Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à France Inter le 17 juillet 2019, sur la nouvelle ministre de la transition écologique et solidaire, la fiscalité sur les sociétés et le CETA.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

FREDERIC METEZEAU
Bonjour Bruno LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Frédéric METEZEAU.

FREDERIC METEZEAU
Merci d'être l'invité de France Inter ce matin, Bruno LE MAIRE, ministre de l'Economie et des finances. Il y a six ans, vous aviez publié une tribune avec François de RUGY qui s'appelait « Abolissons nos privilèges. » Vous étiez à l'époque à l'UMP et lui était chez les Verts, est-ce que François de RUGY a souffert du syndrome du chevalier blanc, Bruno LE MAIRE ?

BRUNO LE MAIRE
Bon, je ne retire rien des mots qui avaient été employés dans cette tribune, et ensuite, je ne suis pas là pour juger, François de RUGY a fait un choix qui est de s'expliquer devant les Français, et pour ça, de reprendre sa liberté, je pense que c'est un choix qui l'honore, et je n'ai pas à juger du reste. C'est les Français qui jugeront, et puis, c'est les enquêtes en cours, administratives qui jugeront également.

FREDERIC METEZEAU
François de RUGY est remplacé par Elisabeth BORNE, qui était jusqu'ici ministre des Transports, elle a été nommée très, très vite, il a fallu 9h entre la démission et la nomination, on se souvient que ça avait été beaucoup plus long pour remplacer Gérard COLLOMB ou Nicolas HULOT. Emmanuel MACRON et Edouard PHILIPPE se sont rendu compte qu'il fallait réagir différemment cette fois-ci ?

BRUNO LE MAIRE
Ce que je sais en tout cas, c'est que c'est un excellent choix, je travaille depuis deux ans avec Elisabeth BORNE, nous avons toujours très bien travaillé ensemble, et je suis convaincu qu'elle portera cette question de la transition écologique avec toute la compétence, toute l'énergie qu'on lui connaît. Mais de manière générale, de toute façon, cette question écologique, elle nous concerne tous, c'est un engagement très fort du président de la République, au niveau international, au niveau national, j'ai été chargé de la mise en place d'un pacte productif, c'est-à-dire la réflexion sur ce que doit être la production française d'ici 2025, ça doit être de toute évidence un pacte écologique pour une production décarbonée, donc c'est formidable que le changement ait lieu vite, mais chacun doit se sentir concerné dans chaque département ministériel par cette transition écologique.

FREDERIC METEZEAU
Si c'est une si bonne nouvelle, si Elisabeth BORNE est si compétente, pourquoi elle n'est pas numéro 2 et ministre d'Etat comme son prédécesseur de RUGY ?

BRUNO LE MAIRE
Parce que comme je viens de vous le dire, c'est porté au plus haut niveau, c'est porté par le président de la République, c'est porté par tous les ministres, moi, je vais vous dire, je trouve que ça n'a pas grand sens de dire que l'écologie, c'est un département ministériel, il faut un chef de file, c'est Elisabeth BORNE, elle fera ça remarquablement, mais la réalité, c'est que dans toute décision que nous prenons, lorsque par exemple je m'occupe de finances internationales…

FREDERIC METEZEAU
Et ce n'est pas un petit symbole qui fait mal, la hiérarchie, c'est important…

BRUNO LE MAIRE
Mais ce n'est pas une question de symbole, c'est une question de décision et d'acte, la transition énergétique et la lutte contre le réchauffement climatique, quand je m'occupe de finances, je ne suis pas là dans mon compartiment à en discuter avec des banquiers centraux ou avec des banquiers ou avec des fonds de pension en disant : je m'occupe de finances, je m'occupe de finances vertes, et je dis à tous mes interlocuteurs de la finance : vous devez désormais financer des projets qui sont bons pour la transition écologique, et il n'y a pas d'un côté la finance, de l'autre, la ministre responsable de l'Environnement et de l'écologie, il y a une finance qui doit être verte, nous y travaillons beaucoup avec Brune POIRSON, et chacun, sur chacun de ces sujets, doit se dire : comment est-ce que mes décisions participent à la lutte contre le réchauffement climatique, il n'y a que comme ça que nous gagnerons ce combat pour la transition énergétique.

FREDERIC METEZEAU
Vos interlocuteurs à l'Economie, aux finances, vous les retrouvez tout à l'heure, à Chantilly, dans l'Oise, près de Paris, pour un G7 Finances, vous allez préparer le G7 de Biarritz, le mois prochain, Bruno LE MAIRE, vous allez défendre un impôt minimum mondial sur les sociétés, ça veut dire quoi ?

BRUNO LE MAIRE
Ça veut dire qu'il y a encore trop de multinationales qui échappent à l'impôt, et que c'est tout simplement révoltant, vous, moi, nos auditeurs payent leurs impôts directs ou indirects, ils n'échappent pas à l'impôt. Donc personne ne peut accepter que des grandes multinationales puissent avoir des filiales qui font des profits à un endroit pour les rapatrier ensuite, soit, dans des paradis fiscaux, soit dans des États qui pratiquent le dumping fiscal, c'est-à-dire qui ont un niveau d'impôt sur les sociétés extrêmement bas ; nous voulons combattre ce dumping fiscal, et nous voulons combattre cette évasion fiscale, donc nous voulons mettre en place un impôt minimum à l'impôt sur les sociétés, impôt minimum, ça pourrait être, aux Etats-Unis, il existe déjà, il est de 13 %, ça veut dire que si vous rapatriez vos bénéfices dans un pays qui a un impôt sur les sociétés à 2 ou 3 %, eh bien, vous paierez les 10 points d'écart…

FREDERIC METEZEAU
11 points de plus…

BRUNO LE MAIRE
Par rapport à l'impôt minimal à l'Etat où vous êtes installé. C'est une question de justice, et puis, c'est aussi une question d'efficacité fiscale, parce que nos crèches, nos hôpitaux, nos services publics, il faut bien les financer, et si les grandes multinationales échappent à l'impôt, eh bien, on ne pourra plus les financer. Donc je crois que cette imposition minimale pour l'impôt sur les sociétés, c'est un instrument extrêmement puissant de justice et d'efficacité.

FREDERIC METEZEAU
Et que vous disent vos homologues du G7, les Japonais, les Américains, les Anglais, les Italiens, les Allemands, les Canadiens ?

BRUNO LE MAIRE
Le plus surprenant, comme souvent, c'est que les Etats-Unis ont un impôt minimal, il s'appelle le GILTI, il est à 13 %, ça leur permet d'éviter cette évasion fiscale, comme souvent, ils sont plus contraignants que nous nous le sommes en Europe…

FREDERIC METEZEAU
Ils sont libéraux pour le monde et plutôt assez protectionnistes pour eux…

BRUNO LE MAIRE
On peut résumer ça comme ça. Mais il faut que l'Europe apprenne aussi à défendre ses intérêts, que les pays européens défendent leurs intérêts, nous sommes, avec mon homologue allemand, Olaf SCHOLZ, totalement mobilisés sur ce sujet, j'espère qu'à la fin de ce G7 demain, le principe d'un impôt minimum sera retenu, que nous arriverons à nous entendre sur l'idée qu'il faut définir, à un moment donné, un certain niveau à un couloir de taux, et puis, plus tard, parce que nous n'y arriverons pas cette fois-ci, on définira le taux lui-même, mais si déjà, on peut tomber d'accord tous les 7 pour dire : l'évasion fiscale, ça suffit, il faut un impôt minimal, ce sera un progrès considérable.

FREDERIC METEZEAU
Et après, il faudra l'unanimité au sein de l'Union européenne, il faudra convaincre les Irlandais, les Belges, les Luxembourgeois, ce n'est pas gagné, on l'a vu sur la…

BRUNO LE MAIRE
Je vais être très franc avec vous, Frédéric METEZEAU, nous n'y arriverons pas, j'ai bien vu sur la taxe GAFA que, malgré tous nos efforts, nous avons convaincu, d'abord, 5 Etats, puis, 19, puis, 24, et puis, il en est resté 4, l'Irlande, le Danemark, la Suède et la Finlande, je les cite parce que, que chacun prenne ses responsabilités. Et ils se sont opposés à la mise en place de cette taxation des géants du numérique qui emportait pourtant la conviction de 24 Etats européens sur 28, on ne va pas refaire la même chose sur la taxation minimale, on sait très bien qu'au bout du compte, ce sera exactement la même chose, vous aurez des Etats qui pratiquent le dumping fiscal en Europe qui s'opposeront à cette taxation. Donc notre proposition avec le président de la République, c'est que nous parvenions le plus rapidement possible à ce que ces décisions fiscales, au sein de l'Union européenne, ne soient plus prises à l'unanimité, mais prises à la majorité qualifiée, parce que je ne vois pas…

FREDERIC METEZEAU
Donc changer les règles actuelles ?

BRUNO LE MAIRE
Mais je tire les conséquences de l'échec que nous avons connu sur la taxation du numérique, il faut changer les règles, il faut que les décisions fiscales soient prises à la majorité qualifiée, et plus à l'unanimité dans l'Union européenne, pour éviter qu'une minorité puisse bloquer la majorité, vous savez, on parle beaucoup de démocratie dans l'Europe. Mais la démocratie, c'est que lorsque une large majorité d'Etats européens veulent une taxation du numérique ou veulent une taxation minimale, eh bien, on la met en place…

FREDERIC METEZEAU
On y va. Cette taxe GAFA, elle inquiète les Etats-Unis, ils ont ouvert une enquête, ils envisagent peut-être des représailles économiques, éventuellement une taxation des vins français, de la gastronomie française importée, etc. Vous croyez vraiment que les Américains peuvent avoir des représailles sur cette taxe GAFA, que vous dit votre homologue, monsieur MNUCHIN ?

BRUNO LE MAIRE
A partir du moment où les Etats-Unis ont, pour la première fois de l'histoire de notre relation bilatérale, ouvert une section 301, c'est-à-dire la possibilité d'infliger des sanctions bilatérales à la France pour une décision prise souverainement par la France, oui, la sanction, la possibilité de sanctions américaines contre la France existe, il y a l'instrument juridique, la section 301, et il y a, visiblement, la volonté politique. Ce que je vais expliquer avec beaucoup de clarté à mon homologue Steven MNUCHIN, avec lequel nous travaillons très bien depuis deux ans, c'est que c'est l'intérêt des Etats-Unis de mettre en place cette taxation d'un nouveau modèle économique qui repose sur la création de valeur par des données, et que nous ne voulons pas cibler des entreprises américaines, nous voulons mettre en place une fiscalité adaptée à la réalité économique du 21ème siècle, au 20ème siècle, la richesse, c'était quoi, c'était des biens manufacturiers, c'était des services, ils sont taxés, voilà, sur le lieu de production…

FREDERIC METEZEAU
C'était du solide !

BRUNO LE MAIRE
Aujourd'hui, tout cela n'a plus le sens, la valeur, elle se fait sans lieu de production, sans présence physique…

FREDERIC METEZEAU
C'est liquide…

BRUNO LE MAIRE
C'est totalement immatériel. Et vous pouvez créer beaucoup de valeurs sans avoir d'usine, sans avoir d'employé, sans avoir de salarié, dans l'Etat où vous profitez des données des consommateurs, ça mérite d'être taxé à un juste niveau, c'est tout ce que nous proposons ; je pense que c'est l'intérêt américain, en tout cas, la France ne cédera pas sur la mise en place de sa taxation nationale, elle a été décidée, elle sera mise en place, elle a été votée et elle sera appliquée dès 2019. Je crois que la meilleure solution et la sagesse, c'est désormais de trouver une solution internationale, le G7, c'est le bon moment pour décider de cette taxation internationale, et ensuite, nous essayerons de trouver un accord à l'OCDE.

FREDERIC METEZEAU
Bruno LE MAIRE, vous vous êtes très volontariste dans vos propos, on se souvient de propos volontaristes, y a dix ans à Londres, c'était le G20, il y avait Nicolas SARKOZY, Barack OBAMA, Angela MERKEL déjà, Gordon BROWN, ils étaient plutôt en phase, aujourd'hui, est-ce que ce n'est pas encore plus difficile quand on a l'Amérique de TRUMP, l'Italie de SALVINI ou le Royaume-Uni du Brexit, d'avancer sur ces grands dossiers internationaux ?

BRUNO LE MAIRE
Si, c'est plus difficile et c'est encore plus nécessaire, parce que depuis dix ans, Nicolas SARKOZY, d'autres dirigeants internationaux avaient tiré la sonnette d'alarme, et Nicolas SARKOZY notamment avait dit que nous ne pouvions pas continuer avec un modèle économique qui crée plus d'injustices…

FREDERIC METEZEAU
Et ça n'a pas beaucoup changé en dix ans…

BRUNO LE MAIRE
Et je le redis avec beaucoup de conviction et beaucoup de gravité, un capitalisme qui conduit à l'accroissement des inégalités ne mène nulle part, un capitalisme qui épuise les ressources de la planète est inacceptable pour chacun d'entre nous…

FREDERIC METEZEAU
Mais on disait ça il y a dix ans, à Londres, déjà…

BRUNO LE MAIRE
Donc il y a une urgence absolue à modifier cette donne, sinon, nous retrouverons dans la situation où nous sommes aujourd'hui, l'émergence de nationalisme, de populisme, de mouvements extrêmes, tout simplement parce que les démocraties libérales n'ont pas été suffisamment capables d'apporter des réponses à ces inquiétudes et à ces injustices, donc ce n'est pas simplement une question économique, c'est une question politique fondamentale…

FREDERIC METEZEAU
Et pourquoi ça marcherait mieux aujourd'hui ?

BRUNO LE MAIRE
Si nous voulons que les démocraties libérales arrivent à retrouver leur crédibilité auprès de nos concitoyens, il faut réduire les inégalités, il faut lutter contre le réchauffement climatique, il faut avoir un capitalisme plus juste. Et je pense que ça peut marcher mieux aujourd'hui…

FREDERIC METEZEAU
Et pourquoi ça marcherait mieux en 2019 ?

BRUNO LE MAIRE
Parce qu'il me semble qu'il y a une vraie prise de conscience, quand vous entendez le FMI qui dit : attention les inégalités sont en train de s'accroître, c'est un problème, quand vous voyez qu'aux Etats-Unis, il y a un débat sur les géants du numérique, aux Etats-Unis, sur le poids qu'ils ont pris, sur cette nouvelle monnaie de Facebook, Libra, sur la possibilité que ces géants du numérique deviennent des Etats privés, il y a des interrogations, pas en France, en Allemagne, en Italie, aux Etats, Unis dans le coeur du coeur de ces géants du numérique ; donc il y a aujourd'hui cette prise de conscience, appuyons-nous sur la prise de conscience des gens, des citoyens, pour faire avancer les choses et changer la donne.

FREDERIC METEZEAU
Avant d'aller au standard de France Inter, Bruno LE MAIRE, questions sur le projet de budget 2020 qui a été présenté, la semaine dernière, par vous-même et par Gérald DARMANIN, le gouvernement renonce à la suppression de 50.000 postes de fonctionnaires d'Etat, le déficit va repartir, alors vous êtes bien aidé par les taux d'intérêt négatifs, mais il y a quoi, il y a quand même du relâchement de votre côté ?

BRUNO LE MAIRE
La direction qui est celle du rétablissement des Finances publiques, elle est tenue, et elle continuera d'être tenue. Ensuite, vous ne pouvez pas faire comme s'il n'y avait pas eu un mouvement social de très grande ampleur, qui appelait à la restauration des services publics, à la consolidation des services publics, nous tenons compte de cette réalité sociale, vous ne pouvez pas passer en force, ça n'existe pas, donc l'idée qu'on pourrait imposer brutalement aux Français des directions qu'ils ne souhaitent pas, je pense que c'est une erreur. En revanche, nous avons été élus, le président de la République a été élu sur l'idée du rétablissement des Finances publiques et d'une politique économique de l'offre, eh bien, nous tiendrons ces deux directions, le rétablissement des Finances publiques avec Gérald DARMANIN, et une politique de l'offre, parce que moi, ce que je constate, c'est qu'elle donne des résultats, que nous avons des emplois, que nous avons créé un demi-million d'emplois en deux ans, que nous recréons enfin des emplois industriels dans notre pays, et que nous avons un niveau de croissance qui est finalement pas si mal quand on se compare à nos voisins européens.

FREDERIC METEZEAU
Allez, on va au standard à 08h34. Nicolas est en ligne de Belfort. Bonjour Nicolas. Bruno LE MAIRE vous écoute.

NICOLAS
Oui, bonjour.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Nicolas.

NICOLAS
J'avais une question en trois volets en fait, au vu de la litanie des plans de sauvegarde de l'emploi, les prémices de ceux à venir à l'instar de DEUTSCHE BANK, n'avez-vous jamais songé à une autre économie, ce que j'entends, c'est une économie pilotée par l'écologie, et non l'inverse, une économie associé au développement des territoires pour tenter de les redynamiser, et non de délocaliser et de centraliser, et aussi, dernier point, avec une vision moins paternaliste et unidirectionnelle des échanges Nord-Sud ?

FREDERIC METEZEAU
Merci beaucoup pour cette question en trois volets, Nicolas. Bruno LE MAIRE, ce que nous dit Nicolas, c'est, en gros, est-ce qu'il faut juste adapter ou moraliser le capitalisme, ou est-ce qu'il faut vraiment passer dans un autre modèle où l'écologie serait peut-être la matrice de l'économie ?

BRUNO LE MAIRE
Je ne dis pas qu'il faut juste ajuster à la marge, je dis qu'il faut transformer notre modèle économique en profondeur, développement des territoires, oui, moi, je suis favorable à ce que les territoires aient plus d'autonomie, plus d'indépendance dans leur développement économique, et qu'ils puissent participer à la ré-industrialisation, Nicolas est de Belfort, croyez-moi, on travaille d'arrache-pied, 24 heures sur 24, sur les nouvelles perspectives industrielles pour GE…

FREDERIC METEZEAU
GENERAL ELECTRIC…

BRUNO LE MAIRE
C'est évidemment un dossier que je suis au jour le jour tellement il est important à mes yeux. L'écologie, bien entendu que le modèle de développement économique que nous voulons proposer, c'est une économie décarbonée, et là, la France, l'Union Européenne, de manière générale, doit montrer que nous sommes le continent de l'économie décarbonée par rapport à la Chine ou par rapport aux Etats-Unis. Quant au développement des pays africains ou des pays du Sud, c'est un sujet absolument majeur, mais nous avons décidé d'augmenter notre aide publique au développement, justement, pour permettre à ces Etats de se développer davantage, j'ai proposé à Melinda GATES de participer au G7 Finances, elle sera là demain, à Chantilly, pour présenter une idée que je trouve très forte, qui est celle de l'inclusion bancaire des femmes, vous avez aujourd'hui des centaines de millions de femmes dans les pays en développement qui n'ont tout simplement pas de compte bancaire, quand vous n'avez pas de compte bancaire, vous n'avez pas de liberté, pas de liberté par rapport à votre famille, pas de liberté par rapport à votre projet professionnel, vous êtes condamné à rester au même endroit et à ne pas pouvoir développer vos propres projets…

FREDERIC METEZEAU
Elle reste mineure d'une certaine façon…

BRUNO LE MAIRE
Elle reste mineure. Nous, tout ce que nous portons, ça rejoint notre réflexion sur la démocratie libérale, ce que nous portons, c'est que chaque citoyen doit être majeur en Europe et dans le reste du monde, eh bien, l'inclusion financière des femmes, c'est permettre à toutes les femmes des pays en développement d'être majeures et de mener leur vie comme bon leur semble.

FREDERIC METEZEAU
Retour au standard : 01.45.24.7000, Françoise, soyez la bienvenue.

FRANÇOISE
Oui, bonjour Messieurs. Bonjour Monsieur LE MAIRE.

BRUNO LE MAIRE
Bonjour Françoise.

FRANÇOISE
Voilà, vous employez des mots très forts : volontarisme, ça n'a plus de sens, néanmoins, moi, ce qui n'a plus de sens pour moi, quand on veut être vert, n'est-ce pas, c'est d'être pour le CETA et pour le Mercosur. Alors, je voudrais votre avis sur le sujet s'il vous plaît.

FREDERIC METEZEAU
Merci Françoise. Bruno LE MAIRE, les traités commerciaux avec le Canada et avec l'Amérique du Sud, le CETA, avec le Canada, est débattu cet après-midi à l'Assemblée nationale. Vous défendez ces deux accords ?

BRUNO LE MAIRE
Oui, je défends le CETA, je défends le CETA, parce que j'ai été ministre de l'Agriculture pendant trois ans, que ce que je constate, c'est que ça permet de développer nos échanges agricoles, notamment pour les fromages…

FREDERIC METEZEAU
Et on a beaucoup de questions au standard sur ce sujet…

BRUNO LE MAIRE
Mais je comprends, ce sont des questions qui sont totalement légitimes, on a tous ces questions, quand vous vous engagez dans la négociation d'un accord, vous vous dites, d'abord, bon, est-ce que c'est bon pour notre industrie, pour nos usines, pour nous ouvriers, est-ce que c'est bon pour nos paysans, est-ce qu'ils vont y perdre, est-ce qu'ils vont y gagner, est-ce que vraiment les contrôles seront stricts, moi, je souhaite que le Mercosur soit contrôlé de manière extrêmement stricte, mais derrière la question de Françoise, il y a une question plus générale : est-ce qu'on se replie chacun sur soi ou est-ce qu'on essaye d'intégrer tous les pays et d'engager tous les pays notamment dans la lutte contre le réchauffement climatique, on peut…

FREDERIC METEZEAU
Mais sur le Mercosur, il y a beaucoup de critiques, au sein même de votre majorité…

BRUNO LE MAIRE
Mais sur Mercosur, j'entends parfaitement ces critiques, je pense qu'il faut y répondre une par une, mais avant de répondre à ces critiques de détail, point par point, il y a un choix politique plus large, est-ce que nous laissons le Brésil de côté, en disant : bon, ils font de la déforestation de la forêt amazonienne, on les laisse de côté, on ne négocie pas avec eux. Ou est-ce qu'on se dit : on les engage, ils signent l'accord de Paris, c'est ce que le président de la République a réussi à obtenir du Brésil, on va veiller à ce qu'ils respectent leurs engagements au titre de l'accord de Paris, qu'ils luttent contre la déforestation de la forêt amazonienne et qu'ils reculent là-dessus, et en échange de cela, nous signons un accord commercial avec eux, s'ils ne le respectent pas, il y a une clause de sauvegarde, et on n'applique pas ce traité, moi, je crois plus…

FREDERIC METEZEAU
Vous pensez qu'on peut faire confiance à monsieur BOLSONARO ?

BRUNO LE MAIRE
Non, la confiance, certainement pas, le contrôle, oui, l'engagement, oui, pas la confiance, les yeux fermés en se disant : ils vont naturellement respecter les accords de Paris, mais je pense que le choix stratégique qui consiste à dire : il vaut mieux tendre la main, inciter un immense pays comme le Brésil à lutter contre la déforestation et arrêter avec cette politique qui est ruineuse et qui détruit des puits de carbone par centaines de milliers d'hectares, il faut que ça cesse, donc on signe un accord avec eux, on le vérifie on le contrôle et on engage une relation avec eux, je pense que c'est mieux que le chacun pour soi, où on se dit : on ne veut pas les voir, on les laisse de côté, et puis, chacun se débrouille de son côté, je pense que c'est au bout du compte plus efficace pour la lutte contre le réchauffement climatique.

FREDERIC METEZEAU
Mais sur le CETA, Bruno LE MAIRE, le Premier ministre a nommé une commission indépendante pour l'expertiser, et elle est plutôt très critique en matière de taux de carbone, en matière de protection des produits alimentaires importés ou même avec le risque des tribunaux arbitraux quand il y aura des litiges entre les Etats et les grandes multinationales, c'est une commission indépendante nommée par Matignon qui dit ça…

BRUNO LE MAIRE
Mais le Premier ministre a parfaitement raison, et il a eu, je pense, la bonne décision, en mettant en place cette commission indépendante, il faut regarder point par point, il y a une inquiétude que j'ai vue, et que je comprends parfaitement, là encore, j'étais trois ans ministre de l'Agriculture, sur la manière dont sont nourris les bovins au Canada, nous, nous interdisons les farines animales, c'est-à-dire l'utilisation de carcasses animales mortes pour l'alimentation des animaux et des bovins, à cause de l'encéphalite spongiforme bovine…

FREDERIC METEZEAU
La vache folle…

BRUNO LE MAIRE
On ne veut pas voir se reproduire à nouveau une crise sanitaire de cet ordre-là. Le Canada autorise les protéines animales transformées, ce qui est différent, mais il faut qu'on vérifie tout cela, dans le détail, et pour garantir la sécurité sanitaire du consommateur et du citoyen européen. Donc je pense que ces accords internationaux, ils permettent d'engager des pays, ils permettent de développer notre activité, et donc d'avoir une agriculture qui se porte mieux, de créer des emplois, de créer de la prospérité, mais chacune de ces dispositions doit être vérifiée avec la plus grande rigueur, sinon, ces traités deviendront inacceptables pour nos concitoyens.

FREDERIC METEZEAU
On a beaucoup, beaucoup, beaucoup de questions au standard et sur « Franceinter.fr », je ne pourrai pas toutes les prendre, je voudrais vous lire la question de Béatrice : pourquoi avec les emprunts à taux négatifs, pourquoi continuer à vendre les AEROPORTS DE PARIS et LA FRANÇAISE DES JEUX alors que ce sont des entreprises, des groupes qui rapporte beaucoup à l'Etat, merci de me répondre nous dit Béatrice.

BRUNO LE MAIRE
Alors, Béatrice, parce que nous avons une dette de 99,6 %, et que je considère que tout doit être fait pour désendetter notre pays, je ne crois pas à cette politique qui consisterait à dire : on peut continuer à accumuler de la dette publique, de la dette publique et de la dette publique, parce qu'un jour, ces taux d'intérêt se renverseront, et il faudra payer la facture. Et je ne veux pas être le ministre de Finances qui laisse à nos enfants une facture d'endettement public qui aurait explosé à régler d'ici quelques années. Par ailleurs, il y a derrière cela aussi une vision de ce que doit être le rôle de l'Etat dans l'économie, moi, je pense que l'Etat, il est là pour défendre un ordre public économique, pour mettre en place une fiscalité plus juste et plus efficace, c'est-ce que je fais avec la fiscalité minimale ou avec la fiscalité du digital, il est là pour permettre aux grands services publics de se développer, je crois profondément aux services publics, je pense que c'est un des traits de l'économie française dont on nous pouvons être fiers, parce que c'est efficace, et parce que c'est juste. En revanche, que l'Etat s'occupe des jeux de hasard, honnêtement, je trouve que ce n'est pas son rôle…

FREDERIC METEZEAU
L'aéroport, ce n'est pas un grand service public, ce n'est pas régalien, c'est la première frontière de France, l'aéroport…

BRUNO LE MAIRE
Mais ce qui est régalien, c'est la frontière, bien sûr, mais contrairement à ce que j'entends dire, il n'a jamais été question de privatiser la frontière, il y aura toujours des douaniers, il y aura toujours des policiers, il y aura toujours des gendarmes pour contrôler les frontières, pour contrôler les biens, pour contrôler les gens, il n'a jamais été question de privatiser la frontière. En revanche, tout ce qui activité commerciale, moi, j'estime que c'est plus du domaine du privé que du domaine de l'Etat, et si nous voulons renforcer l'Etat, parce que, moi, je crois à l'Etat, je crois à la puissance publique, eh bien, il faut le concentrer sur ses missions essentielles.

FREDERIC METEZEAU
Bruno LE MAIRE, le ministre de l'Economie et des finances, était l'invité de France-Inter en ce jour de G7 Finances à Chantilly.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 juillet 2019