Déclaration de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, sur l'aménagement et la réduction du temps de travail par voie de négociations de branche professionnelle et d'entreprise, au Sénat le 13 février 1996.

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Circonstance : Examen de la proposition de loi sur l'aménagement du temps de travail au Sénat le 13 février 1996

Texte intégral

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en introduction à ce débat sur une proposition de loi tendant à aménager et à réduire le temps de travail, je voudrais tout d'abord rappeler qu'en cette matière il importe d'éviter de s'en tenir à une vision malthusienne d'une sorte de gâteau de taille fixe qu'il faudrait se partager, pour adopter une vision dynamique, l'objectif étant d'accroître la taille du gâteau et de mieux le partager.

Ces deux opérations doivent être réalisées en même temps : une réduction autoritaire du temps de travail serait peu efficace pour l'emploi. Il suffit pour s'en convaincre de penser aux sociétés avec lesquelles nous sommes en concurrence, aux pays d'Asie du Sud-Est, par exemple, qui parlent de travail et non de réduction du temps de travail.

En revanche, la stratégie du « triple gagnant » peut être payante : gagnante, l'entreprise qui pourra s'adapter à la demande ; gagnants, les salariés qui pourront réduire et choisir leur temps de travail ; gagnante, la collectivité nationale grâce aux nouveaux emplois dégagés par cette meilleure organisation du travail et par la réduction du temps de travail de certains salariés.

Le point d'équilibre entre ces intérêts différents ne peut être trouvé que par la négociation. C'est pour cette raison que les deux accords interprofessionnels signés le 31 octobre dernier sont importants.

Le premier concerne directement l'aménagement et la réduction du temps de travail et engage les partenaires sociaux sur la voie de la négociation de branche. Le sommet social tenu à Matignon a permis d'accélérer ce processus. A ce jour, les trois quarts des branches couvertes par l'accord interprofessionnel ont engagé les négociations.

Ce résultat est bon, quand on sait la difficulté de traduire au niveau des branches les décisions interprofessionnelles et, surtout, quand on connaît le caractère sensible du thème de la réduction du temps de travail : le débat était bloqué depuis quinze ans.

Bien entendu, entamer une négociation ne signifie pas la conclure positivement. Le Gouvernement veillera à la qualité des accords.

Quant au second accord interprofessionnel, il devrait permettre une négociation et la conclusion d'accords d'entreprise dans les petites et moyennes entreprises n'ayant pas de délégués syndicaux.

Il est donc de la responsabilité de l'Etat de garantir un environnement permettant la négociation et permettant à celle-ci de déboucher sur de nouveaux emplois, sinon les gains de productivité seront répartis exclusivement en hausses de salaires et en meilleurs profits pour l'entreprise. Pour y parvenir, le dispositif de prélèvements obligatoires, fiscaux et sociaux, doit inciter les négociateurs à intégrer l'emploi dans leur recherche du point d'équilibre.

Voilà quelques considérations générales sur la méthode qui doit prévaloir pour l'aménagement du temps de travail, méthode fondée sur les négociations, je le répète, méthode fondée aussi sur cette idée de complémentarité dans l'intérêt de toutes les parties prenantes, l'entreprise, les salariés bien entendu et, en même temps, ceux qui pourront être embauchés grâce à un autre aménagement du temps de travail.

J'insiste beaucoup : c'est grâce à une démarche dynamique et non statique que réussira un aménagement du temps de travail qui enrichira la croissance en emplois et permettra d'offrir aux salariés français des rythmes de vie plus conformes à leurs souhaits.

Au regard de cet objectif, quelle a été la méthode privilégiée par le Gouvernement ?

Tout d'abord, il s'agit de favoriser la négociation. Je viens de le dire, la négociation de branche se déroulera jusqu'à l'été. Ce sera là, mesdames, messieurs les sénateurs, un rendez-vous parlementaire. En effet, de ces négociations de branche découlera un certain nombre d'accords je le pense, je l'espère - et nous aurons à ce moment-là à les légaliser ou à les compléter si nous considérons que la négociation n'a pas été suffisamment fructueuse. Ensuite, viendra, bien sûr, le temps de la négociation dans les entreprises.

Les dispositions législatives que nous aurons à prendre dépendront, je viens de le dire, du point d'arrivée des négociations. En effet, il ne faut pas perdre de vue que les conditions économiques et les besoins de flexibilité sont très différents selon les branches : si elles partent toutes du même point, elles appellent des interventions différentes de l'Etat selon qu'il s'agit de telle ou telle branche.

Si l'on attend l'issue des négociations, il sera alors plus facile de calibrer l'intervention publique pour donner le dernier coup de pouce et permettre 1 aménagement et la réduction du temps de travail et la création d'emplois.

C'est la raison pour laquelle, mesdames, messieurs les sénateurs, dans un premier temps, le Gouvernement et moi-même n'étions pas particulièrement favorables à une initiative législative, dans cette période qui doit être essentiellement consacrée aux négociations.

Cela étant, la portée très ciblée de cette proposition de loi nous a paru compatible avec le déroulement des négociations. En effet, d'abord, ce texte va dans la bonne direction, même s'il arrive un peu tôt et si les négociations de branche ne sont pas terminées.

Nous avons néanmoins estimé que, s'agissant d'une initiative parlementaire bien ciblée, je le répète, il était préférable non pas de bloquer toute initiative, mais de donner le temps de la rendre compatible avec la suite des négociations et le dispositif d'ensemble que nous aurons à adopter vraisemblablement après le grand rendez-vous du début de l'été.

En outre, le Gouvernement est soucieux de pouvoir utiliser ce dispositif pour traiter les problèmes difficiles qui apparaissent dans des secteurs comme le textile ou 1’armement. C'est pourquoi je proposerai un amendement visant à étendre le champ du dispositif pour permettre, notamment dans les industries de l'armement qui vont connaître des restructurations, un certain nombre d'initiatives d'aménagement du temps de travail dynamiques, de nature à préserver des emplois.

Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les quelques observations liminaires que je voulais présenter. Puis-je faire appel à la sagesse du Sénat pour éviter qu'à la faveur de ce texte nous ne débordions par trop le cadre très précis de la proposition de loi ? Il faut vraiment que les négociateurs actuels des branches aient le sentiment que le législateur demeure à l'écoute de leurs préoccupations et évite de légiférer de manière trop hâtive, trop large, sans avoir au préalable pris la mesure des résultats précis des négociations qui auront été obtenus dans les branches. Voilà ce que je me permets de souhaiter.

Je remercie M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires sociales de leur rapport et de leurs réflexions sur ce sujet. Leur travail enrichira le débat, qui ne s'arrêtera pas bien entendu à cette proposition de loi, laquelle, je l'ai dit tout à l'heure, prendra toute sa dimension après que nous aurons pris connaissance, au début de l'été, des négociations entreprises dans les branches. Tout ce travail sera déjà une excellente préparation à ce rendez-vous qui sera un des grands rendez-vous de l'année 1996.

Cela dit, le Gouvernement aborde, bien sûr, ce débat avec un grand souci de dialogue et d'écoute