Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, modifié par lettre rectificative, relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique (projet n° 677 rectifié [2018-2019], texte de la commission n° 13, rapport n° 12).
La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées du groupe UC.)
Mme Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, État et collectivités ont la République en partage. Les élus locaux, au premier rang desquels les maires, sont au plus près des citoyens, de leurs demandes, encouragements ou récriminations.
Dans tous mes déplacements, je constate la volonté inébranlable de femmes et d'hommes portés par la fierté d'agir au quotidien pour leurs habitants. Ils conduisent leur mandat avec un engagement sans limite.
Lors des consultations menées dans le cadre du grand débat national, les maires ont pu témoigner de cet engagement. Ils ont également confié leurs attentes et leurs aspirations. Ces attentes, je les comprends au regard de la complexité de la tâche à accomplir et de leur farouche volonté d'apporter à nos concitoyens les meilleures réponses à leurs problèmes du quotidien.
Le projet de loi dont votre assemblée entame l'examen est une première réponse concrète. Il est porté par Sébastien Lecornu, qui a mené une large concertation, tant avec les élus locaux qu'avec les parlementaires.
Ce texte propose deux leviers majeurs. D'une part, il redonne des libertés locales, afin que les élus retrouvent des capacités d'action et que les décisions se rapprochent du terrain, en proposant une meilleure articulation entre communes et intercommunalités. D'autre part, il lève certains freins à l'engagement et au réengagement des élus locaux dans la perspective des prochaines élections municipales.
Les propositions de ce texte sont résolument pragmatiques : elles visent à donner plus de souplesse et à remettre de la proximité dans l'exercice des politiques publiques.
Ces actions sont très attendues au sein des territoires. Elles s'inscrivent dans la droite ligne de la mission que je mène à la tête de mon ministère : relever le défi de la cohésion des territoires.
À cette fin, nous avons renouvelé notre cadre d'action publique. Nous partons des besoins, des modes de vie locaux, pour proposer un accompagnement sur mesure des projets de territoire à travers les programmes d'appui. Nous travaillons en partenariat avec les collectivités territoriales pour revitaliser les centres-villes, promouvoir le retour de l'industrie dans nos campagnes, conforter le lien social et l'emploi dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, ou encore assurer le déploiement du service public. De manière générale, nous voulons que chacun de nos concitoyens dispose des mêmes chances et des mêmes possibilités, quel que soit l'endroit où il habite.
L'État devient facilitateur, accompagnateur des élus locaux, au lieu de se conduire en prescripteur. C'est ainsi que nous avons conçu l'agenda rural, que le Premier ministre et moi-même avons présenté au congrès des maires ruraux, le 20 septembre dernier à Eppe-Sauvage, dans le département du Nord. D'ailleurs, nombre de mesures inscrites dans le projet de loi que nous vous présentons aujourd'hui sont la traduction de mesures proposées dans cet agenda rural.
C'est cette même philosophie qui guide les travaux préalables au prochain acte de décentralisation et de différenciation ; ce nouveau texte, appelé désormais « 3D » – décentraliser, différencier, déconcentrer –, vise plus largement à incarner les nouvelles relations entre l'État et les collectivités. Il permettra de développer une boîte à outils pour adapter notre action commune aux réalités locales. Il sera le réceptacle pour envisager de potentiels transferts de compétences entre l'État et les collectivités ou entre les collectivités elles-mêmes. Il sera également le réceptacle des mesures qui permettront, demain, d'assouplir la procédure d'expérimentation.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de céder la parole à Sébastien Lecornu, je tiens à vous le dire une nouvelle fois : l'État et les collectivités – j'en ai la conviction – ont destin lié pour dessiner l'avenir de nos territoires. La cohésion des territoires, objectif qui nous réunit, c'est le pari d'une France conquérante, parce qu'elle est attractive. Nous ne relèverons ce pari qu'en faisant alliance avec les collectivités territoriales, qui ont fait la démonstration de leur pleine maturité.
Je n'en doute pas : le Sénat, dans sa grande sagesse, mettra tout en oeuvre pour renforcer ces libertés et responsabilités locales, comme il l'a encore signifié récemment.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
Mme Jacqueline Gourault, ministre. Ces enjeux sont tellement importants pour l'avenir de nos territoires qu'il nous faut y travailler collectivement, et de façon constructive ! (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes UC, Les Républicains, RDSE et Les Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre auprès de la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président du Sénat, monsieur le président de la commission des lois, madame, monsieur les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, Jacqueline Gourault vient de le rappeler : la question territoriale a déjà fait l'objet de nombreux actes législatifs. Je pense évidemment à la proposition de loi de Mme Gatel relative aux communes nouvelles,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre. … texte que nous avons su examiner collectivement il y a de cela quelques mois.
En la matière, d'autres textes sont à venir : le présent projet de loi, que je vais vous présenter succinctement dans un instant, le projet de loi de finances pour 2020 et, bien entendu, le projet de loi de décentralisation auquel Mme la ministre a fait référence.
Monsieur le président du Sénat, il y a maintenant quelques mois, je m'étais engagé auprès de vous à changer de méthodologie dans la construction du présent texte. Ainsi, nous avons mené des consultations directes avec les associations d'élus – nous en avons désormais l'habitude et, à ce titre, je n'oublie pas les 96 heures de débats entre le Président de la République et les maires de France, pendant le grand débat national… (M. Philippe Dallier s'exclame.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. C'était un monologue !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur Dallier, 96 heures de débats, cela s'entend, cela s'écoute…
M. Philippe Dallier. Religieusement ! (Sourires sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Sébastien Lecornu, ministre. D'ailleurs, à cette occasion, un certain nombre de maires de Seine-Saint-Denis sont venus à la rencontre du Président de la République.
Monsieur le président du Sénat, je me suis également engagé auprès de vous à mener la meilleure coproduction possible avec la Haute Assemblée. Avec votre accord, avec votre concours, nous nous sommes donc inspirés de nombreux travaux du Sénat, qu'il s'agisse de propositions de loi passées – je pense aux textes élaborés par Alain Marc et par Mathieu Darnaud – ou des recommandations formulées par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, présidée par Jean-Marie Bockel. De plus, nous avons rencontré l'ensemble des présidents de groupe afin de faire converger toutes les sensibilités ici représentées vers un texte pragmatique.
Or, en la matière, la seule manière d'être pragmatique, c'est de répondre aux attentes des 600 000 élus locaux que dénombre notre pays.
M. Bruno Sido. Bien sûr !
M. Sébastien Lecornu, ministre. En résumé, nous devons répondre à trois sentiments, qu'expriment nos collègues maires, adjoints au maire et conseillers municipaux : le présent texte traite essentiellement du bloc communal, et le projet de loi de Jacqueline Gourault sera, quant à lui, consacré davantage aux questions départementales et régionales.
Le premier sentiment est, sans nul doute, celui de la complexité : il est plus difficile d'être maire ou adjoint au maire aujourd'hui qu'il y a quinze, vingt ou trente ans. (Mme Brigitte Micouleau opine.)
M. Bruno Sido. Oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Bien souvent, nos collègues élus locaux expriment ce sentiment avec beaucoup de force, et ils s'adressent à nous, membres du Gouvernement, députés et sénateurs : les normes dont il s'agit traduisent parfois une pression sociétale, exercée par nos concitoyens.
Bien souvent, la simplification, c'est compliqué. Les quelque mille amendements déposés sur ce texte en témoignent : il existe une forte volonté normative de garantir une égalité territoriale pour l'ensemble du pays. Bien souvent, nous faisons de grands discours pour parler de liberté ; mais, très vite, cette autre valeur républicaine essentielle qu'est l'égalité vient concurrencer la liberté. N'est pas tocquevillien qui veut, monsieur le président de la commission des lois !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. En effet…
M. Sébastien Lecornu, ministre. Aussi, nous vous adressons un certain nombre de propositions qui, grâce à la discussion parlementaire, pourront sans doute aller beaucoup plus loin.
Nous proposons un certain nombre de dérogations, notamment un dispositif opérationnel en faveur du patrimoine en danger ; nous traitons de l'organisation des délégations entre élus au sein des collectivités territoriales ; du rapprochement entre différentes collectivités ; de certaines obligations qui, n'étant pas tout à fait nécessaires, pourraient céder la place à des dispositions facultatives – je m'attends déjà à un débat nourri quant à la faculté, pour les conseillers communautaires, d'instituer ou non un conseil de développement.
Nous défendons également plusieurs innovations territoriales : je pense par exemple au médiateur territorial, dont le groupe du RDSE a suggéré la création via une proposition de loi. Nous devons encore avancer dans l'écriture de ces dispositions ; mais ces dernières présentent un intérêt certain. Plus largement, le débat et la navette parlementaires vont permettre, j'en suis persuadé, d'enrichir ces différents dispositifs.
Le deuxième sentiment que nous avons entendu et que nous entendons, de la part des élus locaux, lorsque nous nous rendons dans nos territoires, c'est celui de la dépossession.
Monsieur le président du Sénat, vous le dites souvent : « Les maires sont à portée d'engueulade. » Encore faut-il qu'ils se fassent « engueuler » pour ce qu'ils ont vraiment décidé, et non pour des mesures prises à d'autres endroits, à d'autres niveaux ! Naturellement, c'est toute la question de la relation entre la commune et son intercommunalité.
L'intercommunalité a été un outil populaire chez les élus locaux. Malheureusement, certaines dispositions de la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ou loi NOTRe, sont venues créer des « irritants » – je revendique la paternité de ce mot ! (Sourires.) Petit à petit, elles ont conduit à organiser une concurrence au sein du bloc communal. Sans cesse plus intégrés, toujours plus grands, les établissements publics de coopération intercommunale finissent par oublier que c'est le maire qui doit être au coeur de l'intercommunalité, et pour cause : l'EPCI est non pas une collectivité territoriale, mais un établissement public au service des communes.
M. Bruno Sido. Voilà !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Il s'agit donc, en suivant ce chemin de crête, de continuer à défendre l'intercommunalité. En cette année 2019, nous fêtons les vingt ans des lois Chevènement, mais nous ne devons pas occulter les différentes irritations et incompréhensions que nous entendons sur le terrain, autour du triptyque bien connu : gouvernance – à ce sujet, nous nous inspirerons des travaux du Sénat, en particulier de la proposition de loi d'Alain Marc, que je salue –, compétences – je n'ignore pas que la question de l'eau et de l'assainissement devient également politique : nous devons la traiter avec beaucoup de calme et de pragmatisme – et périmètres.
Au sujet des périmètres, les élus municipaux de la mandature 2014-2020 ont connu d'immenses bouleversements ! Pour notre part, nous voulons proposer des outils pour corriger, sans pour autant sacrifier les élus en exercice entre 2020 et 2026, car nos collègues demandent des corrections et, en aucun cas, un grand soir.
Le troisième sentiment entendu sur le terrain est plus terrible, plus redoutable : c'est le besoin de protection, qui soulève plusieurs enjeux, à commencer par l'engagement. Les élus s'interrogent : « Pourquoi m'engager ? Pourquoi donner du temps à la cité ? » Bien souvent, ils accomplissent leur mission bénévolement : l'essentiel des élus municipaux de notre pays ne perçoivent aucune indemnité.
M. Jean-François Husson. Il est bon de le rappeler, monsieur le ministre !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Tout à fait monsieur Husson, et j'ajoute que la question de l'engagement ne se pose pas seulement pour les élus municipaux. Est-il plus compliqué, aujourd'hui qu'il y a vingt ans, de trouver des sapeurs-pompiers volontaires ? La réponse est oui. Est-il plus difficile, aujourd'hui qu'il y a vingt ans, de recruter des réservistes dans les armées ou dans la gendarmerie ? La réponse est oui. Est-il plus difficile, aujourd'hui qu'il y a vingt ans, de trouver des bénévoles pour faire vivre nos associations ? La réponse est oui.
Mme Françoise Gatel, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C'est vrai !
M. Sébastien Lecornu, ministre. L'engagement local, l'engagement municipal n'échappent pas à cette évolution. Nous devons aborder la question aussi sereinement que possible, et avec beaucoup d'humilité. Face à ce mouvement de décomposition très lent que connaît notre société, il n'y aura peut-être pas de solution miracle. Mais collectivement, avec beaucoup de pragmatisme, nous pouvons redonner envie, en mettant de nouveau en lumière la beauté de l'engagement, du don de soi pour la République, et notamment pour la démocratie locale – nous y reviendrons.
Il s'agit de traduire ces ambitions par des mesures concrètes. D'aucuns parlent de statut de l'élu. Toutefois, sur le terrain, certains n'apprécient pas ce terme. Ils nous disent : « Je ne veux pas un statut, mais un cadre pour m'engager. Je ne veux pas être le salarié, l'agent de ma commune, je veux en être l'élu. »
Je vous propose donc tout simplement une série de mesures pragmatiques et calmes, concernant, notamment, la question des indemnités. Je tiens à saluer sincèrement, madame Gatel et monsieur Darnaud, votre prise de position sur ce point. Je dois vous avouer que j'ai écrit à beaucoup d'associations d'élus à ce propos, et que certaines d'entre elles, pourtant éminentes, n'ont toujours pas pris la peine de répondre au Gouvernement pour se positionner sur la proposition gouvernementale ou sur celle de la commission des lois.
Je salue le Sénat, singulièrement sa commission des lois, qui a pris cette question à bras-le-corps. On sait que la vérité n'est pas évidente à identifier en la matière dans notre pays, mais je crois que nous avançons et je tiens à m'en réjouir.
La question de la formation est évidemment importante. Aujourd'hui, un élu départemental, régional, d'une grande métropole ou d'une grande ville, a facilement accès au budget qui y est consacré, mais nous devons aller plus loin s'agissant de formation des élus ruraux, même si Jacqueline Gourault, lorsqu'elle siégeait parmi vous, a fait avancer les choses avec le DIF, le droit individuel à la formation.
En ce qui concerne les frais d'accompagnement pour celles et ceux qui sont chargés de famille ou de personnes en situation de handicap, nous devons comprendre que nous ne sommes pas égaux : on ne peut pas s'absenter si facilement pour un conseil municipal ou pour une commission municipale lorsque l'on est dans cette situation. Sur ce point également, la solidarité nationale est appelée en soutien, notamment pour toutes les communes jusqu'à 3 500 habitants. Arnaud de Belenet a déposé un amendement, que je salue, visant à leur permettre de voir ces différents frais pris en charge par l'État.
Le pragmatisme, encore, monsieur le sénateur Éric Kerrouche, me conduit à vous indiquer que je vais lever le gage sur un amendement que vous avez déposé concernant l'adaptation des frais spécifiques de déplacement pour les élus en situation de handicap, et qui n'est pas directement recevable au titre de l'article 40. C'est une proposition qui devrait nous rassembler et j'émettrai un avis favorable à son endroit.
Monsieur le président du Sénat, vous étiez vous-même à Signes ; nous ne pouvons pas débuter la discussion de ce texte sans avoir une pensée particulière pour le maire de Signes, qui a fait don de sa vie dans l'exercice de ses fonctions.
Cela a mis un coup de projecteur, dans les médias, sur l'autre casquette des maires dans leur commune : ils sont non seulement patrons de leurs collectivités territoriales, mais ils sont aussi officiers de police judiciaire, agents de l'État dotés de pouvoirs de police depuis maintenant plus de deux siècles. C'est un héritage de la Révolution française.
On a parfois laissé les maires trop seuls dans l'exercice de cette mission, dans une société sans cesse plus violente au sein de laquelle certains de nos concitoyens multiplient, malheureusement, les incivilités et manquent de respect envers nos élus locaux.
Sur ce point également, ce projet de loi prévoit un certain nombre d'outils de protection et, lorsqu'il est malheureusement trop tard, d'accompagnement juridique et psychologique.
Il y a quelques semaines, avec Mme la sénatrice Gatel et quelques autres, nous avions reçu des élus qui avaient été agressés dans le cadre de leurs fonctions. Par pudeur, ceux-ci avaient refusé de présenter à leur conseil municipal une facture de cabinet d'avocats, mais, arrivés au tribunal correctionnel en tant que victime, ils avaient constaté que leurs agresseurs, eux, avaient un avocat.
De cela nous ne voulons plus et nous entendons donc garantir un niveau d'équité entre tous les élus de la République en matière d'accompagnement juridique ; ceux-ci sont en droit d'en bénéficier non seulement lorsqu'ils sont mis en cause, mais également lorsqu'ils sont victimes. C'est une mesure qui va dans le bon sens et qui doit faire honneur à la République.
Il sera également nécessaire d'être plus en confiance : on parle beaucoup de liberté, mais, bien souvent, lorsqu'il s'agit d'attribuer des compétences nouvelles aux élus locaux, tout le monde résiste.
Ces compétences nouvelles relèvent non pas seulement de la décentralisation, mais aussi de la déconcentration, s'agissant de certains pouvoirs de police, notamment administrative, qui sont traditionnellement aux mains des préfets, mais qui, demain, doivent pouvoir revenir aux maires afin de leur garantir l'exécution des décisions qu'ils ont prises.
Sur ce sujet aussi, le projet de loi contient un certain nombre d'éléments. Je tiens à saluer les travaux de la commission des lois, une fois de plus, qui souhaite enrichir les dispositions que nous avons proposées.
En conclusion, monsieur le président du Sénat, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie de cette coproduction, nous la devons aux 600 000 élus locaux de ce pays, je vous remercie également des 1 000 amendements que vous avez déposés et qui traduisent une vitalité démocratique qui me semble de bon ton. (Sourires.) Même si, comme le président du Sénat l'a rappelé, l'urgence a été déclarée sur ce projet de loi.
M. Roger Karoutchi. Et voilà !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous le savez, monsieur Roger Karoutchi, vous qui avez été ministre en charge des relations avec le Parlement, certaines dispositions doivent produire leurs effets au 1er janvier prochain ; l'urgence n'a pas été décidée pour le plaisir, mais bel et bien parce que beaucoup de nos collègues élus sur le terrain attendent les effets juridiques de ce texte de loi au 1er janvier.
M. Roger Karoutchi. Je n'y suis pour rien !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je ne doute pas que vous serez attentif à ces attentes de terrain !
J'appliquerai trois principes à l'égard des amendements déposés, d'où qu'ils viennent, car il nous faut collectivement tirer les conclusions de l'épisode de la loi NOTRe. Comme vous le savez, quand j'étais maire de Vernon et président du conseil départemental de l'Eure, je m'étais opposé farouchement à ce texte.
M. Roger Karoutchi. À juste raison !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je resterai constant dans cette opposition. Ces trois critères me semblent importants.
Le premier, ainsi que je l'ai dit précédemment, est le suivant : des corrections, oui, le grand soir, non. Nos collègues élus locaux ne comprendraient pas que nous nous lancions dans un énième big-bang territorial, je n'en entends pas le souhait sur le terrain, mais je serai heureux d'en débattre avec vous.
Je vous présente le deuxième critère sans filtre : tout le monde parle de liberté, mais beaucoup d'amendements visent encore et toujours à rigidifier et à normer ce qui se passe dans les collectivités territoriales. C'est le droit le plus souverain du Parlement que de le définir, puisque les collectivités territoriales, dont l'autonomie est certes reconnue par la Constitution, sont tout de même soumises aux lois, lesquelles doivent elles-mêmes être constitutionnelles.
Il faut néanmoins être cohérents : l'on affirme la liberté, en accusant souvent l'État, les préfets ou le Gouvernement d'être une source de rigidité, mais j'aurai l'occasion de rappeler que, sur le millier d'amendements déposés, beaucoup d'entre eux ne vont pas forcément dans le sens de la liberté.
Le troisième critère est l'impact financier. Si, pendant les discussions de la loi NOTRe, on s'était davantage interrogé, au moment de toucher aux questions institutionnelles, sur les conséquences réelles que ces mesures pouvaient emporter sur le périmètre des intercommunalités, sur le degré d'intégration fiscale, sur le calcul du potentiel financier ou, évidemment, sur la question des compétences, certains de nos collègues élus, confrontés à certains choix, n'auraient peut-être pas pris les décisions qu'ils ont prises sur le terrain.
M. Bruno Sido. Tout à fait !
M. Bruno Retailleau. Le Conseil constitutionnel a abdiqué sur l'exigence d'une étude d'impact !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je souhaite seulement que les commissaires aux lois n'ignorent pas, par ailleurs, le très bon travail des commissaires aux finances de cette institution ! Nous ne pouvons pas, monsieur le président Retailleau, passer plusieurs heures à travailler avec cette assemblée, qui a d'ailleurs voté la mission « Relations avec les collectivités territoriales » l'année passée sur le rapport du sénateur Charles Guené ici présent, sans nous interroger sur un certain nombre d'effets. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Sans simulation !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Monsieur le sénateur Dallier, il n'y a pas besoin de simulation pour savoir que lorsque l'on modifie une compétence, le coefficient d'intégration fiscale, le CIF, bouge !
M. Philippe Dallier. Merci de la leçon, mais ce n'est pas suffisant !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour le coup, n'importe quel étudiant en première année de finances publiques le sait !
Je me réjouis de me retrouver devant vous et de réaliser cette oeuvre collective tous ensemble, au service de nos collectivités territoriales, de notre territoire, mais également de la République. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM, ainsi que sur des travées des groupes Les Indépendants, UC, RDSE et SOCR. – M. Bruno Sido et Mme Michelle Gréaume applaudissent également.)
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre. (Mme Patricia Schillinger applaudit.)
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je répondrai rapidement à chacun des dix-sept orateurs de la discussion générale, sans anticiper sur le débat à venir, pour évacuer les sujets les plus politiques ; nous pourrons peut-être ensuite nous accorder sur le droit que nous devons élaborer au service des 600 000 élus locaux de notre pays.
Messieurs Kerrouche et Marie, vous avez distribué beaucoup de bons et de mauvais points sur le fondement du dossier de presse accompagnant ce projet de loi. En tant qu'ancien maire et ancien président de conseil départemental, j'ai quant à moi lu attentivement non pas le dossier de presse, mais les textes de la loi Maptam, de la loi NOTRe et des lois de finances que vous avez soutenues ici même pendant cinq ans : ils ont entériné une baisse de 11 milliards d'euros des dotations aux collectivités territoriales, agrandi les intercommunalités de manière autoritaire, transféré les compétences de façon également autoritaire, créé de grandes régions en méconnaissant la géographie de notre pays… (Marques d'approbation sur les travées du groupe Les Républicains.) Comment pouvez-vous faire ici la leçon à la nouvelle majorité présidentielle aussi tranquillement, avec un aplomb aussi invraisemblable ? (M. René Danesi applaudit.)
Mme Annie Guillemot. Vous n'avez rien changé !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Que l'on soutienne ou pas ce gouvernement, force est de constater que le mal causé par la loi NOTRe est très profond. Ne cherchez pas à le minimiser ! Très franchement, monsieur le sénateur Kerrouche, à votre place, au lieu d'employer un ton offensif, pour ne pas dire quelque peu agressif, j'aurais plutôt présenté des excuses pour avoir soutenu la loi NOTRe et les lois de finances du quinquennat précédent ! (M. Jean-Marie Bockel applaudit. – Marques d'approbation sur des travées du groupe Les Républicains.) Vous vous étonnez de notre volonté de faire adopter ce projet de loi avant les élections municipales, mais si la loi NOTRe n'existait pas, nous ne serions pas réunis ici pour en gommer les irritants.
Mme Annie Guillemot. Et #BalanceTonMaire, c'est qui ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Madame la sénatrice, soit vous avez la preuve que le Gouvernement est à l'origine de ce hashtag, soit vous cessez de tenir de tels propos. Je vous le dis comme je le pense ! (Protestations sur des travées des groupes Les Républicains et SOCR.)
Un sénateur du groupe Les Républicains. Balance ton Darmanin !
M. Sébastien Lecornu, ministre. J'ai été maire, j'ai été président de conseil départemental, je suis élu municipal : je n'ai pas de leçons à recevoir sur ce sujet. Arrêtons les caricatures, madame la sénatrice ! Le hashtag #BalanceTonMaire me révolte, me dégoûte. Je l'ai condamné. Vous ne pouvez pas l'imputer au Gouvernement, en particulier aux deux ministres présents ce soir.
M. Olivier Paccaud. Le Gouvernement l'a soutenu !
Mme Dominique Estrosi Sassone. Absolument !
Mme Annie Guillemot. Le tweet est signé Darmanin !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Messieurs les sénateurs Kerrouche et Marie, vous parlez d'une loi opportuniste intervenant avant les élections municipales. Nous assumons notre volonté que ce texte produise ses effets juridiques au 1er janvier prochain, tout simplement parce que certaines dispositions de votre loi NOTRe, que j'avais pour ma part combattue, entreront en application le 1er janvier 2020. Si nous voulons désamorcer ces dispositions – je pense par exemple au rétablissement des indemnités dans les syndicats infracommunautaires –, nous devons donc adopter le présent projet de loi avant le 31 décembre.
Vous avez dit que la question de la formation des élus était anecdotique. Je ne partage pas cette opinion. Vous avez également dit que nous portions un dur coup aux conseils de développement en les rendant facultatifs. Là encore, il va falloir que nous nous accordions sur la doctrine à appliquer pour l'examen de ce projet de loi : soit on prône les libertés locales et la confiance aux élus locaux, auquel cas il faut « dénormer » quelque peu et laisser aux élus le soin d'adapter ou pas ces conseils à l'échelle de leur intercommunalité, soit on norme à tout-va. On ne peut soutenir les deux positions.
M. Éric Kerrouche. Il faut faire confiance aux citoyens !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour ma part je fais confiance aux élus locaux, monsieur le sénateur Kerrouche ! Pourquoi vouloir forcer un président d'intercommunalité et ses conseillers communautaires à mettre en place un conseil de développement s'ils ont imaginé un autre outil de concertation territoriale avec les associations, le monde de l'entreprise ou les agriculteurs, par exemple ? Si telle est votre intention, dites clairement devant la Haute Assemblée que vous aimez les normes et la rigidité des cadres appliqués sur l'ensemble du territoire.
M. André Reichardt. Ce n'est pas faux, ils aiment bien ça !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Cela aurait au moins le mérite de la cohérence.
M. Didier Marie. C'est caricatural !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Madame la sénatrice Delattre, il n'y a pas eu de baisse de la DGF depuis 2017.
M. Laurent Duplomb. C'est faux !
M. Sébastien Lecornu, ministre. L'enveloppe globale est normée et stable, monsieur Duplomb. Il existe des variations à l'échelle des communes, qui tiennent premièrement à la péréquation en faveur des communes les plus fragiles – DSU pour les communes urbaines et DSR pour les communes rurales –, et deuxièmement à l'évolution du chiffre de la population. Il est bien normal que la DGF d'une commune qui gagne des habitants augmente et que celle d'une commune qui en perd diminue. Nous avons déjà eu ce débat lors de l'élaboration du budget. Vous ne pouvez pas dire que la DGF diminue globalement alors que vous-même avez voté les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », qui prévoient sa stabilité.
Selon Mme Delattre, ce projet de loi manque de souffle. Je peux l'entendre, mais, après m'avoir dit et répété pendant trois semaines que j'avais intégralement copié les propositions du Sénat, on me dit maintenant que le texte manque de souffle et qu'il est heureux que le travail de la commission des lois ait permis de l'enrichir… (« C'est vrai ! » sur des travées du groupe Les Républicains.)
M. Loïc Hervé. C'est toujours vrai !
M. Sébastien Lecornu, ministre. J'en suis très heureux, parce que seul le résultat compte. Là encore, faisons moins de politique en nous disputant la maternité ou la paternité de telle ou telle proposition. Sinon, on n'en finira pas d'invoquer la loi NOTRe, entre ceux qui la soutiennent et qui continuent visiblement de la soutenir, ceux qui ne l'ont pas soutenue mais l'ont tout de même votée, ceux enfin qui ne l'ont ni soutenue ni votée. Pour ma part, je n'étais ni ministre ni parlementaire à l'époque, mais j'ai combattu cette loi. Nous n'allons pas y revenir sans cesse pendant quinze jours ! Quelle que soit l'appartenance politique de chacun, il s'agit, au-delà des procès d'intention, de trouver des solutions opérationnelles et concrètes pour l'ensemble de nos élus locaux.
Mme Delattre a commencé à défendre, au nom du groupe RDSE, un certain nombre d'amendements, portant notamment sur les pouvoirs de police du maire. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
Monsieur de Belenet, je vous remercie de vos propos sur la formation des élus. Concernant les indemnités des élus dans les syndicats intercommunaux, le Gouvernement a levé le gage en commission des lois, ce qui a permis aux différents groupes de la Haute Assemblée de déposer un certain nombre d'amendements sur ce sujet. Vous avez souhaité fixer à 3 500 habitants le seuil de population pour le bénéfice de l'ensemble des dispositions d'accompagnement. Cela permet de couvrir l'essentiel de la ruralité. Il me semble donc que là aussi les choses vont dans le bon sens.
J'indique à M. Adnot que Jacqueline Gourault aura l'occasion de revenir sur l'ensemble des délégations au travers du projet de loi relatif à la décentralisation et à la déconcentration, cette question recoupant évidemment celle de la répartition des compétences entre les différentes strates. En tant qu'ancien président d'un conseil départemental, je suis particulièrement attentif à ce sujet. Il nous faudra être extrêmement vigilants en écrivant la loi, puisqu'il ne peut y avoir de tutelle d'une délégation sur une autre. Nous devrons veiller à ce que de bonnes intentions n'accouchent pas d'un enfer légal !
Madame Cukierman, je vous dois des excuses, à vous et à l'ensemble des membres de votre groupe. En effet, tout à l'heure, m'exprimant sans notes à la tribune, je vous ai oubliés de manière totalement involontaire. Nous avons eu une longue réunion de travail, voilà maintenant plusieurs semaines, comme j'en ai eu avec l'ensemble des présidents de groupe et des sénateurs chefs de file sur ces questions. Nous avons pu avancer sur un certain nombre de points. Je pense d'ailleurs que quelques-uns de vos amendements devraient recevoir un avis favorable tant de la commission que du Gouvernement, car ils vont dans le bon sens. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Michel Savin. C'est bien !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Vous semblez regretter que nous renvoyions certains sujets à d'autres textes. Pour autant, l'examen de ce projet de loi, dont tout le monde dit qu'il manque d'ambition ou qu'il est très technique, durera déjà quinze jours, près de 1 000 amendements ayant été déposés. Nous assumons notre méthode, qui donne aussi le temps, madame la sénatrice, de faire de la pédagogie auprès de nos collègues élus locaux. En effet, on a bien vu qu'il était très difficile de leur faire comprendre et appliquer les grandes lois qui bouleversent tout, telle la loi NOTRe.
Vous avez pris acte de la philosophie du texte de loi, à savoir tourner la page du gigantisme en matière d'intercommunalités. À cet égard, ce projet de loi représente une rupture culturelle avec la démarche qui a prévalu pendant une décennie.
Selon vous, l'État ne participerait plus financièrement à la solidarité entre les communes. Tel n'est pas le cas : cette année, la DGF s'élève à 28 milliards d'euros, et les crédits d'investissement à 2 milliards d'euros. Au demeurant, votre groupe est cohérent, puisque vous souhaiteriez davantage. (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
Monsieur Alain Marc, vous avez rappelé l'essentiel des enjeux en matière d'assouplissement concernant les délégations. Nous en discuterons plus avant au moment de l'examen de l'article en question.
M. Karoutchi est parti…
M. Michel Savin. Il est à la commission d'investiture.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je l'ai moi-même fréquentée, dans le passé, avant d'être exclu des Républicains ! (Exclamations amusées.)
M. Karoutchi a vraiment placé le débat au bon niveau. Il a donné de la profondeur historique à ce que nous cherchons à faire ; là est le vrai fil d'Ariane. Il aurait d'ailleurs pu remonter encore un peu plus loin qu'il ne l'a fait, en partant de 1789, puisque l'acte fondateur de la commune a été posé lors de la Révolution française. En effet, dès le 12 novembre 1789, les Constituants, par un décret et non par une loi, ont transformé ce que l'on appelait les groupements de campagne et les paroisses en communes. Ils ont ensuite décidé, dans un second texte, de construire une maison commune, que l'on appellera la mairie, dans laquelle devront se tenir le maire et l'administration municipale. Tout ce que M. Karoutchi a rappelé est parfaitement exact et nous devrons, au cours de nos travaux, toujours nous référer à ce cadre historique.
Monsieur Mizzon, vous m'avez invité en conclusion à « trouver la voie du Sénat ». Je ne sais pas comment je dois le comprendre. Vous souhaitez, par le biais d'amendements, normer un certain nombre de choses. En même temps, vous avez évoqué un « parfum de liberté » du texte de loi. Je ne vous en fais pas reproche, bien au contraire, puisque vous vous inscrivez ainsi dans la problématique qui imprégnera nos discussions des deux semaines à venir : comment faire bien sans rendre plus rigide ? Peut-être nos avis initiaux sur un certain nombre d'amendements pourront-ils évoluer en séance. En effet, si l'expérience de nos départements ou terres d'élection peut nous guider pour élaborer la loi, la traduction en droit d'une refonte globale d'un système s'avère délicate. Vous pourrez ainsi constater, je pense, que le principe de la liberté obligatoire n'est pas simple à transcrire en droit…
Madame Canayer, vous êtes revenue sur un certain nombre de dispositions. Nous devons continuer d'expertiser l'une de vos propositions, relative au télétravail, car elle n'est pas sans soulever, potentiellement, quelques difficultés pour les employeurs. Il me semble que, au sein du groupe Les Républicains, on aime aussi la liberté d'entreprendre !
Plusieurs sénateurs du groupe Les Républicains. Absolument !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je vous le rappellerai à propos d'un certain nombre d'amendements ! À nos yeux, il s'agit d'un fil conducteur intéressant. Ne rendons pas nos collègues élus locaux inemployables ! Il ne faudrait pas que, croyant leur rendre service, on les discrimine à leur corps défendant aux yeux des employeurs, surtout en milieu rural.
Monsieur Marie, quelques amendements du groupe socialiste et républicain vont dans le bon sens et nous les examinerons avec bienveillance, comme je m'y suis engagé auprès du président Kanner. Je pense notamment à cet amendement relatif aux frais de déplacement des élus en situation de handicap, qui a retenu l'attention de Sophie Cluzel et sur lequel, je le redis, je lèverai le gage.
Monsieur Cabanel, vous avez évoqué assez courageusement les devoirs, à côté des droits. Vous êtes d'ailleurs le seul à l'avoir fait. Ce sujet mérite que l'on s'y arrête. Soyons là aussi attentifs à la rédaction que nous adopterons. En effet, il s'agit davantage, au travers de ce texte, de redonner de la confiance et de la liberté, que d'introduire de nouvelles contraintes. Faut-il inscrire dans la loi que l'engagement est, comme vous le dites, le combat de demain et que les élus d'aujourd'hui ont un devoir de transmission dans les écoles ? Je n'en suis pas certain. Cela étant, vous avez eu raison d'indiquer que nous devons être, collectivement, les promoteurs de cet engagement.
Sur les pouvoirs de police du maire, je ne suis pas vraiment d'accord avec vous. J'ai mené de nombreuses consultations, de même que Françoise Gatel et Mathieu Darnaud. Certains maires ne souhaitent pas avoir davantage de pouvoirs de police : nous n'entendons pas en rendre obligatoire l'extension. Aucun maire ne sera forcé de recourir à des pouvoirs de police qu'il n'a pas envie d'utiliser. La majeure partie des maires demandent néanmoins à disposer des moyens de faire exécuter les décisions de police. Je me suis amusé à regarder le flux de courriers que nous recevons, Jacqueline Gourault et moi-même, depuis maintenant plus d'un an. Aucun maire ne nous a écrit pour nous dire qu'il ne voulait plus être agent de l'État, être OPJ, disposer de pouvoirs de police. Les maires nous demandent des moyens, juridiques ou matériels, pour réaffirmer leurs pouvoirs de police, auxquels nul d'entre eux n'entend renoncer.
M. André Reichardt. Des moyens matériels, surtout !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pas seulement, monsieur le sénateur. Bien souvent, les maires ne peuvent rien faire de la qualité d'OPJ qu'on leur a conférée. Constater et traduire devant le parquet ou devant un juge ne relève pas que de moyens matériels ; l'écriture du droit compte aussi. Cela participe, comme je le disais tout à l'heure, d'une forme de déconcentration de pouvoirs détenus auparavant par l'autorité judiciaire et, surtout, par l'autorité administrative.
Un autre texte de loi relatif aux questions de sécurité, je l'ai déjà dit plusieurs fois publiquement, sera présenté l'année prochaine. Il s'agira notamment non pas de réinventer les gardes champêtres, mais de mettre en place une véritable police municipale adaptée au milieu rural et complètement mutualisable. Tous les chantiers ne peuvent pas être menés au travers d'un unique projet de loi.
Monsieur Wattebled, je partage complètement votre constat. C'est en effet la commune qui fait l'intercommunalité. Je le redis pour MM. Kerrouche et Marie, l'EPCI est un établissement public au service de ses adhérents que sont les communes. L'ensemble forme le bloc communal, Lyon, où la métropole est devenue collectivité territoriale, constituant un cas à part. Si l'on veut changer de modèle – tel n'est pas mon cas –, il faut le dire clairement, monsieur Kerrouche !
Je l'ai déjà dit en commission des lois, Mme Gourault, le ministre de l'intérieur et moi-même serions éventuellement prêts à examiner une proposition concernant la diminution du nombre d'élus municipaux, à la condition expresse qu'il y ait véritablement consensus sur vos travées. En effet, je note que le Gouvernement est l'objet de nombreux procès d'intention. Il ne faudrait pas que ceux-là mêmes qui nous incitent à réduire le nombre d'élus dans les communes rurales viennent expliquer ensuite que ce gouvernement n'aime pas les communes rurales !
Monsieur Lafon, votre long constat était éloquent. Je m'y rallie sans réserve. Vous avez su poser, sur le sujet de l'engagement, des questions assez préoccupantes pour l'avenir. L'élu salarié du secteur privé relèvera toujours, malheureusement, d'un modèle d'engagement spécifique. Quoi qu'il en soit, je note qu'aucune solution miracle ne figure dans les différents rapports sénatoriaux, propositions de loi ou résolutions, tout simplement parce que la question renvoie à d'autres contraintes.
Monsieur Boyer, j'ai déjà répondu sur #BalanceTonMaire. Je n'y reviens, croyant avoir été clair.
Puisque nous nous rejoignons tous sur le constat, il est temps maintenant de trouver des solutions. Je ne pense pas que, dans cet hémicycle, il y ait, d'un côté, ceux qui n'aiment pas les communes, et, de l'autre, ceux qui les aiment, sauf à vouloir faire un procès d'intention ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) En tout cas, il sera compliqué de démontrer que Jacqueline Gourault et moi-même n'aimons pas les communes.
Je le disais à l'oreille du président Bas, on peut avoir une vision exclusivement financière des choses. J'ai souvenir d'un candidat à l'élection présidentielle qui envisageait initialement de réaliser 20 milliards d'euros d'économies sur les collectivités territoriales. Finalement, ce chiffre a été ramené à 8 milliards d'euros, puis le projet a été abandonné par le président de l'Association des maires de France quand il a conduit la bataille des législatives en 2017. Le sujet est donc délicat. Aujourd'hui, on nous fait reproche de la stabilité de la DGF, mais du moins elle ne diminue pas. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je ne demande pas à ce que l'on nous en félicite, mais telle est la vérité des faits ! J'ajoute que vous avez voté à l'unanimité les crédits concernés lors de l'examen du projet de loi de finances ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je le répète, la DGF ne diminue pas. Dire autre chose, c'est faire de la politique ! Je respecte cela, mais, M. Guené, le président Éblé et M. le rapporteur général de la commission des finances le savent, les crédits de la mission « Relations avec les collectivités territoriales », que vous avez votés à l'unanimité sur ces travées, prévoyaient la stabilité de la DGF.
Mme Sophie Primas. Sauf pour certaines communes !
M. Sébastien Lecornu, ministre. La DGF baisse ou augmente selon les situations, madame la sénatrice ! De nombreuses communes des Yvelines bénéficient de la solidarité au titre de la DSU. Les dotations de l'État aux grandes communes de votre département comptant des quartiers prioritaires de la politique de la ville témoignent de cet effort consenti au titre de la péréquation, laquelle a été décidée par les majorités précédentes… (Mme Sophie Primas proteste.)
Si vous voulez être parfaitement cohérents, déposez des amendements visant à stopper l'effort de péréquation au titre de la DSR cible ! Je le rappelle, nous proposerons cette année de l'augmenter encore de 80 millions d'euros, de même que la DSU. Certes, en affaiblissant la péréquation en faveur des communes les plus fragiles ou en y mettant fin, la DGF sera encore plus stable, mais il y a un choix à faire par les sénateurs et les députés ! La péréquation est un vrai choix politique. On ne peut pas défendre la DSR et la DSU, tout en s'étonnant que la dotation forfaitaire puisse diminuer pour certaines communes. Cela fait quarante ans que le Comité des finances locales a construit ses critères ! M. Laignel les définissait déjà quand je n'avais aucune responsabilité politique. À mon avis, ce choix de la solidarité va dans le bon sens.
Madame Noël, personne n'est dupe de cette « opération séduction » lancée à quelques mois des élections municipales, dites-vous. En quoi cette loi aurait-elle une incidence sur les élections municipales ? (Rires sur les travées des groupes Les Républicains et SOCR.) Peut-être avez-vous en tête d'autres élections qui auront lieu également en 2020…
J'appartiens à une génération d'élus municipaux qui ont passé leur mandat à participer à la commission départementale de la coopération intercommunale, à refaire leur budget en raison d'une diminution autoritaire de la DGF, à s'adapter au redécoupage de leur canton et de leur région.
M. François Bonhomme. C'est vrai !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour la génération d'élus à venir, celle de 2020-2026, le seul voeu que je formule, en tant que ministre, c'est que le paysage soit le plus clarifié possible : voilà ce que nous lui devons !
M. Jean-Claude Requier. Chiche !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Le premier des rendez-vous, c'est bien sûr la clarification de la relation à l'intercommunalité, qui constitue un gros morceau de ce projet de loi. Au lendemain des élections municipales, les nouveaux élus municipaux, devenus élus communautaires, seront concernés par cette problématique. C'est la raison pour laquelle nous nous hâtons de proposer différentes corrections en la matière.
Je ne reviens pas, madame la sénatrice, sur vos propos un peu gratuits sur le fait que l'exécutif découvrirait le malheur des maires. Ce malheur, je l'ai connu en tant qu'élu local dans mon propre département.
Vous dites qu'il n'y a rien, dans ce projet de loi, sur les départements et les régions. J'ai déjà répondu sur ce point : comment réfléchir aux relations entre département et région sans s'interroger sur le rôle de l'État ? Le sujet difficile de l'articulation entre les régions et les départements, tout comme celui des métropoles, trouvera sa place dans le projet de loi que défendra Jacqueline Gourault.
M. André Reichardt. Quand ?
M. Sébastien Lecornu, ministre. Un amendement déposé par Mme Assassi nous permettra néanmoins d'évoquer les départements. Je peux d'ores et déjà vous affirmer que le Gouvernement croit fermement à la strate départementale et à l'avenir des conseils départementaux quant à leur capacité à organiser les solidarités territoriales de proximité. Cela fait quinze ans que les départements traînent des difficultés financières, de quinquennat en quinquennat et la loi NOTRe est venue gommer un certain nombre de leurs compétences. Le projet de loi de Jacqueline Gourault permettra d'apporter des réponses.
Pour ce qui concerne la fermeture des débits de boissons, l'État ne cherche nullement à se débarrasser du problème, madame la sénatrice. D'un côté, on nous reproche de ne pas écouter les élus ; de l'autre, on accuse l'État de vouloir se décharger sur eux quand nous les écoutons. S'il s'agit là d'une stratégie d'opposition, vous allez devoir finir par prendre un parti ! Sinon, vous ne serez pas audibles ! (Mme Cécile Cukierman s'exclame.)
M. André Reichardt. L'État s'est déjà beaucoup déchargé.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Pour ma part, je reste persuadé qu'un grand nombre de maires souhaitent voir leurs pouvoirs de police reconnus et respectés. Pour autant, ils ne seront pas obligés de se servir des outils que nous allons, je l'espère, décider ensemble de mettre à leur disposition. Il s'agira d'une simple faculté. Si, chaque fois qu'une liberté nouvelle est donnée aux élus locaux, vous soupçonnez l'État de vouloir se décharger sur eux, vous rejoignez MM. Marie et Kerrouche ! Pour ma part, je soutiens l'extension des pouvoirs de police des maires. Il ne s'agit pas, pour l'État, de se décharger de quoi que ce soit ; il s'agit de liberté et de confiance.
Monsieur Hugonet, j'ai connu de votre part des mélodies plus bienveillantes. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Laurent Duplomb. Mais il ne joue pas du pipeau !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je comprends la stratégie politique consistant à dire que des malheurs terribles s'enchaînent depuis deux ans, mais ce n'est pas ainsi que nous avancerons dans le bon sens et que nous serons crédibles collectivement aux yeux des élus locaux. Les opposants au président Pompidou lui reprochaient déjà de ne pas avoir été élu local et de ne rien comprendre aux territoires et aux collectivités.
M. Jean-Raymond Hugonet. Il aura été député, au moins !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Tout cela renvoie à une période, remontant à une quinzaine d'années, durant laquelle les gouvernements successifs ont profondément hésité à donner de véritables pouvoirs aux élus locaux, un avenir à la strate départementale, de la clarté à la fiscalité. Sur ce dernier point, on pourrait évoquer la suppression de la taxe professionnelle sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, la baisse de la DGF et la loi NOTRe sous celui de François Hollande… Après avoir dit ce que nous avions à dire sur le plan politique, nous allons devoir rendre collectivement des comptes. Au moment d'aborder la discussion des articles, je forme le voeu que, plutôt que de faire la généalogie de mesures, bonnes ou mauvaises, remontant pour certaines à ma tendre enfance, nous fassions ensemble, Sénat et Gouvernement, une belle oeuvre afin d'améliorer la vie au quotidien des 600 000 élus locaux de notre République. (Applaudissements sur les travées du groupe LaREM et sur quelques travées du groupe RDSE.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
(…)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Sébastien Lecornu, ministre. Je lève le gage sur un certain nombre d'amendements relatifs à la participation à l'Agence France locale.
Le ministre n'étant pas présent en commission des lois, j'ai souhaité que le Gouvernement dépose un certain nombre d'amendements pour que nous puissions avoir un débat libre et éclairé sur certains sujets, notamment celui de la délégation.
Par ailleurs, monsieur le président de la commission des lois, s'il est facile de voter certaines dispositions pour créer de la liberté, cela impose aussi de recalculer l'intégration fiscale et les dotations.
M. Loïc Hervé. Oui !
M. Sébastien Lecornu, ministre. Oui, c'est logique, mais il n'y a plus personne ensuite pour expliquer et défendre de telles mesures sur le terrain ! (Mme le rapporteur proteste.) La neutralisation du coefficient d'intégration fiscale, le CIF, appelle la fin de l'intercommunalité telle qu'on la connaît aujourd'hui. C'est donc une réforme profonde que vous proposez ! Nous aurons en tout cas ce débat. Je serais d'ailleurs curieux de savoir ce qu'en pensent certaines associations d'élus…
Ma volonté, monsieur le président de la commission des lois, n'est pas de fermer la porte à un certain nombre de libertés. Je souhaite simplement que le débat puisse avoir lieu. Lors de l'élaboration de la loi NOTRe, si les impacts financiers et budgétaires avaient été examinés avec davantage de prospective, un certain nombre d'élus n'auraient peut-être pas constaté des variations aussi brutales de la DGF que celles que déplore à juste titre M. Duplomb. En effet, quand une commune a changé d'intercommunalité pour en rejoindre une plus riche, sa DGF diminue. Mais ce sont les mêmes critères qui sont en vigueur depuis quarante ans.
En ce qui concerne les pouvoirs de police du maire, vous avez rappelé, monsieur le président Bas, que la commission des lois a enrichi le texte. Quant à la décentralisation, ne soyez pas impatient : la dernière loi de décentralisation remonte à 2003. Vous exerciez d'ailleurs déjà des fonctions éminentes à cette époque, puisque vous étiez secrétaire général de la présidence de la République ! Il n'y a pas eu d'autre loi de décentralisation depuis. La commission des lois a commis quelques propositions de loi organiques ou constitutionnelles. J'imagine que c'est pour les verser au débat que nous allons avoir. Un an pour réfléchir à la place de l'État, à la coordination du bloc départemental, du bloc régional et du bloc communal, ce n'est pas trop. Je crois d'ailleurs savoir que, même au sein de cet hémicycle, le débat n'a pas encore eu lieu, puisque les propositions de loi que j'évoquais n'ont pas encore été examinées par le Sénat. Nous serons heureux, avec Jacqueline Gourault, de pouvoir y participer le moment venu !
Source http://www.senat.fr, le 16 octobre 2019