Texte intégral
Mesdames et Messieurs les ministres,
Monsieur le Président,
Mesdames et Messieurs,
Je suis particulièrement heureux de vous accueillir à l'hôtel Matignon à l'occasion du 18e salon du Livre. Si, depuis plus de neuf mois, j'ai déjà eu le plaisir de recevoir de nombreux visiteurs appartenant au monde de la culture, c'est la première fois qu'il m'est donné de rendre hommage à ceux qui, comme vous tous, réunis ici, participent ensemble à la grande aventure du livre.
Je fais partie de ceux pour qui la culture commence et se poursuit avec le livre, pour qui les plus grandes émotions comme les plus profondes réflexions naissent de la lecture. Vous recevoir ce soir me permet donc de vous dire, très simplement et très cordialement, mon attachement personnel au livre, et au-delà, de témoigner de mon engagement et de celui de mon Gouvernement en faveur du livre et de la culture. Si notre civilisation européenne s'est construite autour du livre, nous savons que ce patrimoine commun est fragile. Il nous appartient de le défendre avec détermination.
Chacun sait que le livre est intolérable à ceux qui veulent limiter la liberté d'expression. L'accès au livre – c'est-à-dire à tous les livres –, est, et sera toujours, un instrument privilégié de liberté et d'indépendance. Toutes les barbaries ont toujours commencé par brûler des livres. La plus grande vigilance, face aux tentations de tous ceux qui, au niveau national comme au niveau local – et ne dois-je pas dire, aujourd'hui, régional ? –, chercheraient, par quelque moyen que ce soit, à restaurer une forme de censure ou de police des livres, est donc nécessaire. Je pense en particulier aux menaces qui pèsent sur certaines bibliothèques municipales. Protection du patrimoine écrit, pluralisme et qualité des fonds acquis, liberté d'accès à l'écrit autant de principes fondamentaux du service public autant de principes qu'il est du devoir de l'État de faire respecter autant de principes auxquels, je le sais, sont profondément attachés les bibliothécaires, qui s'emploient à les mettre en œuvre quotidiennement. L'État assumera ses responsabilités bien sûr mais je sais que le dévouement, l'amour du livre et la compétence de ces femmes et de ces hommes représentent le meilleur rempart contre l'obscurantisme et l'intolérance.
Une autre menace, plus insidieuse, pèse sur l'avenir du livre. Pas celle qui naît de la déraison, du fanatisme, qui saisissent parfois l'esprit de l'homme – et que j'évoquais à l'instant. Celle qui, plus froidement, est le fruit des mécanismes rationnels, objectifs et automatiques du marché. Pas plus qu'aucun autre objet culturel, le livre ne saurait être réduit à une simple marchandise. Le prix unique du livre institué dès 1981 par le gouvernement de la gauche, à l'initiative de Jack Lang – que je salue amicalement –, a largement fait la preuve de son efficacité. Il a permis de maintenir un réseau de diffusion dense et diversifié. Lui seul peut garantir la survie du métier, si précieux, de libraire. La France, – la ministre de la Culture et de la communication, Catherine Trautmann, l'a rappelé récemment –, continuera à défendre le prix unique du livre, au demeurant adopté aujourd'hui par de nombreux pays européens, devant toutes les instances internationales concernées, et notamment auprès des instances européennes.
Je connais l'antagonisme qui peut exister entre le livre et les médias. Pourtant, la participation de plusieurs radios et télévisions au salon du livre, depuis plusieurs années déjà, montre que les deux secteurs de l'audiovisuel et de l'édition peuvent prendre appui l'un sur l'autre et coexister harmonieusement. L'écrit et l'image, le papier et l'écran, ont besoin l'un de l'autre. Les images appellent la légende et le commentaire, l'écriture est la première étape d'une production audiovisuelle, les meilleurs films exigent un solide scénario. Convaincu du bien-fondé de ce rapprochement, je pense qu'il serait souhaitable que la présentation et le commentaire des livres, notamment sur les chaînes de télévision publique, soient plus fréquents.
La défense vigoureuse de l'exception culturelle, enfin, à laquelle le Gouvernement s'attache avec fermeté à propos de la négociation sur l'AMI. – l'accord multilatéral sur l'investissement –, vaut évidemment aussi pour le livre.
Certains d'entre vous – je le sais… –, pensent qu'une nouvelle contradiction pourrait naître du développement de la « société de l'information » et ont pu s'inquiéter de l'engagement du gouvernement en sa faveur. Je suis pour ma part convaincu que cet antagonisme n'existe pas. Certes, le développement d'Internet fait surgir des problèmes nouveaux que nous devons traiter. Comment, par exemple, concilier la conception française du droit d'auteur, à laquelle nous sommes tous profondément attachés, et les nouveaux modes de diffusion des textes sur le réseau ? Comment défendre les intérêts économiques des éditeurs et des libraires ? Ces questions doivent être posées. Posées, pour être résolues.
C'est dans cette perspective que la ministre de la Culture et de la Communication installera bientôt une commission de réflexion sur le livre numérique. L'écrit a tout à gagner à l'entrée de notre pays dans la société de l'information loin de répudier l'écrit, la diffusion numérique permet d'en multiplier les lecteurs : telle est ma conviction. La « toile » peut permettre le rayonnement de notre culture et, au-delà, celui de la francophonie, rendre accessible des œuvres à tous ceux qui, où qu'ils se trouvent dans le monde, souhaitent y avoir accès. Je souhaite donc que les professions du livre s'engagent résolument dans ce combat qui est celui de l'avenir.
Mesdames et messieurs,
Le succès du salon du livre montre que nos concitoyens restent profondément attachés à la lecture. La progression rapide et spectaculaire de la lecture publique l’atteste. La bibliothèque joue un rôle essentiel en matière d'aménagement du territoire et d'accès à la culture : elle est le lieu où se rencontrent les générations, où se mêlent conservation et innovation, où coexistent mémoire et recherche. À l'école, la bibliothèque est souvent le premier endroit où l'élève, lorsqu'il est bien guidé, acquiert le goût de lire.
La bibliothèque est un lieu à la fois de recueillement et d'évasion, de solitude et de convivialité. « La bibliothèque, c'était le monde pris dans un miroir ; elle en avait l'épaisseur infinie, la variété, l'imprévisibilité. » En évoquant ainsi son enfance, dans « Les mots », Jean-Paul Sartre, rendait compte, si justement, de l'importance et de la magie de ce lieu.
Si la situation de nos bibliothèques universitaires était, il y a peu encore, médiocre, un effort très important a été accompli au cours des dernières années. Ainsi, dans quelques semaines, sera ouverte à l'université Paris VIII, en Seine-Saint-Denis, la plus grande bibliothèque universitaire construite depuis quinze ans. Ce type d'équipement doit profiter aux étudiants et aux enseignants, mais il doit aussi marquer le rôle que peut jouer l'université dans la cité et la vie culturelle. Cet effort sera poursuivi dans le cadre du nouveau Plan Université 3e Millénaire.
Je me réjouis de l'ouverture très prochaine de la Bibliothèque Nationale de France aux chercheurs. Le grand public a d'ores et déjà adopté les espaces qui sont les siens puisque près de 7 000 personnes fréquentent chaque jour les salles de lecture du Haut de jardin. Je souhaite très vivement que ce merveilleux outil, qui a suscité un très grand effort de la collectivité nationale, puisse profiter à tous je pense notamment au catalogue collectif qui sera disponible partout d'ici moins de deux ans, à la nouvelle répartition du dépôt légal et des acquisitions qui bénéficient aux bibliothèques en région ainsi qu'aux liens établis avec les grands réseaux documentaires.
Le livre n'est pas qu'un patrimoine. Il est une œuvre de l'esprit, vivante, palpitante. Le livre, c'est d'abord des auteurs et des éditeurs. Quelle que soit la nécessité de la concentration éditoriale, le livre restera dans son élaboration un objet artisanal. Rien ne viendra remplacer le patient travail du lecteur à la recherche d'un grand manuscrit, ce colloque si singulier entre un auteur et son éditeur, ni l'incomparable lien qui se noue, à travers un texte, entre un auteur et ses lecteurs, quel qu'en soit le nombre.
Comme vous, j'aime les livres, ceux qui les écrivent et ceux qui les fabriquent. Comme vous, j'en suis sûr, j'ai confiance en l'avenir du livre, comment douter de cet avenir après avoir visité, comme je l'ai fait vendredi dernier, le salon du livre, votre salon ?
La foule qui se presse, la participation considérable des professionnels, le nombre et la qualité des publications, la place faite aux auteurs – qu'ils soient confirmés ou qu'il s'agisse de jeunes talents – tout témoigne de la vitalité du monde de l'édition.
Sans oublier une facette de ce succès qui m'est particulièrement chère : la présence de nombreuses maisons d'édition régionales. Saint-Germain-des-Prés ou Montparnasse ne sont sûrement pas prêts d'être détrônés… mais les régions sont là, et bien là, avec une production et une qualité qui m'ont frappé. Vous pardonnerez l'élu local que je suis de citer les éditions Privat et Milan, qui représentent, avec d'autres, Toulouse et la région Midi-Pyrénées.
Avec raison, vos organisations professionnelles veillent au respect des droits des auteurs et des éditeurs : je pense au droit de copie, notamment. La loi, sur ce point, doit être respectée. S'agissant de la difficile question du droit de prêt dans les bibliothèques qui oppose deux soucis légitimes – la démocratisation de l'accès à la culture d'une part, le soutien à la création de l'autre –, je me réjouis que la ministre de la Culture et de la communication ait confié sur ce sujet une mission de concertation à Jean-Marie Borzeix. L'État tient son rôle lorsqu'il organise le dialogue avec la profession et facilite les conditions de promotion et de diffusion du livre. Il doit aussi s'abstenir de faire directement concurrence à l'édition privée. Tel est le sens des instructions consignées dans une circulaire parue hier au Journal Officiel, et inspirées des conclusions du conseiller d'État Jean-Claude Groshens.
Avant de conclure, je voudrais saluer ici nos amis brésiliens, à l'honneur cette année au salon du livre. À l'instar des littératures francophones, la production littéraire brésilienne s'inscrit dans un ensemble plus vaste, celui de la lusophonie qu'elle illustre brillamment.
Au cours des décennies passées, les Français ont pu apprécier la vitalité de la culture brésilienne. La construction de Brasília a attiré l'attention sur l'architecture audacieuse de ce pays. Le Brésil a joui d'un grand prestige grâce à son cinéma, et grâce à sa musique à la fois populaire et raffinée. Cette musique a été une magnifique introduction, pour nous, à la poésie brésilienne. C'est par l'œuvre de Vinicius de Moraes, par exemple, c'est par la « bossa-nova » que beaucoup de Français ont été sensibilisés à la richesse du Brésil.
Bien des écrivains brésiliens, et je pense entre autres à Jorge Amado, ont exprimé à travers leur art des engagements politiques et sociaux qui nous touchent particulièrement.
Mesdames et messieurs,
Depuis bientôt dix mois, le poids des responsabilités nouvelles qui sont les miennes ne m'a pas laissé le loisir de conserver à la lecture toute la place qui était la sienne jusqu'alors dans ma vie. Voilà pour le lecteur. Quant à l'auteur – celui que j'étais encore jusqu'au soir d'un certain 21 avril 1997…–, il consolera, en reprenant ses droits, le citoyen de passage que je suis ici, lorsque la démocratie et la vie politique auront décidé de m'éloigner du 57 de la rue de Varenne. Ce qui n'est peut-être pas immédiat.
En tout cas, que cette adresse soit, ici, ce soir, la vôtre, me réjouit, croyez-le, vivement. Particulièrement précieux sont les rencontres et les échanges placés sous le signe du livre. Je vous accueille ici chaleureusement.