés de Renault n'habitaient pas Boulogne mais La Courneuve.

Nous proposons que la taxe professionnelle bénéficie, pour partie, aux communes du lieu de résidence des employés.

Exemple : la ville de Paris, qui s'est opposée au transfert du siège du Crédit Lyonnais, pour ne pas perdre la taxe professionnelle. Mais a-t-elle su utiliser ses logements sociaux ?

Il faut faire de la taxe professionnelle un instrument de la politique de la ville, en permettant de créer des infrastructures dans les cités défavorisées, où habitent ceux qui génèrent cette taxe.

Le Premier ministre annonce une concertation. En décembre, nous avons vu que le mot « négociation » ne faisait pas partie de son vocabulaire. Il est temps de voir si la concertation représente autre chose qu'un mot.

Voilà donc une partie du contrat citoyen que nous entendons proposer à nos partenaires de la gauche, puis au pays, avant les élections législatives.
On me reproche parfois d'être un idéaliste. J'espère toujours que le gouvernement nous démontre que son objectif n'est pas seulement de tenter de sauver des élections, mais avant tout de gouverner la France conformément aux intérêts des Français.

Je risque d'être déçu.