Texte intégral
O. Mazerolle : On ne pourra plus être député et maire, cela a été voté cette nuit à l’Assemblée, mais vous, vous avez voté contre : pourtant, le président de la République était favorable ?
J.-L. Debré : Non, c’est un projet absurde. Le président de la République est pour la modernisation de la vie politique, et ça, c’est une régression. Car désormais, si le projet est voté définitivement, on va faire des députés qui seront des technocrates de la politique, déconnectés des réalités, alors qu’il faudrait au contraire que les députés et les sénateurs soient au plus proche des réalités locales et donc leur permettre d’être maire ou président du conseil général, ou président du conseil régional, parce que là, ils voient les réalités locales.
O. Mazerolle : À la suite des affirmations publiées par Le Monde d’hier, l’Élysée dément qu’il existe une cellule de crise à la présidence de la République. Mais vous-même, lorsque vous allez à l’Élysée avec la direction du RPR, pour participer à de réunions avec les conseillers du président de la République, de quoi parlez-vous ?
J.-L. Debré : Premièrement, permettez-moi de vous dire que je ne dis jamais la teneur des conversations que nous avons avec le président de la République. Je n’y vais pas avec les conseillers, il est normal, comme le faisait M. Mitterrand, comme le faisait M. Giscard d’Estaing, que le président de la République ait des rencontres avec les responsables de l’opposition. Mais tout cela n’est pas secret et ce n’est certainement pas « cellule de guerre » ou je-ne-sais quoi. Dans ces affaires, et dans tous ce que je vois dans la presse, je suis surpris, choqué et très inquiet. Et surtout en tant qu’ancien magistrat. Parce que le spectacle auquel nous assistons aujourd’hui, n’a rien à voir avec la justice dans un pays républicain. Et je voudrais prendre quelques exemples : voici le secret de l’instruction allègrement, quotidiennement violé et personne ne dit rien. Deuxièmement, voici la présomption d’innocence qui est un pilier de la justice, qui est sans arrêt bafoué, et on ne dit rien. Voici des hommes de justice qui ne cherchent pas la manifestation de la vérité mais à faire des coups.
O. Mazerolle : Vous accusez les magistrats, vos anciens confrères ?
J.-L. Debré : Je n’accuse personne, je dis simplement ce que je vois, c’est que la conséquence de ces violations de l’instruction, de cette présomption d’innocence bafouée fait croire et laisse à penser qu’un certain nombre d’hommes de justice cherche à faire des coups plutôt qu’à rechercher la vérité. Je suis très surpris de voir que dans un certain nombre de journaux on publie des informations qui sont fausses et qui ne sont pas vérifiées. Je crois que la justice, dans un pays républicain, doit se faire sereinement, tranquillement, et il ne faut pas que la politique envahisse les prétoires. Et j’ai le sentiment, avec tout ce que je vois, tout ce que je lis, qu’on arrive à une situation où, finalement, la justice a perdu sa sérénité. Alors si nous voulons plus de justice, il faut que les uns et les autres viennent à plus de responsabilité.
O. Mazerolle : Tout de même, puisque vous êtes président du groupe parlementaire, deux députés RPR ont eu l’occasion, la semaine dernière de poser des questions au Premier ministre sur son emploi au Quai d’Orsay – C. Jacob et P. Devedjian – et ne font pas mystère que cela leur avait été suggéré par des personnes à l’Élysée.
J.-L. Debré : Totalement faux : les questions proposées par les députés lors des questions d’actualité, sont élaborées et adoptées par le bureau du groupe qui se réunit tous les mardis. Et c’est comme ça que cela s’est passé, à l’initiative soit des députés, soit du président du groupe et du bureau du groupe.
O. Mazerolle : En l’occurrence, c’est vous qui avez suggéré cela ?
J.-L. Debré : C’est le bureau du groupe, oui.
O. Mazerolle : Les deux fois ?
J.-L. Debré : Les deux fois, oui.
O. Mazerolle : Et la deuxième fois, bien que le président de la République ait décrété la trêve avec le Premier ministre ?
J.-L. Debré : Il n’y a pas de question de trêve ; nous sommes préoccupés par l’attitude de M. Jospin qui devrait d’ailleurs ne pas oublier qu’il était premier secrétaire du Parti socialiste au moment de la célèbre et scandaleuse affaire Urba ? Par conséquent il devrait lui aussi être un petit peu modeste.
O. Mazerolle : Vous le croyez à l’origine de… ?
J.-L. Debré : La semaine dernière il y a quinze jours, voici des ministres qui se permettaient un certain nombre de phrases, un certain nombre d’affirmations qui constituaient purement et simplement à mettre en cause l’autorité de l’État et du chef de l’État. Ce n’est pas comme ça que doit passer la justice en France.
O. Mazerolle : Est-ce que vous croyez que les socialistes, par exemple, cherchent à précipiter les échéances parce que cela va bien pour eux en ce moment ?
J.-L. Debré : Je ne sais pas ce qu’ils cherchent, je dis simplement que celles et ceux qui ont la responsabilité de l’État, qui sont garants de l’indépendance de la justice, et qui sont responsables de la crédibilité de l’État de droit, doivent, en fonction, de leurs responsabilités, de leurs pouvoirs, appeler les uns et les autres au calme et à la sérénité. Je n’ai pas le sentiment aujourd’hui, et je ne voudrais pas multiplier les exemples, que cette justice passe de façon sereine.
O. Mazerolle : Est-il exact qu’A. Juppé a dit aux parlementaires RPR, que vous présidez, qu’il était prêt à prendre sur lui tout ce qui pourrait être reproché au RPR en matière de financement ?
J.-L. Debré : Je n’ai jamais entendu dire cela, en tout cas il ne m’a rien dit et je ne le crois pas.
O. Mazerolle : Tout de même, est-ce que cette idée ne taraude pas l’Élysée et le RPR depuis longtemps puisque L’Express publie aujourd’hui un document qui a été établi à la demande de J. Toubon à l’époque garde des Sceaux, en octobre 95, qui était une étude juridique sur l’immunité du président de la République ?
J.-L. Debré : Il n’y a pas besoin d’étude juridique : le président de la République a un statut. Je crois que le président de la République n’a rien à voir dans cette affaire. Ne jouons pas avec les institutions de l’État, car en réalité si on joue à ce jeu systématique qui consiste à attaquer toutes les autorités de l’État, il n’y aura plus d’État en France. Est-ce cela que l’on veut ? Je souhaite qu’on se préoccupe des vrais problèmes des Français, de la modernisation de la vie politique, d’une autre politique fiscale, de venir en aide à ceux qui ont des difficultés plutôt qu’à ce jeu misérable qui consiste à faire en sorte que l’État ne puisse plus fonctionner. Voilà ce que je dis, et j’appelle les uns et les autres au calme et à la sérénité. Laissez la justice passer tranquillement.
O. Mazerolle : À partir de votre expérience de ministre de l’Intérieur, vous venez de publier un polar qui s’intitule Piège. Avec votre expérience de président de groupe parlementaire RPR vous allez publier un polar qui s’intitulerait…
J.-L. Debré : Laissez la justice passer sereinement.