Interviews de M. François d'Aubert, secrétaire d'État chargé de la recherche, à Europe 1 le 23 juillet 1996 et à RTL le 9 août 1996, sur les conclusions d'un rapport sur l'explosion de la fusée Ariane 5, sur les poursuites engagées contre les anciens dirigeants du Crédit Lyonnais et sur l'avenir du Crédit Lyonnais.

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Média : Emission Journal de 19h - Emission L'Invité de RTL - Europe 1 - RTL

Texte intégral

Europe 1 - mardi 23 juillet 1996

C. Charles : Vous avez entendu les conclusions de ce rapport (sur l'explosion d'Ariane 5, ndlr) : un problème d'informatique. Qu'est-ce que vous pensez de ce rapport ?

F. d’Aubert : Ce n'est pas vraiment une surprise. L'hypothèse du problème informatique avait été évoquée quasiment le lendemain, ou même le jour de l'échec d'Ariane. La première observation qu'on peut faire, d'abord, c'est que ce n'est pas l'aspect lanceur qui est en cause. Or, sur le lanceur, s'il y avait des craintes, elles portaient plutôt là-dessus. Elles portaient en particulier sur les boosters, et là, il n'y a rien eu. Donc, c'est plutôt bon signe. Sur le logiciel, ce sont des choses qui peuvent s'arranger. La commission d'enquête présidée par une sommité de la science, le professeur J.-L. Lions, le dit bien : il y a eu des erreurs – c'est vrai – de commises, erreurs collectives qui s'analysent en termes je dirais mécaniques et scientifiques. Mais ce sont des choses qui peuvent être corrigées et qui naturellement ne remettent pas en cause le programme Ariane 5, sa coopération européenne, etc.

C. Charles : Vous parlez d'erreurs collectives. Vous êtes un de ceux qui avaient dit : il faudra désigner un responsable de cet incident. Aujourd'hui, il n y a pas de responsable désigné. Comment vous réagissez ?

F. d’Aubert : Dans le rapport, ou tout au moins dans la conférence de presse qui a été donnée, la chaine des responsabilités est bien évoquée, puisqu'on part de l'entreprise qui a fait le logiciel pour déboucher sur le CNES. C'est effectivement un assemblage de responsabilités. Mais il serait osé de prétendre que c'est l'ingénieur X qui travaille dans la société Y qui est celui qui a fait le logiciel, qui a commis l'erreur, puisque si l'erreur avait pu être évitée, ç'aurait été grâce à des contrôles supplémentaires, à chaque niveau de responsabilité.

C. Charles : Vous ne trouvez pas anormale une erreur pour un système qui est certainement coûteux, et en tout cas sophistiqué ?

F. d’Aubert : Que voulez-vous que je vous dise ? Oui, c'est effectivement plutôt anormal, même assez anormal, mais il faut faire avec et voir vers l'avenir. L'avenir, c'est Ariane 5. C'est une bonne fusée, c'est un bel ensemble. Ariane 5 a un avenir et en particulier un avenir commercial qui est très important. C'est une coopération européenne tout à fait exemplaire. L'espace est un des domaines, je dirais presque un des rares domaines où l'Europe est vraiment leader, où il y a une force européenne. Donc, il ne faut pas laisser perdre cela. Les équipes sont motivées. Je ne crois pas qu'elles aient besoin d'être remotivées, car il y a une véritable passion qui les anime et qui devrait maintenant s'investir encore davantage dans le deuxième Ariane 5.

C. Charles : Vous n'avez pas peur que ce problème informatique inquiète les clients d'Arianespace et leur fasse perdre leur confiance ?

F. d’Aubert : Très franchement, s'il y avait eu des problèmes sur le lanceur, sur les moteurs, il est probable que ç'aurait été beaucoup plus de nature à inquiéter les clients qu'un problème de logiciel qui est en réalité un problème d'intendance. Ce n'est pas un problème négligeable, bien sûr, mais c'est un problème d'intendance. Il y a des équipes qui s'occupent des lanceurs, et puis il y a eu une sorte de sous-traitance des questions informatiques. C'est vrai que dans un programme aussi compliqué, il faut naturellement tout mener de front. C'est peut-être ça la difficulté. C'est plutôt une difficulté de coordination. Tout ça peut être naturellement et très facilement réparé.

C. Charles : Donc, l'avenir commercial d'Arianespace n'est pas remis en cause. A votre avis, il va quand même y avoir des conséquences financières assez lourdes. Il faut réparer l'erreur, le problème, et puis il faut entretenir les équipes pendant ce temps-là, parce qu'on a un retard qui s'est mis en place ?

F. d’Aubert : Il est évident que ça a un certain coût, mais qu'en même temps, ce coût avait été anticipé, parce que dans les hypothèses qui avaient été faites sur le programme, il y avait aussi l'hypothèse de l'échec, ce qui est bien logique. Donc, le programme Ariane 5 n'est pas à court d'argent. Ce programme trouvera naturellement un financement budgétaire, mais aussi un financement, je l'espère, au travers de nos partenaires, dans le cadre de la coopération européenne.

C. Charles : Le prochain tir est retardé. Ça va être pour quand, à votre avis, si vous le savez déjà ?

F. d’Aubert : Je ne peux pas vous le dire. F. Fillon, qui est le ministre chargé de l'Espace, vous l'expliquera. La commission d'enquête et les commentaires qui ont pu être faits autour envisagent un second tir au cours du premier semestre 1997.

 

RTL - vendredi 9 août 1996

R. Arzt : Le Gouvernement a donc décidé d'engager des poursuites judiciaires contre les anciens dirigeants du Crédit Lyonnais pour défaut de contrôle des filiales de la banque. Estimez-vous que cette action judiciaire était inévitable et si oui, pourquoi ?

F. d’Aubert : C'est à l'évidence une bonne chose que le ministère des Finances envisage d'engager des poursuites et ait demandé au Garde des Sceaux de voir ce qui pouvait ressortir du pénal. Pourquoi le faire ? Parce que le Crédit Lyonnais, c'est vrai, est un des plus grands scandales financiers de ces dernières années du deuxième septennat de F. Mitterrand et il est normal que l'opinion publique, les contribuables malheureusement – parce que pour combler le trou, il faut faire appel aux contribuables – sachent exactement quelles sont les responsabilités, et qui est responsable.

R. Arzt : A votre avis, en tant qu'ancien rapporteur de la commission d'enquête parlementaire, qui est responsable de la débâcle du Crédit Lyonnais ?

F. d’Aubert : Dans le rapport de la commission d'enquête dont j'étais le rapporteur, nous avions clairement établi que le principal responsable était l'ancien président du Crédit Lyonnais, Monsieur Haberer, qui était en même temps président de la filiale qui est la plus en cause, qui s'appelle Altus. Il est bien évident aussi qu'il y a eu des défaillances du côté des contrôles, du côté de la commission bancaire, du côté également, à l'époque, de la direction du Trésor – mais défaillance involontaire car ce qui était frappant, c'était la disproportion entre une énorme banque comme le Crédit Lyonnais et les moyens dont disposait la direction du Trésor pour contrôler cette énorme banque. Le contrôleur était trop faible par rapport au contrôlé, ce qui a fait qu'on a l'impression – d'ailleurs justifiée – qu'on aurait peut-être pu, si les choses avaient été mieux faites, arrêter les frais plus tôt.

R. Arzt : Vous ne mettez pas le directeur du Trésor de l'époque, J.-C. Trichet, vraiment en cause ?

F. d’Aubert : J.-C. Trichet s'est exprimé devant la commission d'enquête, il n'y a pas de raison de ne pas le croire. Il a dit qu'il avait fait ce qu'il avait à faire, moi Je m'en tiens à sa version.

R. Arzt : En ce qui concerne J.-Y. Haberer, là vous pensez qu'il est forcément visé ?

F. d’Aubert : Je crois qu'il y a eu d'abord une sorte de mégalomanie d'un président – qui était celui du Crédit Lyonnais – et en même temps un très sérieux défaut de contrôle de ses filiales. Il y a Altus qui est en cause, il y a également la filiale néerlandaise du Crédit Lyonnais qui s'était lancée avec une imprudence extraordinaire dans le financement du cinéma avec des gens extraordinairement douteux, comme ce Parety, qui est quelqu'un qui n'était pas très loin de la mafia italienne. Donc il y avait au moins un défaut de surveillance des filiales. Reste à savoir si le président du Crédit Lyonnais lui-même était au courant de ce qui se passait dans le détail. Moi je pense qu'il était au courant d'un certain nombre de choses, notamment sur la filiale Altus. Mais ça, c'est à la justice de le dire.

R. Arzt : De la part du Gouvernement, que s'agit-il de démontrer ?

F. d’Aubert : Je crois d'abord qu'il ne s'agit pas d'établir ce qui s'est passé, parce que le rapport de la Cour des comptes sur Altus est là pour ça. Ce que nous avons écrit dans la commission d'enquête a établi aussi un certain nombre de choses, mais maintenant il s'agit d'en arriver au pénal, c'est-à-dire de découvrir des qualifications pénales pour les faits qui peuvent être reprochés. Qu'est-ce qu'il y a ? Il y a de la mauvaise gestion ? C'est assez difficile de trouver une qualification pénale pour de la mauvaise gestion. Est-ce qu'il y a escroquerie ? De la corruption ? Il y a beaucoup d'hypothèses qui sont possibles. C'est précisément dans le cadre des poursuites judiciaires que cela pourra être établi.

R. Arzt : Est-ce que le fait qu'il y avait une connotation politique – du moins, on en a eu l'impression – autour du Crédit Lyonnais, c'est-à-dire une certaine bienveillance du pouvoir de gauche de l'époque – ce qui a joué par exemple en faveur de B. Tapie, est-ce que tout cela entre en ligne de compte, à votre avis ?

F. d’Aubert : Il y a un mélange dans les pertes. Il y a des pertes qui proviennent d'opérations que d'autres banques auraient pu faire, il y a des pertes qui viennent aussi du fait que le Crédit Lyonnais est très proche du pouvoir politique et a aidé des gens qui étaient proches du pouvoir socialiste, comme B. Tapie, qui a été une des causes importantes des pertes du Crédit Lyonnais, mais il y a d'autres opérations, par exemple dans le cinéma, où il y avait aussi des connivences politiques. Dans l'affaire Parety par exemple, il y a à l'évidence une connivence politique entre le PS italien, Parety, et un certain nombre de gens qui étaient proches du PS français.

R. Arzt : Donc il peut y avoir soupçon, dans l'opinion, de règlements de comptes politiques ?

F. d’Aubert : Très franchement, je crois que ce qui intéresse l'opinion, c'est de savoir pourquoi le Crédit Lyonnais a perdu autant d'argent Il y a des choses qui ont été établies mais l'information n'a pas été très publique, les médias ne se sont pas beaucoup intéressés à cela. On a cité des chiffres, mais sur les causes, il n'y a pas eu énormément d'explications qui ont été données.

R. Arzt : Comment peut-on envisager l'avenir du Crédit Lyonnais ? L'État devra reprendre à son compte le passif de la banque, ce qui coûtera cher au contribuable.

F. d’Aubert : C'est le ministère des Finances qui s'en occupe. Il y a déjà eu deux plans de sauvetage du Crédit Lyonnais, l'avenir dira s'il en faut un autre. Ce n'est pas à moi de le préciser.

R. Arzt : Y a-t-il des risques de nouvelle déstabilisation du Crédit Lyonnais avec une action judiciaire comme celle-là ?

F. d’Aubert : Le Crédit Lyonnais a déjà porté plainte dans de nombreux cas contre des présidents ou des directeurs de certaines de ses filiales, contre certains de ses agents. Donc, il y a déjà une partie du ménage qui a été fait sous la direction du nouveau président du Crédit Lyonnais, M. Peyrelevade. Mais il est bon que l'État, qui est actionnaire du Crédit Lyonnais, s'implique – et c'est ce qui est fait et qui ne pouvait être fait qu'à partir du moment où l'État avait des éléments précis qui lui ont été fournis, notamment par la Cour des comptes.

R. Arzt : Faut-il aussi que la justice s'intéresse à la mauvaise gestion d'un autre organisme financier, le Crédit Foncier de France, qui était sous la tutelle de l'État ?

F. d’Aubert : On est dans une situation où on a hérité d'un sinistre bancaire global historique, que la France mettra sans doute pas mal de temps à digérer et qui va coûter, hélas, extrêmement cher aux contribuables. Il coûte déjà cher aux contribuables. Alors, l'affaire du Crédit Lyonnais, le fait que l'État envisage d'organiser des poursuites, devrait pouvoir faire jurisprudence, être applicable à d'autres domaines, au cas par cas.