Texte intégral
Mme la présidente. L'ordre du jour appelle le débat sur le rapport d'information du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière.
La conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les rapporteurs du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques, les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à une séance de questions-réponses.
(…)
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je me félicite du débat extrêmement riche et intéressant qui vient de commencer ce soir. Il aborde une thématique particulièrement importante pour le Gouvernement, pour le ministère de l'action et des comptes publics, pour le ministère de l'intérieur et pour celui de la justice.
Comme cela a été fait à de nombreuses reprises, je tiens tout d'abord à saluer le travail accompli par les deux rapporteurs, M. Bernalicis et M. Maire. Dans leur rapport d'information sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière, ils ont dressé un bilan complet de l'action des pouvoirs publics et formulé 25 propositions en vue d'améliorer cette lutte, propositions qui, du moins pour certaines d'entre elles, me semblent très riches.
La délinquance financière, vous le savez tous, prend plusieurs visages. Comme vous l'avez signalé, elle se traduit tout d'abord par une délinquance du quotidien, celle de la fraude aux moyens de paiement, doublée bien souvent d'usurpation d'identité. Elle se traduit également par une très grande délinquance financière, dont les ramifications sont souvent très complexes à démanteler. Elle se traduit aussi par une délinquance qui met en cause des décideurs publics – je pense aux détournements de fonds publics, aux faits de corruption et autres atteintes à la probité publique – et qui apparaît intolérable aux Français et fragilise notre système démocratique.
La fraude fiscale, enfin, offre un autre visage de cette délinquance. Comme nous l'avons vu lors du grand débat national, elle nourrit un puissant sentiment d'injustice fiscale. Cette réalité de l'évasion fiscale ou d'une optimisation fiscale excessive ruine l'adhésion à l'impôt. L'ensemble de ces actes est aujourd'hui perçu de manière très négative.
La délinquance financière est, en effet, un fléau qui mine le pacte social – M. Bernalicis a évoqué avec raison la « cohésion sociale ». Sur ce sujet, nos concitoyens ont des attentes extrêmement fortes à l'égard des services de l'État ou de l'autorité judiciaire.
La lutte contre cette délinquance en col blanc fait partie des priorités du ministère de la justice. Vous le savez, en 2013 et 2017, deux grandes lois ont rénové la transparence de la vie publique et la confiance dans la vie politique, et dessiné le cadre dans lequel s'inscrit notre action.
Le ministère de la justice y est pleinement engagé. La lutte contre les manquements à la probité constituait l'un des quatre grands axes d'action prioritaires retenus dans la circulaire générale de politique pénale que j'ai adressée le 21 mars 2018 aux procureurs généraux et aux procureurs de la République.
J'entends donc mener une politique pénale très volontaire, au moyen d'un dispositif fortement rénové depuis 2013, avec pour mots d'ordre la spécialisation des acteurs, l'accroissement des sanctions et l'élargissement des possibilités d'incriminer et de poursuivre.
M. Jean-Paul Dufrègne. Et des moyens !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. En 2013, notre pays s'est doté d'une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique – HATVP. Sa création s'est accompagnée de l'instauration d'un dispositif complet comprenant non seulement des obligations déclaratives de patrimoine et d'intérêts, notamment pour l'ensemble des élus nationaux et des principaux décideurs de l'exécutif,…
M. Pierre Cordier. Cela ne suffit pas !
Mme Nicole Belloubet, garde des sceaux. …mais aussi de nouvelles infractions sanctionnant les manquements à ces obligations déclaratives, un pouvoir d'injonction et un droit de communication.
Ces dispositions sont pleinement inscrites dans les compétences de la HATVP, qui est désormais un des éléments clés du paysage institutionnel français. Depuis sa création, celle-ci a transmis 73 dossiers à l'autorité judiciaire.
Depuis 2014, le parquet national financier s'est également imposé dans le paysage national et international comme un acteur majeur de la lutte contre la délinquance économique et financière. Le PNF traite aujourd'hui 507 procédures d'atteinte à la probité et de fraude fiscale complexes, sensibles, qui nécessitent une collaboration avec des services d'enquête spécialisés et outillés tout autant qu'avec les autorités judiciaires étrangères et les administrations, au premier rang desquelles l'administration fiscale.
Les lois du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique ont renforcé les exigences en la matière. Elles ont imposé de nouvelles interdictions aux parlementaires et aux exécutifs en matière d'emplois familiaux. Elles ont instauré une nouvelle peine obligatoire d'inéligibilité pour les atteintes à la probité, peine qui figure au bulletin n° 2 du casier judiciaire.
La loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique du 9 décembre 2016, dite loi Sapin 2, a instauré une obligation de mise en place de programmes anticorruption dans les entreprises.
Elle a aussi renforcé les incriminations en matière d'atteinte à la probité et créé la convention judiciaire d'intérêt public – CJIP. Ce dispositif transactionnel en matière d'atteintes à la probité permet au procureur de la République de proposer aux entreprises mises en cause non seulement de s'acquitter d'une amende d'intérêt public mais aussi de se soumettre, sous le contrôle de l'Agence française anticorruption créée par cette même loi, à un programme de mise en conformité en matière de prévention de la corruption.
La CJIP est un succès. Depuis sa récente création, elle a permis le paiement d'une somme totale de près de 555 millions d'euros au bénéfice du Trésor public. La CJIP a notamment vocation à permettre la sanction rapide et efficace d'infractions graves en matière de délinquance économique et financière. Loin d'être « une vraie plaie », comme l'affirmait M. Coquerel dans son propos, elle mérite d'être développée car elle constitue un vrai gain, permettant d'obtenir à coup sûr une somme importante dans un domaine où l'obtention des preuves est parfois difficile et complexe. La CJIP permet aussi de dissuader le fraudeur pour l'avenir. Elle n'est donc pas « une plaie ».
La fraude fiscale a également été au coeur de l'action législative et de la politique pénale du Gouvernement en vue de lutter contre son développement. Ainsi, vous y avez fait allusion dans vos interventions, deux grandes lois, celle du 6 décembre 2013 et du 23 octobre 2018, toutes deux relatives à la lutte contre la fraude, ainsi que deux importantes circulaires édictées en 2014 et 2019, durcissent les peines, favorisent les poursuites, allongent la prescription et instaurent des liens toujours plus étroits entre l'administration fiscale et l'autorité judiciaire.
À la faveur de la récente loi du 23 octobre 2018, nous sommes revenus sur le verrou de Bercy. Les magistrats du ministère public sont désormais systématiquement et obligatoirement mis en mesure d'exercer des poursuites pénales dans les dossiers de fraude fiscale les plus graves. Cette loi a également étendu la CJIP aux cas de fraude fiscale.
Jeudi dernier, lors de sa conférence de presse, le Président de la République a annoncé qu'une mission serait confiée à la Cour des comptes pour évaluer précisément les sommes qui échappent à l'impôt et pour proposer de nouvelles mesures afin qu'en France chacun respecte les mêmes règles. Ainsi, nous pourrons construire ce que vous souhaitiez, messieurs les rapporteurs, à savoir les éléments statistiques chiffrés nécessaires, à partir d'une base interministérielle commune d'agrégats, qui seront partagés.
La mise en oeuvre, ces dernières années, de l'ensemble de ce dispositif de lutte contre la fraude fiscale est de nature à améliorer de manière substantielle l'efficacité de la lutte contre la grande délinquance financière. Elle devrait permettre à notre pays de se hisser au niveau de ses engagements internationaux. Les évaluations de la France qui doivent être réalisées dans les trois prochaines années par différentes organisations internationales – OCDE, GAFI… – témoigneront, je l'espère, des efforts conséquents réalisés en la matière.
Il m'apparaît ainsi que la politique menée par le Gouvernement, par le ministère de la justice mais également par les autres ministères, fait largement écho aux constats et aux principales propositions développés par MM. les députés dans leur rapport, objet de notre débat.
Pour autant, je n'ignore pas le défi qui se pose aux pouvoirs publics pour assurer les moyens et l'organisation d'une lutte efficace contre une délinquance toujours en augmentation et constamment évolutive. J'en prends toute la mesure.
Vous avez été nombreux à évoquer les effectifs du PNF. Même si rien ne suffit jamais, je voudrais signaler que ceux-ci augmentent régulièrement puisqu'ils sont passés de 10 magistrats membres à 15 en 2015, puis 16 en 2016, pour atteindre 18 aujourd'hui. Par ailleurs, le PNF dispose de cinq assistants spécialisés, experts-comptables notamment – un sixième est en cours de recrutement. Les 18 magistrats membres du PNF travaillent non pas seuls mais en lien avec 18 magistrats instructeurs financiers parisiens pour les enquêtes les plus complexes. Voilà la précision que je voulais apporter quant aux effectifs du PNF.
Plus largement, depuis ma prise de fonction, j'encourage par des mesures concrètes un mouvement de spécialisation des magistrats. La création récente, dans la loi de programmation et de réforme pour la justice, d'une compétence concurrente de la juridiction interrégionale spécialisée de Paris, notamment pour la délinquance financière organisée de très grande complexité, participe de ce mouvement de spécialisation.
Je partage également la nécessité de mener une politique interministérielle de lutte contre la délinquance économique et financière, impliquant tout autant mon ministère que le ministère de l'intérieur, le ministère de l'économie ou celui des comptes publics.
Par ailleurs, je suis très attentive à la question des moyens alloués par l'institution judiciaire à la lutte contre la délinquance financière : pour le PNF mais pas seulement, un effort significatif en termes d'effectifs de magistrats a été mené depuis plusieurs années, dans un contexte marqué, vous ne l'ignorez pas, par une forte tension en termes de ressources humaines.
En outre, la création du nouveau service d'enquêtes judiciaires des finances, intégrant, à Bercy, une police fiscale spécialisée, sous l'autorité d'un magistrat, participe de cette ambition d'une spécialisation des acteurs pour répondre de manière toujours plus efficiente à la délinquance financière.
Enfin, je souscris pleinement à l'idée d'une politique de ressources humaines renforçant l'attractivité de la police judiciaire financière.
Le ministre de l'intérieur, le ministre de l'action et des comptes publics et moi-même sommes sur le point de signer une lettre de mission conjointe adressée aux inspections générales de l'administration, de la justice et des finances, ayant pour objet d'évaluer les moyens humains de police judiciaire qu'il convient d'allouer à la lutte contre la délinquance économique et financière afin de donner sa pleine effectivité à notre arsenal législatif récent.
Je ne terminerai pas ce propos sans dire un mot des lanceurs d'alerte, sujet sur lequel j'ai été interrogé à différentes reprises.
S'agissant du texte que le Parlement européen a adopté le 16 avril dernier, le Gouvernement a toujours recherché le compromis, et, non, monsieur Juanico, il n'a pas tablé sur une hypocrisie. Au contraire, le Gouvernement a toujours défendu deux objectifs : d'abord, protéger effectivement ceux qui osent signaler, parfois de manière isolée, les violations du droit qui portent atteinte à l'intérêt général ; ensuite, et c'est important, parvenir à un texte équilibré qui assure une protection maximale des lanceurs d'alerte en instituant un mécanisme solide juridiquement et proportionné à la gravité des faits signalés. Nous avons réussi en obtenant le vote de cette directive. Nous avons maintenant deux années pour la transposer – ce ne sera pas de trop pour retravailler ce sujet.
Mesdames, messieurs les députés, monsieur Bernalicis, monsieur Maire, soyez assurés de ma mobilisation, de celle de mes services et de l'ensemble du Gouvernement, sur le sujet de la lutte contre la délinquance financière. Je suis intimement persuadée de la nécessité et de l'intérêt d'un travail interministériel en la matière. Nous allons donc le poursuivre et travailler en nous appuyant désormais sur vos constats et propositions. (Applaudissements sur les bancs des groupes LaREM et MODEM.)
Mme la présidente. Nous en venons aux questions. Mes chers collègues, si nous voulons examiner toutes les questions avant la fin de cette séance, je vous demande de respecter scrupuleusement la limitation à deux minutes pour chacune des questions, et je demande au Gouvernement de faire de même pour les réponses.
La parole est à M. Ugo Bernalicis.
M. Ugo Bernalicis. Je me félicite de cette discussion mais je ne peux pas m'en satisfaire complètement, car elle est à l'image de la politique menée en la matière : beaucoup de volontarisme, des mots ambitieux, des créations de commissions, des paroles fortes du Président de la République et des ministres, de la fermeté… et rien ! Enfin, si peu !
Ma question est simple, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'État : combien ? Combien de magistrats financiers supplémentaires ? Combien de policiers supplémentaires à l'OCLCIFF – Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales ? Combien de policiers supplémentaires à l'OCRGDF – Office central pour la répression de la grande délinquance financière ? Combien de personnes supplémentaires à l'Agence française anticorruption ? Comment renforcer l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution ? Combien de personnes en plus pour l'Autorité des marchés financiers ? Combien chargées du contrôle fiscal à la DGFiP – direction générale des finances publiques ?
J'aurais pu contester les mesures législatives qui ont été adoptées et plaider pour aller plus loin – mon collègue Éric Coquerel l'a fait. Mais, même à loi constante, essayez au moins de faire respecter les règles et d'y consacrer les moyens nécessaires !
Ce sont plusieurs milliards d'euros qui pourraient être récupérés. Bien sûr, les résultats s'améliorent, bien sûr l'AGRASC – Agence de recouvrement des avoirs saisis et confisqués – fait son travail. Les millions rentrent… mais ce devraient être des milliards ! En récupérant seulement 10 % de la fraude fiscale et de la délinquance financière, nous pourrions faire entrer 12 milliards d'euros – c'est une estimation basse – dans les comptes publics. Madame la ministre, votre séminaire gouvernemental d'aujourd'hui, qui devait essayer de trouver le moyen de financer vos futures mesures, aurait ainsi été réglé en cinq minutes ! Qu'attendez-vous ? Allons-nous devoir attendre le projet de loi de finances ou ferez-vous des annonces aujourd'hui ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État auprès du ministre de l'action et des comptes publics. Monsieur le député, vous ne pouvez pas affirmer comme vous l'avez fait que le Gouvernement ne fait rien. En effet, dans le rapport même que vous avez présenté, un rapport de qualité – je partage l'appréciation portée par la garde des sceaux – vous soulignez que certaines des mesures qui ont été prises vont dans le bon sens.
Outre les mesures mentionnées dans le rapport, un texte a été adopté en octobre dernier – comme vous l'avez souligné en aparté, il a été voté par l'Assemblée presque tout entière. Il offre de nouveaux outils, tant pour l'instruction – la réforme du verrou de Bercy – qu'en matière d'enquête – création d'une police fiscale sous l'autorité d'un magistrat, rattachée au ministère de l'action et des comptes publics, pour être encore plus efficace en la matière.
De la même manière, la garde des sceaux a souligné à l'instant que les effectifs du parquet national financier avaient augmenté de manière constante, passant de 10 à 18, et que chaque magistrat travaille avec des magistrats instructeurs pour ainsi démultiplier son action.
Nous allons continuer à allouer des moyens à la lutte contre la fraude. Combien de postes allons-nous créer dans tel ou tel des services que vous avez énumérés ? Nous allons le déterminer en nous appuyant d'une part sur le rapport que nous commandons aux trois inspections, la garde des sceaux l'a évoqué, et d'autre part sur le travail que le Président de la République a annoncé jeudi vouloir confier à la Cour des comptes, visant à évaluer chacun des dispositifs de lutte contre la fraude fiscale afin de savoir comment les renforcer.
Certes, les effectifs de la direction générale des finances publiques ont baissé de manière constante depuis dix ans – le constat est unanimement partagé. Mais, du fait des redéploiements au sein de Bercy, les effectifs dédiés au contrôle sont, eux, restés stables sur dix ans : 12 000 agents environ sont ainsi affectés au seul contrôle fiscal.
M. Ugo Bernalicis. C'est faux ! La Cour des comptes dit le contraire !
Mme la présidente. La parole est à M. Sébastien Jumel.
M. Sébastien Jumel. Souvent imbriquées, les techniques de blanchiment d'argent et d'évasion fiscale sont toujours plus poussées et sophistiquées, quand les autorités françaises ou européennes restent à la remorque, pour ne pas dire complices dans certains cas.
Ainsi, du fait de l'évasion fiscale, des sommes colossales échappent à l'État. Le constat est unanime et les Français attendent des mesures fortes. Ils l'ont dit et répété pendant quatre-vingts jours. Et que décide le Président de la République ? De s'en remettre à un énième rapport d'évaluation ! Pourtant, le sujet est déjà largement documenté, encore aujourd'hui par le rapport d'information de nos collègues. Effarant. Ce n'est pas à la hauteur.
Deuxième sujet : la Danske Bank, la banque qui pourrait vous dire « merci » en allemand si j'enlevais une lettre. Cette affaire est une autre illustration édifiante du sujet. C'est un scandale financier massif : 200 milliards d'euros d'argent suspect ont ainsi transité par la filiale estonienne de la principale banque danoise entre 2007 et 2015 ; 200 milliards issus d'activités criminelles, de la fraude fiscale, et de trafics en tous genres !
Les autorités de contrôle en charge de surveiller ces agissements ont failli, comme l'a démontré par A+B l'enquête circonstanciée d'une commission indépendante. Le cadre juridique de la lutte contre le blanchiment d'argent a donc été piétiné. Et pourtant, pour les superviseurs nationaux, dont l'autorité française de surveillance, l'ACPR – Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – il n'y a pas eu d'infraction. L'affaire a donc été mise sous le tapis. Circulez, il n'y a rien à voir !
Monsieur le secrétaire d'État, quelle a été la position de l'ACPR sur ce dossier ? La France, par le biais de l'ACPR, a-t-elle participé à camoufler l'un des plus gros scandales de blanchiment de ces derniers temps ?
Loin des yeux, loin du coeur : voilà bien une maxime qui symbolise cette Europe voulue par les libéraux. Les turpitudes du monde des affaires doivent rester à l'abri de la démocratie, du peuple et de ses regards bien trop indiscrets. Ce projet n'est pas le nôtre, vous l'avez compris. (Applaudissements sur les bancs des groupes GDR et FI.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Je souligne d'emblée une difficulté : vous évoquez une affaire qui fait encore l'objet de procédures, raison pour laquelle je ne peux pas me prononcer de manière publique à son sujet.
Toutefois, je peux vous assurer, dans cette affaire comme dans les autres, de la volonté du Gouvernement d'être totalement intraitable avec la fraude, et de mettre à niveau, à chaque fois que nous le devons et que nous le pouvons, nos procédures et nos règles pour être plus efficaces. Tel était l'objectif du texte d'octobre 2018. Si nous devons renforcer l'arsenal législatif à l'issue des travaux qui ont été commandés – nous avons une divergence sur ce point car je considère que ces travaux sont utiles, tant celui demandé aux inspections que celui confié par le Président de la République à la Cour des comptes – nous le ferons.
Le Gouvernement veut être intraitable. Il veut également avancer sur certains sujets connexes – Mme Cariou a évoqué la question de la confiscation de biens, en particulier la saisie des biens mal acquis sur notre sol, question sur laquelle des initiatives ont été prises. Nous devons continuer à travailler afin de permettre à l'État et au Trésor public de recouvrer certaines sommes et de vendre certains biens saisis, ainsi que, dans le même temps, de veiller à ce que les biens saisis dans ce cadre puissent profiter, si je puis dire puisqu'il s'agit plus de restitution que de profit, aux peuples qui ont été spoliés.
Je l'ai dit à M. Bernalicis, nous avons la volonté de renforcer l'arsenal à la disposition de nos services pour lutter contre la délinquance financière.
Je ne peux pas en dire plus puisque l'affaire que vous avez citée, et sur laquelle le Gouvernement entend être intraitable et faire toute la lumière, fait l'objet de procédures qui m'empêchent aujourd'hui de l'évoquer devant votre Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Castellani.
M. Michel Castellani. Toute manoeuvre d'évitement de l'impôt est porteuse d'injustice. C'est un coup porté à l'égalité. La délinquance financière est même l'une des plus grandes menaces qui pèsent sur le bien-être économique et social.
Panama papers, Paradise papers, Lux Leaks : qu'il s'agisse de fraude ou d'optimisation fiscale, agressive ou pas, nous devons condamner tous les scandales fiscaux. Ces derniers reposent sur des systèmes internationaux complexes, ingénieux, très bien organisés. Nous sommes confrontés à une fraude internationale organisée et structurée à grande échelle.
Les activités financières illicites, comme la fraude fiscale, la corruption, la fraude informatique ou encore le blanchiment de capitaux, sont un problème international et exigent, à ce titre, une coopération internationale. La criminalité financière ne s'arrête pas aux frontières.
Le groupe Libertés et territoires considère donc qu'il est impératif d'agir de concert avec nos voisins européens, et même au-delà, au sein de l'OCDE, dans un contexte d'internationalisation et de dématérialisation de l'économie – nous l'avons dit bien des fois en commission comme en séance publique. Ceci est devenu d'autant plus nécessaire que l'apparition des nouvelles formes de délinquance rend plus complexes les investigations. Face à elles, on ne peut faire l'économie d'enquêtes au niveau international. La France est déjà engagée dans cette coopération mais nous constatons encore des cas de mauvais fonctionnement du système d'échange de données, notamment avec les États-Unis dans le cadre du FATCA – Foreign Account Tax Compliance Act.
Notre groupe souhaiterait, monsieur le secrétaire d'État, savoir comment le Gouvernement entend poursuivre ces efforts pour obtenir de nouveaux progrès dans les années à venir. Je pense, en particulier, à l'amélioration des échanges d'informations ou encore, autre sujet essentiel, à l'établissement d'une liste unique et exhaustive de paradis fiscaux selon trois critères que sont l'équité fiscale, la lutte contre le blanchiment et le critère prudentiel. (Applaudissements sur les bancs du groupe LT.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Sur la scène européenne aussi, monsieur le député, la France se mobilise, pour veiller à ce que les outils de lutte contre la fraude au niveau communautaire soient développés et que les échanges d'informations soient systématisés. Nous réexaminons également les conventions fiscales avec nos différents partenaires pour en vérifier la qualité et la bonne application.
S'agissant de l'échange de données, nous le pratiquons évidemment, y compris avec les États-Unis, même si nous sommes preneurs d'une amélioration de la qualité et de la fiabilité des données qui nous sont ainsi transmises par les autorités américaines.
De manière plus générale, dans le cadre des échanges automatiques, depuis le début de cette année, nos services ont été destinataires d'informations relatives à plus de 3 millions de comptes bancaires pour permettre de nourrir les enquêtes.
Ensuite, l'Agence française anticorruption travaille avec les États partenaires pour multiplier les conventions, assurer le suivi des procédures, convaincre les autorités soit de mener des procédures partagées, soit de nous laisser mener sur le sol national certaines enquêtes et d'intenter des procès quand bien même cela concernerait des informations liées directement à des puissances étrangères.
Il y a donc une véritable volonté de développer les partenariats avec les pays étrangers. En outre, les investissements que l'État réalise, en application des décisions qu'il a prises notamment dans le cadre de la loi de finances, visent à doter les services des moyens informatiques les plus modernes afin d'améliorer l'échange de données.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Roussel.
M. Cédric Roussel. Je tiens tout d'abord à vous remercier, messieurs les corapporteurs, pour la qualité de votre rapport. Il identifie les causes et les facteurs de la délinquance financière, tout en esquissant des pistes et des propositions. La délinquance financière prospère, malgré l'évolution des outils juridiques.
Ma question porte sur les pratiques frauduleuses, de plus en plus sophistiquées et qui reposent largement sur la cybercriminalité. La délinquance financière prend de nouvelles formes, ce qui rend les investigations plus complexes. D'où une nécessité absolue : s'adapter et anticiper de manière permanente le progrès technique en la matière.
Vu à travers le prisme des acteurs judiciaires et administratifs, le contentieux relatif à la délinquance financière apparaît de plus en plus technique, pointu et vicieux. Son traitement nécessite donc des compétences et des méthodes spécifiques. Il s'agit d'un défi majeur pour le législateur. Nous devons donc nous engager dans cette lutte avec force, conviction et détermination.
L'une des propositions du rapport est de « mettre en oeuvre un dispositif d'identification numérique publique certifiée pour y soumettre la dématérialisation de la gestion des comptes bancaires ». Ce serait une première étape, mais elle ne peut suffire. Dès lors, monsieur le secrétaire d'État, pourriez-vous nous préciser la feuille de route du Gouvernement quant à cet enjeu et les moyens qui nous permettront de mener ensemble ce combat et de le gagner ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Je vous réponds en quelques mots, monsieur Roussel, non pas pour tracer une feuille de route – qui pourrait se résumer au volontarisme – mais pour décrire notre action et les moyens que nous donnons aux services de l'État afin qu'ils puissent mieux lutter contre une délinquance financière qui devient protéiforme et complexe et qui s'appuie sur des technologiques modernes, notamment sur les cryptomonnaies que vous avez évoquées.
Notre premier axe de travail porte sur l'échange de données – je l'ai évoqué en répondant à M. Castellani et j'y reviendrai. D'autre part, nous avons la volonté d'investir davantage et mieux dans les moyens informatiques, pour développer à la fois le data mining – c'est un point important – et l'utilisation de l'ensemble des données publiques – je le précise car cela fait écho à un débat qui a eu lieu dans votre assemblée lors de l'examen du dernier projet de loi de finances – de manière à être les plus efficaces possible.
Le projet de ciblage de la fraude et de valorisation des requêtes – CVFR – comme le recours au data mining sont pour nous, je le souligne, des pistes essentielles. Le CVFR est un projet d'envergure pour l'administration fiscale. Financé par le fonds pour la transformation de l'action publique, il permettra de mieux cibler la fraude et de mieux programmer les contrôles fiscaux grâce au data mining et à l'intelligence artificielle. Nous serons ainsi en mesure non seulement de détecter les dossiers les plus complexes, mais aussi de traiter en masse des dossiers plus simples, voire d'inciter les contribuables à régulariser leur situation fiscale, ce qui est aussi une manière de lutter contre la fraude.
À titre d'exemple, au cours du mois de février 2019, la DGFiP a procédé à l'envoi automatisé et centralisé de 15 000 lettres – ce sont les derniers chiffres dont nous disposons – invitant des détenteurs de comptes financiers à l'étranger dont la situation déclarative présentait une anomalie à régulariser leur situation en se rapprochant directement des services locaux. L'expédition de ce courrier sera suivie d'une phase de contrôle, qui débutera en juin prochain. Un bilan sera établi à l'issue des travaux.
Par ailleurs, dans le cadre des derniers textes adoptés, tant la loi relative à la lutte contre la fraude que la loi de finances, nous avons instauré des obligations déclaratives pour un certain nombre de prestataires sur internet, notamment les plateformes d'économie collaborative. Ces prestataires sont désormais tenus de nous fournir des données, ce qui nous permettra de mieux lutter contre certains types de délinquance financière effectivement très complexes.
Mme la présidente. La parole est à M. Cédric Roussel, pour une deuxième question.
M. Cédric Roussel. La complexification des enquêtes que nous venons d'évoquer entraîne mécaniquement une augmentation de l'activité des services compétents, notamment l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales. Face à cette situation, il semble indispensable d'accroître les effectifs des services en question. Néanmoins, cette mesure doit évidemment s'inscrire dans une démarche globale, à savoir une politique de ressources humaines ambitieuse, comme le préconisent les corapporteurs, MM. Jacques Maire et Ugo Bernalicis. Je souscris entièrement à cette proposition. Une telle politique doit permettre de renforcer l'attractivité de la police judiciaire financière, en recrutant les meilleurs profils, et d'éviter un turnover trop important, qui fragilise de facto le suivi des enquêtes.
L'État doit être à la hauteur des défis posés par la délinquance financière et dégager des moyens à la mesure de ses ambitions. La politique que je viens d'évoquer pourrait se traduire, par exemple, par une revalorisation du régime indemnitaire ou encore des conditions d'avancement plus avantageuses. Par ailleurs, une réforme structurelle de l'organisation semble indispensable pour accompagner au mieux cette mutation, afin de gagner en efficacité.
Pourriez-vous nous faire part, monsieur le secrétaire d'État, des mesures envisagées par le Gouvernement afin de fidéliser les agents dédiés à la lutte contre la délinquance financière au sein des parquets et des services d'enquête et de rendre leur carrière plus attractive ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. J'espère que vous pardonnerez, monsieur le député, la brièveté de ma réponse, dans la mesure où j'ai déjà évoqué un certain nombre d'éléments en répondant aux questions précédentes.
La lettre de mission adressée aux trois inspections saisies, que j'ai évoquée tout à l'heure, précisera les attentes du Gouvernement – notamment l'évaluation des besoins et la définition de plans de recrutement dans une perspective triennale – afin de calibrer et de déterminer les moyens dont nous avons besoin, notamment en enquêteurs spécialisés, en particulier au sein de l'OCLCIFF, pour faire face au constat que nous connaissons. Cela nous permettra, nous le pensons, d'être plus efficaces en matière de lutte contre la fraude et la délinquance financière.
Votre question porte également sur la fidélisation des personnels. Si vous me le permettez, j'élargirai le propos au-delà de la seule délinquance financière, car le problème concerne de nombreux métiers et fonctions au sein de la fonction publique.
Dans le cadre de la réforme de la fonction publique qu'il me revient de mener, mais aussi dans le cadre des concertations conduites avec les organisations syndicales parallèlement à l'examen du projet de loi qui lui est consacré par le Parlement, j'ai engagé un travail sur l'attractivité des métiers de la fonction publique de manière générale. Il apparaît effectivement qu'un certain nombre de postes et de fonctions nécessitant des compétences très spécifiques peuvent souffrir d'un déficit d'attractivité. À l'issue de ces travaux, je prendrai l'attache de l'ensemble de mes collègues du Gouvernement afin d'identifier, corps par corps, au sein de la fonction publique d'État, là où les moyens doivent être les plus importants et là où nous devons apporter des réponses.
S'agissant du premier point, je précise que, lorsque les trois inspections nous auront rendu leur rapport, le Gouvernement sera bien évidemment disposé à partager avec la représentation nationale leurs préconisations en matière de calibrage des moyens nécessaires aux services. Nous serons prêts à en débattre et à associer les parlementaires à la définition de cette politique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sarah El Haïry.
Mme Sarah El Haïry. La lutte contre la délinquance financière constitue bien évidemment une priorité, à plus forte raison dans cette période de tension fiscale. Nous constatons régulièrement, à l'occasion de nombreux scandales financiers, que le coup de canif porté au pacte républicain par certains de nos concitoyens est aussi, d'un point de vue plus pragmatique, une atteinte au budget de la nation.
L'efficacité de la lutte contre la délinquance financière passe notamment par l'effectivité des sanctions, qu'il s'agisse d'amendes ou de peines d'emprisonnement. C'est pourquoi l'organisation des services de l'État et les moyens des juridictions traitant ces sujets sont essentiels pour la réussite des politiques publiques.
Or les services de l'État ne semblent pas parvenir à endiguer la progression de la délinquance économique et financière, notamment en raison d'un manque de coordination entre les différents ministères. Alors que l'évaluation est centrale pour l'action publique, l'imprécision de la définition de la délinquance économique et financière, que j'ai évoquée précédemment, est au coeur du problème. Elle explique en partie l'éclatement, entre les différents ministères, de la gouvernance de la lutte contre cette délinquance.
Je vous pose deux questions, monsieur le secrétaire d'État. Premièrement, quelle réforme peut-on envisager pour simplifier et renforcer la gouvernance interministérielle de la lutte contre la délinquance financière ? Deuxièmement, les mesures de la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice et les moyens alloués par cette loi permettront-ils de renforcer les juridictions traitant le contentieux en question ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Je répondrai à vos deux questions aussi simplement et directement que possible, madame El Haïry.
S'agissant du renforcement de la gouvernance interministérielle de la lutte contre la délinquance financière, il se trouve que la ministre de la justice et le ministre de l'action et des comptes publics ont signé, le 7 mars dernier, une circulaire commune incitant l'ensemble des services compétents à coopérer et renforçant la coordination entre les parquets et l'administration fiscale au niveau local. L'objectif est d'encourager vivement les uns et les autres à travailler ensemble sur des dossiers plus territorialisés ou dont ils ont une connaissance plus approfondie.
J'en viens aux moyens alloués par la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice notamment aux juridictions traitant le contentieux en question. Par ce texte, nous avons décidé de simplifier la procédure pénale afin de permettre aux enquêteurs et aux magistrats de gagner en fluidité et en efficacité dans des affaires chronophages car complexes. Quant à l'augmentation de l'enveloppe financière globale prévue pour les années à venir, elle bénéficiera tant aux magistrats traitant la délinquance de droit commun qu'à ceux qui travaillent sur la délinquance spécialisée, notamment, bien entendu, la délinquance financière. En application de la loi de programmation, les moyens de la justice passeront de 7 milliards d'euros en 2018 à 8,3 milliards en 2022. Par ailleurs, le ministère de la justice bénéficiera de la création de 6 500 emplois sur la même période. Nous veillerons évidemment à ce que la délinquance financière soit classée parmi les priorités.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain David.
M. Alain David. Il y aurait beaucoup à dire sur les mutations de la délinquance financière, qui est devenue ces cinq dernières années toujours plus complexe, plus rapide et moins détectable. Ce n'est pas faute pour le Parlement de légiférer : depuis 2013, pas moins de quatre textes législatifs ont été adoptés en la matière. Toutefois, les résultats sont, il faut bien le dire, en demi-teinte. Une partie de la réalité demeure sous-évaluée, faute pour l'État d'avoir conçu les outils statistiques adéquats : c'est l'un des enseignements du rapport. Au-delà des carences en matière de suivi des statistiques, l'État s'est-il vraiment donné les moyens, jusqu'à présent, de lutter efficacement contre la délinquance financière ?
Par ailleurs, je souhaite alerter une nouvelle fois le Gouvernement sur les limites du « en même temps ». Mes chers collègues, on ne peut pas d'un côté faire de la lutte contre la délinquance financière une priorité du quinquennat et, de l'autre, laisser fondre les effectifs de l'administration fiscale, qui est en première ligne dans la lutte contre l'évasion fiscale. Les effectifs de la DGFiP ne sont d'ailleurs pas les seuls en baisse – de 17 % depuis 2012, rappelons-le ! Ceux des services chargés du contrôle connaissent, eux aussi, une diminution nette en valeur absolue.
Enfin, souvenons-nous qu'il y a, entre l'optimisation et la fraude fiscale, une ligne de crête que des entreprises ayant pignon sur rue n'hésitent parfois pas à franchir. La faute en revient à un système juridique qui permet aux multinationales de délocaliser artificiellement leurs bénéfices et leur chiffre d'affaires à l'extérieur de nos frontières, alors que leurs clients se trouvent bien en France.
Avec mes collègues du groupe Socialistes et apparentés et les autres groupes de l'Assemblée nationale, je souhaite que nous nous engagions tous dans ces chantiers, afin que soit tenue la promesse républicaine de l'égalité de tous devant l'impôt.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. Dans la mesure où les mêmes questions reviennent, ce qui est bien légitime, ma réponse sera brève.
Comme je l'ai indiqué précédemment, la diminution des effectifs de la DGFiP est une constante depuis dix ans. Vous avez rappelé, monsieur David, que cette baisse avait été de 17 % depuis 2012 – date que je connais bien moi aussi. Comme je l'ai précisé, les redéploiements nous ont permis de maintenir les effectifs consacrés au contrôle, à savoir 12 000 équivalents temps plein.
En outre, comme je l'ai expliqué en répondant à M. Roussel, nous investissons dans l'intelligence artificielle et le data mining, afin de trouver de nouveaux moyens d'identification de la fraude et de détecter des données qui nous permettront d'ouvrir des enquêtes complémentaires sur des faits dont nous n'avions pas connaissance jusqu'alors.
Vous avez appelé à une pénalisation et à des poursuites contre ce que l'on pourrait qualifier d'optimisation frauduleuse. C'est précisément ce que nous avons fait avec la loi du 23 octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude, que le Parlement a adoptée à une très large majorité. Jusqu'à l'entrée en vigueur de cette loi, il existait des possibilités de sanction contre la fraude fiscale, mais non contre les pratiques d'optimisation frauduleuse auxquelles se livrent certaines officines ayant pignon sur rue. La loi d'octobre 2018 a consacré la possibilité de sanctionner ces pratiques, sous le contrôle du juge. Son application nous permettra de réaliser de grands progrès en la matière.
Mme la présidente. La parole est à Mme Lise Magnier.
Mme Lise Magnier. Je souhaite vous interroger sur l'éventuelle rémunération ou l'assistance financière des lanceurs d'alerte, ces scientifiques ou simples citoyens qui nous interpellent et mettent en lumière des situations de fraude souvent de grande ampleur, en prenant parfois des risques pour eux-mêmes. Le rapport d'information sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière, qui fait l'objet de notre débat, aborde cette problématique.
La définition même du lanceur d'alerte exclut sa rémunération, puisqu'aux termes de l'article 6 de la loi Sapin 2, un lanceur d'alerte est une personne physique qui agit « de manière désintéressée et de bonne foi » afin de dénoncer « un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d'un engagement international […] ou une menace ou un préjudice graves pour l'intérêt général ». Pour autant, nos rapporteurs proposent de rétablir une aide financière au profit des lanceurs d'alerte.
De nombreux États européens dénoncent l'exportation de la doctrine américaine d'incitation financière, qui, tout en créant une inégalité de traitement entre les lanceurs d'alerte, assimilés à des chasseurs de primes, générerait un système de délation. En parallèle, une proposition de directive du Parlement européen et du Conseil va plutôt dans le sens d'une meilleure protection des lanceurs d'alerte par une assistance financière.
Quelle est la position du Gouvernement sur ce sujet ? Estimez-vous qu'il soit nécessaire de modifier la loi pour permettre une rémunération des lanceurs d'alerte ? Le cas échéant, quels en seraient les contours ? Ou alors doit-on maintenir le caractère totalement désintéressé de cette pratique, au risque de perdre des informations qui nous permettraient de mieux lutter contre la délinquance financière et de déjouer des situations illégales ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. La réponse à cette question est, elle aussi, contenue dans la loi d'octobre 2018 relative à la lutte contre la fraude. En adoptant ce texte, le Parlement a en effet pérennisé le système de rémunération des aviseurs en matière de lutte contre la fraude fiscale, avec l'accord et même le soutien du Gouvernement. Cela montre que celui-ci est ouvert et qu'il souhaite un dispositif de rémunération applicable aux aviseurs en matière de fraude fiscale et plus largement aux lanceurs d'alerte.
La directive présentée par la Commission européenne le 23 avril 2018, puis adoptée par le Conseil le 15 mars 2019 et par le Parlement européen en session plénière le 16 avril, devrait être publiée prochainement. La notion de désintéressement n'est pas prévue dans cette directive que nous aurons deux ans pour transcrire, ce qui signifie que nous pourrons continuer, dans le respect du cadre légal que nous avons fixé, à rémunérer autant que nécessaire lanceurs d'alerte et aviseurs.
La transcription de la directive nous donnera l'occasion de réfléchir non seulement à la rémunération des lanceurs d'alerte, mais à leur protection. Nous veillerons évidemment à respecter les conditions et les objectifs qu'elle définit.
Je saisis cette occasion pour répondre à la question de M. Juanico sur le nombre d'aviseurs fiscaux. En 2018, nous avons instruit deux dossiers. Les procédures sont encore en cours et seront rendues publiques prochainement. De façon générale, le rapport entre la rémunération des aviseurs et le gain pour l'État est sans commune mesure, sachant que ces deux opérations ont permis à celui-ci de réaliser une recette de 90 millions d'euros.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Lassalle.
M. Jean Lassalle. Ma question n'appelle pas forcément de réponse. Quoi que j'aie beaucoup de considération pour votre action, monsieur le secrétaire d'État, notamment pour celle que vous avez menée récemment dans mon territoire, je tenais à m'interroger dans cette enceinte sur plusieurs éléments.
Avons-nous plus ou moins de moyens pour nous sortir du marasme actuel qu'en 1945, époque où l'on ne savait pas si l'argent était à Vichy, à Londres, à Washington, voire à Moscou ou ailleurs ? Nous n'étions pas mieux partis alors.
M. Sébastien Jumel. Mais il y avait une réelle volonté politique ! Et un parti communiste fort ! (Sourires.)
M. Jean Lassalle. Il y avait une volonté. On avait décidé de reconstruire la France.
M. Sébastien Jumel. C'est vrai !
M. Jean Lassalle. On voulait que la France redevienne la France. Aujourd'hui, comment pourrions-nous espérer lutter si nous continuons à privatiser à outrance, comme le Gouvernement l'a fait avec Aéroports de Paris ? Par le passé, n'étions-nous pas capables de retirer de l'argent de ce qui rapporte le plus ?
M. Sébastien Jumel. Si !
M. Jean Lassalle. Nous pouvons passer d'autres contrats avec le privé, au lieu de tout lui laisser ! Nous devrions retrouver une grande partie de notre patrimoine dans cette période de crise.
D'autre part, comment quelque disposition fiscale que ce soit pourrait-elle fonctionner dans un ensemble qui comprend le Luxembourg, Monaco, l'Irlande et les Pays-Bas ? Que faire, face à une telle réalité ? Rien, malheureusement.
Sans attendre, il faut créer une quatrième arme, à côté des forces terrestres, aériennes et marines, pour lutter contre la cybercriminalité. Par cet acte, la France pourrait enfin commencer quelque-chose, après avoir reconstruit son État, qui n'existe plus aujourd'hui alors qu'il devrait être à la fois un symbole et un outil pour celui qui exerce le pouvoir.
À défaut de créer cette arme, nous ne pourrons prendre que des mesurettes.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Olivier Dussopt, secrétaire d'État. La tentation est grande de saisir votre invitation à ne pas vous répondre ! (Sourires.) Mais, dans un contexte très différent de celui de 1945, nous disposons aujourd'hui de moyens, qui sans ressembler à ceux d'alors, sont bien réels.
D'autre part, vous avez présenté certains de nos partenaires comme assez peu fiables en matière de lutte contre la fraude fiscale. Or, l'Union a renforcé depuis le 1er janvier des règles qui lui permettront de classer les États en fonction de leurs engagements et des moyens qu'ils mettent en oeuvre pour lutter contre la fraude. De ce fait, elle sera beaucoup plus efficace pour détecter ou caractériser au niveau communautaire les États qui ne seraient pas nécessairement des partenaires dans cette lutte.
Enfin, même si je ne suis pas sûr que cette réponse vous satisfasse, à défaut de créer une quatrième arme pour lutter contre la cybercriminalité financière, nous investissons pour donner à nos services les moyens de mener ce combat.
M. Jean Lassalle. Merci de m'avoir répondu. Ce n'était pas une question facile ! (Sourires.)
Mme la présidente. Le débat est clos.
Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 6 mai 2019