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Le Figaro : Que reprochez-vous à la réglementation européenne sur les aides publiques aux entreprises en difficulté ?
Franck Borotra : Il ne s'agit pas à proprement parler de reproches. Mais le commissaire européen à la concurrence, M. Van Miert, semble considérer que le contrôle des aides publiques de l'Etat ou des régions par la Commission constitue l'élément essentiel de la politique de concurrence. Certes, il faut suivre de très près les aides qui peuvent être accordées au plan public pour ne pas dévoyer les conditions de la concurrence, mais on ne peut pas restreindre la politique de concurrence au seul contrôle des aides publiques. Il est à noter du reste que la France distribue moins d'aides publiques que la moyenne des pays de l'Union européenne.
Premièrement, il faut lutter contre toutes les formes de concurrence déloyale à l'intérieur de l'espace européen ? Je pense en particulier aux dévaluations compétitives, aux contrefaçons, mais aussi à l'utilisation de certaines aides communautaires. Aujourd'hui, parler de concurrence et oublier les conséquences des dévaluations compétitives, c'est parler de l'accessoire au détriment de l'essentiel.
Deuxièmement, il faut mettre en œuvre une politique commerciale européenne moins naïve vis-à-vis de l'extérieur.
Elle doit être fondée sur une réelle réciprocité. Si nécessaire, il faut utiliser les moyens de défense commerciale dont l'Europe dispose quand les intérêts industriels européens sont mis en cause par une concurrence déloyale. C'est le cas de la construction navale ou de l'accès aux marchés d'Asie pour l'industrie automobile européenne.
Troisièmement, il faut davantage prendre en compte les mesures expérimentales d'allègement des charges sociales, d'aménagement du temps de travail, d'embauche des jeunes, d'innovation sociale, pour sauver l'emploi. C'est ce que la France a fait dans le textile et l'habillement. La règle d'abaissement des seuils, décidée par la Commission, va, il est vrai, dans le bon sens.
Mais je crois que dans le domaine de l'emploi, il faut abandonner l'approche trop exclusivement administrative et adopter une démarche économique et de nature sociale.
Enfin, l'aide communautaire aux régions défavorisées doit être déployée en direction de secteurs industriels viables qui ont fait des efforts d'adaptation mais qui rencontrent des difficultés conjoncturelles.
Le Figaro : Autre problème, celui des fusions…
Franck Borotra : M. Van Miert propose une révision du règlement relatif au contrôle des fusions et des concentrations. La France considère avec intérêt ces propositions : il s'agit d'une révision des seuils et d'une répartition des compétences entre la Commission et les gouvernements nationaux. Pour ma part, la nécessité d'abaissement des seuils ne me semble pas prouvée. Nous sommes plutôt partisans d'une solution de recours à titre dérogatoire à la Commission en cas de plurinotification.
En revanche, il y a un point sur lequel je suis en désaccord : c'est la promesse de l'impunité à ceux qui dénonceront les cartels. Mais, là aussi, s'il est important de faire face à ce problème technique, je crois qu'il faut éviter de voir le problème des concentrations de manière trop administrative. D'abord, parce que le champ de la concurrence ne se limite plus à l'espace européen, c'est le marché mondial. Il faut donc aider au plan européen à l'émergence de groupes compétitifs pouvant être présents sur le marché mondial.
Deuxième point, l'Europe doit avoir une stratégie industrielle. Aujourd'hui, elle n'en a pas. Si l'on regarde la concurrence sous un aspect exclusivement européen, je crois qu'on se trompe d'objectif ? Je ne cesserai de me battre pour convaincre nos partenaires, en particulier au plan politique, que l'Europe a des intérêts industriels essentiels à défendre.
Troisièmement, si l'on veut mettre en place une stratégie industrielle au niveau européen, autrement dit défendre les intérêts industriels de l'Europe, chacun, dans son propre espace économique, doit réaliser les restructurations industrielles nécessaires pour sauvegarder l'outil industriel.
Le Figaro : Faites-vous allusion au processus engagé dans le domaine des télécommunications ?
Franck Borotra : C'est en effet ce que la France a entrepris en mettant en œuvre la libération des télécoms, mais aussi en engageant la restructuration de l'industrie aéronautique, celle des industries de l'armement ; en engageant la privatisation de Thomson ; en aidant à l'évolution de notre filière nucléaire ou en aidant l'industrie automobile.
Là, j'insiste bien sur le fait que l'objectif administratif de la concentration ou du contrôle des fusions est bien sûr un objectif justifié. Mais il doit s'inscrire dans une perspective de projet industriel insuffisamment prise en compte.
Le Figaro : Ne pensez-vous pas que les changements envisagés pour La Poste pourraient être sources de remous ?
Franck Borotra : La Commission plaide pour la libéralisation des services publics. Il faut éviter un débat idéologique dans ce domaine. Je constate que la notion de service public a fortement progressé dans l'esprit de nos partenaires européens. La plupart comprennent désormais qu'il n'y a pas un modèle de service public applicable à tout le monde, et donc des approches différentes qui relèvent de la décision exclusive des Etats.
Le marché n'est pas une solution à tous les problèmes, pas plus que le monopole systématique. Par exemple, pour La Poste, si nous sommes d'accord avec la définition retenue pour le service universel, qui épouse la position de la France, nous sommes en désaccord avec la solution proposée pour les services réservés, c'est-à-dire le publipostage et le transfrontalier. Et nous sommes bien décidés à défendre La Poste.