Texte intégral
Les entreprises françaises sont à l’origine de la plupart des dispositifs sociaux existants : assurance maladie, assurance-vieillesse, allocations familiales. Les entrepreneurs ont toujours été concernés par la couverture des risques de l’existence des salariés ; ils y ont consacré de très importantes ressources financières et humaines.
Après les assurances sociales, la Sécurité sociale d’après-guerre a étendu au niveau de la nation ce qui avait d’abord été construit par les entreprises. Si l’Etat en a pris l’initiative, c’est dans le respect de la démocratie sociale, en organisant un partage des responsabilités entre représentants des employeurs et représentants des salariés : le paritarisme était né. Et la Sécurité sociale, en matière de retraite ou de prévoyance complémentaire, reconnaissait u sphère propre aux partenaires sociaux, largement autonome de l’Etat.
A la même époque, les relations du travail ont également connu des développements de grande ampleur, avec la généralisation des conventions collectives, complétées par les accords d’entreprise, le dialogue social national était lancé.
Pendant près d’un demi-siècle, le CNPF a été un acteur majeur de l’édification, de l’élargissement et de l’approfondissement de ce modèle social : création du régime de retraites complémentaires des cadres – l’Agirc en 1947, de l’assurance chômage – l’Unedic en 1958 ou du régime complémentaire des non-cadres – l’Arco en 1962.
Les relations entre les partenaires sociaux n’ont certes pas toujours été un long fleuve tranquille, mais par la négociation le plus souvent, l’affrontement quelquefois, des solutions ont toujours été trouvées pour permettre aux salariés d’être pris en charge en cas de difficultés – maladie, accidents, chômage… - ou lorsqu’au terme d’une vie de travail arrive l’âge de la retraite. Il est vrai que les entreprises françaises ont progressivement accepté de consacrer des montants financiers de plus en plus importants à la protection sociale, comme en témoignent les hausses continues de cotisations. Le contexte économique et international de l’époque autorisait cette hausse du coût du travail, qui, lorsqu’elle se révélait excessive, se traduisait par des poussées inflationnistes suivies de dévaluations.
Où en est-on ? Le modèle social français de l’après-guerre est affecté, depuis quelques années, par les très importantes transformations de son environnement économique, sociale et politique. La France de l’après-guerre vivait dans une économie fermée. Depuis, notre pays a, fort heureusement, fait le choix de l’intégration européenne et de l’ouverture sur le monde. Cela nous interdit désormais de recourir à la hausse des prix – stabilité monétaire oblige -, de laisser gonfler sans fin les déficits économiques et sociaux - rigueur budgétaire oblige -, de laisser filer la valeur de notre monnaie – euro oblige.
L’accélération des échanges commerciaux au niveau planétaire nous impose, nolen volens, le respect de l’impératif de compétitivité globale. La France ne peut durablement avoir des niveaux de dépenses publiques et sociales significativement supérieurs à ceux de nos principaux compétiteurs, sauf, le cas échéant, à justifier ces écarts par des performances exemplaires en matière de santé, d’espérance de vie ou de plein emploi… ce qui, honnêtement, n’est pas le cas.
C’est bien au nom de l’emploi et de la croissance, donc de notre niveau de vie à tous, que les entrepreneurs rappellent sans cesse l’objectif de maîtrise et de l’efficacité de la dépense publique et sociale. Ils sont d’autant moins compris qu’un trop grand nombre d’acteurs confondent, à tort, progrès social et croissance des dépenses collectives.
Le contexte social a lui aussi fortement évolué depuis cinquante ans. A une période de croissance démographique sans précédent a succédé une période de fort tassement de la fécondité qui se traduira dans à peine un lustre, par une augmentation massive du nombre de retraités et la contraction de la population active. Les méthodes de production de masse en vigueur au lendemain de la guerre, qui se traduisaient par une certaine homogénéité du salariat, ont fait place – grâce au progrès technologique – à des approches nouvelles conduisant à des statuts très diversifiés.
La montée impressionnante des services dans la valeur ajoutée a conduit à la multiplication d’emplois qui n’ont plus rien à voir avec ceux qui pouvaient exister pendant la période de reconstruction. Et tout laisse à penser que ces évolutions iront an s’accélérant au fur et à mesure du développement des nouvelles technologies et de leur diffusion dans la société.
Si la protection sociale a bien été généralisée à l’ensemble de la population, on constate qu’en dépit des sommes qui y sont consacrées les situations de pauvreté, de précarité et d’exclusion perdurent, s’amplifient même. Pourquoi le nier ? Le renchérissement continu du coût du travail dû à l’augmentation des charges continue à réduire l’employabilité des personnes les moins qualifiées, alors même que ce sont elles qui sont le plus exposées à la concurrence internationale.
Mais le modèle social français se trouve essentiellement bouleversé par la sphère politique. Une poussée, semble-t-il irrépressible, d’étatisation accompagne transformations économiques et novations dans les questions sociales. Alors que les partenaires sociaux jouissaient d’une autonomie relative, on constate que l’Etat s’approprie progressivement le social en expropriant les partenaires sociaux. Cette montée de l’Etat coïncide d’ailleurs avec son désengagement de la sphère économique strico sensu, marqué par la désactivation des politiques économiques classiques et par le phénomène bienvenu et trop longtemps différé des privatisations.
Tout se passe comme si l’Etat avait choisi de retrouver sur le terrain social la légitimité qu’il perd sur le terrain économique en raison de la construction européenne. Mais l’activisme en ce mois de décembre 1999 avec la seconde loi sur les 35 heures et la loi de financement de la Sécurité sociale. Cette intrusion sans précédent des pouvoirs publics dans le champ social aura épuisé le modèle social construit dans l’après-guerre. La démocratie sociale meut dans la perte de toute autonomie.
En en reconnaissant pas les cent vingt-six accords de branche, pourtant signés par les employeurs et les organisations syndicales représentatives, le gouvernement et le parlement ont pris le risque de dévitaliser le dialogue de branche, échelon essentiel de la relation sociale. En recourant sans vergogne à la notion d’ordre public social, le gouvernement, suivi par le parlement, a réduit considérablement les degrés de liberté dont doivent impérativement disposer les partenaires sociaux pour trouver les solutions efficaces et applicables aux problèmes spécifiques à leur activité économique.
Les partenaires sociaux, déresponsabilisés, se trouvent cantonnés dans un rôle d’exécuteurs de dispositions législatives, de transmettre de décrets illisibles et de circulaires d’application confuses : la construction théorique et idéologique des 35 heures aura beaucoup de mal à se mettre en place non pas en raison d’une mauvaise volonté des entrepreneurs, mais parce qu’elle n’est pas applicable dans un nombre considérables de petites entreprises, dans un nombre important d’activités où la notion d’heures chronométrées paraît ubuesque ! Nous ne sommes plus en 1936. Charlie Chaplin ne pourrait plus filmer aujourd’hui Les Temps Modernes.
Quant à la protection sociale, s’il est vrai que les partenaires sociaux n’ont cessé de sentir s’appesantir d’avantage la tutelle rapprochée et pesante de l’Etat, deux faits majeurs viennent d’illustrer l’absence de respect de ceux qui nous gouvernent à leur égard : la non-prise en compte du plan stratégique de la CNAM, d’une part, et, de l’autre, le projet funeste de faire financer les 35 heures par un « siphonnage » arbitraire des organismes sociaux. Et alors même que les performances de l’Etat employeur en matière de relations et de protections sociales sont affligeantes. En témoigne la médiocrité des relations sociales dans la sphère publique – un quart des effectifs, mais trois quarts des conflits !
L’Etat a mis plus d’un an et demi pour connaître le temps de travail de ses employés. Il n’a décidément pas de leçons à donner aux partenaires sociaux qui, au cours des années 90, ont su, tant bien que mal, prendre leurs responsabilités et réformer les régimes de retraite complémentaires et le régime d’assurance-chômage.
L’alternative est claire et imminente. Si le gouvernement s’obstine dans son œuvre de nationalisation du dialogue social et d’étatisation de la protection sociale, les partenaires sociaux n’ont plus leur place dans les organismes paritaires, et le dialogue interprofessionnel et de branche sera réduit à sa plus simple expression pour autant qu’il continue d’exister. L’Etat devra alors assumer toutes les responsabilités : il aura prononcé la mort du social à choisir cette voie, quand partout les modernisateurs politiques cherchent au contraire à redonner de l’existence au social.
Mais une seule chance subsiste pour les partenaires sociaux d’ouvrir un grand chantier pour redéfinir un nouveau modèle social français. C’est leur responsabilité historique. Ce nouveau modèle devra intégrer pleinement les évolutions économiques, sociales, technologiques et clarifier ce qui relève de l’entreprise, de la branche de l’Etat. Il devra reposer sur des règles du jeu stables, claires, respectées qui soient compatibles avec la construction européenne et l’impératif de compétitivité et permettre à notre pays de poursuivre une croissance durable vers le plein emploi dans le respect de la cohésion sociale.
Le Medef a choisi : fidèle à la tradition de responsabilité des entrepreneurs français et contre l’étouffant étau de l’étatisation, il s’est engagé dans la voie de la refondation créatrice, à laquelle il invite ses partenaires. Le social appelle à sa rénovation : par notre engagement commun, nous lui donnerons la nouvelle constitution qu’il réclame.