Texte intégral
TF1 - jeudi 22 août 1996
A. Juppé : Comme vous le savez, j'ai souhaité que le Conseil d'État, qui est la plus haute autorité administrative de notre pays, donne au Gouvernement son avis sur la situation des sans-papiers de l'église Saint-Bernard à Paris. Le Conseil d'Etat s'est réuni et il vient de me transmettre son avis, cet après-midi même. Je l'ai ici sous les yeux. Que dit-il ?
D'abord le Conseil d'État constate qu'il n'existe pas de droit à régularisation. Et c'est un peu Je bon sens. Lorsque l'on est en situation irrégulière, on n'a pas un droit à la régularisation. En second lieu, le Conseil d'Etat dit, en toutes lettres, que dans toutes les situations qui lui ont été soumises, les intéressés ne possèdent pas de droit au séjour en France. Pas de droit au séjour en France. Et puis en troisième lieu, le Conseil d'État ajoute que, bien sûr, l'autorité administrative, c'est-à-dire le Gouvernement a toujours la possibilité, à condition que cela soit à titre exceptionnel et au terme d'un examen au cas par cas de chaque situation individuelle, de prendre une mesure de faveur. C'est ce que l'on appelle une mesure gracieuse dans le langage administratif, pour donner une autorisation au vu d'un certain nombre de circonstances.
Quelles peuvent être ces circonstances ? Le Conseil d'État les évoque. D'abord, le fait pour un étranger de résider habituellement en France depuis plus de quinze ans. Le problème ne se pose pas pour les sans-papiers de Saint-Bernard. Deuxièmement, la santé et les risques graves que pourraient faire courir à l'intéressé une expulsion. Et troisièmement, le déroulement d'une vie familiale normale. Eh bien, sur tous ces points, le Conseil d'État confirme exactement les orientations qui ont été données par le Gouvernement depuis plusieurs semaines et rappelées, avant hier encore, à l'occasion de la réunion de ministres que j'ai présidée.
Quelles conclusions concrètes en tirer ? D'abord, il serait contraire à la loi de procéder à des régularisations en bloc de telle ou telle catégorie de sans-papiers. Ensuite, nous allons poursuivre l'examen des situations individuelles et j'ai demandé au ministre de l'Intérieur de renforcer le dispositif qui existe auprès de lui pour le faire. A lumière de ce que le Conseil d'État a rappelé : d'abord, les problèmes de santé. Jamais, il ne nous est venu à l'esprit d'expulser quelqu'un qui est gravement malade. Ensuite, les problèmes familiaux. Jamais, il ne nous est venu à l'esprit de séparer une mère de ses enfants ou de casser un couple. Et j'ai même donné par circulaire ou dans des interviews récentes des précisions très précises en ce domaine pour ce qui concerne des parents d'enfants français ou nés en France. Et puis, lorsqu’aucune de ses circonstances n'apparaitra dans l'examen des cas individuels, eh bien, les arrêtés de reconduite à la frontière doivent être appliqués, et seront appliqués.
Voilà, les choses sont maintenant, je crois, grâce à l'avis du Conseil d'État tout à fait clarifiées. Et dans ces conditions, le mouvement qui se développe depuis quelques jours et tout particulièrement, cette douloureuse grève de la faim n’a plus d'objet.
Et au-delà de ses considérations un peu juridiques, je voudrais faire appel au sens des responsabilités de chacune et de chacun d'entre vous. Ce qui est en cause en réalité, c'est la cohésion de notre communauté nationale. Il y a en France, beaucoup d'étrangers qui sont venus chez nous de manière régulière et qui respectent nos lois. Eh bien, je peux vous dire, parce qu'ils nous le font savoir, qu'ils n'approuvent pas du tout les manipulations politiciennes ou l'exploitation médiatique qui est faite de ces événements depuis quelques jours.
De même, les pays étrangers d'où viennent ces personnes sont inquiets parce qu'ils voient bien que cela porte atteinte à leur image et que cela place leurs ressortissants dans des situations qui ne sont pas dignes de la personne humaine. Et au total, on voit là ressurgir ou risquer de ressurgir les vieux démons du racisme et de la xénophobie qui sont agités ici ou là, on le voit bien, par tel ou tel. Voilà ce qui est en cause aujourd'hui et voilà pourquoi il faut appliquer la loi. Si je ne la faisais pas appliquer aujourd'hui, comment pourrais-je la faire appliquer demain vis-à-vis de telle ou telle autre catégorie qui a aussi ses difficultés et ses souffrances.
Je vous le dis et je souhaite que vous y réfléchissiez : l'application de la loi républicaine, c'est le meilleur garant de la solidarité entre les Français et de la cohésion nationale.
France 2 - jeudi 22 août 1996
A. Juppé : Le Conseil d'État confirme exactement les orientations qui ont été données… le meilleur garant de la solidarité entre les Français et de la cohésion nationale.
Cf. TF1 – 20 heures, ci-dessus.