Déclaration de Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, sur la Collectivité européenne d'Alsace, au Sénat le 2 avril 2019.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Jacqueline Gourault - Ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités locales

Circonstance : Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission, au Sénat le 2 avril 2019

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace (projet n° 358, texte de la commission n° 413, rapport n° 412).

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.

Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, madame la rapporteure, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis naturellement très heureuse de vous présenter le projet de loi relatif aux compétences de la Collectivité européenne d'Alsace.

En effet, ce texte revêt une importance particulière par rapport à l'action que ce gouvernement souhaite mener dans ses relations avec les territoires. Dans l'esprit du projet de révision constitutionnelle relative au droit à la différenciation, il s'agit de trouver des réponses institutionnelles adaptées aux besoins spécifiques des territoires. Il y a lieu non pas de provoquer un big-bang des compétences, mais d'ajuster ce qui peut l'être.

M. Pierre-Yves Collombat. Ah…

Mme Jacqueline Gourault, ministre. En outre, sur la forme, ce projet de loi répond à une attente des départements alsaciens ; il est le résultat d'un processus de co-élaboration mené avec l'ensemble des parties prenantes et engagé l'été dernier. Nous venons en l'espèce accompagner une initiative locale.

Voilà la méthode que je souhaite prôner : écouter, pour comprendre les aspirations des uns et des autres, et essayer de les concilier, en faisant du cousu main en fonction de l'expression d'une volonté territoriale.

Depuis l'échec du référendum de 2013, qui visait à créer une collectivité territoriale unique regroupant le conseil régional d'Alsace ainsi que les départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, et depuis la création de la région Grand Est, l'Alsace n'a eu de cesse de revendiquer une évolution institutionnelle permettant de donner corps au « désir d'Alsace », tel qu'exprimé très majoritairement par la population.

Mme Catherine Troendlé. Absolument !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Une mission a été confiée au préfet de région Jean-Luc Marx en janvier 2018 pour mener une concertation sur la question institutionnelle alsacienne, sous deux réserves : que la région Grand Est conserve son intégrité et que les grands équilibres actuels régissant les répartitions de compétences entre collectivités soient respectés.

Le préfet a proposé d'opérer un rapprochement des deux départements au sein d'un nouveau département, lequel se verrait confier, dans le cadre du droit à la différenciation prévu dans la révision constitutionnelle, des compétences complémentaires essentielles au vu de son caractère transfrontalier très marqué.

J'ai ensuite été missionnée par le Premier ministre pour faire aboutir la création de cette nouvelle collectivité. Je me suis rendue à de nombreuses reprises sur le terrain, et j'ai travaillé en lien étroit avec mes collègues du Gouvernement, Élisabeth Borne et Jean-Michel Blanquer, que je remercie vivement. Une déclaration commune engageant le Gouvernement, les deux conseils départementaux, ainsi que la région Grand Est a été conclue et signée le 29 octobre par le Premier ministre et les exécutifs des collectivités. Elle prévoit une réponse appropriée pour l'Alsace et trouve une part de sa traduction dans le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter aujourd'hui.

La constitution de la Collectivité européenne d'Alsace se matérialisera par plusieurs étapes.

Première étape, le regroupement des départements du Haut-Rhin et du Bas-Rhin en un seul département. Après que les deux conseils départementaux ont délibéré favorablement, le 4 février dernier – à l'unanimité dans le Haut-Rhin et avec six voix contre dans le Bas-Rhin –, pour demander ce regroupement, le décret du 27 février 2019 a procédé à ce dernier pour constituer la Collectivité européenne d'Alsace.

Deuxième étape, l'ajout – c'est l'objet du projet de loi que je vous présente aujourd'hui – de compétences particulières en matière de coopération transfrontalière, de bilinguisme, de tourisme et de transports.

Troisième étape, le développement des politiques culturelles, économiques ou sportives dont les orientations étaient fixées dans la déclaration commune. Ces politiques font l'objet d'un travail approfondi avec les services déconcentrés de l'État et les autres échelons de collectivités concernées, et elles se traduiront, pour la plupart, dans des actes réglementaires.

Le projet de loi s'attache à donner à l'Alsace des compétences suffisamment justifiées par ses spécificités pour que le cadre constitutionnel actuel permette de les attribuer de façon pérenne et circonscrite à ce territoire.

Il comporte des articles relatifs aux compétences – il s'agit des articles 1er, 2 et 3 –, aux modalités relatives au personnel – articles 4 et 5 –, aux modalités de compensation des transferts – article 6 –, aux dispositions transitoires nécessaires au bon fonctionnement de la Collectivité européenne d'Alsace – articles 7 et 8 –, aux ordonnances qui seront nécessaires pour garantir le bon fonctionnement de cette collectivité, et aux ordonnances spécifiquement relatives au transfert des routes et permettant d'instaurer des « contributions spécifiques versées par les usagers concernés » aux termes de l'article 10.

Au 1er janvier 2021, la Collectivité européenne d'Alsace exercera le socle classique des compétences départementales auquel s'ajouteront quatre types de compétences.

Il s'agira, en premier lieu, de compétences en matière transfrontalière. Le projet de loi institue ainsi le principe d'un chef de filât de la collectivité, sur son territoire exclusivement, en matière de coopération transfrontalière. La collectivité pourra de ce fait organiser l'action collective, sans restreindre la capacité d'action des autres collectivités intéressées. Elle sera également chargée d'établir un schéma alsacien de coopération transfrontalière, non prescriptif, en association avec l'ensemble des collectivités et des acteurs concernés. Elle aura, enfin, la capacité, en parfaite cohérence avec la stratégie régionale, de décliner un volet opérationnel sur les projets structurants en matière, par exemple, de santé, de mobilités, de formation professionnelle. Elle pourra ainsi se voir déléguer, par l'État, la région ou des établissements publics de coopération intercommunale, des compétences pour la mise en oeuvre des projets mentionnés dans le schéma alsacien de coopération transfrontalière. Ce système de délégation ad hoc est valable pour toutes les collectivités concernées.

Il s'agira, en deuxième lieu, de compétences en matière de bilinguisme, pour renforcer ce vecteur culturel et ce facteur de mobilité professionnelle que constitue la langue allemande ; les Alsaciens ont beaucoup insisté sur la mobilité professionnelle.

Mme Catherine Troendlé. Bien sûr !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Les échanges que j'ai conduits, en lien avec mon collègue Jean-Michel Blanquer, ont permis d'identifier deux volets particuliers pour développer l'enseignement de l'allemand : tout d'abord, l'amélioration de l'attractivité pour les enseignants d'allemand titulaires recrutés par le ministère de l'éducation nationale, et, ensuite, la possibilité de recruter des intervenants en cohérence avec le cadre de recrutement de l'éducation nationale, afin de permettre l'enseignement de la langue au-delà des heures réglementaires, en complémentarité avec les programmes nationaux.

La collectivité contribuera à la mobilisation d'un vivier pour que l'éducation nationale puisse accélérer les recrutements. L'éducation nationale lèvera les freins qui ont été identifiés ; l'État et la collectivité seront donc fermement engagés à obtenir, ensemble, des progrès à la hauteur des besoins.

Il s'agira, en troisième lieu – c'est l'objet de l'article 2 –, de compétences en matière touristique : sur son territoire, la Collectivité européenne d'Alsace animera et coordonnera l'action des collectivités et des autres acteurs concernés, en cohérence avec le schéma régional de développement du tourisme et des loisirs.

Il s'agira, enfin, de compétences en matière d'infrastructures routières : le projet de loi entérine le transfert, la gestion et l'exploitation des routes nationales et des autoroutes non concédées situées en Alsace, sur lesquelles, si elle le souhaite, la Collectivité européenne d'Alsace pourra lever des ressources spécifiques contribuant à maîtriser le trafic routier de marchandises – c'est l'objet de l'article 11. Il s'agit ainsi de régler définitivement un problème qui préoccupe les Alsaciens à juste titre et depuis longtemps.

Mme Catherine Troendlé. Tout à fait !

Mme Jacqueline Gourault, ministre. Par ailleurs, la Collectivité européenne d'Alsace pourra transférer à l'eurométropole de Strasbourg, sur sa demande, des portions de voies situées sur son territoire. Là encore, ce sont des sujets pour lesquels le Gouvernement a cherché à faire du sur-mesure pour l'Alsace, comme il souhaite pouvoir le pratiquer dans les territoires qui voudraient mener des projets dans une logique de différenciation.

Mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi représente le point d'équilibre concret et pragmatique d'un processus d'élaboration avec les principaux intéressés. Je souhaite donc engager le débat qui va s'ouvrir en gardant une fidélité constante au processus politique qui a permis d'aboutir à la déclaration commune signée, le 29 octobre dernier, entre toutes les parties prenantes. Nous avons évité les écueils et nous sommes arrivés à un projet cohérent, qui permet de répondre au désir d'Alsace. Continuons sur cette voie ! (Applaudissements sur les travées du groupe La République En Marche et sur des travées du groupe Union Centriste.)


source http://www.senat.fr, le 17 avril 2019