Interviews de M. François d'Aubert, secrétaire d’État chargé de la recherche, dans "Le Figaro" du 15 juin 1996 et dans "Paris-Match" du 20 juin 1996, sur l'organisation de la recherche concernant la transmission des "maladies à prions" de type "vache folle" de l'animal à l'homme.

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Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro - Paris Match

Texte intégral

Le Figaro : 15 juin 1996

Le Figaro : Une équipe française vient de trouver une preuve expérimentale supplémentaire en faveur d'une transmission de l'ESB vers l'homme. Un succès pour la science française. Des résultats très inquiétants. Que comptez-vous faire pour accélérer les recherches sur ce thème en France ?

François d'Aubert : Seuls les résultats de la recherche scientifique pourront apporter les réponses aux questions que les pouvoirs publics et les Français se posent avec une inquiétude légitime. Les énigmes sont nombreuses et il ne faut exclure aucune hypothèse sur l'agent causal. Ce travail sera long, d'où l'urgence d'une mobilisation de la communauté scientifique. Jusqu'à présent, seules seize équipes françaises conduisaient la recherche sur le prion. J'ai reçu, le 4 juin dernier, le programme de recherche proposé par le comité d'experts. Il a été validé par le premier ministre, deux jours plus tard, le 6 juin. Ce programme, nous l'appliquerons sur le champ et dans son intégralité.

Le Figaro : Combien d'équipes vont-elles désormais travailler sur ce sujet ?

François d'Aubert : J'ai adressé, le 2 avril dernier, une lettre aux directeurs généraux d'organismes qui travaillent dans les sciences du vivant et de la santé pour leur demander de prendre contact avec chacun de leurs directeurs de formation de recherche, et cela en vue de rassembler de nouvelles compétences dans le domaine des prions. Le moins que l'on puisse dire, c'est que l'appel a été entendu. Soixante-seize équipes de l'Inserm, soixante-treize du CNRS et vingt du CEA ont répondu qu'elles étaient prêtes à réorienter leurs recherches sur les encéphalopathies spongiformes subaiguës.

Le Figaro : Quels sont, selon vous, les secteurs de la recherche à renforcer en priorité ?

François d'Aubert : Il est très important de travailler vite, très vite pour mettre au point un test de dépistage des encéphalopathies bovines et de la maladie de Creutzfeldt-Jakob. Ce test est indispensable pour évaluer l'importance de la contamination du bétail et pour prendre les mesures de santé publique qui s'imposent. Là encore, c'est un lourd travail. L'obtention d'anticorps pour mettre au point le test de dépistage peut demander de 12 à 24 mois. Par ailleurs, il faut renforcer les réseaux épidémiologiques, analyser la transmissibilité inter-espèces, améliorer la connaissance des pathologies et mieux connaître les facteurs génétiques de prédisposition… Tous ces axes de recherche sont clairement définis par le rapport des experts.

Le Figaro : Mais les moyens financiers vont-ils suivre ces propositions ?

François d'Aubert : Le budget prévisionnel de crédits scientifiques évalué par les experts à l'issue du rapport s'élève à 8 millions de francs pour 1996, auxquels, bien sûr, il convient d'ajouter les salaires des chercheurs. Mais il est clair que ce budget n'est pas plafonné. Il sera régulièrement réajusté en fonction des besoins exprimés par le comité des experts. Par exemple, des crédits supplémentaires s'avéreront sans doute nécessaires pour mettre en place des laboratoires adaptés au caractère dangereux d'une telle recherche. Ces laboratoires seront, en effet, classés P3, sur une échelle allant de 0 à 4.

Le Figaro : Existe-t-il une mobilisation des chercheurs à l'échelon européen, voire international ?

François d'Aubert : Elle me paraît indispensable et j'ai demandé à Édith Cresson, commissaire européen pour la recherche, d'engager l'Union européenne sur ce sujet. Une réunion des directeurs généraux de la recherche des États membres s'est tenue à Bruxelles le 5 juin. La Commission a déjà donné un accord de principe pour mobiliser les scientifiques européens et favoriser les coopérations par une mise en commun de moyens et de compétences. La qualité des échanges sera déterminante pour les avancées de la recherche.


Paris-Match : 20 juin 1996

Paris-Match : Le comité d'experts, présidé par le Pr Dormant, annonce les risques d'une possible transmission à l'homme de la maladie de la vache folle. Où en sont les recherches sur le sujet ?

François d'Aubert : Elles n'établissent pas une preuve formelle, une preuve scientifique au sens strict du terme, mais elles convergent vers cette hypothèse. Nos chercheurs disposent aujourd'hui d'un faisceau d'arguments de nature expérimentale mais aussi épidémiologique. Le doute, s'il existe, appelle de lui-même la vigilance et la nécessité absolue de se protéger. Nous avons appelé cela le « principe de précaution ». Plus simplement, il s'agit « de faire comme si ». Comme si la transmissibilité était prouvée…

Paris-Match : Et ces arguments, quels sont-ils ?

François d'Aubert : Il y a d'abord l'émergence d'une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob qui touche non plus des personnes âgées, mais des individus de moins de 40 ans. Par ailleurs, le franchissement de la barrière des espèces par voie orale, c'est-à-dire le passage de la maladie d'un animal à l'autre, semble de plus en plus probable : de la vache au mouton et du mouton à la souris, mais aussi directement de la vache à la souris. Ces données ont été confirmées dans un travail récent publié par des vétérinaires britanniques.

Paris-Match : Existe-t-il d'autres études sur les modes de transmission de la maladie ?

François d'Aubert : En France, plusieurs équipes ont également développé des travaux sur plusieurs espèces animales, y compris sur des singes, dont on connaît leur proximité phylogénétique avec l'homme. Leurs résultats sont très attendus. Ils pourraient confirmer une fois de plus le franchissement de la barrière des espèces.

Paris-Match : Est-il exact que deux nouveaux cas ont été décelés chez l'homme en France ?

François d'Aubert : Oui, deux cas suspects de maladie de Creutzfeldt-Jakob, qui, là encore, ont touché des patients de moins de 40 ans, viennent d'être signalés au réseau épidémiologique français. Mais aucune preuve anatomopathologique ne permet encore de confirmer ce diagnostic. Je tiens à rappeler à cette occasion, que l'ensemble des établissements hospitaliers ont été appelés à renforcer leur vigilance.

Paris-Match : Sur quelles pistes travaillent aujourd'hui les chercheurs français ?

François d'Aubert : Il leur faut apporter rapidement les preuves de la transmission, mais sans limiter le champ des recherches sur les prions. D'autres pistes doivent être explorées, comme la piste virale. Le programme insiste sur la mise au point d'outils technologiques, c'est-à-dire, par exemple, la production d'anticorps qui permettront de disposer d'un test diagnostique de dépistage, aussi bien chez l'homme et les animaux que sur les produits dérivés, tels la gélatine, le sperme et le suif. Ces recherches doivent être lancées sans tarder car le temps nécessaire pour la mise au point de ces outils peut être de douze à vingt-quatre mois.

À plus long terme, grâce à une mobilisation de nouvelle équipes, des actions de recherche thérapeutiques seront mises en oeuvre. Avec le Premier ministre, nous allons dégager les moyens financiers nécessaires pour conduire l'ensemble de ce programme. Ils seront de l'ordre de 8 millions de francs cette année, et atteindront 10 millions de francs en 1997, conformément aux demandes du comité d'experts.