Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur l'épargne retraite, les fonds de pension et les plans d'épargne d'entreprise, Paris le 3 avril 1996.

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Circonstance : Forum de la prévoyance d'entreprise à Paris le 3 avril 1996

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A des degrés divers, tous les pays développés ont connu une dérive du coût de leur protection sociale. Une évolution défavorable du rapport des actifs aux inactifs, la difficile maîtrise des dépenses de santé expliquent les inquiétudes que l'on peut percevoir à travers des expressions telles que le conflit des générations parfois reprises par la presse.

Ces motifs de préoccupation sont compréhensibles. C'est pourquoi il nous appartient d'interrompre la croissance des prélèvements obligatoires pour rassurer les Français sur l'évolution de leur salaire net et leur permettre d'épargner selon leurs souhaits.

Dans cette perspective, le gouvernement a engagé un certain nombre de réformes dont nos concitoyens ont bien compris qu'elles marquaient une inflexion significative. Le déficit budgétaire est en voie de réduction et la maîtrise des dépenses sociales est engagée. Aujourd'hui la politique de l'épargne ne peut plus se limiter à déplacer des flux d'épargne par telle ou telle mesure. Il s'agit au contraire de libérer le développement de celle-ci, en particulier dans sa composante la plus longue. La politique que nous mettons en œuvre suppose des efforts. Mais chacun comprend maintenant que la solidarité entre les générations commande de ne plus mettre à la charge des actifs de demain le coût de réformes trop longtemps différées.

L'acceptation de ces réformes et l'adhésion de partenaires particulièrement impliqués dans le dialogue social me convainquent que nous pouvons être raisonnablement optimistes.

Aujourd'hui on est bien loin d'être vieux à 60 ans. A cet âge, un homme a encore devant lui près de vingt ans de vie et nos compagnes sont encore mieux loties. N'est-il pas paradoxal que nous en soyons presque parfois à ressentir avec crainte ce progrès ? Mais comment nos concitoyens n'auraient-ils pas conçu une inquiétude croissante vis-à-vis de régimes de retraite dont les perspectives continuaient d'être définies comme si rien n'avait changé.

Ce qui est en cause est bien notre capacité à nous adapter à une nouvelle donne démographique. C'est tout l'enjeu mais aussi toute la difficulté des mesures prises au cours de ces dernières années.

L'un des grands succès de la société française est d'avoir su améliorer très sensiblement le statut des personnes âgées. Être à la retraite n'est donc plus synonyme d'impécuniosité ou de précarité, voire d'exclusion. Alors face au défi démographique dont nous connaissons les données au moins pour les 20 années à venir, comment faire pour éviter une remise en cause de cette réussite ? Comment permettre aux actifs d'aujourd'hui et de demain de disposer eux aussi d'une retraite qui leur garantisse un taux de remplacement par rapport à leur dernier revenu d'activité correct.

Ce défi sur les retraites se double d'un challenge au moins aussi difficile à relever dans le domaine de la santé. La médecine permet de vivre à des âges avancés en bonne santé et la technologie offre par ailleurs des perspectives pratiquement illimitées pour lutter contre la maladie ou surmonter des handicaps considérés, il y a encore quelques années, avec fatalité. Mais il est clair que nous ne pouvons continuer à accroître la part de notre richesse consacrée à la santé sans nous interroger sur l'efficacité de cette dépense.

Par ailleurs, toute progression des cotisations sociales contribue à alourdir les prélèvements obligatoires et pèse sur l'évolution des salaires directs. Pour les qualifications les moins élevées, le salaire majoré des charges sociales finit par mettre la barre d'accès au marché du travail à un niveau qui peut en écarter les moins qualifiés et les plus fragiles. Cette analyse justifie la politique d'allégement des charges mise en œuvre à travers la remise de cotisations.

Le gouvernement a donc engagé des réformes qui doivent permettre un développement de l'épargne.

Ramener l'évolution de la dépense sociale à un niveau compatible avec la croissance économique est une des priorités pour les prochaines années. Le niveau de nos prélèvements publics doit être stabilisé pour éviter l'effet d'éviction qu'ils peuvent entraîner sur les dépenses privées.

C'est dans ce cadre que doit être resituée la réflexion sur les fonds d'épargne retraite. Actuellement la capitalisation n'apporte qu'une contribution tout à fait marginale à la retraite des Français. Dans notre pays, pour des raisons historiques, deux étages de retraite obligatoires gérés en répartition se superposent. Comme le salaire moyen en France est sensiblement inférieur au salaire plafond de la sécurité sociale pour pratiquement 3 salariés sur 4, la pension servie par le régime général représente de l'ordre des 3/ 4 de leur retraite.

C'est conscient de ce fait que le gouvernement a été conduit à adopter les mesures courageuses de l'été 1993. Les Français ont compris qu'il n'est plus possible de continuer à cotiser trente-sept ans et demi alors que l'espérance de vie enregistre des progrès continus de l'ordre d'un trimestre par an. Outre l'allongement de la durée de cotisation pour obtenir une pension à taux plein, il a été décidé de prendre en considération les 25 meilleures années pour mieux tenir compte de l'effort contributif des assurés.

Dans le cadre du plan de redressement de notre protection sociale massivement approuvé par le Parlement en Novembre dernier, les comptes de la branche vieillesse ont été clarifiés. Le Fonds de Solidarité Vieillesse a été rendu à sa vocation d'origine. Aujourd'hui la branche est pratiquement équilibrée.

Pour permettre aux Français qui le souhaitent de compenser la baisse du taux de rendement qui va résulter d'un rapport démographique moins favorable, je reste convaincu qu'il nous faut développer une épargne retraite. Vous le savez, il s'agit d'un sujet auquel je me suis beaucoup intéressé et qui m'a conduit au cours de ces dernières années à rencontrer les différentes parties intéressées. A cette occasion, j'ai constaté que nous avons progressé. Le temps de la guerre idéologique entre répartition et capitalisation me semble heureusement révolu. Avec leurs formules mathématiques compliquées, les actuaires démontrent ce que l'intuition suggère : la retraite est toujours un prélèvement sur le revenu national du moment. Quelle que soit la technique utilisée pour gérer les engagements retraite, cette réalité s'impose. S'il en était besoin, la réduction du taux de conversion d'un capital en rente qui a suivi : l'adoption de nouvelles tables de mortalité dites prospectives, le confirme.

Nous avons perdu beaucoup de temps en cherchant à inventer un nouveau dispositif, un nouveau cadre. Comme souvent notre goût pour les constructions bien à la française nous a fait oublier l'essentiel, à savoir qu'il existe déjà un cadre juridique fiscal et social favorable au développement des contrats de retraite collectifs retraite. Vous le savez le code des assurances a été modifié par la loi du 16 juillet 1992 et maintenant les contrats d'assurance de groupe retraite sont bien définis. Ils peuvent être mis en place dans le cadre de l'article 83 du code général des impôts et bénéficier de l'exonération de cotisations sociales de droit commun. Le principe de la transférabilité de l'épargne acquise a été confirmé. Pour autant, on doit constater un recours limité des entreprises à ce dispositif. C'est pourquoi, il nous faut réfléchir au développement d'une épargne retraite.

En offrant un support à l'effort d'épargne en vue de la retraite des Français qui pour l'instant n'ont d'autre vecteur que l'assurance vie, l'épargne retraite va susciter le développement des investissements en actions qui présentent le double mérite de contribuer au renforcement des fonds propres des entreprises et d'accélérer le développement de la place de Paris.

Avec une collecte de l'ordre de 400 milliards de francs l'année dernière, l'assurance vie est devenue le placement favori des Français. Dans un contexte financier particulier, il est vrai que l'assurance vie cumule depuis déjà plusieurs années des avantages normalement difficiles à réunir : la sécurité, le rendement et la liquidité. Cette dernière caractéristique conjuguée aux engagements de taux explique que les compagnies d'assurance ne puissent investir significativement en actions.

Dans ces conditions quelles caractéristiques devraient présenter un produit d'épargne retraite ? Il me semble tout d'abord, parce que c'est l'objectif premier poursuivi, qu'il doit permettre la constitution d'un revenu viager. Des cas de sortie en capital doivent sans doute être prévus, mais selon moi en nombre limité. En effet, vous le savez bien, c'est la nature des engagements qu'il inscrit à son passif qui conditionne les choix d'investissement de celui qui est chargé de gérer ces engagements. L'effet d'allongement de la durée des passifs serait perdu si les cas de sortie étaient multipliés.

Il me semble aussi qu'il faut partir de ce qui marche et de ce qui ne risque pas d'être en concurrence avec d'autres produits aux caractéristiques particulièrement favorables. Inscrits dans une tradition qui remonte au Général de Gaulle, la participation, l'intéressement et le plan d'épargne d'entreprise ont rencontré un grand succès dont témoignent les quelques 200 MdF qu'ils ont permis de collecter. Nous le savons l'aliénation du capital est très dissuasif et pousse les ménages à souscrire à des produits rachetables. Le succès limité rencontré par les produits vendus dans le cadre de la loi Initiative et Entreprise individuelle le confirme.

Ceux qui ont épargné dans le cadre de leur plan d'épargne d'entreprise ont accepté la logique d'un produit qui ne se trouve pas en concurrence avec les produits d'épargne liquides. L'enjeu est donc de les convaincre lorsque leur épargne devient disponible de la placer dans un compartiment long terme ménagé dans un cadre du PEE. Les entreprises y trouveraient un nouvel élément de dialogue social et pour une partie des sommes collectées, une source de financement privilégiée. Il ne serait pas anormal en effet que l'abondement qu'elles seraient amenées à consentir puisse être investi en titres de l'entreprise. J'ai transmis au Premier ministre un projet élaboré sur ces bases. Il reprend en grande partie les suggestions formulées par le Conseil supérieur de la participation.

La politique menée par le gouvernement est cohérente. Notre objectif est bien de réduire nos déficits publics, non pas seulement pour satisfaire à des critères abstraits, mais tout simplement parce que l'État et plus généralement les administrations publiques ne peuvent durablement accroître leur endettement en laissant aux actifs de demain le soin de rembourser. Il faut libérer l'épargne privée pour que ceux qui souhaitent entreprendre puissent mobiliser les financements nécessaires à leur projet. C'est dans cette perspective que l'épargne retraite trouvera sa place. Faisons preuve de pragmatisme, partons de ce qui a fait ses preuves. Le plan d'épargne d'entreprise à long terme, j'en suis convaincu, peut contribuer au développement de l'épargne retraite, au renforcement des fonds propres des entreprises et à l'animation de la place de Paris.