Texte intégral
Le Journal du dimanche : 2 juin 1996
JDD : Voilà longtemps que vous ne vous étiez pas impliqué pleinement dans la vie du PS. Pourquoi pas plus tôt ?
J. Lang : L'épisode de l'élection présidentielle a été une source de malentendus et sans doute de blessures réciproques. Mais le temps a fait son oeuvre.
JDD : Depuis que vous travaillez à ses côtés, avez-vous changé d'avis sur Lionel Jospin ?
J. Lang : Le PS doit avoir pour ambition de transcender les clivages, de se rassembler plutôt que de se transformer en multitude de chapelles. Il doit redevenir une ruche à idées, un parti inventif, créatif et audacieux et non pas comme il l'a été parfois : conformiste et conservateur. Aujourd'hui, j'ai le sentiment que, sous l'impulsion de Lionel Jospin et avec la participation loyale de chacun, les socialistes ont retrouvé le goût de vivre ensemble autour d'un projet. Le PS, maison commune, est redevenu la maison de tous.
JDD : Cela suffira-t-il pour gagner les élections ?
J. Lang : Gagner des élections, ce n'est pas la chose la plus difficile. Grâce à François Mitterrand, l'alternance a en effet conquis droit de cité dans les esprits. Le plus dur est de changer vraiment les choses. Une victoire acquise par une majorité de rejet ne saurait suffire. Une majorité d'adhésion est indispensable. Elle ne se cristallisera que si nous sommes capables au fil des mois de montrer que nous ne ressemblons plus aux notables timorés que beaucoup d'entre nous étions devenus dans les années 1992-93. Nous ne pourrons prendre les rênes en main que si nous sommes habités par la même flamme, le même enthousiaste réformateur qu'en 1981.
JDD : Les Guignols se moquent des socialistes et de leur quête désespérée au pays des idées, qu'en pensez-vous ?
J. Lang : Nous avons un double devoir : un devoir de vérité et un devoir d'audace. Le devoir de vérité c'est de ne pas promettre la lune, de ne pas nous laisser aller à la surenchère : ne jamais rien annoncer qui ne soit réalisable. Le pire mal de la démocratie contemporaine, ce sont les hommes politiques qui déchirent leurs engagements comme des chiffons de papier. C'est démoralisant pour les citoyens. Mais le devoir de vérité doit avoir pour corollaire absolu le devoir d'audace. Car l'un sans l'autre, on marche sur une jambe. Et tout inventif qu'on soit, on peut tout de même s'accorder un délai de réflexion avant d'arrêter un projet. J'espère de toutes mes forces que le moment venu, nous serons capables d'embrayer sur la réalité pour la transformer. Il serait terrible et triste qu'un gouvernement de gauche soit un gouvernement pépère.
JDD : Une fois de plus, vous voulez « changer la vie » ?
J. Lang : Je ne comprends pas très bien pourquoi ces mots sont devenus tabous !
JDD : Avez-vous découvert de nouveaux talents au PS ?
J. Lang : Je n'aime pas les cloisons, les étiquettes, les hiérarchies, les classifications. Ce qui me plaît, c'est le brassage des générations, des idées. Or, le PS est un parti qui a réussi, d'une part, à préserver ses hommes et femmes d'expérience qui sont la mémoire du socialisme et, d'autre part, à accueillir des générations qui ont un regard neuf, différent.
JDD : La gauche socialiste de Julien Dray et Jean-Luc Mélenchon n'est-elle pas le poil à gratter du PS ?
J. Lang : Ce sont de bons camarades avec qui j'ai souvent travaillé. S'il y a du poil à gratter, il est partout. Encourageons surtout la pensée libre. Méfions-nous du politiquement correct : « Plus à gauche que moi tu meurs » ! Soyons réformateurs non seulement par nos mots, mais aussi par nos actes. J'ai trop vu de révolutionnaires en paroles qui, une fois devenus ministres ou maires, se convertissaient en hommes de gauche « peau de lapin ».
JDD : Vous êtes en charge des travaux du PS sur la démocratie, pensez-vous que c'est ce qu'attendent les 3 millions de chômeurs du pays ?
J. Lang : La démocratie est le meilleur chemin qui conduise à la création d'emplois. Voyez ce que nous coûte l'anémie de notre démocratie. Depuis trois ans, les gouvernements ont, en toute impunité, jeté par les fenêtres 200 milliards de francs d'argent public en exonérations ruineuses et inefficaces. Face à un tel gâchis, le Parlement est impuissant ou inexistant. Imaginons, à l'inverse, ce que pourrait être un nouvel élan pour l'emploi si toutes les forces démocratiques et inventives du pays étaient associées à la préparation d'un plan d'envergure : création de 300 000 emplois de qualité de vie, reconstruction des banlieues, encouragement à l'innovation industrielle et technologique… Le succès sera au rendez-vous si la mobilisation populaire des énergies et des talents transforme le pays en un immense chantier d'initiatives. Voilà ce que pourrait être le fruit d'une démocratie vraie et vivante.
JDD : Vous avez été un ministre de la Culture très populaire, notamment auprès des jeunes, qu'avez-vous envie de leur dire ?
J. Lang : Je n'ai à transmettre ni bréviaire ni dix commandements ! Une seule certitude : un gouvernement de gauche qui saura parler à la jeunesse de son pays réussira. S'il n'y parvient pas, il échouera. C'est parce que trop de ministres, vieux dans leurs têtes, étaient à côté de leurs pompes et carrément coupés de la vie que nous avons perdu. Ils avaient peur de leur ombre. Je ne veux pas revivre cela : le spectacle de responsables, le cul serré sur leur fauteuil, attendant que l'orage passe, paralysés par la moindre initiative. Ils avaient le trouillomètre à zéro ! La société (et notamment les jeunes) est en avance sur ses dirigeants. Ne redoutons pas sa créativité. Son énergie constructive ou critique. Apprenons à nous immerger dans le pays vivant. De lui, viendra l'inspiration – et le succès.
France 3 : jeudi 6 juin 1996
France 3 : On dit que les militantes ne se sont pas précipitées aux portes des fédérations pour ces débats, n'êtes-vous pas déçu ?
J. Lang : Vous savez, le débat comporte de nombreuses phases. Il y a cette réunion dont vous parlez à l'instant mais il y a eu d'autres réunions. Par exemple, moi-même j'ai animé, à la Mutualité, une réunion de mille secrétaires de sections venant de la France entière. Au contraire, il y a une atmosphère sérieuse, studieuse pour discuter les propositions et pour les élaborer.
France 3 : Parmi ces propositions, il y a la réduction à cinq ans de tous les mandats. Est-ce que c'est une proposition qui tire les leçons ou les regrets de quatorze ans de pouvoir ?
J. Lang : Non, d'abord disons que les quatorze ans de pouvoir ont apporté beaucoup de choses à la démocratie française. Il y a tout de même toute une série de mesures positives : libération des radios et des télévisions, décentralisation, etc. Simplement, il faut passer à une étape nouvelle et notre volonté est que, si nous l'emportions dans dix-huit mois, la démocratie française bénéficie d'un coup de jeune.
France 3 : C'est pareil pour la fin des cumuls ?
J. Lang : Cela suppose toute une série de changements. Nous voulons que la démocratie respire mieux, et en particulier rapprocher le pouvoir ou les pouvoirs des citoyens. Ce qui suppose, en effet, la réduction de la durée des mandats à cinq ans et pour tous les mandats : président de la République, maire, président de région, sénateur, député. Cela suppose aussi un seul mandat pour que chaque élu se consacre exclusivement à ce mandat et que l'électeur sache à qui il a affaire. Cela suppose aussi l'établissement d'une parité entre les hommes et les femmes.
France 3 : Vous n'êtes pas allé en ce domaine jusqu'au 50/50. Avez-vous reculé ?
J. Lang : Pas du tout. Nous sommes décidés à inscrire ce principe dans la Constitution. Nous sommes décidés à faire adopter un texte qui lie le financement des partis politiques à la place qu'ils accorderont aux femmes et cela se traduira concrètement l'année prochaine par la présence dans les listes aux élections régionales de la moitié de femmes. Et pour les élections législatives, c'est plus difficile car c'est un scrutin uninominal et il y aura, en gros, un tiers de femmes.
France 3 : Sur la parité, Alain Juppé, hier, s'est montré favorable à un référendum sur ce thème. Est-ce que ce sont ces propositions qui formeront une plate-forme d'engagements fermes pour 1998 ?
J. Lang : Tout ce qui est écrit là et qui sera adopté, samedi, à la fin du mois, ce sera un engagement pour l'avenir.
France 3 : Et vous les maintiendrez même s'il y a des législatives anticipées ?
J. Lang : Mais bien sûr. Je crois que c'est un point très important. Si on veut changer la démocratie, il est indispensable que les hommes politiques respectent scrupuleusement leurs engagements. Ce qui est écrit là sera respecté et en particulier, ce que nous avons annoncé pour la garantie effective des droits, des droits des citoyens face aux différents pouvoirs ou des droits des travailleurs face à l'arbitraire patronale. J'indique dans ces propositions, il y a en particulier la création d'une institution entièrement nouvelle, le défenseur des droits du peuple, une personne qui sera nommée pour cinq ans et auprès de laquelle, un citoyen, qui se sentira endommagé par un abus de pouvoir, pourra obtenir réparation par une saisine directe. Ce sont quelques-unes des cent propositions que nous faisons.