Interview de M. Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics, à Europe 1 le 27 février 2019, sur la politique fiscale, les dépenses publiques, la laïcité, Air France et sur l'assurance chômage des cadres.

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Média : Europe 1

Texte intégral

DAVID DOUKHAN
Bonjour Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Bonjour.

DAVID DOUKHAN
Le président de la République, hier, s'est dit favorable à faire de la baisse de la fiscalité une priorité de l'après grand débat, alors pouvez-vous, par exemple, ce matin, prendre un engagement, celui que plus aucun impôt, plus aucune taxe, n'augmente d'ici la fin de ce quinquennat ?

GERALD DARMANIN
Ce qui est certain c'est que nous l'avons déjà fait. Nous sommes le gouvernement qui a le plus baissé les impôts depuis ces 40 dernières années, nous avons baissé l'impôt sur les sociétés, la taxe d'habitation, nous avons supprimé des impôts, le prélèvement forfaitaire unique, évidemment l'ISF, qui fait parler de lui, et nous sommes dans une baisse de fiscalité qui est supérieure aux promesses du président de la République. Alors, ce qui est certain…

DAVID DOUKHAN
Mais, mais Gérald DARMANIN, ce n'était pas ma question…

GERALD DARMANIN
Non, mais ce qui est certain…

DAVID DOUKHAN
Est-ce que pour l'avenir on peut…

GERALD DARMANIN
Je vais y répondre.

DAVID DOUKHAN
Allez-y.

GERALD DARMANIN
Ce qui est certain c'est que si nous souhaitons encore plus baisser les impôts, et moi je partage évidemment l'opinion du président de la République, et finalement celle des Français, nous sommes le pays où il y a le plus d'impôts en Europe, mais il faut baisser les dépenses aussi. Et dans ce grand débat moi j'entends beaucoup de propositions autour de la fiscalité, en hausse ou en baisse, ou en changements, et assez peu dans les dépenses. Nous sommes un système, et chacun peut le comprendre derrière son transistor aujourd'hui, si on a trop de dépenses, eh bien il faut des recettes, et donc maintenant il va falloir qu'on rentre dans un débat où il faut savoir quelles dépenses on baisse, pour pouvoir baisser des impôts.

DAVID DOUKHAN
On va prendre le temps d'en parler.

GERALD DARMANIN
Donc moi je prends l'engagement, en tout cas, si nous arrivons à baisser les dépenses, nous arrivons pour l'instant à les contenir, eh bien nous arriverons à baisser les impôts, et effectivement nous baisserons tous les impôts que souhaitent le président de la République et la majorité parlementaire.

DAVID DOUKHAN
Mais est-ce que des taxes, des prélèvements, des impôts, vont être amenés à encore augmentés ? Le ras-le-bol fiscal c'est ça aussi, c'est la notion que tout cela n'augmente plus.

GERALD DARMANIN
Oui, non, je ne le crois pas, il n'y a pas de projet d'augmentation des taxes ou des impôts. Vous savez qu'il y a le débat autour de la taxe carbone, qui est une augmentation d'impôt, qui a été abandonnée, si j'ose dire, dans l'année 2019 par le président de la République, ça pose la question de l'écologie, sans doute n'était-ce pas un bon moyen de faire la transition écologique, que cette taxe carbone, je crois que le président de la République l'a compris et l'a retirée.

DAVID DOUKHAN
Et le président de la République a aussi envoyé un message à ses ministres, vous compris. Depuis quelques semaines le message était troublé, vous parliez de raboter les niches fiscales pour les plus riches, Jacqueline GOURAULT voulait élargir l'impôt sur le revenu à l'ensemble des foyers fiscaux, c'est fini le concours Lépine fiscal ?

GERALD DARMANIN
Non, mais c'est des sujets très différents. En ce qui même concerne, moi j'ai évoqué que sur 14 milliards de réduction des crédits d'impôt, 7 milliards sont au profit, si j'ose dire, des plus riches d'entre nous…

DAVID DOUKHAN
Les 10 %.

GERALD DARMANIN
Voilà, et moi je proposais non pas de supprimer des niches, parce qu'effectivement ce serait une augmentation pure d'impôt, mais d'utiliser l'argent pour baisser l'impôt des classes moyennes, notamment l'impôt des 20 millions de Français qui sont de la classe moyenne et qui, je crois, sont assez étouffés par l'impôt et profitent peu de ces niches fiscales par ailleurs. Donc ma proposition est une proposition de baisse d'impôt. Il va bien falloir…

DAVID DOUKHAN
Et vous la maintenez aujourd'hui ?

GERALD DARMANIN
Elle fait partie du débat…

DAVID DOUKHAN
Elle fait partie du débat, bon !

GERALD DARMANIN
Et il n'y a aucun débat, d'ailleurs il y a beaucoup de parlementaires, la Cour des comptes elle-même, encore dans son rapport, a évoqué tout dernièrement – paraît-il faut-il que le gouvernement prenne en compte ce que dit la Cour des comptes, c'est ce que demande la vox populi – eh bien voilà, on peut en tout cas l'étudier, la regarder. Vraiment c'est un sujet important. On peut parler, je sais que ça passionne tout le monde les impôts, en hausse ou en baisse, la justice fiscale, l'égalité fiscale, un bon impôt c'est un impôt qu'on ne paye pas et que paye l'autre, grosso modo, pour les Français, si je suis un peu provocant, mais la question des dépenses est plus importante. Nous avons le pays qui avons à la fois le plus d'impôts et le plus de dépenses.

DAVID DOUKHAN
Venons-en aux dépenses publiques. Il y a un engagement, qui a marqué tout le monde lorsqu'on a suivi la campagne présidentielle d'Emmanuel MACRON, c'est la réduction du nombre de fonctionnaires, il avait dit 120.000, en réalité pour l'Etat, pour la Fonction publique d'Etat, c'est 50.000, les collectivités territoriales devront faire l'effort…

GERALD DARMANIN
70.000.

DAVID DOUKHAN
Selon la volonté du président, de 70.000. En 2018 c'est 1600 fonctionnaires de moins, en 2019, 4200, cette promesse peut-elle, en réalité, être tenue ?

GERALD DARMANIN
Alors ce n'est pas des fonctionnaires de moins, on ne supprime pas des fonctionnaires, on ne remplace pas des postes notamment de gens qui partent à la retraite, c'est quand même important, on ne vire pas, en France, évidemment, des agents publics qui ont le statut…

DAVID DOUKHAN
Ce sont des non-remplacements. Lorsque Nicolas SARKOZY avait fait le 1 sur 2 c'était 30.000 de moins chaque année, là 1600 en 2018, 4200 en 2019.

GERALD DARMANIN
Oui, oui, nous avons choisi de faire quelque chose de différent, qui consiste notamment à dire que nous allons avoir moins d'agents publics, qu'après avoir fait des réformes. C'est la conséquence – effectivement on ne fait pas le 1 sur 2 ou le 2 sur 3, qui peut être efficace, qui a pu être efficace, et qui à la fin est un peu comptable, et qui désespère Billancourt, et notamment les agents publics qui font un travail important au service des territoires ou de la République, mais nous on souhaite faire des réformes et, ensuite, avoir le nombre d'agents qui correspond à ces réformes. Je prends un exemple. Lorsqu'on supprime la taxe d'habitation – je prends l'exemple de mon ministère – lorsqu'on supprime la taxe d'habitation il y a aujourd'hui à peu près 3000 postes à la Direction générale des finances publiques qui travaillent autour de cette taxe d'habitation. Alors, soit vous considérez que vous devez les utiliser pour faire autre chose, il y a des gens qui nous demandent, de renforcer les territoires, de faire plus de conseil aux citoyens, et que nous nous considérons que si on supprime un impôt, eh bien on peut légitimement se dire que, lorsqu'on l'aura supprimé en 2021 complètement, eh bien on n'aura pas besoin de 3000 postes d'agents publics pour s'occuper d'un impôt qu'on a supprimé.

DAVID DOUKHAN
Au passage vous nous confirmez que ce sera complètement 100 % des Français ?

GERALD DARMANIN
Exactement.

DAVID DOUKHAN
Attendez, Gérald DARMANIN…

GERALD DARMANIN
Mais ce qui est important c'est la conséquence des réformes, ce n'est pas les mêmes missions…

DAVID DOUKHAN
Mais Gérald DARMANIN, ce ne sont pas les mêmes valeurs, les mêmes volumes. Vous me dites 3000 personnes qui travaillent sur la taxe d'habitation, pour atteindre 50.000, on en est à un peu plus de 6000, cette promesse semble intenable, c'est ça la réalité.

GERALD DARMANIN
Non, mais cette promesse sera tenue…

DAVID DOUKHAN
Ah !

GERALD DARMANIN
Mais cette promesse elle n'est pas tenue parce qu'il faut être un petit comptable et noter sur un tableau Excel à l'ETP près ce que nous faisons. Ce qui est important…

DAVID DOUKHAN
Dans ce cas-là il ne faut pas le faire pendant la campagne.

GERALD DARMANIN
Non, mais ça sera peut-être un peu plus, ça sera peut-être un peu moins, nous en discuterons, et notamment avec les agents publics, parce qu'il ne faut pas faire comme s'il n'y avait pas de grand débat en ce moment. En revanche, ce qui est important, le signe que l'on donne, c'est, il faut que l'Etat se transforme, c'est difficile de se transformer, il faut que l'Etat dépense moins, parce que s'il dépense moins, eh bien il y aura moins d'impôts. Ceux qui vous racontent des « garnousettes », je constate qu'un certain nombre – « garnousettes » c'est effectivement une expression du Nord !, ça veut dire des histories – qui vous disent on peut à la fois baisser les impôts et augmenter les dépenses, ils vous mentent, parce qu'ils augmentent le déficit et donc ils augmentent la dette. Et donc il faut être responsable, et j'aimerais que, dans ce grand débat désormais, il nous reste trois semaines, qu'on parle aussi des baisses de dépenses.

DAVID DOUKHAN
On avance, Gérald DARMANIN. Est-ce que les Français, qui parfois revêtissent un gilet jaune et qui vont manifester chaque samedi depuis 15 semaines, sont les complices du pire, comme l'a dit Emmanuel MACRON ?

GERALD DARMANIN
Désormais - le président de la République a dit des choses qui ont la force de l'évidence – désormais qui ne voit pas que les manifestations qui se déroulent dans nos centres-villes, ou à Paris, sont des manifestations qui attaquent des policiers, qui attaquent des journalistes, qui s'en prennent aux biens publics, il est évident que désormais les choses doivent s'arrêter, et que si au début un certain nombre de manifestants, bien évidemment souhaitaient simplement manifester leur désaccord sur la taxe carbone ou, de manière générale, contre le pouvoir ou contre tell ou telle position que pouvait avoir l'Etat ou le gouvernement, aujourd'hui, au bout de 15 samedis, avec des violences inouïes, des actes antisémites extrêmement forts, des choses extrêmement choquantes, effectivement l'évidence c'est désormais qu'ils sont complices, bien sûr.

DAVID DOUKHAN
Si on continue d'y aller on est complice, on vous a entendu. Dites-moi, DECATHLON, l'enseigne sportive DECATHLON a renoncé à la commercialisation de son hijab pour la course à pied, alors que c'est totalement légal. Que pensez-vous de cet état de fait ?

GERALD DARMANIN
Moi je constate que l'entreprise DECATHLON a retiré, puisqu'ils l'ont annoncé hier, la vente de ce hijab, comme vous dites, sur le sol français, en tous cas dans ses magasins français. Est-ce que c'est légal ? Oui c'est légal. Est-ce que ça me choque ? Oui ça me choque.

DAVID DOUKHAN
Qu'est-ce qu'il vous choque, qu'ils aient renoncé ou qu'ils aient essayé de le vendre ?

GERALD DARMANIN
Qu'on fasse de l'argent sur tout, comme disait le président du Sénat, je trouve que Gérard LARCHER a eu la bonne formule. Moi en 2012, et j'essaye d'être extrêmement constant sur ce point, pourtant chacun connaît mes positions, je crois assez fortes, sur la question de la laïcité, j'avais interpellé Valérie FOURNEYRON, qui était ministre des Sports, quand j'étais jeune député, sur le fait que, me semble-t-il, le sport comme l'école doit être un lieu où on ne doit pas regarder les distinctions religieuses, mais c'est une question qui n'est pas une question de légalité, évidemment…

DAVID DOUKHAN
Ah ben si, si c'est légal c'est qu'on a le droit de le faire.

GERALD DARMANIN
Non, c'est une question politique.

DAVID DOUKHAN
Alors, si la pression de tel ou tel vous empêche de faire quelque chose qui est légal, c'est la liberté qui est mise en cause, en l'occurrence la liberté de commerce.

GERALD DARMANIN
Oui, mais je préfère la liberté des femmes à la liberté de commerce.

DAVID DOUKHAN
Oui, mais…

GERALD DARMANIN
Eh ben oui, chacun choisit son camp, voilà.

DAVID DOUKHAN
Alors dans ce cas, Gérald DARMANIN, il faut changer la loi sur la laïcité, d'ailleurs vous y travaillez.

GERALD DARMANIN
Il appartient au Parlement – moi je n'y travaille pas puisque je suis ministre des comptes publics…

DAVID DOUKHAN
Le ministère de l'Intérieur.

GERALD DARMANIN
Et il me semble que j'ai déjà assez de travail comme ça, ce qui est certain c'est que je préfère la liberté des femmes à la liberté de commerce, si c'est votre question.

DAVID DOUKHAN
L'Etat hollandais s'est invité au sein du capital d'AIR FRANCE pour atteindre un peu plus de 12 %, Bruno LE MAIRE a exprimé hier une forme d'agacement, de ne pas avoir été prévenu, mais au fond est-ce que finalement on peut les comprendre les Hollandais, la France pèse énormément sur toutes les décisions, encore récemment sur le choix de Ben SMITH, ils ont envie de rééquilibrer.

GERALD DARMANIN
Ben SMITH, le nouveau président d'AIR FRANCE KLM. Moi j'ai entendu effectivement le constat que ni le conseil d'administration d'AIR FRANCE KLM, ni le ministre de l'Economie et des Finances n'ont été prévenus, bon ! Ecoutez, il faut qu'on ait des bonnes relations avec nos amis des Pays-Bas. C'est une très grande entreprise, qui a beaucoup de salariés, qui est très importante pour l'Europe, très importante pour ce que, dans la compétition internationale, nous devons garder comme grande entreprise européenne, il faut surtout que les Etats se mêlent le moins possible de la marche d'une grande entreprise comme celle-ci. On a un nouveau patron, il y a une nouvelle transformation de cette belle entreprise, je crois qu'il faut désormais laisser les gens d'AIR FRANCE travailler.

DAVID DOUKHAN
Sur l'assurance chômage, la réforme qui s'engage, qui doit être finie à l'été, avec la publication de décrets, il y a l'idée de réduire, de diminuer les indemnités pour les salariés qui ont les plus hauts revenus. D'abord, c'est quoi un salarié avec un haut revenu, est-ce que vous avez déjà une idée d'un seuil ?

GERALD DARMANIN
Aujourd'hui le plafond c'est 7440 euros, il est trois fois plus important qu'en Allemagne, par exemple.

DAVID DOUKHAN
C'est le plafond d'indemnité ça.

GERALD DARMANIN
Oui.

DAVID DOUKHAN
Mais à partir de quand est-ce qu'on est un salarié qui gagne bien sa vie ?

GERALD DARMANIN
Comme vous touchez, en général, 70 % de votre salaire net, donc grosso modo vous touchez 10.000 euros par mois, à 10.000 euros par mois vous touchez, en France, 7440 euros.

DAVID DOUKHAN
Mais ces salariés-là, lorsqu'ils tombent au chômage, ils ont beaucoup cotisé, pendant des années, ils ont cotisé davantage que les autres, est-ce qu'il y a une notion de justice ici ?

GERALD DARMANIN
Vous aurez constaté que nous avons justement de la suite dans les idées, puisque nous avons supprimé des cotisations, ces salaires ont augmenté, vos salaires ont augmenté, et à la place on a fait la CSG - c'est-à-dire on a remplacé l'impôt, auparavant il y avait la cotisation – donc c'est l'impôt de tous les Français, y compris des retraités, qui payent désormais, en partie, le chômage, donc votre argument, en tout cas techniquement, ne compte plus.

DAVID DOUKHAN
Ce n'était pas un argument, c'est une question Gérald DARMANIN.

GERALD DARMANIN
Ce qui est important aujourd'hui c'est que, il y a des abus, parce que pendant 2 ans on peut effectivement toucher 7440 euros, 3 fois plus qu'en Allemagne, alors que les cadres, dans leur très très grande majorité, n'ont pas de problème pour retrouver un travail. Donc je crois qu'effectivement, ce qu'on appelle la permittence, les contrats courts, les entreprises doivent faire des efforts, les cadres aussi, me semble-t-il, doivent en faire, il n'est pas tout à fait normal, à l'heure où il y a 9 % de chômage, alors que plein de gens cherchent plein de cadres pour travailler, on ait encore ce système, donc je trouve que c'est une mesure courageuse. Voyez, on demandait où est-ce qu'on fait des économies, tout le monde est d'accord pour baisser les impôts, il faut aussi se mettre d'accord pour faire des économies.

DAVID DOUKHAN
Gérald DARMANIN, le ministre des Comptes publics, un dernier mot. Vous souhaitez être à nouveau maire de Tourcoing en 2020 ?

GERALD DARMANIN
Ce qui est formidable, c'est vrai un running gag, ça fait désormais 2 ans qu'on parle tous les jours de Tourcoing, est-ce que je serai candidat, pas candidat, j'invite tous les journalistes qui me posent la question à venir habiter ma belle ville, je répondrai d'abord aux habitants de Tourcoing et aux journalistes de La Voix du Nord en premier, si vous me le permettez.

DAVID DOUKHAN
Ah bon, donc c'est un plan média, mais sur le fond vous avez le droit d'avoir une ambition au niveau de votre mairie, de votre ville, vous pouvez l'exprimer.

GERALD DARMANIN
C'est dans 1 an. « Dans 1 mois, dans 1 an, combien souffrirons-nous Seigneur, que tant de mers me séparent de vous ? », je ne vois pas pourquoi je serais plus rapide que Bérénice.

DAVID DOUKHAN
Gérald DARMANIN, qui finit en poésie, merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 28 février 2019