Texte intégral
C'est un paradoxe : mais il faut remercier les leaders syndicaux qui ont conduit la grève des cheminots de décembre 1995. Leur action nous a fait échapper à la logique perverse du contrat de plan.
En refusant le contrat de plan, les syndicats ont en effet permis d'enrayer le mécanisme pervers qui, tous les quatre ans, refermait le piège sur les finances publiques : en fixant les contributions budgétaires automatiques à la SNCF, en cautionnant le programme d'investissement financé par emprunts, en transférant à l'État une part limitée de la dette, c'est-à-dire en dispensant de poser les questions de fond.
Les syndicats soulignaient que la SNCF est l'affaire de la nation. Le débat national est engagé et surtout, il n'est pas circonscrit aux seuls milieux professionnels concernés. Les conseils régionaux, le Conseil économique et social, le Parlement mettent les enjeux sur la table.
Des sénateurs et des députés de grande compétence ont rédigé des rapports remplis d'idées : Hubert Haenel, Dominique Bussereau, Henri Cuq, Paul Chollet. L'enquête de la SNCF a révélé le soutien exigeant des clientèles.
La vérité des chiffres, longtemps occultée, est désormais connue : 200 milliards de dettes ; 35 milliards de recettes commerciales ferroviaires ; 70 milliards de subventions publiques (dont 20 milliards d'accroissement annuel de la dette, qui n'est jamais qu'une subvention anticipée). Les cheminots et le public savent maintenant que la spirale fatale est engagée, celle où l'on s'endette pour rembourser la dette passée. Ne rien changer conduirait la SNCF à la catastrophe et, avec elle, ses personnels et le service public.
Le rapport gouvernemental rédigé par Claude Martinaud, ancien directeur de cabinet de Charles Fiterman et, à ce titre, principal inspirateur de la loi de 1982 qui régit les transports, contient des vérités jusqu'alors considérées comme indicibles :
- rail-route : la guerre est finie, ne concernant plus guère que le transport à longue distance sur autoroutes à péage. De ce fait, l'argument de la parité préalable des conditions de concurrence ne peut plus guère justifier l'immobilisme ;
- c'est le transport collectif de voyageurs, multimodal et intermodal, qui constitue le service public ; il n'y a plus de service public ferroviaire identifié à une entreprise nationale ;
- c'est aux régions, comme le souligne Charles Fiterman, d'assurer la pleine responsabilité du transport collectif en ouvrant les services à la concurrence.
Dès lors, le principe qui doit guider les réformes est la responsabilité : qui paie décide.
Partout dans le monde – sauf en France –, la réforme des chemins de fer est sur les rails, depuis plusieurs années. Au Japon, en Suède, en Grande-Bretagne, en Allemagne, mais aussi aux Pays-Bas, en Italie, la clarification des responsabilités d'entreprise et de service public ouvre la voie au renouveau du rail.
La directive européenne de 1991 fournit un cadre d'ensemble : c'est un texte équilibré, ni de droite ni de gauche. Jacques Delors, président de la Commission, et Michel Rocard, Premier ministre, l'ont conçue. Surtout, l'exploitation des distances transeuropéennes ouvre des marchés de reconquête au ferroviaire. Après le débat, il faudra trancher :
- c'est à la loi qu'il revient de définir les responsabilités de chacun : l'État, pour la définition et le financement de l'infrastructure, confiée à un établissement public distinct de la SNCF ; les régions, avec pleine liberté de choix et dotées des moyens budgétaires nécessaires, pour les transports collectifs des voyageurs ; la SNCF, pour l'exploitation commerciale des services, dotée d'un management décentralisé tourné vers les clientèles, comprenant une filialisation du fret dans le cadre du marché européen ;
- la reprise de la dette ferroviaire doit être complète, en contrepartie de nouvelles structures pour un nouveau départ. La dette de la SNCF constitue de fait une dette de l'État. La plus mauvaise des situations serait d'engager une demi-réforme de structure en échange d'une demi-reprise de la dette ;
- les personnels actuels se verront garantir la pérennité de leur statut et de leur retraite : celles et ceux qui se sont engagés dans la carrière de cheminot l'ont fait dans le cadre d'un contrat avec la nation, qu'il n'est pas possible de rompre unilatéralement. Une Caisse autonome de garantie devrait assurer les retraites. Engager une telle réforme de fond, c'est éviter la catastrophe qui menace. Il n'est que temps.