Texte intégral
L’Humanité Hebdo : Quelle proposition peut faire la France afin qu’une action contre le chômage s’engage en Europe ?
Pierre Moscovici : Je crois que les Français, par leur vote en juin 1997, ont fait comprendre très clairement qu’ils n’entendaient pas tourner le dos à l’Europe, mais qu’en même temps ils voulaient une Europe où les travailleurs pouvaient se retrouver, une Europe aussi qui redonne un espoir aux sans-emplois et aux exclus.
L’Union européenne s’efforce de répondre à ces attentes beaucoup mieux aujourd’hui qu’il y a seulement un an. Je ne vais pas me livrer à un bilan exhaustif. À l’évidence, ce serait prématuré, car il est faux de dire que l’on peut modifier en profondeur en quelques mois seulement le résultat de quarante années d’une sédimentation communautaire d’inspiration libérale. En revanche, le Gouvernement revendique clairement un changement de cap, l’amorce d’une dynamique plus favorable à nos conceptions sociales. Il faut maintenant tenir fermement le gouvernail, car il faut beaucoup de constance et de volonté pour réussir à faire dévier un lourd paquebot comme l’Europe des quinze.
Tout d’abord, le Gouvernement a obtenu que les Quinze se réunissent à l’automne dernier à Luxembourg dans le cadre d’un sommet spécial entièrement consacré à l’emploi. C’était une première en Europe, et je crois que ce sommet a marqué un tournant. Pour la première fois, les Quinze ont accepté de dessiner une perspective commune sur l’emploi en Europe, avec des objectifs également communs : réduction du chômage de longue durée, réduction du chômage des jeunes, effort de formation en direction des chômeurs. Au total, dix-neuf lignes directrices sur l’emploi ont été adoptées à Luxembourg, les États restant libres de définir les moyens qu’ils entendent mettre en œuvre pour atteindre ces objectifs. L’urgence a été décrétée au niveau européen, puisque tous les États membres de l’Union sans exception ont transmis à la Commission européenne en avril dernier leurs plans nationaux d’action pour l’emploi, qui traduisent concrètement les engagements pris à Luxembourg. La Commission a salué particulièrement la qualité des plans français et espagnol. À Cardiff, nous aurons un débat sur ces plans d’action. Enfin, à la fin de l’année, nous en reparlerons à nouveau dans le cadre d’un sommet spécial sur l’emploi car nous nous sommes engagés au niveau européen à mettre en regard régulièrement les engagements et les résultats obtenus sur le front de l’emploi dans chaque pays.
Au total, il s’agit d’une avancée très importante. Nous avons contribué à initier une démarche complète pour nous attaquer au principal problème de l’Europe qu’est le chômage de masse. Pour ma part, je suis convaincu que l’attente est très forte désormais dans l’opinion, chez les partenaires sociaux, pour que la démarche de Luxembourg monte en puissance rapidement. Je sais que le député européen Philippe Herzog partage cette conviction aujourd’hui. Il a exprimé sa conviction dans un récent rapport tout à fait intéressant sur le dialogue social européen.
Cette conviction est aussi le reflet du sentiment dominant qui traverse les acteurs sociaux, largement réunis et consultés dans le cadre de sa mission.
Il fallait créer quelque chose de nouveau, et nous y avons contribué. Il faut aussi modifier ce qui existe, et nous y travaillons.
En effet, il est absolument essentiel que la question de l’emploi ne reste pas traitée isolément de l’ensemble de la politique économique en Europe dans le contexte créé par l’euro. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé et obtenu la création d’une enceinte spécifique – l’euro 11 – pour permettre aux ministres des finances des onze pays participant à la monnaie unique de débattre entre eux de la politique économique en Europe. Pour nous, il ne s’agit pas d’un concept théorique agité pour faire diversion, comme certains voudraient le faire croire. Au contraire, nous y mettons un contenu très concret, que Dominique Strauss-Kahn a développé le 4 juin dernier lors de la première réunion de l’euro 11. C’est par exemple la possibilité d’avoir des politiques budgétaires différentes selon la santé de l’économie. En France et en Allemagne, la reprise s’amorce à peine et il faut donc tout mettre en œuvre pour consolider des économies encore convalescentes. Rien ne serait pire qu’un coup de froid budgétaire… La situation de pays comme l’Irlande ou les Pays-Bas au bord de la saturation des capacités de production est différente.
Enfin, nous avons rouvert le chantier fiscal. Nous souhaitons une adoption rapide du projet de directive européenne sur la taxation de l’épargne, qui prévoit une retenue à la source minimale de 20 % dans tous les pays de l’Union. J’ai bon espoir que ce sera le cas. Il nous restera encore à aller vers un rééquilibrage de la fiscalité favorable à l’emploi, au-delà du code de bonne conduite que nous avons adopté l’an dernier. Si nous y parvenons, nous aurons créé les conditions nécessaires pour plus d’efficacité économique et de justice sociale, pour la réduction des inégalités, en faveur du travail par rapport au capital.