Interview de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, à France Inter le 19 novembre 2019, sur les relations entre le gouvernement et les maires.

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Média : France Inter

Texte intégral

LEA SALAME
Bonjour à vous Sébastien LECORNU.

SEBASTIEN LECORNU
Bonjour Léa SALAME.

LEA SALAME
Merci d'être avec nous ce matin.

SEBASTIEN LECORNU
Merci de m'avoir invité.

LEA SALAME
Le Congrès des maires de France, la première année de son mandat, Emmanuel MACRON y était allé et s'était fait siffler. La deuxième année, il avait séché, c'est donc son grand retour cet après-midi. Comment qualifiez-vous les relations du président et des maires depuis le début du quinquennat. Diriez-vous qu'elles sont passionnelles ? Que c'est un mariage de raison ? Ou comme on dit sur Facebook quand on a des problèmes avec son petit copain ou sa petite copine "it's complicated " ?

SEBASTIEN LECORNU
Je ne sais pas si on peut emprunter au registre amoureux pour parler de la relation entre le président de la République et les maires, encore que, le registre sentimental quand même peut être interrogé, parce que de tout temps, depuis d'ailleurs la Révolution française, et François BAROIN d'ailleurs ne dit pas autre chose dans son ouvrage, les relations entre les maires et l'Etat, sont des relations complexes ; après il y a des hauts et des bas, sous chaque quinquennat ou septennat, il y a eu ces hauts et ces bas, mais c'est vrai que plus…

LEA SALAME
Là on est où, là, à 2 ans et demi, à mi-mandat ?

SEBASTIEN LECORNU
Je vais vous dire une chose, pour des raisons liées aux circonstances, à l'état du pays, à la crise des Gilets jaunes telle que nous l'avons connue, au Grand débat national qui est quand même un exercice assez inédit sur le terrain démocratique, on a vraiment le sentiment que le président de la République et les maires sont dans le même bateau, le même bateau France, où la puissance publique, qu'elle soit nationale ou locale, sur des questions aussi importantes que la transition écologique, la défense de la valeur de la République, la défense d'un service public, parce que bien souvent le service public de grande proximité il est quand même opéré par les communes, et singulièrement d'ailleurs les communes rurales, parce que dans certains villages il n'y a que la commune rurale, eh bien il y a une communauté de destin, d'avenir et de projets entre les maires et le chef de l'Etat, et je pense que ça oblige tout le monde, autant nous l'exécutif, au service du président de la République avec la majorité parlementaire, que les maires de France.

LEA SALAME
Vous diriez qu'il a changé, qu'il a compris avec les Gilets jaunes, au fond, que le la relation directe au peuple qu'il voulait instaurer au début, c'était bien, mais qu'il fallait faire aussi avec les corps intermédiaires, comme on les appelle, avec les élus locaux, que ça servait, que c'était la cheville ouvrière de la démocratie ? Il a changé ?

SEBASTIEN LECORNU
Très directement, pour avoir organisé le Grand débat, comme vous le savez, avoir fait les 96 heures avec lui, je crois qu'il a beaucoup appris des maires. Je pense que ses échanges ont été riches, inédits sur le terrain démocratique, je l'ai dit, mais inédit pour un chef d'Etat aussi. D'ailleurs, c'est amusant parce que…

LEA SALAME
Il a compris leur utilité ?

SEBASTIEN LECORNU
En fait il y a deux choses, si vous voulez. A la fois il y a effectivement une compréhension plus forte de tout l'exécutif d'ailleurs, même pardon de le dire, mais même la Presse s'est réintéressée au quotidien des maires, comment ça fonctionne, c'est quoi le quotidien et le job d'un Conseil municipal etc. Donc ça, évidemment c'est une bonne chose. Et puis de l'autre côté, si on fait aussi un tout petit peu de politique, on voit bien quand même qu'on a tordu le cou et le bras de quelques idées reçues. On s'est dit : mais ce président de la République il n'a jamais été élu local, il ne comprend pas les territoires, mieux que ça, il y a une partie de la droite d'ailleurs qui a fait ce procès, en disant : c'est le président des métropoles, c'est le président de la mondialisation, il n'aime pas la ruralité. Et patatras, pendant 96 heures on s'aperçoit que le président de la République est capable de répondre à n'importe quelle question sur la DGF, les questions les plus techniques du quotidien des élus locaux.

LEA SALAME
L'état d'esprit semble plus apaisé cette année, même s'il y a des voix discordantes. Le secrétaire général de l'AMF, l'Association des Maires de France, Philippe LAURENT, qui est maire UDI de Sceaux, signe une tribune au vitriol dans Le Monde, je le site : « Si la méthode a changé, le fond reste le même, une brutalité inouïe envers les élus locaux, les maires ne sont pas des sous-traitants de l'appareil d'Etat qu'on récompense ou qu'on congédie ».

SEBASTIEN LECORNU
Eh bien je ne suis pas d'accord avec lui, parce que ce qu'il dit dans la tribune, il parle de la réforme de la taxe d'habitation. La réforme de la taxe d'habitation est dans le programme présidentiel, donc il n'y a pas de brutalité à appliquer un programme pour lequel vous avez été élu, comme d'ailleurs lui-même applique son programme dans sa propre commune. Alors, que les associations d'élus soient des lanceurs d'alertes par certains aspects, il y a 2 ans le même Philippe LAURENT disait : « Attention à la taxe d'habitation, les communes ne seront pas dégrevées à l'euro près ». 2 ans plus tard, il n'y a pas une commune de France à qui il manque un euro.

LEA SALAME
Oui mais ils ont peur. Ils ont peur des compensations dans le futur, la taxe d'habitation ce n'est pas encore digéré par les maires.

SEBASTIEN LECORNU
D'ailleurs, monsieur LAURENT a raison, puisqu'il y a plus de 10 ans a eu lieu la réforme une taxe professionnelle, et effectivement il y a beaucoup de rigidités aujourd'hui que l'on peut connaître sur cette réforme de la taxe professionnelle, quelques années plus tard. Donc ils savent de quoi ils parlent, parce que chaque majorité parfois a pu conduire à prendre des décisions qui n'étaient pas bornées dans le temps, et c'est bien pour ça que la taxe d'habitation, d'ailleurs, on a bâti avec Gérald DARMANIN et Jacqueline GOURAULT, une réforme qui soit la plus souple possible et qui garantisse à l'euro près les ressources des communes, pendant…

LEA SALAME
Ces mots sont injustes ?

SEBASTIEN LECORNU
... pardon Léa SALAME, que nous supprimons un impôt, il faut quand même aussi parler directement aux Françaises et aux Français, je préfère faire partie d'un gouvernement qui supprime un impôt, qu'un gouvernement qui en crée ou qui les augmente.

LEA SALAME
Oui, mais c'est ce que craignent précisément les élus locaux…

SEBASTIEN LECORNU
Non…

LEA SALAME
C'est qu'ils vont devoir, eux, augmenter leurs impôts locaux pour compenser la suppression de la taxe d'habitation.

SEBASTIEN LECORNU
Non.

LEA SALAME
Eh bien ils le craignent, c'est ainsi.

SEBASTIEN LECORNU
Et je leur réponds donc non, puisqu'ils seront compensés à l'euro près, et c'est l'intérêt de cette réforme, c'est qu'on supprime un impôt sans qu'il soit besoin d'en créer un nouveau.

LEA SALAME
Donc la violence des mots de Philippe LAURENT est injuste ?

SEBASTIEN LECORNU
Il fait de la politique. Je ne le lui reprocherai jamais. Moi, je ne suis pas... mais je ne suis pas un lapin de la dernière couvée, je veux dire, de toutes les évidences, monsieur LAURENT est un type qui a plein de qualités, je le connais bien, je m'entends bien avec lui, donc je ne vais pas en dire du mal à votre micro, il n'en demeure pas moins que c'est un homme politique, il est secrétaire général de l'AMF, qu'il y a des élections municipales dans peu de temps, qui est conseiller régional auprès de madame PECRESSE, et donc il faut faire le sous-titrage des fonctions de monsieur LAURENT, pour comprendre que ce n'est pas globalement un ami du gouvernement, ce qui ne m'empêche pas de bien travailler avec lui par ailleurs.

LEA SALAME
Merci pour les sous-titres. Les agressions, les insultes, les violences à l'encontre des maires ont augmenté nettement l'an dernier, hier encore le maire de Lussat, dans le Puy-de-Dôme, a été agressé à coups de poing et de pied par un conducteur qui a pris la fuite. A 4 mois des municipales, seulement la moitié des maires va se représenter, les maires attendent de vraies mesures et pas seulement de belles paroles de votre part.

SEBASTIEN LECORNU
La question de la violence faite aux maires, est pour le coup une question qui est plus aiguë que dans le passé. Ça tient bien sûr au comportement d'un certain nombre de nos concitoyens, vous avez parlé de violences physiques, l'essentiel des violences sont plutôt des violences verbales, mais enfin ça s'appelle des injures, de la menace, englobant 60% de menaces verbales, 40 %de menaces physiques. Bon. Je tiens à rassurer tout le monde, sur l'ensemble de ces faits, tels qu'on les connaît, on a un taux de réponse pénale à 95%. La première des choses que nous devons aux maires, c'est bien évidemment l'impunité zéro pour celles et ceux qui s'en prennent à eux. Là où vous avez raison, c'est que pendant des années on n'a pas regardé les maires comme étant potentiellement des victimes. Ça veut dire qu'on n'avait aucun mécanisme d'accompagnement des maires, ou des adjoints au maire, d'ailleurs, ou des conseillers municipaux, comme victimes. C'est pour ça que le projet de loi que je porte actuellement au Parlement, va permettre d'aller beaucoup plus loin avec un accompagnement juridique systématique. Rendez-vous compte que certains maires arrivent au tribunal correctionnel, sans concours d'avocat, parce qu'ils ne voulaient pas présenter une facture d'avocats à leur Conseil municipal, pendant que leurs agresseurs ou leurs présumés agresseurs, eux, arrivaient avec un avocat. Ça, nous allons le régler, c'est important. Accompagnement psychologique, l'information des Parquets pour les maires. Bref, autant de mesures qui sont peut-être techniques, mais qui font système et qui vont permettre aux maires de vivre malheureusement certaines épreuves différemment.

LEA SALAME
Votre projet de loi est effectivement en ce moment entre le Sénat et l'Assemblée nationale, il est retourné à l'Assemblée nationale. Il y en a un qui ne l'aime pas ce projet de loi, votre projet de loi, votre texte, en tout cas qui en a dit le plus grand mal, c'est le président du Sénat, Gérard LARCHER. Il critique plein de choses notamment le transfert de la gestion de l'eau et de l'assainissement à l'intercommunale. Il se dit effondré par cela. Et puis il y a la... ça vous fait rire ?

SEBASTIEN LECORNU
Oui, parce que les mots sont excessifs. Dans la même interview d'ailleurs, il compare la loi NOTRE au conflit israélo-palestinien et il parle de Gaza, je pense qu'il s'est emporté. On ne peut pas dire des choses aussi graves, sur des sujets qui sont des sujets sur lesquels il peut y avoir des points de désaccord, techniques, juridiques, peut-être politiques, mais je pense qu'il faut quand même garder une tonalité la plus sobre possible.

LEA SALAME
La question de la rémunération des maires, vous voulez augmenter les maires et notamment les maires des petites communes, mais Gérard LARCHER trouve votre système d'augmentation incompréhensible, et lui veut un système d'augmentation progressive. Vous lui répondez quoi ?

SEBASTIEN LECORNU
Non non, lui il veut une augmentation automatique pour les maires, considérant que les maires, mais pour de bons arguments, auront du mal à voter à ou à faire voter une augmentation dans leurs conseils municipaux, et d'un autre côté, au gouvernement nous considérons que tous les maires ne souhaitent pas forcément se faire augmenter, et d'ailleurs le Sénat avait tenté les augmentations obligatoires en 2015, et en 2016 ils ont du revenu en arrière, parce que beaucoup de maires de France avaient dit : « Mais on ne vous demande rien, et surtout à quelques mois ou quelques semaines des élections municipales, ou pour des raisons qui tiennent au budget de la commune, nous on ne souhaite pas forcément se faire augmenter ». Donc nous on veut desserrer l'étau des seuils, moi je ne sais plus expliquer à un maire d'une commune de 485 habitants qu'il a le droit à 600 € par mois maximum, et à une commune de 505 habitants, qu'il a le droit jusqu'à 1 200 € par mois maximum. Donc ça il faut augmenter les plafonds, le Sénat le propose, on y mettra un avis favorable, mais on doit garder une mesure de responsabilité et d'autonomie de chaque commune, dans la fixation de ces indemnités.

LEA SALAME
Dernière question. Emmanuel MACRON devrait aborder la lutte contre le communautarisme aujourd'hui dans son discours. Vous avez évoqué des pistes Sébastien LECORNU, comme l'absence de signe ostentatoire pour les conseillers municipaux. Ça a été retenu ?

SEBASTIEN LECORNU
Le président de la République s'exprimera effectivement tout à l'heure sur la question de la défense des valeurs de la République, et donc évidemment la question des listes communautaires. La question des signes religieux dans les Conseils municipaux…

LEA SALAME
Il va annoncer quelque chose d'important sur les listes communautaires, sur l'interdiction des listes ?

SEBASTIEN LECORNU
Vous le verrez tout à l'heure, mais il aura une parole, je le crois, assez forte sur la communauté de destin, là aussi, entre les maires, les élus locaux et le président, en la matière. La question des signes religieux dans les Conseils municipaux n'est pas centrale, il y a d'autres mesures à prendre pour lutter contre le communautarisme, avant d'étendre les espaces de neutralité.

LEA SALAME
On va écouter le président de la République tout à l'heure. Merci à vous Sébastien LECORNU. Belle journée.

SEBASTIEN LECORNU
Merci Léa SALAME. Merci, à vous aussi.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 novembre 2019