Texte intégral
RMC - mardi 17 septembre 1996
P. Lapousterle : Vous avez réuni sur votre nom, il y a 16 mois, 4,545 millions de voix. Et si certaines de vos déclarations déclenchent tempêtes et protestations, votre avis pèse. Revenons un instant sur vos déclarations, « l’inégalité des races », pensez-vous sérieusement que, selon la couleur avec laquelle on est né ou selon l’endroit de sa naissance ou encore l’origine de sa famille, un homme en droit, est l’égal d’un autre ou non ?
J.-M. Le Pen : Bien évidemment. Je suis en plus chrétien et je crois aussi qu’il a une âme. Par conséquent, tous les hommes ont individuellement le même droit à une dignité mais ils sont inégaux dans leurs capacités à comprendre le grec, à courir le 100 m, à nager le kilomètre. C’est évident. Or on dit : « Le Pen émet des théories, des doctrines racistes » car j’aurais prononcé une opinion en disant : « Je ne crois pas à l’égalité des races ».
P. Lapousterle : Vous le redites après tout ce que vous avez entendu !
J.-M. Le Pen : Des millions de gens pensent comme moi, et une grande partie de la communauté scientifique mondiale y croit aussi. Mais le problème n’est pas celui-là. Le problème est : est-ce que, en France, un homme, quel qu’il soit, a le droit d’émettre une opinion ? Et ce, par surcroît, quand cet homme est un homme politique, validé par le suffrage de ses concitoyens : a-t-il le droit d’exprimer une opinion, dans quelque domaine que ce soit ? Je constate que Jacques Toubon a dû reconnaître que je n’avais pas franchi les limites de la loi. Par conséquent, je suis dans le cadre de ma liberté. Et quand j’entends la classe politique française s’indigner au nom de la morale, les bras m’en tombent ! Quand on sait qu’elle est, probablement, l’une des classes politiques les plus corrompues au monde !
P. Lapousterle : C’est quand même une opinion plus grave que d’autres. Si on n’est pas de la race que vous estimez meilleure que d’autres, on…
J.-M. Le Pen : Mais je n’ai pas dit ça, c’est vous qui le dites ! C’est vous et c’est Léon Blum. Permettez que je vous lise l’opinion de…
P. Lapousterle : Tout ça date de 100 ans.
J.-M. Le Pen : Mais c’est ma manière de répondre, laissez-moi donc la liberté de… Vous n’allez pas jouer à Christine Ockrent ! Je cite : « Nous admettons le droit et même le devoir des races supérieures d’attirer à elles celles qui ne sont pas parvenues au même degré de culture et de les appeler aux progrès à réaliser grâce aux efforts de la science et de l’industrie. » C’est pas du Le Pen c’est du Léon Blum.
P. Lapousterle : Qu’est-ce qui vous empêche de dire ou de penser, si c’est votre opinion, que, quelle que soit sa couleur, on a les mêmes droits que les autres ?
J.-M. Le Pen : Mais je n’ai pas dit cela ! Je n’ai jamais dit cela ! Quand bien même y aurait-il une hiérarchie des races, ceci n’implique pas mépris ni haine. Le fait qu’il y ait 8 coureurs à la finale du 100 m olympique et qu’il y ait un premier et un huitième n’implique pas que le huitième soit méprisable ni haïssable. C’est vous qui dites ça, c’est dans la tête de ces obsédés de l’antiracisme, où, par une dérive perverse de la lutte politique, des gens sont amenés à dire ça !
P. Lapousterle : Qu’est-ce qui vous gêne, si vous n’êtes pas raciste, dans le fait que Jacques Toubon a pour objectif de faire une loi qui condamne les propos qui seraient tenus pour racistes par une nouvelle loi ?
J.-M. Le Pen : La loi n’a pas à encadrer la pensée ni l’opinion. La liberté d’opinion, de pensée, sont inscrites dans la Constitution et sont constitutives de la démocratie et de la République. Vouloir limiter ces libertés, c’est entrer dans la voie du totalitarisme. Vouloir le faire pour se protéger des succès d’un parti politique concurrent et critique, alors c’est aller vers la dictature. Mais que ceux qui préconisent ça se méfient, car les armes qu’ils forgent contre leurs adversaires pourraient, tel le boomerang, se retourner contre eux.
P. Lapousterle : Sur l’affaire de Marseille qui a choqué pas mal de gens, le père de l’enfant assassiné vous avait demandé, comme à tous les autres partis, de ne pas mélanger les choses et d’éviter des manifestations partisanes lors des obsèques de son fils. Pourquoi être passé par-dessus son appel ?
J.-M. Le Pen : Non ! il ne m’a rien demandé. Le jeune Nicolas était le fils de son père, mais il était aussi un citoyen français. Et à ce titre, ce qui lui est arrivé et ce qui peut arriver à beaucoup d’autres petits Nicolas, c’est l’affaire des responsables politiques. Au demeurant, ceux qui prônaient la dignité et le silence, surtout pour qu’on ne parle pas de leurs responsabilités, n’ont-ils pas eux-mêmes donné un caractère public à cette affaire qu’ils prétendaient privée ? Quand a-t-on vu, pour un meurtre, sonner les sirènes d’une ville, sonner les cloches de toutes les églises, faire respecter 5 minutes de silence ! C’est donc bien que Jean-Claude Gaudin, ministre de la Ville et maire de Marseille, estimait qu’il s’agissait d’un cas emblématique et c’est ce cas emblématique que j’ai traité en invitant mes amis politiques, les gens qui me font confiance et qui étaient plus de 10 000 ce jour-là à Marseille, à venir écouter mon commentaire. Et mon commentaire a été : « Ne vous trompez pas, le vrai coupable n’est pas le petit meurtrier. Le vrai coupable ce sont les politiciens français, incapables de maintenir dans ce pays la sécurité, première des libertés ».
P. Lapousterle : Êtes-vous, à l’avenir, puisque ça ne s’est pas fait par le passé, prêt à appeler à manifester chaque fois qu’un adolescent, si ça devait arriver, soit victime d’un autre adolescent et quelle que soit l’origine des uns et des autres ?
J.-M. Le Pen : Mais bien sûr. Si cela devait entraîner une prise de conscience, que l’éducation nationale, que la justice et la police en France, que la moralité de la vie politique ne créent pas les conditions d’une sécurité, oui. Oui, si cela doit aider à cette prise de conscience, je le ferai. Ceci appartient à la mission qui est celle de tous les hommes politiques.
P. Lapousterle : Quelle que soit l’origine des uns et des autres ?
J.-M. Le Pen : J’ai un élu noir, de Marseille, qui est derrière moi, 90 fois sur 100. Il fait 1,92 m. Jamais, on ne l’a vu sur aucune image de télévision. En riant, il a dit : « moi, mon surnom c’est Baygon-caméras ». C’est-à-dire que « quand j’apparais, les caméras tombent ».
P. Lapousterle : Sur la venue du pape en France : vous avez manifesté l’intention d’être à Reims, « invité dimanche » comme vous l’avez dit.
J.-M. Le Pen : Mais tout le monde est invité.
P. Lapousterle : L’archevêché de Reims a publié un communiqué en disant : « Monsieur Le Pen ne figure pas sur la liste des personnes invitées ».
J.-M. Le Pen : Je n’ai jamais dit que j’avais été invité par l’archevêché. C’est un bas procédé de polémique politique que de faire une déclaration et de dire : Le Pen ne correspond pas à cette déclaration. Ai-je dit que le pape m’avait invité, ai-je dit que l’archevêque m’avait invité ? Jamais ! J’ai rencontré à plusieurs reprises le pape. J’ai une grande estime, une grande admiration, une grande affection pour lui. Je pense que tous mes amis, même les agnostiques, se feront une joie de le recevoir en France. Et si je peux, j’irai aussi témoigner de ma sympathie.
P. Lapousterle : Pourquoi, si je peux ?
J.-M. Le Pen : Parce que c’est mon problème. Est-ce que, là encore, j’ai le droit d’aller ou de ne pas aller. Toute ma pensée est dans ce mot.
P. Lapousterle : Le candidat du PS appelle ses électeurs, au deuxième tour, à voter pour le candidat RPR contre le candidat arrivé en tête de votre parti.
J.-M. Le Pen : Cela ne m’étonne pas tellement, c’est assez logique. Ils ont en commun tellement de choses dont, en particulier, la formidable corruption.
Le Figaro - 17 septembre 1996
La police de la pensée
Rien, dans mes propos sur l’évidente inégalité des races, ne tombe sous le coup de la loi.
La révolte gronde.
Plusieurs décennies de vie politique m'ont habitué à ne guère m'étonner des volte-face et des palinodies de mes adversaires. J’ai pourtant été surpris, pour ne pas dire peiné, par la docilité avec laquelle le garde des Sceaux vient d’accepter le triste rôle que l'ont chargé de jouer Jacques Chirac et Alain Juppé.
Sans doute Jacques Toubon sera-t-il étonné, et peut-être même un peu inquiet, d'apprendre que, malgré tout ce qui nous sépare, j’ai longtemps éprouvé pour lui une espèce de sympathie.
C’est pourtant le cas. Bien qu'ayant effectué toute sa carrière dans un parti caractérisé davantage par l’exercice arrogant du pouvoir que par la volonté d'œuvrer au bien des Français, Jacques Toubon m'avait semblé manifester parfois une honnêteté intellectuelle vraiment insolite dans ce milieu où elle n'est guère de mise.
Ainsi, le bilan de son action ministérielle, sans être exemplaire, n'avait jusqu'à aujourd'hui rien de déshonorant. Par comparaison avec l'outrecuidante insignifiance de son actuel successeur, son passage au Ministère de la Culture m'apparaissait même, rétrospectivement, non certes comme un âge d'or, du moins comme une époque où la servilité était moindre face aux puissances d'argent, l'américanisation sans frein et aux lobbies de tout genre.
Cet heureux temps n'est plus, tout a changé de face depuis qu'un gouvernement aux abois a exigé de lui qu'il monte à son tour en première ligne contre le peu de liberté qui subsiste encore en France. C’est, semble-t-il, sans rechigner qu'il a accepté cette peu noble mission.
Étrange époque ! Jean-Marie Le Pen constate-t-il une évidence que n'importe quel lecteur des journaux sportifs peut vérifier chaque matin (photos en couleur à l'appui) : que les diverses races semblent inégalement dotées par la nature ? Voici la patrie en danger, l'hydre toujours renaissante du fascisme qui relève la tête, la bête immonde qui sort encore de ce fameux ventre, d'une fécondité décidément inépuisable.
Palinodies
Que les professionnels de l'antiracisme voient là une occasion de grappiller quelques subventions supplémentaires, que les politiciens d'opposition, lourdement condamnés par les tribunaux, tentent de se refaire une improbable virginité en réclamant pas moins que l'interdiction du Front National, ou qu'un ministricule tente, par ses vociférations à mon encontre, de faire oublier le bref moment de sincérité juvénile où il avait pris sa carte au Front National, rien que de très banal, quand on connaît ces personnages.
Que l'honnête homme que fut Jacques Toubon se joigne à leur meute m'étonne davantage. Car, enfin, je n'ai point besoin de me replonger dans ma collection du « Journal officiel » pour me souvenir de son éloquent réquisitoire contre la loi Gayssot, quand celle-ci fut discutée et votée à l'occasion de l'ignoble manipulation de Carpentras. Naguère encore, il réclamait avec force, au nom de la liberté et des grands principes, l'abrogation de cette loi scélérate d'inspiration communiste.
Depuis quelque temps il laissait entendre que ce n'était là qu'un vœu pieux, applicable seulement dans un très hypothétique futur. Aujourd'hui, il y voit « le couronnement » de la législation sur le racisme.
Ces palinodies signifient-elles qu'il préfère au titre de garde des Sceaux celui de gardien du Goulag ?
En fin juriste, il doit pourtant convenir que rien, dans mes propos sur l'évidente inégalité des races, ne tombe sous le coup de la loi, et que d'éventuelles poursuites me donneraient, avec tout juge honnête, et je crois qu'il en reste quelques-uns, l'occasion d'en administrer la preuve éclatante.
Calomnies
Contrairement au Général de Gaulle, dont Monsieur Toubon se réclame volontiers (et tel que le cite son prédécesseur Alain Peyrefitte), je n'assortis cette constatation d'aucune considération désobligeante pour quelque race que ce soit ou pouvant inciter à la discrimination. Je me borne à énoncer un fait. Prétendre que répondre à un journaliste : « Je ne crois pas à l'égalité des races » témoigne de l’idéologie antirépublicaine du FN est une dénonciation calomnieuse.
Mais l’omniprésente police de la pensée réclame toujours plus d'outils répressifs. Voici donc Jacques Toubon converti à la religion des lois ad hominem. Après la lex faurissonia qu’il combattit et dont la récente affaire Garaudy-abbé Pierre a assez montré les effets publicitaires pour la cause qu'elle était censée combattre, il semble se vouloir l'instigateur et même le signataire d’une lex lepenia visant à aggraver la répression des faits ou des propos dits racistes.
Ambitionne-t-il ainsi d'inscrire son nom à la suite de ceux, oubliés ou flétris, des auteurs de lois scélérates et liberticides qui fleurissent sous les dictatures et périssaient avec elles ? Ne craint-il pas de se déshonorer ou à tout le moins de se ridiculiser par ce projet à la fois odieux et burlesque de réprimer « l'intention d'inciter à la haine raciale » ?
Il suit les ordres aberrants de ce gouvernement, toujours plus impuissant à résoudre les problèmes des Français, qui essaient dérisoirement, par l’agitation médiatique ou la désignation de boucs émissaires, de différer les échéances et de camoufler ses défaites : généralisation de la corruption, échecs répétés dans la lutte contre le chômage et la politique économique ; incapacité à restaurer la sécurité et la confiance, vassalisation croissante face à la spéculation apatride ; responsabilité écrasante dans la désagrégation morale de notre société.
Faute d'autorité, le gouvernement gesticule et Jacques Toubon avec lui. Mais les Français sont de moins en moins dupes, « et l’on entend déjà la révolte qui gronde... ».