Texte intégral
J.-L. Mano : On va commencer par parler de la polémique sur la « vache folle ». Est-ce qu'en autorisant l'exportation de produits dangereux, le gouvernement britannique n'a pas pris une énorme responsabilité ?
J. Delors : Je pense que l'on peut reprocher au gouvernement britannique trois choses. La première, c'est – comme chacun l'a dit, et conséquence d'un libéralisme sauvage – le relâchement des conditions de production, le relâchement des contrôles, et le résultat, c'est la naissance et la progression de cette maladie. Deuxièmement la politique agricole commune est fondée sur la confiance réciproque. Les décisions sont prises à Bruxelles, mais exécutées par les pays. On est choqué de voir qu'un pays considère comme dangereux pour lui des farines animales, et les exporte. Et enfin, troisièmement : les contrôles sont toujours relâchés en Grande-Bretagne puisque, d'après les derniers chiffres qui m'ont été communiqués, il y a eu 36 000 cas de « vaches folles » nées après juillet 1988, c'est-à-dire après l'interdiction. C'est donc un système qui est en cause.
A. Duhamel : Certains mettent en cause aussi le rôle de la Commission de Bruxelles de l'époque et disent au fond qu'elle a été trop laxiste.
J. Delors : Je crois qu'il faut répondre à cette question. Tout d'abord, la Communauté européenne, à l'époque, était responsable pour tout ce qui concernait les échanges d'animaux, mais elle n'avait pas compétence en ce qui concerne l'échange et l'usage des aliments pour animaux. C'est pour ça que j'ai fait le marché intérieur. Et ce n'est que plus tard qu'une directive a été prise qui a permis cela, en 1992.
A. Duhamel : Autrement dit, on raconte des blagues si on dit que la Commission n’a rien fait ?
J. Delors : Non, elle n'avait pas les moyens de le faire. Mais, comme nous étions responsables pour les échanges d'animaux, nous avons pris des mesures. Et ces mesures, il faut savoir que quand la Commission a une compétence et non pas le Conseil des ministres, elle est flanquée d'un comité de fonctionnaires qui peut, à la majorité simple, lui couper les reins et empêcher cette mesure. C'est ce qui explique qu'il a fallu un an pour prendre les mesures de plus en plus dures d'interdiction d'exportation des animaux vivants dans certaines conditions, et des carcasses auxquelles on avait enlevé les nerfs et les circuits lymphatiques - je donne ces précisions pour que ce soit assez clair. Et je dis qu'à partir de ce moment-là, les cas de « vache folle » ont commencé à régresser.
J.-L. Mano : Est-ce que, selon vos informations, le gouvernement français de l’époque – qui, lui, pouvait protéger et fermer les frontières – a pris ses responsabilités comme il convenait ?
J. Delors : Oui. Je pense qu'il y a eu continuité de la vigilance de tous les gouvernements français, et grande efficacité de notre service vétérinaire. Et d'ailleurs, lorsque nous avons pris les mesures les plus dures pour les Anglais – en juin 1990 –, ce n'est que grâce à l'appui du gouvernement français de M. Rocard, et du gouvernement allemand, parce qu'il y avait des résistances, qu'elles ont pu être adoptées.
J.-L. Mano : Ce n’était pas un peu tard ?
J. Delors : Oui, mais on avait pris les mesures un an avant ! Quand un gouvernement notifie quelque chose, il faut le temps de l'étudier, de consulter. Nous n'avons pas la science infuse. Vous savez, tous les jours, il y a des problèmes qui se posent en France ou dans la Communauté, il faut le temps de les analyser, de consulter les spécialistes.
A. Duhamel : Et aujourd'hui, comment est-ce que vous jugez le comportement du gouvernement français dans cette crise-là ?
J. Delors : Je répète continuité, du sérieux de tous les gouvernements, de notre administration, du contrôle vétérinaire. Pour le reste, le gouvernement français a essayé de tendre une perche aux Anglais qui sont acculés dans leur coin pour leur sauver la face. Les Anglais, vous avez vu comment ils ont répondu ? Et j'ai vu aussi qu'il y avait des critiques contre la Commission actuelle présidée par mon successeur, Monsieur Santer. Je m'inscris en faux contre ça. Monsieur Santer aussi a voulu faire un geste. Et pour la gélatine – prenons un exemple précis – qui est tant critiquée, il a pris l'avis de l'Organisation mondiale de la santé et du comité vétérinaire, et il a assorti la décision concrète de pouvoir exporter des gélatines de conditions qui ne sont pas encore remplies. Et il a même envoyé une mission pour voir si ces conditions étaient remplies.
A. Duhamel : En clair, ça veut dire que la Commission n’a rien à se reprocher ?
J. Delors : Non, rien.
J.-L. Mano : Est-ce que, au-delà des responsabilités de telle ou telle institution ou de tel gouvernement, n'est-ce pas un système, qu'on appelle l'ultra-libéralisme, qui fait qu'en jouant avec la santé, on continue à faire de l'argent ?
J. Delors : Oui, je pense qu'on voit les excès de l'ultra-libéralisme et de la dérégulation un peu partout Et là où on peut le corriger, ça n'est malheureusement pas le cas pour la mondialisation des marchés des capitaux, il faut ramener à une juste régulation.
A. Duhamel : Comment on sort de cette crise ? A quelle condition ?
J. Delors : Je pense qu'il y a tout d'abord un malaise britannique profond. Dans la même semaine, un ministre nous a affolé et un autre nous a rassuré. Je pense que l'Angleterre vit toujours sur sa nostalgie, elle se braque. Le gouvernement est entre les mains des eurosceptiques. Je ne vois pas actuellement comment on pourrait s'en sortir sans que le Premier ministre britannique fasse un pas dans la direction des autres et arrête de considérer l'affaire de la « vache folle » comme sa guerre des Malouines. On n'en sortira pas dans ces conditions.
J.-L. Mano : Est-ce que cette mise en accusation de la Grande-Bretagne ne va pas compliquer un peu le Jeu de l'évolution des institutions européennes et de l'avancée de l'Europe ?
J. Delors : De toute manière, comme se préparait la conférence intergouvernementale, les désaccords sont tellement grands entre la Grande-Bretagne et ses partenaires, et parfois entre les partenaires eux-mêmes, que l'on ne pourra pas déboucher sans une heure de vérité. Et l'heure de vérité, c'est pourquoi vivons-nous ensemble, pourquoi voulons-nous agir ensemble, rappeler les finalités de la construction européenne, ce que nous voulons faire ensemble, là où nous voulons partager notre souveraineté. Cette question se poserait un jour ou l'autre. Il est malheureux que ce soit à propos d'un incident que la Grande-Bretagne durcisse le ton car elle l'aurait fait de toute manière au moment des grands choix pour réformer le Traité.
A. Duhamel : Depuis qu’il est Président, J. Chirac insiste beaucoup sur sa volonté d'introduire une dimension dans la construction européenne. Est-ce possible ?
J. Delors : Tout d'abord, on ne l'a pas attendu, qu'il s'agisse de l'égalité des droits entre l'homme et la femme, de la solidarité envers les régions les moins développées – 46 % du territoire français, bien que la France soit riche, est couvert par ça –, qu'il s'agisse du dialogue social, des conditions de travail, on a déjà pris des mesures. Je voulais rappeler cela en passant parce qu'on parle toujours comme si on travaillait à partir de rien. J'appuie son intention de défendre le modèle social européen. Et de ce point de vue, je regarde avec beaucoup d'attention ce qui se passe en Allemagne. Car un élément du modèle social européen, c'est le modèle social allemand.
Passage antenne de J. Chirac : Globale, la réforme de notre politique de défense revêt une deuxième dimension qui est tout aussi importante. Elle s'inscrit dans une grande ambition européenne. La dimension européenne s'impose d'abord pour nos forces classiques qui doivent être en mesure d'intervenir chaque fois que nécessaire dans un cadre européen et interallié.
J.-L. Mano : D'accord ou pas d'accord ?
J. Delors : J'approuve la démarche parce que nous devons avoir un pilier européen de la défense. Nous avons trop souffert de cette lacune au moment des graves événements de Yougoslavie. Et actuellement, des discussions sérieuses ont lieu, mais il faut que les Américains comprennent aussi que nous devons être en mesure d'utiliser les infrastructures de l'Alliance atlantique même si eux n'interviennent pas après une décision politique, mais sans que nous soyons contrôlés, sons la responsabilité d'un général européen. Les discussions ont lieu, mais pourquoi ne pas le dire ? J'approuve cette démarche car elle renforcera l'Europe et lui permettra de faire face à ses responsabilités.
A. Duhamel : Et la professionnalisation de l’armée française, vous l’approuvez ?
J. Delors : Je l'approuve aussi pour des raisons qui sont évidentes mais en revanche, je m'interroge encore en tant que citoyen. Ce n'est pas tactique de ma part. Dans le fond, il y a deux creusets de la République, l'école et l'armée. J'aimerais pouvoir discuter avec beaucoup de spécialistes pour savoir si on ne peut pas faire de ce rendez-vous citoyen un moment un peu plus long qui permette aux jeunes de différentes couches sociales de se rencontrer. Car, mon expérience en tant que responsable de l'Éducation permanente m'a montré que c'était au moment du service militaire que beaucoup de jeunes découvraient les réalités de la vie sociale et de la vie professionnelle. Cela rejoint le problème de l'éducation. C'est pour ça que je m'interroge sur ce rendez-vous citoyen assez long pour qu'il soit un creuset de la République et pour permettre aux jeunes d'en tirer un profit pour leur connaissance du monde et d'eux-mêmes.
J.-L. Mano : Est-ce que vous vous dites que le président de la République est un vrai réformateur, voire même un réformiste ?
J. Delors : Il était un peu révolutionnaire pendant sa campagne électorale, lorsqu'il luttait contre la pensée unique. Depuis, il y a des endroits où il réforme, la Sécurité sociale, l'armée ; il y en a d'autre où c'est plus difficile, où il ne le fera peut-être pas. Mais on ne peut pas dire oui ou non. On est obligé d'avoir un jugement nuancé, pas simplement par courtoisie mais par honnêteté intellectuelle.
A. Duhamel : Il y avait aujourd'hui un Sommet à Matignon. Sur la politique de l'emploi pour les jeunes, trouvez-vous que le Gouvernement fait ce qu'il faut ? Ou pas ?
J. Delors : Non, je pense qu'en instituant le CIE en faveur des chômeurs de longue durée, il a défavorisé les jeunes. Maintenant il le leur ouvre mais nous n'en sommes qu'au début. De toute manière, tout cela est trop compliqué. Comme l'ont dit d'autres personnes avant moi, il faut un système d'aide à l'emploi plus clair, plus simple et garanti aux entreprises et aux travailleurs pour plusieurs années.
J.-L. Mano : Globalement, vous pensez que l'évolution de l'emploi dans les six mois à venir va être comment ?
J. Delors : Il va être stationnaire. L'économie française subit actuellement le poids de prélèvements fiscaux qui, depuis trois ans, ont atteint près de 3 % de la richesse nationale. Même si cela a été redistribué d'une autre manière, ça a moins d'efficacité qu'une augmentation de la consommation des ménages. Or, notre économie souffre parce que la demande interne est insuffisante. La demande interne est insuffisante parce qu'il y a eu trop d'impôts et parce que les gens ont l'angoisse de l'avenir. Et donc, c'est une sorte de cercle vicieux. Le chômage fait que les gens attendent et épargnent. Donc, ils accroissent les risques d'augmentation du chômage. Il y aura une petite embellie avant la fin de l'année dans l'économie, mais pas suffisante pour entraîner un mouvement de grande décélération du chômage d'ici la fin de cette année.
Passage antenne de M. Blondel : Il est clair qu'en ce moment on, est en train de détruire la Sécurité sociale. Il est clair qu'après un simili de nationalisation, on va dire : compte tenu des raisons économiques, maintenant, la Sécurité sociale doit être livrée, au moins pour une partie, au secteur privé, aux compagnies d'assurance.
J. Delors : Faux. J'ai émis des réserves sur cette réforme mais maintenant qu'elle a été décidée au Parlement, il faut souhaiter qu'elle puisse s'appliquer dans de bonnes conditions, sans étatisation et avec une pleine participation des responsables, des organisations syndicales patronales et surtout notre admirable personnel de santé dont on ne louera jamais assez les qualités et le dévouement.
J.-L. Mano : Est-ce que vous trouvez que le fait que la CFDT prenne plus d'influence est une bonne chose ?
J. Delors : Je fais deux constatations. La première je déplore un épisode supplémentaire de la division syndicale dans un pays où le mouvement syndical est déjà faible. Et, deuxièmement, je constate que la CFDT est logique avec elle-même : elle a soutenu les grandes orientations de cette réforme, elle veut prendre ses responsabilités en la gérant. Après tout, c'est du courage.
A. Duhamel : Mardi prochain, on va annoncer les principes et les modalités de la réforme de l'université. On sait que le point clef est ce qui touche au premier cycle. En ce qui concerne cette réforme, vous avez une ou deux idées auxquelles vous tenez ?
J. Delors : D'abord une constatation : avant de poser des problèmes pour les enfants entre 14 et 18 ans, maintenant c'est entre 18 et 20 ans. Donc tout ce qu'on a fait depuis des années, c'est le chasse-neige, quoi ! Je considère que le plus important, c'est l'enseignement secondaire. Mais puisque premier cycle il y a, je ne peux pas le séparer d'une conception générale de l'université. L'université doit avoir quatre tâches selon moi la première est de former au plus haut échelon de la spécialisation, de la recherche et de l'enseignement La seconde est de créer des filières, qui d'ailleurs se font, et font concurrence à notre célèbre secteur d'écoles particulières telles que l'ENA, Sciences-po et les écoles de commerce, Polytechnique, etc. Donc il se crée de plus en plus de ces filières. La troisième est de faire de la recherche, et la quatrième est d'ouvrir l'université tout au long de la vie à tous les gens qui veulent retourner apprendre pour mieux travailler ou pour se cultiver. Voilà les quatre fonctions de l'université. Alors prendre le problème de la mauvaise orientation et du déchet terrible du premier cycle sans considérer le secondaire, c'est une mauvaise idée. A mon sens, on doit offrir aux enfants entre 14 et 18 ans des parcours diversifiés avec des possibilités d'alternance entre les études et le travail, pour qu'enfin les jeunes se confrontent avec les réalités sociales et professionnelles. C'est le meilleur moyen de les orienter. Ils s'orienteront eux-mêmes.
J.-L. Mano : Autre sujet de réforme engagée : la réforme de, la fiscalité. Peut-on baisser les impôts et, si oui, lesquels ?
J. Delors : On peut baisser les impôts après les avoir augmenté d'abord. Je vous ai dit 200 milliards en trois ans, 120 milliards en un an. On peut les baisser mais on ne pourra pas les baisser de beaucoup pour une raison simple : en raison du faible taux de croissance actuel de l'économie française, les recettes ne sont pas assez importantes et dans le budget de l'État et dans la Sécurité sociale. Ensuite, si je devais aujourd'hui désigner un impôt qui devait être baissé compte tenu de la situation économique, compte tenu de ce qui est le pouvoir d'achat, je désignerais la TVA.
A. Duhamel : Il y a en ce moment une offensive du Parti socialiste contre le Gouvernement. Il y a une motion de censure qui vient d'être déposée qui ne sera pas votée puisqu'ils sont ultra minoritaires, alors à quoi cela sert ?
J. Delors : La droite l'a fait quand elle était dans l'opposition, le Parti socialiste s'oppose et propose. C'est son rôle et d'ailleurs même des commentateurs qui ne sont pas de gauche se réjouissent de revoir le débat revenir, comme disait F. Mitterrand, « fracassant ».
A. Duhamel : A propos de déclaration fracassante, on va écouter ce que dit L. Jospin de la gestion de la mairie de Paris.
Passage antenne de L. Jospin : Corruption généralisée, ristourne dans les marchés publics, caisses noires pour partis politiques, prébendes pour les élus ou leur famille, passe-droits : c'est l'ensemble d'un système qui est en cause ! Qui était le maire de Paris pendant toute cette période ? Qui était le premier adjoint aux finances ? Qui était le maire délégué au XIIIe arrondissement, secrétaire général du RPR ? C'est l'ensemble d'un système qui est en cause, qui doit être connu de l'opinion, qui doit être décortiqué par la justice et sanctionné.
J.-L. Mano : Est-ce qu'après que la gauche est été mise en accusation, c'est pas le tour de la droite ? N’est-ce pas un jeu, un partout, la balle au centre ?
J. Delors : Non, on réclame que la justice fasse son travail et que l'Organisation même de la justice en France ne fasse pas que le garde des Sceaux s'oppose à la poursuite des enquêtes.
J.-L. Mano : « Corruption généralisée », cela ne vous parait pas un peu ...
J. Delors : Si vous aviez passé une image d'il y a quatre ans de la droite, vous auriez vu les mêmes excès. Vous savez que ce n'est pas mon style.
Passage antenne de J. Dray : Notre volonté est de montrer que dans la conduite des affaires économiques de ce pays, il y avait une nécessité pour l'État de reprendre en main un certain nombre de choses et de disposer, notamment au travers de l'autorisation administrative de licenciement, d'un instrument pour peser sur ce qui est devenu à la mode, à savoir que l'on gagne de l'argent et que l'on continue à licencier.
J. Delors : J'explique la décision et j'indique ma préférence. J'explique la décision : il y a un ras-le-bol, franchement. On nous avait dit que si on supprimait l'autorisation de licenciement, on aurait 400 000 emplois en plus. Deuxièmement, la main d'œuvre est devenue la seule main d'œuvre d'ajustement. On se réjouit même ! On cote les chefs d'entreprise selon le dégraissage – le vilain mot – que l'on a fait. D'ailleurs, il y a un retour de bâton, y compris aux États-Unis. Il y a des entreprises qui licencient et qui six mois après bénéficient des aides de l'État pour recruter des jeunes. Donc, cela exprime un ras-le-bol mais en ce qui me concerne, ma préférence aurait été pour une mesure qui favorise la négociation dans le renforcement de ce qui avait été fait par J.-P. Soisson et M. Aubry, c'est-à-dire obliger les chefs d'entreprise à discuter avec les représentants du personnel, des syndicats, du plan de reconversion, du plan de reclassement, de l'utilité de ces licenciements.
A. Duhamel : Sans autorisation administrative ?
J. Delors : Je préférerai une solution négociée pour une autre raison c'est que le syndicalisme en France est divisé et faible – on en a parlé – et que je parie toujours sur le renforcement du syndicalisme. Et le syndicalisme a besoin de l'État en France pour se renforcer.
J.-L. Mano : Le Parti socialiste, qui en ce moment réfléchit beaucoup, a réfléchi sur les institutions et en gros, il souhaite plus d'influence, de pouvoir du Parlement et moins pour le président de la République. Est-ce que c'est quelque chose qui vous convient ?
J. Delors : Oui, je suis d'accord. On a eu un exemple récent. Quand même, on aurait aimé que l'on parle de la réforme du service militaire en France avant de discuter de la loi-programme. C'est une affaire pour le Parlement ! Je crois que la « réélévation » du Parlement en France, avec la tendance dans tous les pays à la personnalisation du pouvoir, est absolument salutaire pour l'équilibre de nos institutions, pour la démocratie participative, pour la pédagogie vis-à-vis des citoyens, pour l'intérêt que ces citoyens porteront aux affaires publiques.
A. Duhamel : Le Parti socialiste a reconstitué une fraction de ses forces, donc on ne peut pas exclure qu'il l'emporte dans maintenant à peine plus d'un an et demi. S'il y avait une cohabitation, est-ce que J. Delors jouerait un rôle, par exemple à l'intérieur d'un gouvernement de gauche ? Est-ce que l'on vous verrait avec un grand ministère social ou avec un grand ministère européen ? Vous reprendriez du service ?
J. Delors : Depuis 51 ans que je travaille, je n'ai jamais rien demande.
A. Duhamel : Mais vous avez souvent refusé.
J. Delors : Oui.
A. Duhamel : Est-ce que vous reprendriez du service ?
J. Delors : Si c'est nécessaire, pourquoi pas.
J.-L. Mano : Pour conclure, on va vous demander votre pronostic, pour l’Euro 1996.
J. Delors : Je pense que les Français sont moins brillants qu'avant, mais plus sérieux, plus durs, plus sur le coup. Ce but (contre la Roumanie, ndlr) n'aurait jamais été marqué s'il n'y avait pas eu harcèlement constant de nos joueurs sur l'adversaire en toutes circonstances. Je pense c’est une équipe qui a mûri et qui est mieux faite pour aller au sommet que ne le ferait la précédente. Je ne parle pas, bien entendu, de celle qui a gagné le championnat d'Europe en 1982 (1984, ndlr), avec Platini, elle était déjà brillante. Il me semble que cet effectif est très solide. Au lieu de se faire plaisir, les joueurs s'attellent à une tâche parfois difficile, qui demande une grande condition physique, et aussi une certaine virtuosité dans la confection du jeu.