Texte intégral
MARC FAUVELLE
Bonjour Nicole BELLOUBET.
NICOLE BELLOUBET, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE
Bonjour.
MARC FAUVELLE
Vous serez ce matin au tribunal d'Evry dans l'Essonne pour des annonces contre le racisme et l'antisémitisme. Qu'est-ce qu'on n'a pas encore essayé ?
NICOLE BELLOUBET
Bien écoutez, je crois qu'il faut absolument au-delà des dispositions législatives qui certes méritent quelques compléments, je pense notamment à la question de la haine sur Internet, il faut absolument que nous resserrions l'ensemble des dispositifs dont nous pouvons bénéficier. Donc c'est cela que je suis venue dire à Evry avec à l'appui la publication d'une circulaire. Une circulaire, c'est un texte, mais il traduit surtout une volonté très forte et c'est ça que je suis venue dire à Evry.
MARC FAUVELLE
Des consignes de fermeté qui sont données à tous les procureurs de France. Ce n'était pas le cas jusqu'à présent ?
NICOLE BELLOUBET
Si. Si, bien sûr, depuis longtemps. La lutte contre le racisme et l'antisémitisme est une priorité, c'est d'ailleurs une priorité gouvernementale, vous le savez. Mais je crois qu'il est important de rappeler à l'ensemble des procureurs à la fois la totalité des dispositifs qu'ils peuvent mettre en oeuvre et puis la nécessité aussi dans chaque parquet qu'il y ait un référent sur ces sujets.
RENAUD DELY
Ces actes antisémites, ils ont bondi de plus de 70 % en 2018 dans notre pays.
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
RENAUD DELY
Il y a une forme maintenant de banalisation, de répétition de ces actes. Voici ce que le grand Rabbin Haïm KORSIA, qui était l'invité de Franceinfo ce matin, attend précisément de votre circulaire.
HAÏM KORSIA, GRAND RABBIN DE FRANCE
Il y a une sorte de, je vais vous dire, il y a une sorte d'habitude. C'est ça qui est terrifiant. C'est PEGUY qui disait : « Il y a pire que les âmes perverses, il y a les âmes habituées. » Si vous voulez, au bout d'un moment vous vous dites : bon, eh bien c'est moins grave, ce n'est pas grave. Mais c'est grave. Chacune est insupportable. Et donc il faut que la mobilisation de l'ensemble des services de l'Etat soit sans faille.
RENAUD DELY
Ça passe par quoi cette mobilisation ?
NICOLE BELLOUBET
Le grand Rabbin d'abord a absolument raison. Je ne sais pas si le mot « banalisation » est le bon mot parce que je trouve qu'à chaque fois qu'il y a un acte antisémite, vraiment ça révèle quelque chose de notre comportement social. Mais en tout cas…
MARC FAUVELLE
Mais vous voyez aussi que la mobilisation, pardon Nicole BELLOUBET, après ces actes n'est plus la même qu'il y a quelques années. Il n'y a plus les marées humaines dans les rues pour dénoncer ça.
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, je ne sais pas s'il y a les marées humaines ou pas. En tout cas, il y a de la part des services de l'Etat une volonté vraiment arc-boutée de lutter contre cela. Alors je le dis avec modestie parce que je ne suis pas en train de dire que tout est réglé. Mais si vous voulez, moi ce que j'ai demandé aux procureurs dans la circulaire que je vais signer aujourd'hui, c'est d'une part de mettre en place dans chaque parquet des dispositifs qui nous permettent de mieux saisir les plaintes, de mieux avoir une attitude spécifique face à la force probante d'un certain nombre de faits. Parce qu'on ne traite pas les plaintes antisémites de la même manière qu'une autre plainte…
RENAUD DELY
Ça jusqu'à présent, Nicole BELLOUBET, excusez-moi, les procureurs ne le savaient pas ?
NICOLE BELLOUBET
Il est important… Je n'ai pas dit qu'ils ne le savaient pas. Je dis qu'il est important de le rassembler dans un seul texte pour bien montrer la volonté dont nous disposons. Par ailleurs, il y a des processus qui sont nouveaux et qui sont permis par la loi pour la justice qui a été adoptée. Je pense à des questions liées à l'ordonnance pénale etc. Je rappelle aussi qu'il existe des processus qui ne sont… des procédés juridiques qui ne sont pas souvent mis en oeuvre, ce qu'on appelle par exemple le référé civil qui permet de bloquer un site sur lequel circulent des propos racistes ou des propos antisémites. Donc il y a un certain nombre de dispositifs qu'il convient de rappeler en les globalisant.
RENAUD DELY
Justement sur la propagation des contenus haineux, racistes, antisémites sur les sites, sur les réseaux sociaux. On sait qu'il y a une proposition de loi qui va être défendue au mois de mai.
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
RENAUD DELY
Comment il faut faire ? Il faut sanctionner financièrement de façon extrêmement lourde les hébergeurs ?
NICOLE BELLOUBET
Alors d'une part, il faut les contraindre à retirer des propos dans les 24 heures et ça nous pouvons le faire. Nous pouvons le faire aussi avec des sanctions qui sont, comme vous le dites, effectivement accrues. Nous pouvons le faire également en permettant aux internautes de signaler par un bouton de signalement les propos haineux. Bref, tout cela figurera…
RENAUD DELY
Mais ça, ils le font déjà. Ces boutons de signalement existent déjà.
NICOLE BELLOUBET
Oui.
RENAUD DELY
En revanche, les contenus restent pendant des heures parfois en ligne.
NICOLE BELLOUBET
Nous allons instaurer dans cette loi des dispositifs qui nous permettront dans les 24 heures d'exiger le retrait. Et s'il n'y a pas retrait, il y aura sanction. Donc l'ensemble de ces processus, je l'espère, donnera des résultats importants. De la même manière, vous voyez, je rappelle également à l'ensemble des magistrats la possibilité, lorsqu'une décision est prise qui sanctionne un propos raciste ou antisémite, la possibilité de rendre obligatoire la publicité de la décision. A titre d'exemple, à titre démonstratif. Je trouve que c'est aussi un point important qui était d'ailleurs très souvent demandé par le grand Rabbin et par d'autres.
MARC FAUVELLE
Est-ce qu'il faut aussi, Nicole BELLOUBET, lever l'anonymat en ligne sur les réseaux sociaux ?
NICOLE BELLOUBET
Alors c'est une question qui est délicate évidemment puisqu'elle est liée à la liberté d'expression. A titre personnel, je ne serais pas défavorable à cela mais c'est quelque chose qui doit être traité avec beaucoup de subtilité.
MARC FAUVELLE
Il n'y a pas de position pour l'instant officielle du gouvernement sur ce point ?
NICOLE BELLOUBET
Pas encore, pas encore.
RENAUD DELY
Vous dites que vous n'êtes pas défavorable à la levée de l'anonymat sur Internet. On a appris, dans un autre registre évidemment, récemment qu'un ancien conseiller très proche d'Emmanuel MACRON, Ismaël EMELIEN, avait participé à la mise en ligne de vidéos par ailleurs mensongères pour défendre Alexandre BENALLA au mois de juillet dernier, lors de la révélation de l'affaire Benalla, et qu'il était passé par des sites Internet anonymes. Je vous propose d'écouter ses explications ; c'était dans l'émission C'est à vous.
ISMAËL EMELIEN, ANCIEN CONSEILLER D'EMMANUEL MACRON
Bon, vous savez, sur Twitter c'est un peu la règle.
PATRICK COHEN
Ah, c'est la règle ?
ISMAËL EMELIEN
Je ne vous l'apprends pas, pardon.
PATRICK COHEN
Donc la contre-offensive médiatique, l'influence, ça passe par des comptes anonymes ?
ISMAËL EMELIEN
Ça peut passer parfois…
PATRICK COHEN
Y compris depuis l'Elysée ?
ISMAËL EMELIEN
Non, pas directement.
PATRICK COHEN
Vous ne saviez pas si cette vidéo était mensongère ?
ISMAËL EMELIEN
Non. Pour moi, elle ne l'était pas.
MARC FAUVELLE
Est-ce que vous êtes contre l'anonymat y compris quand ça vient de l'Elysée ?
NICOLE BELLOUBET
Alors écoutez, moi… C'est une affaire, vous le savez, sur laquelle je ne veux pas m'exprimer, enfin l'affaire Benalla. Je parle d'une position de principe sur l'anonymat sur Internet. Bon, encore une fois, c'est très difficile là aujourd'hui de prendre une position officielle.
MARC FAUVELLE
Ils vous étonnent, les propos…
NICOLE BELLOUBET
Je vous dis mon point de vue. Mon point de vue, c'est que quand on affiche une opinion, on doit être capable de l'exprimer et on doit dire d'où ça vient. Mais voilà, après je pense que les choses sont très compliquées.
MARC FAUVELLE
C'est une règle qui vaut pour tout le monde, y compris pour les conseillers ou ex-conseillers de l'Elysée donc.
NICOLE BELLOUBET
C'est une règle qui vaut pour tout le monde. Enfin, pardon, ce n'est pas une règle : c'est ma position.
RENAUD DELY
Ça signifie que si demain votre position elle est reprise par la loi, un conseiller de l'Elysée ne pourrait plus recourir à des comptes anonymes comme il l'a fait.
NICOLE BELLOUBET
Je vous dis qu'elle est ma position. C'est très clair.
MARC FAUVELLE
Nicole BELLOUBET, vous restez avec nous. On va parler du barème des prud'hommes dans quelques instants. Il y a une sorte de fronde aujourd'hui dans certains tribunaux pour remettre en cause le barème des ordonnances Macron. On va en parler avec vous si vous le voulez bien dans quelques instants, le temps d'accueillir…
NICOLE BELLOUBET
Je le veux bien.
MARC FAUVELLE
Merci. Je vous remercie. J'attends le jour où quelqu'un me dira « je ne veux pas » ! (…)
RENAUD DELY
Plusieurs tribunaux refusent, Nicole BELLOUBET, depuis maintenant plusieurs semaines d'appliquer le barème des indemnités des prud'hommes en cas de licenciement abusif. C'est une des mesures emblématiques, on le sait, des ordonnances Macron sur le code du travail. Vous avez envoyé récemment des instructions aux parquets ; pour leur dire quoi ? C'est un rappel à l'ordre ?
NICOLE BELLOUBET
Non, ce n'est pas un rappel à l'ordre. Ce n'est pas comme ça que les choses se passent. Effectivement un texte a été adopté. Ce texte a fait l'objet de différentes décisions de juridiction, qu'il s'agisse du Conseil d'Etat, qu'il s'agisse du Conseil constitutionnel. Et on s'aperçoit évidemment qu'un certain nombre de tribunaux invoquent des textes internationaux pour ne pas appliquer ce texte prévu.
RENAUD DELY
Combien de jugements en l'occurrence ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, il me semble qu'il y en a une quinzaine. Je n'ai pas vérifié ce matin mais c'est à peu près une quinzaine. Je n'ai pas envoyé des instructions au sens de reprise en main etc. J'ai simplement demandé deux choses D'une part à avoir un état des lieux sur ces jurisprudences pour comprendre ce qui les motive. Le ministère de la justice est le ministère de la loi, donc il est important de savoir ce qui motive les décisions des tribunaux. Et d'autre part, j'ai demandé au parquet, lorsqu'un appel était fait sur ces décisions, le cas échéant de pouvoir intervenir à l'appel pour faire valoir leur position. Et j'ai rappelé dans cette circulaire, j'ai rappelé quel était l'état du droit et quelles étaient les décisions qui avait déjà été rendues sur cette disposition qui, comme vous le dites, encadre les indemnités de licenciement en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Et donc c'est important… C'était important à la fois pour moi d'avoir un état des lieux et de rappeler quel était l'état de la loi.
MARC FAUVELLE
Quinze tribunaux qui, sans se concerter, prennent des décisions.
NICOLE BELLOUBET
« Sans se concerter », on connaît. Non, enfin « se concerter » : ils ne se concertent pas un à un.
MARC FAUVELLE
Enfin, ce n'est pas une fronde lancée contre les ordonnances Macron, oui.
NICOLE BELLOUBET
Evidemment, tout le monde sait ce qu'il en est. A partir du moment où il y a eu la première décision, elle a été rendue publique bien sûr.
MARC FAUVELLE
S'il y a d'autres décisions de ce type, Nicole BELLOUBET, et si elles sont confirmées en appel, qu'est-ce que vous ferez ? Vous retirez le barème des ordonnances Macron ?
NICOLE BELLOUBET
Pour le moment la loi… D'abord ce n'est pas en mon pouvoir, et ensuite la loi est la loi : elle s'applique. Nous allons voir ce qui se passe s'il y a des appels et j'imagine qu'il y aura également une cassation, donc nous verrons quel est l'état du droit. Encore une fois, je le redis, ce texte… En fait si vous voulez, il y a eu deux versions de ce texte. Il y a eu une première version au moment de la loi Macron en 2015 qui a été censurée par le Conseil constitutionnel. Puis il y a une deuxième version et cette version-là a été, d'une part, reconnue conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel. C'est celle qui est en vigueur à l'heure actuelle. Et elle a également été validée par le Conseil d'Etat.
MARC FAUVELLE
Mais aujourd'hui ce qui coince, s'il y a quelque chose qui coince, ce n'est pas la Constitution française : ce serait l'Organisation internationale du travail et la convention 158…
NICOLE BELLOUBET
Absolument, de l'OIT, oui. Donc nous allons voir. Encore une fois, moi je respecte l'indépendance des juridictions et ce qu'elles disent. Mais j'ai jugé intéressant et important pour nous de savoir quelles étaient les motivations et de rappeler aux parquets qu'ils pouvaient le cas échéant intervenir à l'appel.
RENAUD DELY
Et donc ça signifie que si en appel encore une fois ces décisions étaient validées, confirmées, ces ordonnances Macron… Enfin le barème en tout cas sur les indemnités, le barème maximal, ce n'est pas gravé dans le marbre. Il pourrait être possible qu'il soit modifié dans la loi.
NICOLE BELLOUBET
Mais enfin, il est dans la loi. « Il n'est pas gravé dans le marbre », je ne sais pas ce que vous appelez le marbre. Pour moi la loi, c'est la norme générale et impersonnelle qui s'applique à tous. Voilà.
RENAUD DELY
Mais cette loi pourrait être réformée le cas échéant.
NICOLE BELLOUBET
Je n'ai pas dit ça.
MARC FAUVELLE
Il n'est pas impossible que le gouvernement, quand il a fait ces ordonnances, ait oublié de regarder tout simplement le droit international ?
NICOLE BELLOUBET
Non. Je ne crois pas que le gouvernement ait oublié de regarder le droit international. Je pense que tout cela a été pesé et, encore une fois, il a semblé que ces dispositions pouvaient être conformes évidemment au droit interne et également au droit international.
MARC FAUVELLE
C'est comme l'ISF, les ordonnances Macron : on ne pas y toucher ?
NICOLE BELLOUBET
Mais non, mais je n'ai pas dit ça non plus.
MARC FAUVELLE
Non, c'est une question que je me pose.
NICOLE BELLOUBET
Une loi peut toujours être réformée par une autre loi. Mais tant que la loi est en vigueur, c'est la loi qui s'impose à tous. Voilà.
RENAUD DELY
Emmanuel MACRON se rend en Corse dans le cadre du grand débat qui continue en tout cas pour le chef de l'Etat. Il se rend en Corse ce jeudi. Il y a plusieurs charges explosives qui ont été découvertes il y a 48 heures devant des trésoreries en Corse à Bastia. C'est le comité d'accueil pour le chef de l'Etat ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne dirais pas que c'est un comité d'accueil. Je n'ai pas…
RENAUD DELY
C'est un avertissement ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas si c'est lié à cela. En tout cas, moi je considère qu'à partir du moment où le chef de l'Etat se déplace dans une région, dans un département, peu importe, il me semble que le respect est dû au chef de l'Etat. Et donc il me semble surtout qu'à partir du moment où il vient pour dialoguer, pour discuter, il me semble que c'est quelque chose qui doit être entendu comme tel.
RENAUD DELY
Mais plusieurs élus de l'île vont boycotter sa visite.
NICOLE BELLOUBET
Oui.
RENAUD DELY
Le président du conseil exécutif de Corse, Gilles SIMEONI, il considère lui que justement les conditions de cette rencontre ne le satisfont pas. Je vous propose de l'écouter.
GILLES SIMEONI, PRESIDENT DU CONSEIL EXECUTIF DE CORSE
Nous avons dit un certain nombre de choses. Pour qu'un débat soit fructueux, pour qu'il soit positif, il faut créer les conditions pour que ce débat permette de déboucher sur des solutions. En l'état on nous a dit quoi ? On nous a dit : vous n'allez pas intervenir ou très peu. Quand on veut créer les conditions du dialogue, on invite les gens, on invite par exemple l'ensemble des élus, ont fait venir aussi les forces vives.
RENAUD DELY
Le dialogue est rompu aujourd'hui avec la coalition nationaliste qui est au pouvoir en Corse.
NICOLE BELLOUBET
Alors je ne sais pas si le dialogue est rompu. C'est un dialogue que nous entretenons depuis longtemps. Madame GOURAULT, la ministre en charge, s'est rendue à plusieurs reprises en Corse. Vous savez également que dans le projet de révision constitutionnelle qui est toujours en cours, il y a des dispositions sur la spécificité de la Corse. Donc je ne peux pas dire, on ne peut pas dire que le dialogue est rompu. Nous sommes également… Le gouvernement est allé à de nombreuses reprises en Corse pour évoquer des sujets sectoriels, j'y suis allée moi-même. Donc si vous voulez, je ne crois pas que le dialogue soit rompu. En aucun cas.
RENAUD DELY
Parmi les revendications des nationalistes à l'endroit du gouvernement, ils continuent de demander le rapatriement en Corse d'un certain nombre de détenus qui sont aujourd'hui prisonniers sur le continent.
NICOLE BELLOUBET
Oui. J'ai eu l'occasion de…
RENAUD DELY
Le rapprochement.
NICOLE BELLOUBET
De répondre à plusieurs reprises sur ce sujet-là. Les détenus sont soumis au régime de droit commun et donc quand il y a des rapprochements qui sont possibles, nous les réalisons. Cela a d'ailleurs déjà été fait pour un certain nombre d'entre eux.
RENAUD DELY
Combien ?
NICOLE BELLOUBET
Je n'ai pas les chiffres en tête mais il y en a, je ne sais pas, peut-être 5, 6. Je ne sais plus exactement. En tout cas ce rapprochement a été effectué il n'y a pas très longtemps, précisément parce que nous considérons que les détenus corses doivent être soumis aux conditions de droit commun. Donc nous faisons des rapatriements au cas par cas lorsque cela apparaît possible.
MARC FAUVELLE
Il ne peut pas y avoir de geste en général pour les derniers détenus qui restent sur le continent ?
NICOLE BELLOUBET
Non. Je ne crois pas qu'il puisse y avoir de geste en général : il n'y a pas de geste en général. Comme partout en France pour chacun des détenus, il y a des traitements au cas par cas.
MARC FAUVELLE
Et pas d'amnistie non plus pour les prisonniers dits, et je mets quelques guillemets, politiques par les nationalistes ?
NICOLE BELLOUBET
Il n'y a pas de prisonniers politiques, il y a des détenus. C'est tout.
MARC FAUVELLE
Et donc pas de geste prévu là-dessus non plus.
NICOLE BELLOUBET
Non.
RENAUD DELY
Et donc pas de rapatriement non plus de ces prisonniers, ces détenus ?
NICOLE BELLOUBET
Je viens de vous dire : il y en a eu.
RENAUD DELY
Il y en a eu. Et il peut y en avoir d'autres ?
NICOLE BELLOUBET
Il peut y en avoir d'autres, bien sûr, en fonction des conditions de droit commun.
RENAUD DELY
Alors on a appris récemment qu'il y avait eu une recrudescence de vols, de pickpockets dans le métro parisien, dans les transports franciliens. La présidente de la région Ile-de-France Valérie PECRESSE, elle a une proposition de réforme qui touche directement à la justice à vous faire. Je vous propose d'écouter Valérie PECRESSE.
VALERIE PECRESSE, PRESIDENTE DE LA REGION ILE-DE-FRANCE
Je demande à la Garde des Sceaux une directive pénale aux procureurs : quand un pickpocket du métro est déféré devant un tribunal, on l'interdit de pénétrer dans les gares et dans le métro. Et comme ça, on donne aux contrôleurs une arme efficace pour les en sortir.
RENAUD DELY
Interdire aux pickpockets récidivistes de retourner dans le métro.
NICOLE BELLOUBET
Alors si vous voulez, ce que propose Madame PECRESSE c'est une disposition qui existe qui s'appelle l'interdiction de paraître. C'est une disposition dont j'ai souhaité l'extension dans la loi pour la justice qui a été votée, qui permettra aux procureurs de prendre cette disposition, donc je crois que nous allons dans ce sens-là. C'est-à-dire, alors je ne dis pas dans le métro : l'interdiction de paraître, c'est l'interdiction de revenir dans une cité pendant un certain temps, c'est l'interdiction d'aller dans tel ou tel lieu, mais dans le métro aussi.
RENAUD DELY
Il faut l'appliquer aux transports.
NICOLE BELLOUBET
Absolument. Donc ça fait partie des dispositifs pénaux qui peuvent être mis en oeuvre. (…)
MARC FAUVELLE
C'est François HOLLANDE qui était l'invité il y a quelques minutes de nos confrères de France Inter. Renaud DELY, vous allez nous résumer les propos de l'ancien chef de l'Etat.
RENAUD DELY
Eh bien il multiplie ces derniers jours les attaques, les critiques à l'endroit d'Emmanuel MACRON et du gouvernement. Et ce matin donc François HOLLANDE explique que depuis six mois, depuis le début du mouvement des gilets jaunes puis du grand débat, eh bien le gouvernement ne travaille plus : il n'y a plus de textes à l'ordre du jour, il n'y a plus de réformes en cours. Qu'est-ce que vous pensez de cette critique Nicole BELLOUBET ?
NICOLE BELLOUBET
Je pense que sur ce point précis, il est totalement infondé. Depuis six mois, d'une part j'ai fait adopter la loi pour la justice ; d'autre part ma collègue Agnès BUZYN a présenté la loi pour la santé ; d'autre part encore Olivier DUSSOPT a présenté il y a quelques jours la réforme de la Fonction publique etc etc. Je pourrais multiplier les exemples. Donc on ne peut pas dire que le gouvernement ne travaille plus, le gouvernement est tout à fait à la tâche et très arc-bouté, au contraire, sur l'évolution des réformes que nous voulons proposer.
RENAUD DELY
Qu'est-ce que vous pensez des critiques répétées de François HOLLANDE à l'endroit de son successeur ?
NICOLE BELLOUBET
Ecoutez, d'abord moi j'ai beaucoup de respect par principe pour les anciens présidents de la République. Je trouve qu'on ne peut pas abaisser cette fonction en critiquant ceux qui l'ont exercée. Pour autant il me semble que là, le président HOLLANDE revient dans un jeu politique sciemment. Il le dit d'ailleurs, j'ai lu une interview il y a quelques heures peut-être…
RENAUD DELY
Dans quel but d'après vous ?
NICOLE BELLOUBET
Je pense que… Il le dit lui-même : il a du mal à s'abstraire de l'intérêt de la France et donc il juge l'intérêt du pays à l'aune de son propre regard. Ça, c'est peut-être un peu excessif dans les propos qu'il tient.
MARC FAUVELLE
Est-ce que vous y voyez aussi de sa part une forme de rancune, de rancoeur ?
NICOLE BELLOUBET
Certainement. Elle peut s'expliquer humainement. Ce qui s'est passé ne peut pas ne pas laisser de traces.
MARC FAUVELLE
Le fait d'avoir été trahi par Emmanuel MACRON vous voulez dire ?
NICOLE BELLOUBET
Cela peut s'entendre sur le plan humain. Je n'emploierai pas le mot « trahison » mais en tout cas, le fait que l'un des membres de son équipe se soit présenté à la présidentielle et l'ait emporté de la manière dont il l'ait emporté, ça ne peut pas laisser de traces. Ça ne peut pas ne pas laisser de traces humainement. Pour autant je crois qu'un ancien président de la République doit s'abstraire de ce type de ressenti.
MARC FAUVELLE
Est-ce qu'Emmanuel MACRON n'aurait pas dû faire un geste par exemple et l'inviter lui aussi en même temps que Nicolas SARKOZY le week-end dernier sur le plateau des Glières ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas exactement…
MARC FAUVELLE
François HOLLANDE a dit chez nos confrères de France 2 qu'il n'avait pas reçu d'invitation. Pourquoi l'un et pas l'autre ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne sais pas exactement comment les choses se sont passées donc je m'abstiendrai de commenter ça.
RENAUD DELY
Et est-ce que c'est une voix qu'il faut parfois écouter quand même ? Celle d'un ancien chef de l'Etat au vu de son expérience ? Je pense par exemple à la formule qu'il a utilisée : « A vouloir tout brusquer, a dit François HOLLANDE, eh bien tout s'est arrêté. » Est-ce que c'est effectivement une méthode de gouvernance qu'il faut écouter ?
NICOLE BELLOUBET
Encore une fois, je pense qu'on peut toujours écouter ceux qui ont exercé des responsabilités présidentielles. Mais en même temps, il y a une forme de contradiction dans ce que dit le président HOLLANDE. Il dit « à vouloir tout brusquer etc » et puis vous avez vous-même cité son propos il y a quelques instants en disant que tout était arrêté. Donc on brusque, on arrête ? Il faut savoir où on en est.
MARC FAUVELLE
Nicole BELLOUBET, depuis quelques semaines la droite et l'extrême droite accusent le gouvernement et la justice d'avoir eu la main trop légère avec les gilets jaunes reconnus coupables de violences, qu'est-ce que vous leur répondez ?
NICOLE BELLOUBET
Je réponds ni légère, ni lourde…
MARC FAUVELLE
Les gilets jaunes, ou les casseurs, évidemment.
NICOLE BELLOUBET
Non, mais je réponds ça, je pense que, ni légère, ni lourde, adaptée. Adaptée parce que, comme vous le savez peut-être, j'ai eu l'occasion de donner ces chiffres, il y a eu plus de 2000 jugements qui ont été rendus, il y a encore 1800 jugements qui sont en attente, et sur ces 2000 jugements il y a eu à peu près 40 % de peines de prison ferme qui ont été prononcées et 60 % de peines autres. Donc, si vous voulez, quand on voit 2000 jugements, dont 40 % de prison ferme, y compris un nombre très important de mandats de dépôt, on ne peut pas dire que la justice ait été laxiste, ça c'est tout de même nier l'évidence. Pour autant, je crois que la justice a rendu des jugements adaptés, qui prenaient en considération la gravité des faits qui avaient été commis, qui étaient évidemment variables selon les personnes interpellées, et puis également les antécédents de la personne, parce qu'il y a eu beaucoup de primo-délinquants dans les gens qui ont été jugés, et donc évidemment on ne peut pas ne pas tenir compte de cela aussi.
MARC FAUVELLE
Pour dire les choses simplement, la justice a bien fait son travail dans ce pays ?
NICOLE BELLOUBET
Je crois.
MARC FAUVELLE
Alors pourquoi une nouvelle loi contre les casseurs ?
NICOLE BELLOUBET
Je ne crois pas pardon, j'en suis sûre.
MARC FAUVELLE
Pourquoi une nouvelle loi dans ces cas-là ?
NICOLE BELLOUBET
Eh bien, la loi elle ne vise pas la justice, enfin elle ne vise… non, la loi elle vise surtout la possibilité d'interdire à un certain nombre de personnes de manifester, elle vise la possibilité d'interpeller des gens qui se présentent avec le visage masqué, etc., donc la loi elle est plutôt sur la phase amont que sur la phase aval.
MARC FAUVELLE
Préventive, une forme de justice préventive ?
NICOLE BELLOUBET
Non, je n'ai pas dit justice…
MARC FAUVELLE
C'est moi qui vous pose la question.
NICOLE BELLOUBET
Je n'ai pas dit justice d'une part, et je n'ai pas dit non plus préventive, on est vraiment dans une mesure… enfin, préventive au sens où ce sont…
MARC FAUVELLE
Interdire à des gens de manifester ou de… c'est de la prévention.
NICOLE BELLOUBET
Oui, ce sont des mesures administratives qui permettent effectivement d'interdire à des gens de venir manifester, quand il y a un certain nombre de critères qui sont remplis, donc ce n'est pas la phase aval de la justice qui est visée par ce texte.
RENAUD DELY
Avant même que cette loi dite anticasseurs entre en vigueur, il y a déjà un grand nombre d'interdictions de manifestations qui se sont prononcées samedi après samedi…
NICOLE BELLOUBET
Absolument.
RENAUD DELY
Ça ne vous gêne pas, vous, en tant que garde des Sceaux de voir autant d'interdictions de manifestations ?
NICOLE BELLOUBET
Alors autant, je ne sais pas si c'est autant parce que, vous voyez, lorsqu'il y a eu des interdictions de manifester qui ont été prononcées, mais qu'à côté, on oublie de le dire, il y a eu une manifestation des enseignants, qui a réuni un certain nombre de personnes, il n'y avait pas de difficultés avec cette manifestation des enseignants.
RENAUD DELY
Donc c'est bien des gilets jaunes qui sont visés par ces interdictions.
NICOLE BELLOUBET
Ce sont les casseurs, ce sont les casseurs, je ne sais pas s'ils sont gilets jaunes ou verts, en tout cas ce sont les casseurs qui sont visés, et pour se faire, dans un certain nombre de lieux où il y a eu des difficultés importantes, des casses importantes, on a préféré interdire les manifestations.
RENAUD DELY
Donc il faut continuer d'interdire ces manifestations ?
NICOLE BELLOUBET
Tant qu'il y aura des casseurs qui se livreront à de telles exactions, ça me semble une mesure utile.
RENAUD DELY
Vous dites ce sont les casseurs qui sont visés…
NICOLE BELLOUBET
Oui, et je crois que c'est vraiment, alors évidemment là aussi on est dans le nominalisme, mais je crois que c'est vraiment pour permettre à la liberté de manifestation de s'exercer. Je redis, la Marche pour le climat, les enseignants, et d'autres encore, tout cela se passe sans difficulté, nous sommes vraiment sur une spécificité.
RENAUD DELY
Vous dites que ce sont les casseurs qui sont visés, et pourtant, vous le disiez à l'instant aussi, parmi les condamnés, la plupart d'entre eux ce sont des primo-délinquants, ce ne sont pas des Black Blocs, ce ne sont pas des casseurs professionnels, qui ont été condamnés.
NICOLE BELLOUBET
Alors il y en a, parmi ceux qui ont été condamnés il y a des casseurs professionnels.
RENAUD DELY
Très peu.
NICOLE BELLOUBET
Mais, majoritairement effectivement. Les premières personnes qui sont interpellées, alors tout dépend des jours, je suis désolée, mais tout dépend des jours des manifestations, des heures, des lieux, il y a eu des gens qui étaient interpellés parce qu'ils transportaient dans des sacs-à-dos des armes par destination, il y a eu des sanctions qui ont été adaptées à ce type de situation. Quand ce sont des Black Blocs, quand ce sont les personnes qui ont saccagé l'Arc de Triomphe, qu'on a retrouvées, parce qu'il y a des enquêtes également qui sont ouvertes, voyez, quand on dit la justice laxiste, il y a des enquêtes qui sont ouvertes, qui pour le moment ne sont pas toutes abouties, et qui nous permettent de retrouver des personnes, et donc de les sanctionner à la hauteur des infractions.
MARC FAUVELLE
Merci à vous Nicole BELLOUBET…
NICOLE BELLOUBET
Merci.
MARC FAUVELLE
D'avoir été ce matin l'invitée de Franceinfo.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 4 avril 2019