Interview de M. Christophe Castaner, ministre de l'intérieur, à France Bleu Normandie le 8 avril 2019, sur la mise en place de la police de sécurité du quotidien à Rouen.

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Média : France Bleu

Texte intégral

MICHEL JEROME
Gilets jaunes, police de sécurité du quotidien, grand débat, le ministre de l'Intérieur est à Rouen ce matin. Christophe CASTANER est dans nos studios, Claire BRIGUET-LAMARRE.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Bonjour Christophe CASTANER.

CHRISTOPHE CASTANER
Bonjour.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Alors vous venez installer ce matin cette police de sécurité du quotidien dans le quartier des Hauts de Rouen. Pourquoi est-ce que vous avez choisi ce quartier-là ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord je suis venu cette nuit pour tout vous dire, je suis venu hier soir et j'ai tourné cette nuit avec les forces de police secours, avec des Bacs, notamment dans les Hauts de Rouen, à la Grand'Mare pour prendre avec eux la température. J'aime bien leur faire…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Et alors c'est quoi la température ?

CHRISTOPHE CASTANER
Un temps… c'était calme, c'était très calme hier soir.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Parce que vous étiez là !

CHRISTOPHE CASTANER
Non mais je ne plaisante pas mais j'aime bien faire comme ça des visites non prévues, parce que ce n'est pas la même vision. Il y a la visite officielle du ministre de l'Intérieur avec les sécurités, avec les préfs en uniforme, etc. ; et puis il y a le moment partagé où vous montez dans une voiture avec un bac et vous lui demandez qu'il vous raconte ce qu'il vit avec les difficultés…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Alors qu'est-ce qu'ils vous disent ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord ils témoignent de la tension qui peut exister dans des quartiers comme le Haut de Rouen ; et en même temps ils témoignent de l'évolution. J'entendais tout à l'heure vos auditeurs que vous avez interrogés, qui disaient à la fois pour certains de la défiance vis-à-vis des policiers, d'autres qui pensaient qu'ils ne les voyaient pas assez…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Trop de violence, disent certains, trop de violence policière !

CHRISTOPHE CASTANER
Oui… mais enfin, ce n'est pas ce que j'ai entendu de la première personne que vous avez interrogée qui semblait être une personne âgée, qui disait : on ne voit jamais les policiers ; et puis le témoignage d'après c'est un jeune, il dit  "oui, je suis contrôlé toutes les heures". Il y a toujours un peu de contradiction, mais c'est un quartier qui connaît des difficultés, il n'est pas question de le laisser tomber. C'est la raison pour laquelle…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Donc c'est pour ça que vous en faites un quartier de reconquête républicaine…

CHRISTOPHE CASTANER
Voilà !

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
En quoi ça consiste cette reconquête républicaine ?

CHRISTOPHE CASTANER
Ce sont des moyens et une méthode différente, une police de proximité, du sur-mesure. Dans les quartiers, plutôt que de faire de la dissémination des moyens, vous savez qu'on s'est engagé à recruter 10 000 policiers et gendarmes pour toute la France, j'ai fait le choix d'identifier 32 quartiers de reconquête républicaine pour la France…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Donc ce quartier en fait partie ?

CHRISTOPHE CASTANER
Et où tous les acteurs doivent travailler. Bien sûr, il y a des effectifs policiers, il y aura des effectifs policiers qui vont arriver cette année. A Rouen, c'est 36 policiers supplémentaires qui vont venir, dont 20…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Pour toute la zone ?

CHRISTOPHE CASTANER
Dont 20 pour ce seul quartier reconquête républicaine. Mais ensuite c'est une police sur mesure, j'entendais tout à l'heure la question que vous posiez à vos auditeurs : est-ce qu'il faut organiser du sport ou pas ? Moi je m'en fiche un peu. Je ne veux pas de Paris, de la place Beauvau dire aux policiers qui vont travailler à Rouen et qui vont travailler à Bihorel ou sur les Hauts de Rouen : voilà ce que vous devez faire. Je dois leur faire confiance…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Mais c'est quoi leur mission quand même, j'imagine qu'ils ont…

CHRISTOPHE CASTANER
La sécurité.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Un objectif, qu'est-ce que vous leur fixez comme objectifs et quels moyens pour le faire ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord des moyens humains, je vous ai dit 20 personnes supplémentaires à temps plein sur ce quartier-là, ça va se voir ; et évidemment ça fait des moyens différents. Et ensuite leurs objectifs, ce ne sont pas des objectifs quantitatifs, je suis contre la politique du chiffre qui consiste à dire : voilà ce que vous devez faire, tant de procès, tant de contraventions, tant de contrôles…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Mais ça veut dire que ces policiers-là, ils vont jouer au football effectivement avec les jeunes du quartier de la Grand'Mare ?

CHRISTOPHE CASTANER
Mais ils peuvent jouer à certains moments au football avec les jeunes, il ne faut pas opposer cela, il faut faire du lien. Mais l'objectif pour moi est comment… plutôt je vais répondre à la question, plutôt comment j'ai choisi ce quartier-là. Parce que les quartiers « reconquête républicaine » impliquent que certes ! Il y ait des efforts de la police, du ministère de l'Intérieur, mais que tous les acteurs soient mobilisés : les partenaires sociaux, l'Education nationale, la mairie, le département.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Et comment est-ce que vous les mobilisez ces acteurs-là ?

CHRISTOPHE CASTANER
Vous les réunissez régulièrement, vous travaillez sur tous les sujets. Vous prenez la question du trafic de drogue qui peut exister dans une cage d'escalier, donc vous avez une présence policière mais vous vous intéressez au commerce qui est juste à côté, dont à s'aperçoit qu'à certains moments au fond il y a une petite complicité avec les trafiquants. Et donc vous allez faire des contrôles sur ce commerce, vous allez jouer sur la législation des établissements recevant du public. Et parce qu'ils ne respectent pas cette règle, vous avez le fermer. On va cumuler les moyens d'intervention, mais on va faire du sur-mesure parce qu'on ne traite pas Rouen comme on traite le coeur de Paris ou comme on traite une zone rurale.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Alors justement, il y a 2 de ces quartiers qui existent déjà, au Havre la Mare-Rouge et Mont-Gaillard, c'est le cas depuis le mois de janvier même si les forces de l'ordre sont arrivées un petit peu plus tard…

CHRISTOPHE CASTANER
Elles vont même arriver au fur et à mesure de l'année, compte tenu des sorties d'école comme on dit. Et sur Le Havre, ce sont 48 policiers…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Et quel bilan vous tirez de ces quelques mois ?

CHRISTOPHE CASTANER
Il est trop tôt pour faire un bilan, janvier c'était il y a 3 mois et faire un bilan à 3 mois serait totalement idiot. Mais ce que je sais dans les quartiers de reconquête républicaine, c'est que quand vous avez 10, 15, 20 policiers supplémentaires qui viennent pour être en présence physique auprès des habitants, des commerçants, ça se voit, ça se sent.

(…)

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Christophe CASTANER, pour le 3ème samedi d'affilé la préfecture a interdit les manifestations en centre-ville de Rouen. Cette interdiction sert-t-elle à quelque chose, puisque quelques gilets jaunes ont tout de même réussi ce samedi à rentrer dans le centre-ville de Rouen ?

CHRISTOPHE CASTANER
Mais comme vous l'avez dit, quelques gilets jaunes sont rentrés, ça veut dire qu'elle sert à quelque chose parce que j'ai le souvenir de casses le samedi beaucoup plus violents que ce qu'on a connu, alors même que Rouen était un appel national des gilets jaunes à la mobilisation…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Ce week-end oui !

CHRISTOPHE CASTANER
Pour samedi dernier. Et j'ai souvenir de ce qui s'est passé sur la tentative d'incendie de la Banque de France, les jets de pierres contre la mairie, les attaques diverses et variées contre des commerces, contre des banques…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Mais ça veut dire qu'on ne peut pas clore totalement un centre-ville ?

CHRISTOPHE CASTANER
Ce n'est pas l'objectif des interdictions. L'objectif…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
C'est quel objectif alors ?

CHRISTOPHE CASTANER
Je vais vous… c'est pour ça que vous m'avez coupé, l'objectif… j'allais continuer, l'objectif c'est de rappeler aux gens ce qui est interdit. Est-ce que vous pensez que limiter la vitesse sur les autoroutes à 130 empêche des gens à rouler à 140 ? Non ; par contre c'est leur rappeler qu'il y a une règle et si vous les attrapez, vous les sanctionnez. C'est ce que nous faisons avec une contravention de 4ème classe…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Il y a eu une quinzaine de contraventions…

CHRISTOPHE CASTANER
135 € qui permet de faire cela. Et surtout de fait, c'est un message que vous envoyez, dire : le centre-ville, il faut le laisser respirer, il faut que les gens puissent venir faire leurs courses. Moi je ne veux pas interdire la manifestation, je veux interdire les casseurs, je veux les empêcher, je veux les emprisonner.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Vous parliez de l'incendie de la Banque de France, dont les auteurs ont été interpellés par la cellule d'enquête spéciale qui a été mise en place à Rouen, au sein de la Sûreté départementale, vous venez ce matin d'ailleurs visiter cette cellule. Est-ce que c'est la bonne solution d'après vous, agir a posteriori, puisqu'on n'arrive pas à empêcher les casseurs de casser finalement, on enquête ensuite sur ce qui s'est passé ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord tous les samedis partout en France, on empêche énormément de casseurs, les policiers sont là pour le faire. Mais tout n'est pas parfait…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Et ce week-end encore à Rouen, on a vu que… voilà, il y avait des dégâts !

CHRISTOPHE CASTANER
Ah oui, d'accord mais ce n'est pas la faute de la police s'il y a des casseurs, juste on va remettre les choses à leur place. Ce sont quand même les gilets jaunes qui organisent les manifestations et qui, sur Rouen, de samedi en samedi abritent en leur sein des gens qui viennent, ce sont des brutes pour casser, pour agresser les policiers. Cette nuit quand je tournais avec les policiers, ils m'ont parlé aussi de ces violences-là, en disant qu'ils sont obligés de se cacher pour rentrer chez eux. C'est ça la réalité aussi de ce que leur impose ces manifestants.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
On va en parler après, si vous le permettez, juste un point sur cette cellule gilets jaunes.

CHRISTOPHE CASTANER
Et donc agir après c'est le judiciaire, quand il y a une infraction il y a la police judiciaire qui se met en branle. Il y a 14 cellules qui ont été créées en France et ce que je peux vous dire, c'est qu'il n'y a quasiment pas d'événements – dont vous avez entendu parler en France comme à Rouen – graves qui n'ont pas fait l'objet d'interpellations et de sanctions ou de sanctions qui vont venir. Aujourd'hui, je le dis à ceux qui manifestent et à ceux qui cassent, qu'ils ne croient pas que le samedi soir quand ils rentrent chez eux, ils seront tranquilles. Ça n'est pas le cas, nous allons les judiciariser comme on dit et nous les ferons condamner.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Vous parliez des policiers qui sont menacés parfois par ces…

CHRISTOPHE CASTANER
Qui sont violentés, qui sont blessés quasiment tous les samedis !

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Qui sont violentés et qui sont fatigués, puisqu'ils sont mobilisés depuis 21 semaines. 25 policiers ont mis fin à leurs jours depuis le début de l'année, sans qu'on puisse évidemment établir un lien direct…

CHRISTOPHE CASTANER
Non…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
C'est quand même des chiffres qui sont très élevés. Comment est-ce que vous les soutenez vos policiers ?

CHRISTOPHE CASTANER
D'abord je suis… d'abord la question du suicide est une question majeure, la police pour plein de raisons, à commencer par le fait que les policiers soient armés, connaît des taux de suicide qui sont trop élevés ; et qui sont particulièrement mauvais pour ces chiffres-là depuis le début de l'année. Dans la plupart des cas, on n'est pas sur des gens qui sont intervenus dans les manifestations des gilets jaunes, il faut faire attention à ne pas faire ce lien-là. La meilleure façon de les soutenir, c'est de les accompagner, c'est d'être présent à leur côté et de les défendre. Et ces dernières semaines, je me suis retrouvé bien seul à défendre la police, qui était systématiquement mise en cause pour des « violences policières », notamment dans tous les médias et chaque fois que je suis interrogé par des journalistes. Personne jamais ne me demande des nouvelles de ces policiers blessés gravement…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Vous parlez de la fable du méchant flic et du gentil casseur !

CHRISTOPHE CASTANER
Ce n'est pas une fable, je veux dire c'est la réalité du quotidien des questions qu'on me pose ; et on néglige la réalité de ce que vivent nos policiers. Mais vous savez pour une raison simple, c'est que dans l'inconscient de beaucoup de personnes, à commencer par les journalistes, finalement un policier blessé c'est un peu normal, il est là pour ça.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Vous savez tout à l'heure, on recevait un syndicat de policiers qui nous disait : c'est bien d'avoir 20 policiers supplémentaires sur les Hauts de Rouen, mais en fait sur notre zone à Rouen il en manque 80.

CHRISTOPHE CASTANER
Oui, c'est pour ça qu'on engage 10 000…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Alors comment vous les soutenez ?

CHRISTOPHE CASTANER
Je vous l'ai dit tout à l'heure, en embauchant 10 000 personnes, ce qui ne s'est jamais fait…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
10.000 dont des gendarmes !

CHRISTOPHE CASTANER
10 000 policiers… 7 500 et 2 500, mais c'est pareil, vous savez l'épuisement il est vrai aussi chez les gendarmes parce qu'ils sont mobilisés de la même façon tous les samedis. Et donc c'est 10 000 recrutements supplémentaires, et puis pas seulement dans la police et les gendarmes, aussi dans la lutte contre le terrorisme, 1 900 personnes sur le renseignement pour lutter contre le terrorisme. C'est aussi comme ça qu'on agit, mais c'est par des moyens matériels. Vous savez que rien que pour Rouen, 45 voitures neuves ont commencé à arriver, vont arriver dans les mois qui viennent, parce que je considère qu'il faut investir aussi pour le quotidien de nos policiers. C'est 1 700 000 euros qui sont investis actuellement pour désamianter, vous vous rendez compte les conditions de travail qu'on imposait à nos policiers…

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Y compris au commissariat de Rouen…

CHRISTOPHE CASTANER
Voilà ! Ils ont investi 1,7 million dans le commissariat de Rouen, c'est comme ça aussi qu'on doit les soutenir. Mais aidez-moi à porter un discours qui valorise aussi ce travail énorme que font les femmes et les hommes de la police et de la gendarmerie.

CLAIRE BRIGUET-LAMARRE
Merci beaucoup Christophe CASTANER.

CHRISTOPHE CASTANER
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 16 avril 2019