Interview de M. Franck Riester, ministre de la culture à France-Inter le 20 juin 2019, sur la réforme de la politique de l'audiovisuel.

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Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND
Et avec Léa SALAME nous recevons ce matin dans « Le grand entretien du 7-9 », le ministre de la Culture, avec lequel vous allez pouvoir dialoguer dans une dizaine de minutes au 01.45.24.7000, sur les réseaux sociaux et l'application mobile de France inter. Bonjour Franck RIESTER.

FRANCK RIESTER
Bonjour Nicolas DEMORAND.

NICOLAS DEMORAND
Et merci d'être à notre micro ce matin.

FRANCK RIESTER
Merci à vous.

NICOLAS DEMORAND
On va aborder avec vous dans un instant la réforme de l'audiovisuel public, avec les annonces, hier, notamment du Premier ministre, mais d'abord cette tribune dans Le Monde, que vous signez avec vos collègues ministres Nicole BELLOUBET, Jean-Michel BLANQUER, Christophe CASTANER, avec les secrétaires d'Etat Marlène SCHIAPPA, Cédric O, Gabriel ATTAL et la députée Laetitia AVIA, tribune sur : la haine en ligne, vers la fin de l'impunité. Certains craignent, allons au coeur du problème tout de suite, que cette future loi Avia sur la haine en ligne, pleine de bonnes intentions évidemment, finisse par réduire le champ de la liberté d'expression. Comment les rassurer ?

FRANCK RIESTER
Oui, il faut être vigilant, mais il y a une détermination totale du gouvernement, à la demande du président de la République et du Premier ministre, d'apporter une réponse à ce défi de notre société, c'est comment lutter contre ces propos injurieux, ces incitations à la haine, qui sont aujourd'hui monnaie courante sur les réseaux sociaux. Pour ça une réponse triple. D'abord, absolument sanctionner ceux qui sont responsables de ces propos-là, il faut qu'ils assument leur responsabilité. Deuxièmement, c'est responsabiliser aussi les plateformes, pour qu'elles retirent très rapidement ces propos, pour pas que ces propos se diffusent largement. Et troisièmement, c'est l'éducation, c'est notamment nos plus jeunes, faire en sorte à travers l'éducation à l'image, à travers l'audiovisuel public, à travers la lutte contre la désinformation, la sensibilisation, la compréhension de ce que veut dire, pour des gens, ces propos et ces injures, que nous devons changer nos pratiques. Et c'est ce triple engagement, qui est bien clair dans notre tribune, et bien évidemment il faut être vigilant, Nicolas DEMORAND, sur la protection de notre liberté d'expression. C'est un bien précieux, nous vivons en démocratie, il faut que nous soyons garants de cette liberté d'expression, mais liberté d'expression ne veut pas dire que nous ne devons pas, aussi, faire attention aux dérives de cette liberté d'expression, qui peuvent conduire à des drames.

LEA SALAME
Il y a une question sur le délai pour retirer un contenu haineux ou qui pourrait être considéré comme tel en justice, ce délai est de 24 heures, n'est-ce pas trop court, les plateformes ne risquent-elles pas de faire du zèle, de sur-supprimer des contenus, qui ne ressortent pas de la loi, simplement pour se protéger, est-ce que ce n'est pas un risque, beaucoup le disent ?

FRANCK RIESTER
Si c'est un risque. Sur la partie responsabilisation des plateformes nous avons pris la décision, après un travail remarquable de la députée Laetitia AVIA, d'accompagner sa proposition de loi, qu'elle a proposée au Parlement, qui vise à justement demander aux plateformes de retirer dans un délai de 24 heures les propos injurieux, et aussi de faire preuve de transparence sur la façon dont ils modèrent les propos, et les outils qu'ils mettent à leur disposition pour gérer ce retrait des propos haineux ou injurieux.

LEA SALAME
24 heures ce n'est pas trop court ?

FRANCK RIESTER
Et on demande au CSA d'être, en tant que régulateur, le garant de ce retrait de 24 heures, et donc nous demandons aussi au CSA de s'assurer qu'il n'y ait pas des retraits abusifs, et ça c'est le fruit d'ailleurs des débats parlementaires, je trouve que c'est très juste, il faudra que le CSA… Ce sera toute la difficulté, ce n'est pas simple, on sait bien que c'est une matière qui est difficile, mais ça sera au CSA de juger si tous les outils, toutes les méthodes sont mises en oeuvre par les plateformes, si effectivement elles retirent bien dans les 24 heures les propos qui ont été signalés par les internautes, et enfin s'il n'y a pas d'abus, parce que s'il y avait des abus ça mettrait effectivement en péril cette liberté d'expression à laquelle nous sommes si attachés.

NICOLAS DEMORAND
Emmanuel MACRON avait évoqué l'idée d'interdire l'anonymat en ligne, où en est-on, est-ce abandonné, si oui, pourquoi ?

FRANCK RIESTER
Ecoutez, il avait évoqué cette question-là, et je pense qu'il n'y a aucun débat qui doit être tabou. Moi, à titre personnel, je suis opposé à supprimer l'anonymat, mais maintenir l'anonymat ne signifie pas… ne pas demander à ce que celles et ceux qui tiennent ces propos-là, d'être poursuivis devant les tribunaux si ce sont des propos haineux ou injurieux. Pourquoi ? Parce qu'on peut les retrouver à travers notamment les adresses IP.

LEA SALAME
Franck RIESTER, avant d'aborder la question de l'audiovisuel public, encore une question, êtes-vous favorable à la réforme, qui semble se profiler, de la loi de 1881 sur la liberté de la presse, nombre d'avocats disent que cette réforme n'a pas d'objet, qu'elle serait même dangereuse, qu'il suffirait d'ajouter un alinéa pour que le Parquet puisse agir en comparution immédiate, qu'il ne faut pas toucher à la loi. Qu'est-ce que vous en pensez ?

FRANCK RIESTER
J'en pense qu'il n'y a pas de débat tabou, et j'en pense que la loi de 1881 c'est un des piliers, justement de la protection de la liberté d'expression, pilier donc de notre démocratie, pilier de la liberté de la presse, mais aussi la liberté d'expression plus largement, puisqu'on sait bien que ce n'est pas simplement l'émetteur qui est regardé, mais c'est le moyen de communiquer, et les publications, qu'elles soient émises, publiques, qu'elles soient émises par un individu ou par un éditeur de presse, tombent sous la loi de 1881, et c'est une loi qui est protectrice de la liberté d'expression, qui n'empêche absolument pas qu'il y ait des sanctions pour ceux qui tiennent des propos injurieux, qui diffament. Et donc, nous avons, avec Nicole BELLOUBET, sollicité un avis de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme, pour avoir son avis, mais c'est un bien précieux, mais comme tout bien précieux il peut aussi évoluer, mais attention, il faut qu'on le fasse évoluer, éventuellement, mais d'une main tremblante.

NICOLAS DEMORAND
Venons-en donc, Franck RIESTER, à la grande réforme de l'audiovisuel public, qui doit regrouper en holding FranceTélévisions, Radio France, l'Ina, France Medias Monde, elle devait être présentée initialement en juillet en Conseil des ministres, finalement ce sera octobre prochain, a dit hier le Premier ministre. Est-ce que, pour commencer, le modèle d'une BBC à la française, que vous aviez défendu avant d'être ministre, est-ce que ce modèle-là est exclu ?

FRANCK RIESTER
Non, les arbitrages ne sont pas finis, mais l'idée d'une fusion totale des entreprises de l'audiovisuel public n'est pas retenue, ça c'est certain, donc il y a deux solutions en termes d'organisation. Soit des coopérations encore plus importantes qu'il n'existe aujourd'hui, entre entreprises indépendantes, soit une holding avec des fonctions exécutives pour mieux coordonner les différentes stratégies de chaînes, éventuellement créer des joint-ventures sur telle ou telle mission, pour permettre de relever les défis de l'audiovisuel public. Nous voulons que l'audiovisuel public français soit une référence en Europe, on n'a jamais eu autant besoin d'audiovisuel public qu'aujourd'hui, en matière d'information, en matière d'éducation, en matière de culture, en matière de lutte contre la désinformation, en matière de rayonnement de notre pays, c'est fondamental, nous devons avoir une grande ambition pour audiovisuel public, mais il faut relever ces défis-là. Et comment on relève ces défis forts ? Eh bien, d'abord en misant sur les femmes et les hommes de l'audiovisuel public, en investissant dans les innovations, dans les nouvelles technologies, pour être plus présents sur Internet, parce qu'on sait bien aujourd'hui que les usages de nos concitoyens évoluent dans leur accès aux contenus audiovisuels. Nous devons aussi faire en sorte qu'il y ait beaucoup plus de transversalité dans les missions de service public, entre la télé, la radio, l'Internet, en France, à l'étranger, et tous ces défis-là, on a la volonté de permettre à l'audiovisuel public de les relever, avec la loi dont vous avez parlé, qui va permettre de réaffirmer les missions de service public et de proposer une gouvernance renouvelée, et puis, aussi, en étant derrière…

LEA SALAME
Qui va gérer, si c'est une holding qui est…. ?

FRANCK RIESTER
Si c'est une holding ça sera évidemment géré d'une façon indépendante, par un conseil d'administration, nous souhaitons modifier le mode de nomination du président, ou des présidentes, ou des présidents, de l'audiovisuel public, dans, je dirais le périmètre actuel, ou dans la création d'une holding, nous ne souhaitons plus que ce soit le régulateur, puisque le régulateur est justement l'arbitre, il n peut pas être juge et partie, or aujourd'hui il est juge et partie, et donc ça ne sera plus le CSA qui nommera les présidents, ou présidentes, des entreprises de l'audiovisuel public, et ça sera le conseil d'administration, soit de la société holding, soit des entreprises, telles qu'elles sont aujourd'hui, à travers leur conseil d'administration, qui pourra être renouvelé dans sa composition.

LEA SALAME
Vous dites que vous avez une grande ambition pour l'audiovisuel public, grande ambition ça veut dire grands moyens également, est-ce qu'à l'issue de cette réforme il y aura, sur le service public, plus de pub, moins de pub, autant de pub ?

FRANCK RIESTER
Le modèle économique de l'audiovisuel public est fragile évidemment, et donc nous devons veiller à ne pas prendre des décisions qui mettraient en péril cet équilibre et ce modèle économique, pour autant ma conviction c'est qu'il faut faire en sorte de bien différencier le service public, du secteur privé, ça passe notamment par la présence de pub sur les antennes. J'ajoute que nous avons demandé à l'audiovisuel public de faire un effort, comme à de nombreux autres secteurs, dans le cadre du redressement des comptes publics, c'est le cas pour l'audiovisuel public, c'est le cas pour Radio France, mais que les choses soient claires, on est en transparence par rapport à cet effort, l'effort il est prévu jusqu'à 2022, pour le toutes les entreprises de l'audiovisuel public, et nous, en parallèle à cet effort, nous voulons vraiment inscrire l'audiovisuel public justement dans l'avenir, à travers les réformes que nous allons conduire avec les équipes de FranceTélévisions, avec les équipes de l'Ina, avec les équipes de Radio France, de France Medias Monde, d'Arte ou de TV5 Monde.

LEA SALAME
Le retour de la pub après 20h00 à la télé c'est exclu ?

FRANCK RIESTER
Oui, c'est exclu, oui.

NICOLAS DEMORAND
Alors, s'il n'y a pas plus de pub, Franck RIESTER, si des économies sont demandées aux entreprises de service public, si la redevance n'est ni augmentée, ni étendue aux nouveaux écrans, comment on fait pour avoir un service public audiovisuel fort, vous en avez décrit l'enjeu politique et culturel à l'instant, un service public très fort en Europe, comment on évite la paupérisation du service public, alors qu'il est un élément de la souveraineté culturelle de la France, pour vous citer, comment on l'évite ?

FRANCK RIESTER
Eh bien on l'évite en se transformant, et on l'évite en pérennisant et en modernisant la fiscalité, qui est la fiscalité qui permet le financement de l'audiovisuel public.

NICOLAS DEMORAND
Allez-y, sur le nerf de la guerre pour commencer.

FRANCK RIESTER
Alors, sur le nerf de la guerre, vous savez que la redevance est adossée à la taxe d'habitation, la taxe d'habitation disparaîtra à l'échéance de 2022, il y a très clairement un arbitrage du président de la République pour faire en sorte qu'il y ait le maintien d'un financement spécifique pour l'audiovisuel public, ça ne sera pas budgétaire, et qui permette l'indépendance de l'audiovisuel public, ça c'est un premier point…

LEA SALAME
Donc pas de suppression de la redevance.

FRANCK RIESTER
Il y a eu débat, redevance, pas redevance, ça a été tranché.

NICOLAS DEMORAND
C'est la même redevance, elle augmente, elle est étendue ?

FRANCK RIESTER
Non, alors justement…

NICOLAS DEMORAND
Dites-nous.

FRANCK RIESTER
Ça sera différent, pour deux raisons. D'abord parce que la taxe d'habitation sur laquelle est adossée la redevance va disparaître, donc il faudra bien adosser la redevance sur un autre impôt pour limiter les coûts de collecte, et deuxièmement il faudra modifier son mode de calcul pour tenir compte de l'évolution de ce qu'est la façon dont les Français consomment, ou ont accès à l'audiovisuel public.

LEA SALAME
Ça veut dire quoi ça, en sonnant et trébuchant, ça veut dire plus ?

FRANCK RIESTER
Ça veut dire que nous aurons un financement dédié, spécifique, qui permettra de garantir l'indépendance de l'audiovisuel public, et il y aura des décisions prises, le moment venu, c'est-à-dire pour les échéances des 5 ans qui suivent l'échéance que nous avons fixée jusqu'à 2022, pour prévoir les ressources de l'audiovisuel public. On demande à tous de faire des efforts en matière de rétablissement de nos comptes publics, mais ces efforts ont des limites, et ces limites c'est l'ambition que nous avons pour l'audiovisuel public. Bien sûr qu'il faut des moyens quand on a de l'ambition, et aujourd'hui on estime que les moyens de l'audiovisuel sont très importants, de l'audiovisuel public, sont très importants, et qu'ils pourraient être beaucoup plus encore efficaces qu'ils ne le sont aujourd'hui en termes de puissance, en termes de présence pour nos compatriotes, si on était encore mieux organisés. Il y a des choses formidables qui sont faites, vous avez des résultats exceptionnels…

LEA SALAME
C'est ce que j'allais vous dire.

FRANCK RIESTER
Oui, mais c'est quand ça va bien qu'il faut se transformer, c'est quand ça va bien qu'il faut prévoir l'avenir, mais oui, parce que, les entreprises, quand elles sont dans une situation difficile, c'est trop tard. Vous avez des résultats exceptionnels, eh bien ensemble construisons l'audiovisuel public de demain, pour relever les défis de la numérisation, de la digitalisation, de la modification des usages, et sachez que le ministre que je suis, et le gouvernement, a la volonté très forte, et le Premier ministre l'a dit hier aux 30 ans du CSA, d'accompagner l'audiovisuel public pour qu'il devienne la référence en Europe.

LEA SALAME
Monsieur le ministre, mardi il y a eu une grève très suivie ici même à Radio France, il y a beaucoup de gens dans cette maison qui sont d'accord avec vous sur le constat, qui disent qu'il faut se transformer, qu'il faut s'adapter à son temps, notamment à l'heure du numérique, mais tout de même, jamais, et vous le dites, jamais les radios de Radio France n'ont été aussi fortes, jamais elles n'ont eu autant d'auditeurs, et parfois plus que leurs concurrentes des chaînes privées. Que répond l'actionnaire à ce moment-là ? Faites des économies et supprimez des postes. Vous comprenez que ce soit incompréhensible pour certaines personnes ?

FRANCK RIESTER
Oui, je comprends que ce soit un moment difficile, mais c'est pour ça que je suis venu ce matin, pour échanger avec vous, pour vous dire ma conviction, c'est que c'est quand ça va bien qu'il faut s'adapter, c'est quand ça va bien qu'il faut investir dans l'Internet, comme le proposent Sibyle VEIL et son équipe, dans les moyens importants en matière de nouvelles technologies. C'est maintenant qu'il faut investir dans la formation des femmes et des hommes, pour préparer justement les métiers de demain.

NICOLAS DEMORAND
Et maintenant qu'il faut supprimer des postes ? Dites-nous…

FRANCK RIESTER
Non, mais vous savez bien qu'on va créer…

NICOLAS DEMORAND
On ne va pas se cacher derrière notre petit doigt, c'est aussi ça le sujet, entre 270 et 390 postes à supprimer selon les premiers éléments qui circulent, donc, est-ce que vous pensez, si oui il faut le dire clairement, qu'on peut faire aussi bien que les résultats que citait Léa à l'instant, avec moins de budget et moins de monde, peut-on, oui ou non, le faire ?

FRANCK RIESTER
Oui, je pense que oui, que c'est un effort que je ne sous-estime pas, mais je pense que c'est un effort qui est tout à fait acceptable, en tout cas possible, pour l'audiovisuel public, et pour Radio France en particulier. Ça sera un plan de départs volontaires, moi je fais toute confiance à Sibyle VEIL et à son équipe pour, avec les organisations syndicales, avec les salariés et les équipes de Radio France, de pouvoir définir comment, à quel rythme, les choses se mettent en place. Dans son plan il y a aussi le recrutement de personnel pour…

NICOLAS DEMORAND
C'est vrai que vous mettrez 20 millions d'euros pour accompagner les départs, vous l'Etat ?

FRANCK RIESTER
Nous, nous mettrons, nous accompagnerons les travaux, notamment de Radio France, je me suis engagé à le faire dans le cadre du budget 2019, et je le ferai aussi dans le budget 2020, c'est que la fin des travaux de la Maison de la radio, n'impacte pas le budget de Radio France tel qu'il est prévu jusqu'à l'horizon 2022, pour que cet exceptionnel investissement n'impacte pas le fonctionnement de Radio France.

LEA SALAME
Donc pas pour accompagner le plan social.

FRANCK RIESTER
Pas pour accompagner le plan social


source : Service d'information du Gouvernement, le 21 juin 2019