Texte intégral
Date : 2 septembre 1996
Discours de Monsieur Hervé Gaymard
Monsieur le président, Mesdames, Messieurs,
Les événements remarquables ont souvent une double facette : ils marquent le court terme par leur force et leur nouveauté, et, à la lumière du temps long dans lequel se forgent les véritables évolutions, ils prennent une signification différente et une autre dimension.
Je crois qu’à ce titre, comme l’a montré Jacques Barrot, l’événement qui nous réunit aujourd’hui est un événement remarquable.
Dans le court terme en effet, la première réunion de la Conférence nationale de santé correspond à un temps fort de la profonde réforme de la protection sociale engagée par le Gouvernement. Elle va permettre d’éclairer la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale – les moyens – par une analyse de nos objectifs sanitaires – les fins –.
Notre système de santé est confronté à une épreuve majeure. La croissance des dépenses de santé est plus rapide que celle des possibilités contributives des Français. Il n’y a pas d’hésitation possible : la réduction massive des taux de remboursement serait gravement préjudiciable à l’accès aux soins de ceux qui n’ont pas de couverture complémentaire ; un retour à l’équilibre financier est donc indispensable pour préserver un système de santé ouvert à tous, et ce retour ne sera possible que par le développement de l’esprit de responsabilité et d’une meilleure évaluation des dépenses.
Mais la réforme de l’assurance maladie ne peut pas se résumer au maintien des grands équilibres financiers. Elle doit également être l’occasion de mettre en œuvre une grande politique de santé. La création de la Conférence nationale de santé marque précisément cette volonté de mettre au cœur de la réforme la politique de santé, et ce avec tous les acteurs concernés.
Je tiens d’ailleurs à remercier le Dr Jacques Monnot pour la mission remarquable qu’il a menée en vue de la constitution de cette instance.
Avec Jacques Barrot, nous voulons pouvoir mettre en œuvre parallèlement, sous l’impulsion du Premier ministre et la réforme de la protection sociale, et une vraie politique de santé.
Pour le long terme, la tenue de cette conférence constitue une avancée considérable. Conformément à l’engagement qu’avait pris devant les électeurs le Président de la République, cette conférence réunit en effet pour la première fois des représentants de tous les acteurs de santé. Vous allez pouvoir, vous qui êtes en contact avec les patients, avec les maladies, avec les problèmes sanitaires de notre pays, réfléchir ensemble, avec les personnes qualifiées qui ont bien voulu participer à cette conférence ainsi que les représentants des 26 conférences régionales de la santé, aux orientations sanitaires de notre pays.
Je tiens à saluer tous ceux qui sont ici aujourd’hui et qui ont accepté de constituer cette première conférence nationale de santé.
L’événement d’aujourd’hui nous renvoie à d’autres avancées majeures du passé. Je songe, par exemple, après une première étape importante en 1920 sous Raymond Poincaré, à la dénomination en 1930 sous le Gouvernement Tardieu, du Premier ministère nommé « de la santé publique » confié à M. Désiré Ferry. Ce ministère, qualifié par la loi de finances de 1930 « d’organisation rationnelle », rassemblait pour la première fois les moyens financiers et les compétences pour combattre ce qu’on nommait alors les fléaux sociaux.
L’idée fit son chemin. Elle revint en 1956 avec Albert Gazier, en 1960 avec Michel Debré, avec Robert Boulin en 1970, avec Simone Veil en 1975, Jacques Barrot en 1979, et plusieurs fois depuis. L’existence du « ministère de la santé » ne fait plus heureusement débat dans notre pays.
L’action de ce ministère est multiforme et il est souvent conduit, sous les feux de l’actualité, à réagir rapidement aux situations d’urgence et à trouver des solutions aux drames humains qu’elles recouvrent : depuis mon arrivée Avenue de Ségur, il y a dix mois, les sujets n’ont pas manqué, de la mise en place rapide des anti-protéases pour lutter contre le sida à la crise de la vache folle, des décisions prises avec J. Barrot sur l’amiante à la poursuite de la réforme de la transfusion sanguine, de la mise en œuvre du plan arrêté par le Premier ministre contre la drogue et la toxicomanie à la création du dispositif de matériovigilance. L’exemple de la mise à disposition des anti-protéases, montre bien qu’avec une forte mobilisation et une étroite coordination, on peut relever un défi que d’aucuns jugeaient insurmontable. Ce qui a été fait dans ce domaine majeur de la prise en charge du sida doit l’être également pour les autres pathologies dont souffrent les Français. Il est donc possible de faire efficacement face à l’urgence.
Mais j’arrêterai là cette énumération, car aujourd’hui, au-delà de l’actualité, je crois l’occasion et le moment venus de remettre en perspective notre action.
« Il n’y a pas de politique de santé publique en France ». Combien de fois ai-je entendu cette phrase depuis ma nomination à l’avenue de Ségur ! Je l’ai entendue de la part de professionnels de santé, d’anciens ministres qui m’y ont précédé, de nombreux experts.
La politique de santé publique serait-elle un concept introuvable ? On peut se le demander parfois, en relevant le caractère incantatoire de cette affirmation. Chacun sent bien pourtant le contenu de cette politique.
Nul ne songerait à nier, par exemple, que des objectifs s’imposent avec évidence : la réduction de la mortalité évitable, l’amélioration de la qualité de vie des personnes handicapées ou malades, ou la réduction des inégalités face à la santé.
Nul ne songerait non plus à nier, au niveau des résultats, les réussites incontestables, par exemple en matière de protection maternelle et infantile ou de réduction de la mort subite du nourrisson.
On ne peut donc guère plaider l’absence par construction d’une politique de santé. Au fond, il y a, je crois, trois analyses.
La première est celle que faisait Robert Boulin en 1970 quand il disait : « La politique de santé, c’est ce que je fais. C’est l’action du ministre de la santé qui s’exprime par toute une politique de prévention, par la loi hospitalière, par son action importante sur un certain nombre de mutations. Je ne crois pas qu’on puisse enfermer cela dans un texte, sinon par des phrases toujours générales et floues ». Dans cette conception, la santé publique est la capacité à répondre aux problèmes qui se posent de façon pragmatique, sans qu’une formalisation soit possible, à la différence d’une politique étrangère ou d’une politique monétaire.
La deuxième analyse est celle du docteur Lafay. Il déclarait en 1951 qu’il n’y avait pas de politique de la santé, car il y a deux ministères de la santé, l’officiel, et celui de la Sécurité sociale.
C’est l’idée que la santé publique ne peut se penser a priori, sans considération de son coût, et qu’elle est directement fonction des ressources disponibles. Le secrétaire d’État à la santé et à la sécurité sociale ne peut que voir l’intérêt d’un rapprochement des structures administratives et des préoccupations politiques, mais il s’agit d’une vision assez étroite de la politique de santé. Il faut tout de même voir clairement les objectifs sanitaires avant de définir les moyens.
La troisième analyse consiste à dire que la distinction entre politique de santé et politique de santé publique n’est guère pertinente.
Je crois pour ma part que la santé est un bien à la fois profondément collectif et profondément individuel. Il ne sert à rien de s’enfermer dans une conception réductrice de la santé publique, qui renverrait à une notion étroite d’hygiène publique. La santé, c’est ce à quoi chacun tient le plus et cela dépend à la fois des comportements individuels et des réalités et des solidarités collectives.
La santé devient ainsi de plus en plus un des sujets majeurs qui arrime l’individu à la collectivité. D’autant que s’y greffent de plus en plus fréquemment des enjeux sociaux ou éthiques essentiels à la cohésion de notre communauté nationale. C’est pourquoi, il est indispensable de bâtir, de structurer une véritable politique de santé pour notre temps.
J’insisterai pour ma part sur trois aspects, la méthode, les institutions et bien sûr le contenu de cette politique.
I. La Méthode
Pour les Français, le droit à la santé est aujourd’hui dans tous les esprits. Nous ne pouvons nous en abstraire. Non seulement nos compatriotes exigent que les moyens disponibles soient mis en œuvre, mais ils veulent également des résultats : la qualité de la médecine française et les progrès considérables des dernières décennies font que l’art médical est devenu un miracle renouvelé et que pour nos compatriotes, soigner veut maintenant dire guérir.
Le deuxième point est à l’évidence que, malgré ces attentes, la santé n’est pas une affaire exclusive de l’État. Et l’intérêt général seul ne peut y être l’unique objectif.
En effet, la santé, le maintien de ce qu’on appelle le « capital-santé », est sans doute une notion qui renvoie à la collectivité, mais aussi une notion qui dépend de l’individu lui-même, et de son comportement.
Une politique de santé doit chercher à infléchir les comportements individuels, mais elle ne le peut que dans les limites de la liberté individuelle.
Voilà les termes qui, à mon sens, guident le débat : une demande croissante des individus à l’État, dans un domaine où pourtant l’État n’est pas seul maître, précisément parce que l’individu y demeure responsable, face à une offre de soins qui s’est accrue et continuera à s’accroître.
Il nous appartient qu’une politique oriente ce système de santé en sachant concilier la pertinence des choix collectifs et le respect des choix individuels.
Cela suppose, et c’est le responsable politique qui parle, qu’on s’interroge effectivement sur beaucoup de choix implicites qui sont faits, comme celui de la non-politique de prévention ; cela suppose aussi que l’on s’interroge effectivement sur beaucoup de choix qui sont dictés par l’émotion et la médiatisation.
Si je puis donc formuler un souhait, c’est qu’à la faveur de la Conférence nationale de santé et autour de la conférence, nous ayons des débats sereins sur la santé des Français afin de concilier l’ambition et le possible, et qu’une véritable politique de santé permette, quand cela est possible, de prévenir les maladies.
II. Les institutions
Les institutions doivent être adaptées à la politique de santé que nous cherchons à définir, servir et promouvoir ainsi, une certaine conception de la santé.
À cet égard, nous avons avec J. Barrot une même conviction : la nécessité de progresser vers ce concept de « santé positive » que l’Organisation mondiale de la santé promeut depuis 1946, et qui ne se réduit pas simplement à l’absence de maladie. Bien entendu, il ne s’agit pas pour nous de penser que le risque zéro est un objectif raisonnable, que la science et la technique sont infaillibles et encore moins qu’il faille se désintéresser des soins et du traitement des maladies. Mais, je serais tenté de dire, en raccourcissant peut-être le tout, que le temps est venu de passer d’un concept traditionnel d’assurance maladie à un concept d’assurance santé.
Mais cette conception suppose une implication étroite et coordonnée des différents acteurs qui nécessite une bonne information et la responsabilisation de chacun.
1. Pour les citoyens d’abord
Il me paraît essentiel qu’ils soient mieux informés et qu’ils puissent disposer des outils nécessaires pour prendre en charge leur santé. C’est évidemment le rôle dévolu au nouveau carnet de santé dont la diffusion commencera dans le courant du mois prochain à destination de tous les assurés sociaux. La généralisation du livret du patient hospitalisé y contribuera également.
2. Pour les professions de santé ensuite
Je ne doute pas que la Conférence nationale et les conférences régionales de santé où ils débattent avec des représentants de la société puissent être les lieux privilégiés où une réflexion globale pourra voir le jour sur les priorités sanitaires et sur les mesures de santé publique qui permettront de préparer l’avenir.
3. Pour le Parlement bien sûr
Comme vient de le souligner Jacques Barrot, la réforme constitutionnelle de février dernier a profondément modifié son rôle, qui se limitait au vote du budget du ministère de la santé et des différentes lois relatives au système de soins. Il va désormais pouvoir débattre des orientations de la politique sanitaire à la lumière de vos travaux. La politique de santé doit être le fruit d’un processus démocratique ; c’est bien le moins quand on considère l’ampleur des attentes des citoyens.
4. Pour l’Assurance-Maladie également, bien entendu
La convention d’objectifs et de gestion qui sera désormais passée avec l’État tous les trois ans permettra de mettre en perspective la politique de gestion du risque ainsi que la politique de prévention.
5. Le rôle de l’État enfin me paraît devoir être précisé
On a dit ici ou là que se préparait progressivement une étatisation de la médecine. C’est faux et l’organisation libérale de l’offre de soins en France, qui ne sera en rien modifiée, le démontre. Mais c’est bien vers l’État que se tournent les Français pour définir une politique de santé.
Il me semble que nous devons recentrer l’État autour de trois fonctions, la veille sanitaire, la sécurité sanitaire et la définition des objectifs de santé publique.
S’agissant de la veille sanitaire, nous disposons aujourd’hui du Réseau national de santé publique. Il faut incontestablement le renforcer, à l’heure où se prépare la création d’un réseau européen, dont l’enjeu ne doit pas nous échapper. La France doit jouer un rôle primordial en matière épidémiologique comme en termes de veille sanitaire.
C’est la responsabilité de toutes les instances scientifiques, mais singulièrement celle de l’État, de chercher à prévoir les problèmes sanitaires et de préparer les dispositifs pour les affronter. Je ne prendrai qu’un exemple : Jacques Barrot et moi avons été informés il y a quelques mois qu’il existe en France un risque fort de voir resurgir dans deux ans environ une épidémie de rougeole. Nous avons donc fait modifier le calendrier vaccinal pour inciter à une deuxième vaccination rougeole-oreillon-rubéole entre l’âge de 11 et de 13 ans et non rendre obligatoire comme je l’ai entendu, mesure qui devrait très sensiblement diminuer l’impact de cette possible épidémie. Il faut se préparer, et l’État a là une responsabilité-clé.
S’agissant de la sécurité sanitaire, le risque zéro n’existe pas : mais nous savons que la population formule des exigences de sécurité maximale. L’État en est en définitive le garant, car c’est d’abord à lui d’organiser le dispositif de régulation et de contrôle pour être à la hauteur de cette exigence.
Dans le domaine de la santé, plusieurs jalons ont déjà été posés. Les médicaments, les produits sanguins, les greffes ont été réglementés successivement. Nous avons plus récemment posé les bases nécessaires en matière de thérapies géniques et cellulaires, qui se trouvaient jusque-là dans les « angles morts ».
Nous comptons poursuivre encore dans la voie de la plus grande sécurité. Nous le faisons par exemple dans le secteur des dispositifs médicaux. Mais, il nous faut surtout améliorer l’efficacité de ce dispositif, et en particulier la cohérence d’action des différentes entités en charge de la sécurité des produits industriels ou biologiques.
D’une façon plus générale encore, nos concitoyens attendent, face à des hypothèses ou des informations qui les inquiètent, que les décisions prises reposent sur une crédibilité scientifique incontestable, qui nécessite une expertise organisée par un référent stable et reconnu. C’est évidemment très difficile car une décision pesée et argumentée nécessite souvent du temps que la communication de crise n’autorise pas à prendre, mais il demeure possible d’améliorer nos dispositifs actuels.
La question est d’ores et déjà à l’ordre du jour de la définition d’une structure qui pourrait à la fois centraliser l’expertise, définir et mettre en œuvre les mesures à prendre, délivrer les autorisations et coordonner les contrôles, dans l’ensemble du domaine des produits industriels, biologiques, sanitaires ou alimentaires. J’ai pu constater que nous avions en ce domaine à tirer des enseignements de ce qui se fait ailleurs et notamment aux États-Unis, même si une solution différente – à laquelle nous travaillons – doit sans doute être adoptée dans notre pays.
S’agissant enfin de la définition des objectifs de santé publique, il est clair que nous devons renforcer nos moyens d’expertise administrative et professionnelle.
Il me semble à ce titre d’abord indispensable de favoriser une connaissance et une gestion davantage prospective qu’elles ne le sont aujourd’hui, de mieux prendre en compte l’articulation de la santé et de l’environnement. La santé est globale. La politique de santé doit donc être globale.
Le chantier est vaste, les aspects à considérer sont nombreux, mais l’idée est simple : renforcer la cohésion des acteurs du système de santé et de protection sociale pour que leurs interdépendances deviennent synergies ; coordonner les expertises et renforcer la prospective pour que chacun des acteurs du système puisse répondre au mieux aux nouvelles demandes de nos concitoyens ; clarifier le rôle des missions et les fonctions de chacun.
L’État doit là aussi s’organiser pour jouer ce rôle d’une manière efficace. Les structures actuelles du ministère de la santé peuvent très certainement être renforcées dans ce but. C’est un travail de moyen terme sur lequel j’ai commencé à travailler personnellement, sous l’autorité de Jacques Barrot.
III. La Politique
Je voudrais aborder pour finir les grands axes sur lesquels il me semble que nous devons réfléchir, sans pour autant limiter en quoi que ce soit le champ des questions sanitaires que votre conférence souhaitera évoquer. Mon propos n’a évidemment pas vocation à être exhaustif, et ce n’est évidemment pas parce que telle affection, ou telle maladie n’est pas citée ou développée, qu’elle n’est pas au cœur de nos préoccupations. Ce ne sont que quelques pistes, et avec Jacques Barrot, nous attendons évidemment beaucoup de vous à cet égard.
Nous tomberons d’accord sur les questions qui se posent à nous : Comment continuer à améliorer l’état de santé de la population française ? comment permettre à chacun de ceux qui en ont besoin d’accéder à des soins de qualité, y compris les plus démunis ?
Notre objectif est clair : il s’agit de prendre en compte effectivement dans le système de soins préventif ou curatif, les priorités de santé publique que nous définirons, dans une juste appréciation des besoins et des critères d’efficacité.
Mais il est essentiel qu’une hiérarchisation des objectifs de santé publique soit clairement énoncée. Sans cette « priorisation », cette définition des priorités, nous nous contenterons d’une pensée velléitaire qui ne pourra déboucher sur l’action, tant il est évidemment impossible à tous points de vue de considérer comme des priorités tous les aspects de la santé publique. Il faut choisir.
Dans cet objectif, le rapport du haut comité de la santé publique constitue un excellent outil et je tiens à saluer devant vous, toutes celles et ceux qui y ont participé. Nous disposons-là d’un instrument d’évaluation sans lequel la conférence n’aurait pu trouver toute sa dimension.
Je voudrais à cet égard préciser une chose très simple : il résulte de l’ordonnance instituant la Conférence nationale de santé que le haut comité de santé publique prépare un rapport à son intention, centré sur une analyse de l’état de santé de la population et des priorités. C’est ainsi que le haut comité de la santé publique a établi ce rapport. Bien sûr, le haut comité de santé publique publiera intégralement et très prochainement l’ensemble des contributions qu’il a rassemblées et qui constitueront son rapport annuel. Il y a donc bien deux exercices distincts faisant l’objet de publication.
Le rapport trouve un complément essentiel dans les conclusions des conférences régionales de santé qui se sont déjà presque toutes tenues. Là encore, je veux remercier l’ensemble des participants de ces conférences dont les travaux viendront nourrir les réflexions de la conférence nationale des préoccupations quotidiennes des français.
Je voudrais pour ma part, sans bien sûr être exhaustif, mettre l’accent sur quelques points clés. Je remarque en effet que la majorité des problèmes de santé évitables sont en relation avec des facteurs liés aux habitudes de vie. Cette constatation doit nous conduire me semble-t-il à multiplier les actions de prévention destinées à éclairer chacun sur les conséquences de ces habitudes de vie.
Je relève à cet égard que nous ne pouvons rester insensibles à la situation qui nous est décrite dans le domaine de l’alcoolisme, du tabagisme et des comportements à risque en général, dans la mesure où les premières causes de mortalité que sont les maladies cardio-vasculaires et les maladies cancéreuses en sont en partie la conséquence.
Concernant l’alcoolisme, malgré une décroissance régulière de la consommation moyenne d’alcool, celui-ci reste encore à l’origine de nombreux problèmes sociaux et de décès prématurés.
Malgré les mesures préventives déjà mises en œuvre, l’alcoolisme demeure une priorité sanitaire en raison de la mortalité prématurée et évitable dont il est responsable.
Une politique de prévention active, ambitieuse et résolue pour combattre ce fléau doit donc permettre tant d’éviter la survenue de maladies d’ordre psychiatrique ou cancéreuses que de réduire la mortalité par accidents ou encore de prévenir la marginalisation par désinsertion sociale. Dans ce domaine une politique doit être globale et comprendre des mesures de nature éducative, préventive et curative.
Il faut également rester très vigilants par rapport à tous les nouveaux phénomènes, et je pense notamment en matière de boissons au développement nocif des prémix, ces mélanges d’alcool et de soda, ou aux boissons dites énergisantes que l’on voit apparaître sur le marché et qui sont clairement destinées par leurs fabricants à notre jeunesse. D’ores et déjà, sur les prémix, j’ai saisi le Conseil supérieur de l’hygiène publique et j’entends porter la question devant mes collègues européens pour adopter une attitude commune.
Quant aux boissons énergisantes, sur la base des études dont j’ai demandé qu’elles soient complétées, je prendrai les initiatives nécessaires pour empêcher des effets éventuels nocifs sur la santé.
De même, si la lutte contre le tabagisme a rencontré quelques succès qui se sont traduits par une baisse de la consommation de tabac au début des années 90, elle ne doit pas laisser ignorer le fait que nous aurons à faire face dans les prochaines années à une recrudescence du nombre des cancers des voies aérodigestives supérieures qui sont la conséquence inéluctable de la hausse du tabagisme des années 70. Peut-on constater cela sans réagir ? L’élévation du prix du tabac étant connue comme un des éléments parmi les plus dissuasifs sur la consommation, ne doit-on pas avoir le courage d’utiliser ce moyen ? J’y suis, à titre personnel, favorable d’autant que les jeunes constituent la cible privilégiée de ce fléau.
Le cancer, seconde cause de mortalité en France, est surtout la première cause de mortalité prématurée. Nous devons faire face à un fléau de cette ampleur et nous assigner un objectif ambitieux de réduction de ces décès, notamment pour ceux d’entre eux qui sont évitables grâce aux connaissances scientifiques dont nous disposons en cette fin de vingtième siècle.
Les mesures essentielles pour atteindre cet objectif relèvent bien entendu à la fois d’une prévention primaire consistant à soustraire les individus aux facteurs de risques connus, de l’amélioration de l’efficacité des campagnes de dépistage et enfin, du développement d’une démarche d’assurance de la qualité pour les procédures diagnostiques et thérapeutiques.
Cet exemple illustre également la nécessité de concevoir sur le long terme une action de politique de santé privilégiant trois axes complémentaires entre eux :
- la lutte contre les comportements dangereux ;
- le dépistage précoce des cancers ;
- l’amélioration de la qualité des soins.
Je voudrais évoquer devant vous une autre de mes préoccupations majeures, qui n’est pas sans lien avec l’alcoolisme et le tabagisme : il s’agit de la santé des jeunes.
La santé des jeunes, c’est la santé de la France de demain. Nous devons donc travailler dès à présent sur les objectifs de santé qu’un pays comme la France peut s’assigner pour le début de la prochaine décennie.
Si, globalement, les statistiques permettent de considérer que l’état de santé de la jeunesse est satisfaisant, il faut avoir à l’esprit que ce jugement d’ensemble recouvre des réalités très variables d’un groupe à l’autre.
Sur la politique de prévention en général, il est tout à fait clair à nos yeux que l’essentiel reste à faire.
Dans ce domaine, nous continuons à penser qu’un discours hygiéniste et morigéné tient lieu de politique. Comme le souligne le rapport du haut comité, la médecine française est davantage orientée vers le traitement des maladies que vers la prise en charge globale des personnes.
À coût égal, et bien souvent supérieur, un hôpital préfère se doter d’une unité de greffe hépatique plutôt que d’un service d’alcoologie.
Il faut rappeler que les ressources investies dans la prévention sont limitées à 2,3 % de la dépense couverte de santé contre près de 15 % pour les seules dépenses de médicament.
Que l’on raisonne par maladie (dans le cas du cancer ou des maladies sexuellement transmissibles), par public (je pense bien sûr au sujet primordial de la santé des jeunes) ou par facteur de risque (alcool, tabac ou drogue) nous ne pouvons pas éviter le débat sur la prise en charge par la collectivité des biens et services préventifs, curatifs et de réhabilitation, sur leurs parts respectives, sur leurs interdépendances.
Tout conduit à ce débat, l’efficacité sanitaire comme les contraintes financières.
Concernant notre système de soins, le lieu n’est pas ici d’entrer dans de longues explications sur les évolutions qui sont engagées tant en ville qu’à l’hôpital depuis la préparation des ordonnances du mois d’avril dernier. Nous continuerons ce travail avec détermination et en concertation avec tous les acteurs.
Je voudrais toutefois souligner devant vous une caractéristique de notre système de soins qui me semble devoir être débattue par une instance comme la vôtre car elle touche de près à la satisfaction des besoins sanitaires et à la manière dont les besoins sanitaires sont évalués : il s’agit de la répartition dans l’espace des moyens du système de soins. Qu’il s’agisse des professionnels ou des équipements, il est clair qu’aujourd’hui, ils sont répartis de façon très inégale sur le territoire.
Ces inégalités ne s’expliquent pas toujours par la différence des besoins. C’est là aussi un sujet grave sur lequel nous devons nous pencher si nous voulons mieux répondre aux besoins et aux attentes légitimes de la population.
Voilà, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, les principales réflexions que je souhaitais vous présenter aujourd’hui aux côtés de Jacques Barrot. Le Gouvernement, vous le savez, attend beaucoup de la Conférence nationale de santé pour l’aider dans sa tâche.
Loin des catalogues de vœux pieux, il en attend la réflexion, les analyses et les propositions afin de nourrir la véritable politique de santé qu’il entend mener.
Je vous remercie.
Date : 2-4 septembre 1996
Allocution d’ouverture de M. Jacques Barrot
Je voudrais en tout premier lieu remercier toutes les personnes présentes qui ont bien voulu consacrer ces trois jours à cette conférence. Vous comprendrez que mes remerciements s’adressent tout particulièrement au professeur Joël Ménard qui a accepté de présider la Conférence nationale de santé pour la première année, en attendant que vous procédiez à l’élection d’un bureau et d’un président. Je voudrais également saluer la présence des invités réunis par le président Ménard, et particulièrement de M. Jacques Monnot qui a consacré beaucoup d’efforts à imaginer avec vous tous, ainsi d’ailleurs que le professeur Bonnet de Paillerets que je salue, ce que pourrait et devrait être cette Conférence nationale de santé.
1. La première conférence nationale de santé intervient alors que notre système de santé est à la croisée des chemins. Les contraintes financières qui pèsent sur l’évolution de la sécurité sociale sont incontournables mais elles ne doivent pas conduire à se tromper d’objectifs. La réussite de notre politique ne se mesurera pas seulement au rythme de la réduction des déficits, mais aussi et peut-être surtout à l’amélioration des performances de notre système de santé.
2. La réforme de la sécurité sociale doit nous servir de levier pour améliorer progressivement l’organisation des soins, tant en ce qui concerne la qualité des soins que la répartition de l’offre de soins.
3. Mais la manière dont nous nous organisons pour soigner n’est pas tout. Une véritable politique de la santé ne s’arrête pas à l’offre de soins. Elle exige qu’on veuille bien prendre un peu de hauteur et de recul pour considérer que la santé est le produit de multiples faveurs parmi lesquelles l’offre de soins occupe une place essentielle, bien sûr, mais pas exclusive. À côté, il y a la prévention, l’éducation, l’évolution des habitudes et des modes de vie et la recherche.
Nous devons partir d’une analyse fine de la santé de nos compatriotes, en nous adossant à des comparaisons internationales et aux études épidémiologiques, tenir à jour le tableau de bord des grands fléaux sanitaires de notre pays (tabagisme, alcoolisme, cancer, sida, toxicomanie…) et nous interroger sur l’efficacité des moyens mis en œuvre pour prévenir, réduire et traiter ces fléaux. Il ne doit plus y avoir d’un côté le traitement de la maladie et de l’autre, la politique de prévention et l’éducation pour la santé, prise en charge par d’autres institutions de manière totalement séparée. Il faut désormais une approche intégrée permettant d’articuler toute la chaîne des actions concourant depuis la recherche jusqu’aux soins, y compris dans leur dimension sociale, à lutter contre un même fléau sanitaire.
La santé ne se résume pas au soin. Éviter de soigner c’est aussi la santé. D’où l’importance de la prévention des maladies ou des accidents. Sur ce plan, nous notons des progrès. Alors que le trafic automobile s’est accru de 50 %, le nombre d’accidents corporels a baissé de 30 %, celui des tués de 20 % et celui des blessés de 33 %. Mais des fléaux comme le tabac et l’alcool nous rappellent que d’immenses efforts sont à accomplir.
4. La conférence de santé doit être le lieu d’un débat national sur ces questions, à partir des données objectives présentées dans le rapport du haut comité de la santé publique, dont je salue la qualité et la densité.
Votre mission est difficile. D’abord parce qu’elle est neuve et qu’il faut imaginer des méthodes de travail adaptées. Mais surtout parce qu’il y a des écueils à éviter : des recommandations trop générales sur des sujets ressassés n’apporteraient rien ; pas davantage qu’un catalogue de revendications catégorielles ou une discussion sur les moyens financiers, qui n’est pas l’objet de cette conférence.
La mission de la conférence est en effet avant tout d’aider les pouvoirs publics à l’indispensable hiérarchisation des priorités de la politique de santé, de les éclairer sur les évolutions nécessaires de notre organisation des soins et de favoriser l’exercice par chacun de ses responsabilités.
À côté de son objectif premier – permettre d’identifier les priorités sanitaires – je crois que la Conférence nationale de santé est importante aussi d’un autre point de vue, celui de l’information de l’opinion publique. Chacun le sait et l’éprouve : l’opinion publique est très attentive à toutes les évolutions qui concernent la santé, les nouvelles découvertes, les nouveaux risques, les cas extraordinaires. Mais le traitement de l’actualité ne permet pas souvent aux hommes politiques et aux journalistes de remettre en perspective les différents problèmes. Nous avons ici une formidable occasion collective de le faire et le rapport du haut comité de la santé publique en donne très directement les moyens. Il faut, je crois, faire savoir à l’opinion publique que plus d’un quart des décès en France – 145 000 en 1994 – sont dus à un cancer. Il faut que chacun sache, mieux qu’aujourd’hui, que, malgré des progrès réguliers, il y encore en France, chaque année, plus de 23 000 décès dus à l’alcoolisme chronique, soit trois fois plus que les accidents de la route. Il ne me paraît pas inutile d’insister sur les 12 000 suicides répertoriés par an, n’y a-t-il pas là un enjeu collectif dont nous devons tous être conscients ?
5. Avec Alain Juppé, nous avons voulu que cette première conférence de la santé se tienne dès ce début septembre, malgré la rapidité de sa préparation et notamment le fait que les conférences régionales n’ont pas pu se réunir dans leur forme définitive. Nous prévoirons l’an prochain un calendrier moins serré, avec peut-être une Conférence nationale de santé dès le début de l’été. Toutefois, s’il nous a semblé indispensable de réunir votre conférence, c’est que les perspectives que vous tracerez sont essentielles pour que le Parlement examine et vote, pour que le Gouvernement prépare et exécute la première loi de financement de la sécurité sociale.
Je voudrais insister sur la nature de ce lien. Bien entendu, il n’est pas question de construire un tableau alignant les uns en dessous des autres tous les objectifs de santé publique, de leur associer le montant des moyens qui doivent leur être consacrés en personnel, en investissements, en dépenses de médicaments et d’additionner tous ces montants en espérant trouver ce que l’assurance maladie doit prendre à sa charge l’an prochain. Il va de soi qu’un tel système relève à ce jour d’une sympathique utopie, ne serait que parce que nombre de dépenses servent plusieurs objectifs de santé publique.
Comment dès lors la loi de financement prendra-t-elle en compte les orientations sanitaires ? Je ne peux évidemment le dire avant que votre conférence débatte. Mais on peut imaginer plusieurs manières distinctes et compatibles les unes avec les autres.
D’une part, la loi de financement sera accompagnée d’un rapport du gouvernement qui précisera les orientations sanitaires qui présideront à son exécution. II va de soi que ses orientations seront élaborées directement en fonction de vos propres conclusions qui doivent nous parvenir avant le 14 septembre. Si vous insistiez sur les dangers de telle ou telle pathologie, de tel ou tel comportement, et si ces orientations sont votées par le Parlement, le Gouvernement devra évidemment en tenir compte aussi dans l’exécution de la loi. Je pense en particulier aux conventions d’objectif et de gestion qui doivent être signées avec les caisses nationales d’assurance maladie : leur contenu dépendra de la loi pour ce qui concerne les moyens financiers, mais aussi pour ce qui concerne ces orientations. Par exemple, en matière de prévention, l’État et les caisses d’assurance maladie pourront se mettre d’accord pour développer et concentrer les moyens des fonds de prévention sur les secteurs que vous aurez identifiés. Votre rapport et celui du haut comité seront par ailleurs transmis au Parlement.
D’autre part, le projet de loi lui-même pourrait, le cas échéant, comporter des dispositions législatives liées aux priorités que vous aurez établies, si leur traduction trouve sa place dans la description des conditions générales de l’équilibre financier de la sécurité sociale.
Enfin, les intéressants développements du rapport du haut comité sur les inégalités interrégionales pourront donner lieu de votre part à des réflexions très utiles pour le Gouvernement. Une fois l’objectif des dépenses d’assurance maladie voté par le Parlement, il faudra en effet que le Gouvernement procède à une répartition régionale – tout particulièrement en matière hospitalière –, l’objectif posé par les ordonnances étant de mieux prendre en compte les besoins de la population et les inégalités existantes. Les réflexions régionales menées depuis le début de l’année dans le cadre des conférences régionales sur l’état de santé seront à cet égard précieuses.
Le lien est donc direct et multiforme entre vos travaux et la loi de financement. Ce qui ne veut pas dire pour autant que la loi de financement puisse déjà être débattue !
6. Je me contenterai pour introduire vos débats d’indiquer que l’évolution du système de santé me semble devoir privilégier trois objectifs.
Le premier c’est une définition plus précise des priorités. On ne peut tout faire en même temps. Ce qui est intolérable, ce sont les choix implicites. Trop de domaines de la recherche, trop de champs de l’action médicale comme, par exemple, la lutte contre la douleur ont été délaissés sans débat public et arbitrage clair. Les choix exigent le courage et la pédagogie. Ils sont la preuve que la démocratie n’est pas étrangère au monde de la santé. Redéfinir ce qui relève d’une politique de santé et de sa prise en charge par la collectivité nationale sera bientôt une exigence.
Le deuxième objectif porte sur une meilleure coordination des interventions de chacun des acteurs. Notre système de soins est très décentralisé et très diversifié, hôpitaux et cliniques qui coexistent aujourd’hui doivent coopérer demain et s’ouvrir sur l’hospitalisation à domicile ; la médecine ambulatoire s’exerce en cabinet individuels ou de groupes, en centres de santé, en services de soins à domicile. Cette forme d’organisation est respectueuse de la liberté d’initiative et du libre choix du malade, gage de la confiance qu’il peut avoir à l’égard de celui qui le soigne. Mais, il ne faut pas que cette diversité soit source de dysfonctionnements et de gaspillages.
Le troisième objectif – et le plus important – est de s’engager résolument dans une démarche de qualité qui correspond à la fois aux aspirations profondes de la population et des professionnels de santé. Certes notre pays a conscience de bénéficier d’un système de santé d’une grande qualité, mais l’amélioration de cette qualité est un objectif constant qui doit mobiliser nos énergies. C’est bien d’ailleurs l’objet de la réforme inscrite dans les ordonnances d’avril 1996 que de promouvoir les procédures d’accréditation d’évaluation et de formation continue. La création prochaine de l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé, au sein de laquelle les professionnels de santé auront un poids déterminant et qui fonctionnera comme une instance indépendante, me paraît à cet égard riche de conséquences positives.
7. Les quelques expériences d’évaluation des pratiques médicales montrent que l’on peut soigner mieux en dépensant moins. C’est ce que j’ai appelé la recherche du juste soin. Et ce « dépenser moins » est le meilleur gage du développement d’autres actions sanitaires. Sur ce plan, nous avons d’immenses progrès à faire. L’exemple de l’adénome de la prostate semble l’indiquer. Nous avons pour cette maladie une dépense médicamenteuse de près de 1 milliard de francs. L’Allemagne dépense 700 millions et la Grande-Bretagne 110 millions. À population et prévalence de la maladie comparable, ces chiffres ne s’expliquent pas. Cette situation n’est pas normale. Nos manières de soigner doivent être évaluées.
Peu à peu apparaissent des démarches qui réhabilitent l’examen clinique, évitent le recours systématique à l’examen technique complémentaire et assurent tout à la fois un meilleur suivi médical et une maîtrise des coûts. C’est l’esprit des RMO en médecine de ville et bientôt des références professionnelles opposables pour les professions paramédicales. C’est aussi le sens du développement des bonnes pratiques cliniques dans les services hospitaliers.
C’est dire combien il importe au nom de la santé que les soins n’épuisent pas nos capacités de financement et que nous gardions les moyens de financer d’autres politiques de la ·ville, de l’éducation, de l’environnement ou encore de la recherche dont l’impact sur la santé est important.
Il faut donc à notre pays une grande politique de santé, globale, qui améliore l’organisation des soins et développe la prévention et qui identifie clairement les objectifs à atteindre. Un pilotage cohérent est nécessaire. Hervé Gaymard va pouvoir maintenant évoquer devant vous cette politique que nous cherchons ensemble à construire.
Date : 2 septembre 1996
Source : Ouest-France
Ouest-France : La Conférence nationale de santé s’ouvre aujourd’hui 2 septembre. À quoi va-t-elle servir ?
H. Gaymard : C’est la première fois qu’une telle conférence a lieu. L’ordonnance du 24 avril 1996, sur la maîtrise médicalisée des dépenses de santé, prévoit désormais que le ministre chargé de la santé réunisse chaque année une Conférence nationale de la santé dont l’objectif est de proposer les priorités de la politique de santé publique, après avoir analysé la situation sanitaire de la population. Ces travaux vont éclairer les choix relevant du Parlement. Cette conférence ouvre donc la voie à l’élaboration d’une véritable politique de santé. Elle constitue la première étape du nouveau processus visant à impliquer le Parlement et à responsabiliser les acteurs sociaux.
Ouest-France : Que préconisez-vous pour que la France se dote de cette véritable politique de santé publique ?
H. Gaymard : Les problèmes de santé ont tendance, en France, à faire l’objet d’un traitement ponctuel. Il faut le dire, cette méthode n’est pas dénuée d’efficacité : l’état de santé des Français nous place parmi les premiers rangs des pays industrialisés. Il est donc excessif de prétendre que notre pays n’a jamais eu de véritable politique de santé.
En revanche, il nous faut bâtir la politique de santé publique du XXIe siècle. Mais il faut construire une cohérence d’ensemble. Car la santé publique ne se résume pas aux seuls soins. On ne peut pas séparer ce qui relève du soin ambulatoire du soin hospitalier et de la prévention. Nous ne pouvons plus aujourd’hui nous contenter d’une vision parcellaire, à l’origine d’incohérence et de surcoûts. La santé publique doit être mise en œuvre à partir de choix collectifs qui traitent un problème dans toutes ses dimensions. La réforme que nous mettons en place avec Jacques Barrot le permettra. La création de la Conférence nationale de santé marque cette volonté d’associer tous les acteurs du système de santé à la définition de cette politique. Car une démarche non concertée, même inspirée par les meilleures intentions, ne peut pas avoir l’impact souhaité.
Ouest-France : Comment concilier politique de santé et maîtrise des dépenses ?
H. Gaymard : Ce n’est pas facile mais ce n’est pas impossible. Il n’y a pas de fatalité qui nous obligerait à choisir entre qualité des soins et maîtrise des dépenses. C’est bien au « juste soin » que tend la réforme de la protection sociale que le Gouvernement a engagée. Note système de santé est confronté à une épreuve majeure : la croissance des dépenses est plus rapide que les possibilités de contribution des Français. Nous devons nous interroger pour savoir comment continuer à améliorer la santé des Français, tout en maintenant la croissance des dépenses à un niveau supportable. Il faut s’attacher à la recherche du meilleur rapport coût/efficacité. Nous attendons beaucoup des réflexions de la Conférence nationale sur la santé ainsi que des discussions au Parlement. Nous devons combattre nos mauvaises habitudes de comportement individuel et replacer l’intérêt général au cœur de nos préoccupations. C’est seulement de cette façon que nous gagnerons la bataille contre nos déficits.
Ouest-France : Le rapport du haut comité de la santé publique pointe des insuffisances dans la politique sanitaire…
H. Gaymard : Tout en confirmant l’état globalement satisfaisant de la population, notamment en termes d’espérance de vie, ce rapport insiste sur la nécessité de poursuivre une lutte acharnée contre les décès prématurés et évitables, liés à des comportements à risques comme l’alcoolisme et le tabagisme. La persistance d’inégalités géographiques et l’existence d’importants écarts de mortalité selon les catégories sociales sont préoccupantes. Ce rapport fait aussi le constat d’une importante inadéquation entre l’offre de soins et les besoins de santé de la population, y compris avec des disparités régionales. Cette constatation rejoint l’analyse faite par les pouvoirs publics. Les réformes en cours devront permettre d’améliorer les choses.
Ouest-France : Quel rôle le ministre de la santé doit-il jouer face à la montée de nouvelles épidémies ?
H. Gaymard : Les expériences des dernières années montrent que le ministère de la santé doit être très présent en amont de ces maladies. Il s’agit d’anticiper les risques. Il faut pour cela disposer d’un dispositif de surveillance et de vigilance sanitaire performant, qui permette d’identifier un risque dès son apparition, pour décider des mesures préventives adaptées. La sécurité sanitaire est un impératif.