Interview de M. Franck Riester, ministre de la culture à RFI le 15 février 2019, sur l'économie numérique et les droits d'auteur.

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Média : Radio France Internationale

Texte intégral

FREDERIC RIVIERE
Bonjour Franck RIESTER.

FRANCK RIESTER
Bonjour Frédéric RIVIERE.

FREDERIC RIVIERE
Vous êtes ministre de la Culture depuis maintenant quatre mois ; c'est un beau ministère avec de prestigieux prédécesseurs mais vous travaillez sur le sensible, sur l'intelligence mais malheureusement, dans votre champ de compétences ; il n'y a pas que cela ; il n'y a pas que l'opéra ; les musées, les concerts, les expositions, la littérature, il y a aussi toute la fange qui se déverse sur les réseaux sociaux : antisémitisme, racisme homophobie et j'en passe. Est-ce qu'on peut espérer un jour en finir avec tout ça ?

FRANCK RIESTER
Malheureusement, la haine est parfois une caractéristique de la nature humaine. Ce n'est pas la plus belle ! Donc je ne suis pas certain que ce trait, cette caractéristique humaine s'efface à jamais. Pour autant, on doit faire en sorte que sur les réseaux sociaux qui est un espace public …

FREDERIC RIVIERE
Qu'ils utilisent …

FRANCK RIESTER
…que les …utilisent soit régulé pour ne plus laisser perdurer ce type de propos sur ces plates-formes. Et donc c'est toute la volonté du président de la République, du Premier ministre et du gouvernement, de Marianne SCHIAPPA et Mounir MAHJOUBI hier ont précisé quelle était l'ambition du gouvernement en matière de lutte contre ces propos haineux et ça passe clairement par deux choses : d'abord, punir ceux qui tiennent ces propos-là et trouver tous les dispositifs parce que c'est plus compliqué évidemment sur les supports numériques que sur d'autres supports, trouver tous les moyens pour rapidement identifier celles et ceux qui tiennent ce type de propos. Ça passe par une identification leur adresse IP notamment et puis deuxièmement, ça passe par une responsabilisation des plateformes. On doit faire en sorte que les plateformes retirent très rapidement, presque instantanément ces contenus haineux. Alors, bien évidemment, la difficulté, c'est à partir de quand on retire les contenus ? A partir de quand on estime que c'est un propos haineux ? Il y a des fois, c'est très clair, il y a des fois, c'est plus difficile à établir et donc c'est tout ce travail engagé avec les plates-formes, certaines plates-formes jouent bien le jeu avec nous, je pense par exemple à FACEBOOK. Vous savez que Mark ZUCKERBERG et Emmanuel MACRON ont eu un échange très important il y a quelques mois et il y a eu un engagement pris par Facebook de travailler avec le gouvernement français pour essayer, et les équipes du gouvernement français, pour essayer de travailler à cette meilleure responsabilisation des plateformes. Donc on avance, d'autres sont beaucoup plus réticentes et donc il faut le dire, il faut le dénoncer.

FREDERIC RIVIERE
A propos de des géants du numérique toujours, vous avez un motif de satisfaction puisqu'un accord vient d'être conclu au niveau européen sur la question des droits d'auteur et dans une certaine mesure, c'est précisément une victoire contre ces chez ces géants du numérique qui ont bataillé pour qu'il ne soit pas obtenu ?

FRANCK RIESTER
Oui, on doit avoir une juste rémunération de celles et ceux qui créent les contenus audiovisuels et jusqu'à aujourd'hui et ces grands géants du Net faisaient de l'argent grâce à la publicité notamment sans rémunérer suffisamment les auteurs et les créateurs. Grâce à cette directive européenne qui doit encore être votée par le Parlement et le Conseil européen mais ça va, j'en suis convaincu, ça va être le cas puisqu'il y a eu un accord dans le cadre d'un trilogue entre le Parlement européen, le Conseil européen et la Commission pour mettre des règles qui viseront à, en matière de presse, créer un droit voisin pour les éditeurs de presse, c'est-à-dire mieux rémunérer les articles qui sont en ligne, donc mieux rémunérer les éditeurs de presse donc les titres de presse, les agences de presse et donc les journalistes, deuxièmement de mieux partager la valeur sur les plateformes de contenus qui aujourd'hui … toute la valeur créée par la publicité est refléchée uniquement ou quasiment uniquement vers les géants du numérique et puis troisièmement, veiller à ce qu'il y ait une rémunération juste et proportionnée des créateurs que ça soient les auteurs ou les artistes.

FREDERIC RIVIERE
Vous avez publié, Franck RIESTER, il y a quelques jours une tribune dans Le Monde dans laquelle vous dites que la langue française, je vous cite, est essentielle à notre pacte républicain et à la cohésion sociale. Pourquoi avez-vous éprouvé le besoin de dire cela ? La langue française vous paraît aujourd'hui malmenée, même menacée ?

FRANCK RIESTER
Menacée, peut-être pas à ce point-là mais en tout cas, oui, elle est malmenée. Elle est malmenée parce que on voit bien que la langue utilisée partout très souvent, c'est l'anglais et il n'y a pas de raison qu'on ne détermine …qu'on ne soit pas déterminé à promouvoir la langue française, à parler la langue française. La langue française, c'est beaucoup de choses, ce sont notamment des valeurs qui sont véhiculées par cette langue, c'est toute une histoire, toute une culture et donc nous devons nous battre pour faire en sorte que la langue française soit préservée, et pas malmenée. Ça passe par le fait de la parler, de ne pas hésiter même dans d'autres pays de parler d'abord le français plutôt que systématiquement avoir recours à l'anglais et puis deuxièmement, c'est de faire en sorte que cette langue ne paraisse pas figée et donc a été créée il y a quelque temps une commission de l'enrichissement de la langue française c'est-à-dire, on ne dit pas la langue française, elle est immuable, elle ne doit pas tenir compte de l'évolution de la société, de l'évolution des techniques, des technologies, des habitudes mais en tout cas on doit préserver, je dirais, sa spécificité, presque sa pureté mais on doit pouvoir l'enrichir malgré tout et donc cette commission d'enrichissement par exemple, ça permet de créer des mots qui n'existait pas parce que la réalité n'existait pas. Les « infox », la désinformation, on voit bien qu'il y a de plus en plus de désinformation …

FREDERIC RIVIERE
On disait « fake news » à un moment, maintenant c'est « infox » …

FRANCK RIESTER
Voilà, tout le monde disait « fake news », on a trouvé un mot, cette commission a trouvé un mot qui s'appelle infox et ce mot est de plus en plus utilisé, c'est un mot français donc utilisons-le, les journalistes, les hommes politiques ont une responsabilité aussi de véhiculer les mots nouveaux de la langue française qui sont des mots qui ne sont pas des anglicismes pour autant mais qui sont des mots …

FREDERIC RIVIERE
Justement, c'est vrai que « infox », c'est assez malin, c'est bien trouvé. En revanche, vous parlez des anglicismes ; vous n'avez pas l'impression que la langue française, elle est un peu malmenée, parfois par les responsables politiques mais aussi assez largement par les journalistes ? Par exemple, je prends celui-là parce qu'on l'entend beaucoup mais « impacter », ce verbe qu'on entend à longueur de journée, c'est un peu exaspérant, non ?

FRANCK RIESTER
Oui et vous avez raison, donc ça passe par l'Education nationale aussi.

FREDERIC RIVIERE
Donc faire passer le message …

FRANCK RIESTER
Ca passe par l'Education nationale aussi. On voit bien qu'il y a besoin de mieux former encore nos jeunes, c'est toute l'ambition du gouvernement en matière d'éducation, de dédoublement de classes en CP et en CE1 pour faire en sorte qu'on apprenne mieux la langue française à l'écrire, à lire, à la dire. C'est très important et ça passe aussi par une mobilisation des acteurs publics et médiatiques autour de la préservation de la langue française, ce ne veut pas dire qu'en français est une langue morte, loin s'en faut, elle est très vivante et elle sait s'adapter c'est ce qu'on prouve avec la Commission d'enrichissement de la langue française.

FREDERIC RIVIERE
Alors, vous parliez de cohésion nationale dans cette tribune, la langue française en est un outil essentiel, disiez-vous et c'est vrai que la cohésion en ce moment, la France en a besoin. Est-ce que la culture ne pourrait pas être un des éléments de cette cohésion nationale à l'occasion par exemple du grand débat ?

FRANCK RIESTER
Bien sûr. La culture est un élément d'émancipation personnelle. Il est plus facile de vivre son métier de vivre comme disait Cesare PAVESE, donc il y a une dimension individuelle à la culture, il y a une dimension aussi collective. La culture, ça rassemble, ça permet de partager des émotions ensemble, quand vous allez voir un film dans une salle de cinéma, il y a un partage. Quand vous allez voir un concert comme vous allez à une exposition, vous partagez la culture et vous rassemblez même si vous n'êtes pas d'accord politiquement, même si vous avez des opinions différentes, vous savez vous rassembler autour de la culture et donc il est bien évidemment indiqué si je puis dire, j'appelle toutes celles et ceux qui ont envie d'exprimer des choses sur la culture de le faire dans le grand débat puisque dans les 4 thèmes qui ont été retenus dans le grand débat, il est possible de particules dures et puis, plus largement de profiter de ce moment de prise de parole, de s'exprimer autour de la culture. Je sais qu'il y a un certain nombre d'initiatives qui sont prises pour qu'on puisse parler de culture dans ce débat, c'est la raison aussi pour laquelle j'ai appelé tous les lieux de culture à s'ouvrir aux débats et en ce qui concerne l'international, bien sûr, les instituts français ont toute leur place dans le dispositif pour organiser des débats et évidemment on le voit bien qu'une des sorties possibles de notre crise aujourd'hui en France, c'est la culture. Il y a beaucoup d'offre en matière culturelle ; il y a beaucoup de choses qui sont faites mais ce n'est pas suffisamment su ou pas suffisamment facile d'y accéder. C'est la raison pour laquelle le président de la République a souhaité créer un passe culture, cette application qui recense toutes les offres culturelles et qui donne la possibilité aux jeunes de 18 ans d'avoir un budget de 500 euros pour pouvoir accéder à ces offres culturelles et c'est ce qu'on essaie de faire avec les musées numériques, par exemple, avec cette belle initiative de la Villette avec les Microfolie's qui existent en France mais aussi hors de France.

FREDERIC RIVIERE
Merci Franck RIESTER, bonne journée !

FRANCK RIESTER
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 19 février 2019