Interview de M. Alain Deleu, président de la CFTC, dans "Les Échos" le 23 juillet 1996 et déclaration le 25, sur la "récession de la politique familiale", la baisse des prestations dont l'allocation de rentrée scolaire, et la réorientation des aides à l'emploi.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : Energies News - Les Echos - Les Echos

Texte intégral

Les Échos : 23 juillet 1996

Les Échos : Vous avez dénoncé le « fossé » qui se creuse entre les déclarations de Jacques Chirac sur la famille et les réalités. Depuis, Jacques Barrot a annoncé la revalorisation des prestations familiales en fonction des prix en 1997. Reste l'allocation de rentrée scolaire. Est-ce pour vous un casus belli ?

Alain Deleu : Le triplement d'allocation de rentrée scolaire était une mesure provisoire demandée par la CFTC à Edouard Balladur dans le cadre de l'emprunt exceptionnel, dans l'attente de mesures familiales globales. La loi de 1994 sur la famille a certes apporté un plus, mais pas de changement radical. C'est pourquoi nous avons souhaité et obtenu la prolongation du triplement de l'allocation. Quand Jacques Chirac est arrivé avec la promesse de la création d'une allocation de libre choix, un projet ambitieux et coûteux, la CFTC a une nouvelle fois souhaité le maintien de l'allocation en attendant que la promesse soit concrétisée. Il serait donc anormal que l'on assiste à un recul de l'effort de la nation en faveur des familles.

Les Échos : Ceux qui plaident pour une allocation plus restreinte, voire sa suppression, font observer qu'une partie est épargnée et non pas dépensée.

Alain Deleu : L'allocation répond à un vrai besoin. Elle est attribuée à un moment de l'année où les familles pensent à la réussite de la scolarité de leurs enfants et essayent de faire ce qui est le mieux pour cela. Dans ce sens, son importance dépasse de loin l'objectif qu'on pouvait lui assigner au départ.

Les Échos : La CFTC vient d'obtenir de nouveau la présidence de la caisse d'allocation familiale. Pourquoi briguer un tel poste alors que la marge de manoeuvre de son président est des plus restreintes ?

Alain Deleu : La question posée par la réforme de la Sécurité sociale est effectivement de savoir si le conseil d'administration d'une caisse est nommé pour la forme ou si le gouvernement est décidé à faire fonctionner la subsidiarité qui nous est chère, c'est-à-dire à laisser les décisions se prendre au niveau le plus approprié. Force est de constater qu'au fil des ans, la politique familiale a connu une lente récession qui ne fait que continuer. Contrairement à la branche maladie, les dépenses de la branche famille sont des dépenses d'investissement destinées à préparer l'avenir. La question qui se pose aujourd'hui n'est donc pas de savoir comment l'on gère la pénurie, mais de savoir si l'on reprend la politique familiale ambitieuse qui était celle de la France après la guerre. Pour cela il est absolument nécessaire que les partenaires sociaux jouent leur rôle.

Les Échos : Et précisément, au sein des organisations syndicales, la CFTC semble assez isolée dans sa défense de la famille.

Alain Deleu : C'est l'étrangeté de la situation française. Tout le monde proclame son attachement à la famille mais lorsqu'on monte dans les états-majors politiques et syndicaux les pratiques, à quelques exceptions près, sont assez loin des discours. On parle de fracture sociale mais il y a une fracture presque idéologique entre un grand nombre de dirigeants politiques et sociaux et ce que ressentent les Français dans le domaine de la politique familiale. Aujourd'hui, non seulement l'écart se creuse entre les riches et les pauvres, mais aussi entre ceux qui ont des enfants et ceux qui n'en ont pas.

Les Échos : Le gouvernement s'apprête à remettre en cause un certain nombre d'aides à l'emploi. Est-ce que les partenaires sociaux n'ont pas joué les apprentis sorciers en critiquant certaines des aides au risque de voir les crédits sévèrement amputés ?

Alain Deleu : La politique des aides en faveur de l'emploi a commencé par la budgétisation d'une partie des cotisations familiales et des exonérations de charges sur les plus bas salaires. C'était un premier signal fort et alarmant donné aux salariés : vous avez des charges de famille, ça ne concerne pas les entreprises ; vous êtes trop chers, mais comme on ne peut pas baisser les salaires on baisse le salaire familial. Priorité était donnée à l'argent sur les hommes. Depuis, cette politique a été poursuivie par un transfert progressif des charges salariales patronales sur l'impôt.

Les Échos : Mais comment, selon vous, réorienter les aides pour qu'elles débouchent sur l'emploi ?

Alain Deleu : Il faut que les aides correspondent à des emplois nouveaux réels, et pour cela il est nécessaire d'établir un lien direct et mesurable : par exemple l'allocation de remplacement pour l'emploi (préretraites pour 40 ans de cotisations) ou bien la cessation progressive d'activité sont à développer, de même il faut aider les salariés qui jouent le jeu de l'emploi en entrant dans la logique de l'aménagement de réduction du temps de travail. Jusqu'à présent, on s'est borné à aider les entreprises. En se tournant vers les salariés on ouvre une nouvelle voie très fructueuse.

Les Échos : Est-ce très fructueux que d'aider seulement les départs pour laisser des postes libres à des jeunes ?

Alain Deleu : Les salariés qui ont cotisé 40 ans sont très heureux de savoir qu'ils partent à condition que quelqu'un les remplace. Mais il faut également favoriser les créations d'entreprises en aidant les salariés qui veulent se lancer. Je constate seulement qu'on a distribué beaucoup d'argent aux entreprises en place et que l'argent manque aujourd'hui pour venir en aide aux chômeurs créateurs d'entreprise.

Les Échos : Beaucoup d'observateurs prévoient d'ores et déjà une rentrée difficile. Est-ce aussi votre analyse ?

Alain Deleu : Il ne faut pas jouer avec les crises sociales. On a l'impression aujourd'hui que certains acteurs souhaitent une aggravation de la situation. Le seul moyen d'écarter le danger d'une nouvelle crise que la France n'a vraiment pas les moyens de s'offrir aujourd'hui, c'est de faire une politique réellement sociale. Pour cela, il faut rétablir la confiance. Une confiance ébranlée par les promesses non tenues. Un exemple : l'an dernier on augmente la TVA en promettant de supprimer très rapidement cette hausse. Cette année, le gouvernement annonce une baisse des impôts mais ce sera celle de l'impôt sur le revenu que ne payent pas les plus pauvres, alors que ceux-ci vont continuer à supporter la hausse de la TVA de l'an dernier. Au risque de me répéter, c'est d'abord par une politique familiale cohérente que l'on rétablira la confiance du plus grand nombre. Ensuite, en menant à terme les dossiers ouverts lors des trois sommets sociaux consacrés à la famille, aux jeunes et à l'aménagement réduction du temps de travail.

Les Échos : La CFTC tiendra son congrès en novembre. Serez-vous de nouveau candidat à la présidence ?

Alain Deleu : Oui, Jacques Voisin au secrétariat général et moi-même à la présidence sommes disposés à continuer et à préparer la CFTC de l'an 2000. A notre niveau à nous aussi l'objectif est de montrer aux salariés, qui aujourd'hui font le dos rond dans les entreprises, n'ont plus confiance ni dans leur encadrement ni dans les syndicats, que l'espoir est possible.

Les Échos : Le redressement en terme d'adhérents est-il engagé ?

Alain Deleu : Oui, durant ces trois dernières années, le nombre des adhérents a progressé entre 2 et 3 % l'an, et le mouvement tend à s'accélérer ces derniers mois.


La lettre confédérale CFTC : 26 août 1996

Allocation de rentrée scolaire : déclaration d'Alain Deleu le 25/07/96 au soir reprise par l'AFP

La CFTC a qualifié jeudi de « demi-mesure » la décision du gouvernement de fixer à 1 000 francs l'allocation de rentrée scolaire (ARS) cette année, soit le double du minimum légal (416 francs), au lieu de 1 500 francs en 1995, soit le triple du minimum légal.

« Nous avons été à moitié entendus, et c'est donc en quelque sorte une demi-mesure, alors que ce ne sera pas une demi-rentrée pour les familles », a déclaré à l'AFP le président de la CFTC, Alain Deleu. « La différence va manquer car les besoins familiaux sont réels et importants », a-t-il ajouté.

Le triplement de l'ARS « s'est révélé à l'usage comme étant une réponse à une vraie attente des familles », a estimé M. Deleu.

Il a déploré ce « repli » concernant l'ARS, après « le blocage des prestations familiales en 1996 et les restrictions sur l'allocation maternité ». « Tout cela ne va pas dans le sens de l'engagement du président de la République dans le cadre de son élection et n'augure pas très positivement des discussions sur la famille en décembre », a poursuivi le président de la confédération chrétienne.

M. Deleu a jugé nécessaire « une mobilisation des familles » pour que « les pouvoirs publics décident en fin d'année de s'engager dans une politique familiale importante. »