Texte intégral
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat, organisé à la demande de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, sur les conclusions du rapport d'information : Sécurité des ponts : éviter un drame.
Nous allons procéder au débat sous la forme d'une série de questions-réponses dont les modalités ont été fixées par la conférence des présidents.
Je rappelle que l'auteur de la demande dispose d'un temps de parole de huit minutes, puis que le Gouvernement répond pour une durée équivalente.
À l'issue du débat, l'auteur de la demande dispose d'un droit de conclusion pour une durée de cinq minutes.
(…)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avant tout, je tiens à saluer ce rapport important.
Il s'agit là d'un sujet qui a suscité plusieurs heures de débats lors de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, à savoir la vétusté de notre réseau, singulièrement des ouvrages d'art qui le composent. J'ajoute que la question est d'une actualité récente – hier encore, un pont s'est effondré à Taïwan – et je n'oublie ni l'effondrement du pont Morandi, à Gênes, ni celui du pont de Gennevilliers, qui, pourtant, avait fait l'objet d'importants travaux.
Pour que les termes du débat soient clairement posés, il convient avant tout de distinguer les différents ouvrages d'art, selon qu'ils relèvent de l'État ou des collectivités territoriales.
Les ouvrages d'art de l'État sont plutôt bien connus. On en dénombre environ 12 000, soit, approximativement, un par kilomètre. Ces ouvrages d'art sont répertoriés, inventoriés et entretenus selon des programmes calendaires, à l'aide de budgets croissants – les auteurs du rapport l'ont noté.
Vous le savez, la loi d'orientation des mobilités, la LOM, prévoit de mobiliser, à l'horizon 2023, 120 millions d'euros par an, comme le préconisent également les auteurs du rapport, avec une montée en puissance, à compter de l'année prochaine, à hauteur de 79 millions d'euros.
En outre, il faut distinguer le sujet général et les cas particuliers, comme le pont de Gennevilliers, dont j'ai pu m'entretenir avec Hervé Maurey : en l'occurrence, c'est non pas l'infrastructure en soi, mais bien le mur de soutènement en terre armée qui était en cause, comme c'est d'ailleurs le cas pour de nombreux remblais en Île-de-France. La technique en question, employée il y a une vingtaine d'années, a depuis été remplacée par d'autres.
Monsieur Chaize, vous l'avez précisé : les ouvrages des collectivités territoriales sont les plus mal connus, et c'est pour eux qu'il est nécessaire de trouver une solution quant à l'effort de financement.
Pour ce qui concerne leur connaissance et leur inventaire, la question est, d'abord, celle de la compétence. Vous avez rappelé l'hétérogénéité des situations. Certains conseils départementaux sont très bien armés. Ils disposent d'une forte compétence en ingénierie : je pense notamment à la Haute-Saône. Grâce aux entités spécialisées que M. Krattinger, ancien sénateur de la Haute-Saône, y a développées au sein du conseil départemental, ce territoire possède aujourd'hui une bonne connaissance de ses ouvrages d'art. De plus, grâce à ses compétences, il est à même de proposer de l'ingénierie de proximité aux communes et aux intercommunalités de son ressort. Je pense aussi à la Mayenne, qui est dotée d'entités comparables.
Aussi, l'effort doit porter sur les petites communes, dont les ouvrages d'art sont parfois nombreux et mal inventoriés, et pour lesquelles les solutions de financement doivent être débattues.
Nous y reviendrons sans doute au cours de ce débat : évidemment, il faut mettre en oeuvre le soutien en ingénierie du Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement, le Cérema, ou encore de la future agence nationale de la cohésion des territoires. Au moins 10 % des effectifs du Cérema sont dédiés aux ouvrages d'art ; certes, ces personnes ne sauraient couvrir à elles seules tous les besoins des collectivités, mais leur compétence est tout à fait mobilisable.
S'agissant du financement des ouvrages des collectivités, pour faire court…
M. Pierre Ouzoulias. Ça va être très court !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. Je vais peut-être vous décevoir, monsieur le sénateur,…
M. Pierre Ouzoulias. Pas forcément !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. … en prenant le temps de détailler cette question ! En effet, nous pouvons avancer sur trois points.
Tout d'abord, il faut avancer au sujet des règles budgétaires et comptables : hier, j'ai eu l'occasion de m'en entretenir avec Sébastien Lecornu et Gérald Darmanin. À la faveur des prochains projets de loi de finances, nous pourrions progresser vers une meilleure prise en compte de dépenses de régénération non récurrentes. S'ils relevaient des sections d'investissement, ces montants cesseraient d'être soumis aux règles de Cahors. Évidemment, cette proposition devrait être débattue, lors des discussions budgétaires, avec mes collègues de Bercy.
Par ailleurs, lors des débats budgétaires, il pourrait être intéressant d'examiner le cas des ouvrages d'art relevant des conseils départementaux. Il convient de savoir si la dotation d'équipement des territoires ruraux, la DETR, ou la dotation de soutien à l'investissement local, la DSIL, sont appropriées pour financer des opérations d'entretien ou de maintenance non récurrentes.
En outre, j'ai d'ores et déjà perçu certaines interrogations au sujet de la loi dite Didier. Il s'agit des ouvrages de rétablissement, construits pour rétablir une voie de communication qui, elle-même, a été interrompue par de nouveaux ouvrages, comme une LGV ou une autoroute. Au total, la France dénombre 15 400 ouvrages de rétablissement, répartis sur l'ensemble du territoire. Ces derniers font l'objet d'un recensement qui se poursuivra jusqu'à la fin de cette année. Ensuite, suivant la liste fixée par voie d'arrêté ministériel, un cofinancement sera assuré par les collectivités et les gestionnaires de l'infrastructure dédiée.
Enfin, j'aborderai un point de réflexion plus systémique – j'ai pu en discuter rapidement en coulisses avec Hervé Maurey et je sais qu'il y est attaché. Actuellement, nous raisonnons sur la base d'une maintenance calendaire ou programmée et, pour l'État, les pas de maintenance sont de l'ordre d'un à trois ans.
Il me semble nécessaire de se pencher sur la maintenance dite « prédictive ». Il est possible de répertorier les ouvrages les plus empruntés et ceux où, à l'inverse, la circulation se révèle restreinte ou réduite, en les dotant de capteurs permettant de connaître, en temps réel, leur état de santé ; dès lors, il sera possible d'adapter les pas de maintenance. Ces derniers seront plus réduits ou plus longs suivant les ouvrages. Ainsi, nous pourrons être plus réactifs et nous y gagnerons très largement sur le plan financier : appliquée à d'autres champs du secteur des transports, la maintenance prédictive permet d'ores et déjà de dégager des économies substantielles.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà, en quelques mots, les éléments que je voulais porter à votre connaissance avant de répondre à vos questions.
- Débat interactif -
M. le président. Nous allons maintenant procéder au débat interactif.
Je rappelle que chaque orateur dispose de deux minutes au maximum pour présenter sa question, avec une réponse du Gouvernement pour une durée équivalente.
Dans le cas où l'auteur de la question souhaite répliquer, il dispose de trente secondes supplémentaires, à la condition absolue que le temps initial de deux minutes n'ait pas été dépassé.
Dans le débat interactif, la parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, préserver et garantir l'état de nos ponts constitue, plus que jamais, un enjeu majeur de sécurité pour nos politiques publiques. Nos concitoyens sont très attentifs à cette question qui, souvent, leur inspire des inquiétudes.
Les auteurs du présent rapport soulignent cette spécificité française : l'importance du patrimoine routier géré par les collectivités elles-mêmes, qui représente 98 % du réseau pour deux tiers du trafic routier national. En tout, un pont sur trois est géré par une commune et près de deux ponts sur trois sont gérés par un département. En Gironde, par exemple, hors métropole, près de 1 800 ponts et 200 murs de soutènement – vous avez également évoqué ces aménagements, monsieur le secrétaire d'État – sont gérés par le département.
Ce patrimoine national et local précieux est en partie dégradé ; du fait d'un manque d'entretien au cours des dernières années, de nombreux travaux de réparation apparaissent aujourd'hui nécessaires, en particulier pour les ponts relevant des communes et des intercommunalités. Or – je l'indique à mon tour – certaines d'entre elles méconnaissent l'état de leurs ponts, voire leur nombre, ne sont pas équipées pour en assurer la gestion et se heurtent à des difficultés financières.
Pour répondre à ces problématiques, la mission, dont je salue le travail, a formulé un certain nombre de recommandations. Elle affirme notamment qu'une offre d'ingénierie améliorée, à destination des collectivités, permettrait de définir des procédures adaptées de surveillance et d'entretien. Elle ouvrirait également la voie à une mutualisation de la gestion des ponts à l'échelle départementale ou intercommunale.
La mission propose ainsi de mobiliser l'agence nationale de la cohésion des territoires. Cet outil, souhaité par les collectivités territoriales, a été défendu par le Gouvernement alors que beaucoup semblaient douter de sa pertinence. À mon sens, voilà un bon exemple de son utilité : monsieur le secrétaire d'État, qu'en pensez-vous ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous avez tout à fait raison d'insister sur la mobilisation, probable et souhaitable, de l'agence nationale de la cohésion des territoires, qui, comme vous le savez, sera active à compter du 1er janvier prochain.
Sur ce sujet, il me semble que nous devons disposer d'un bouquet de solutions. Plusieurs conseils départementaux ont gardé ou conquis une très forte expertise à cet égard. À mon sens, ils seront capables d'offrir aux collectivités territoriales cette ingénierie de proximité dont vous parlez. Le Cérema est, lui aussi, tout à fait en mesure de leur apporter son soutien. De mémoire, il a publié en septembre 2018 un guide portant à la fois sur la surveillance et sur la maintenance des ouvrages d'art, document auquel les collectivités pourront se référer avec profit.
Pour ce qui concerne l'ingénierie, ce bouquet de solutions permettra d'offrir un conseil de qualité aux collectivités territoriales, que vous défendez !
M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron, pour la réplique.
Mme Françoise Cartron. Merci, monsieur le secrétaire d'État : à présent, il n'y a plus qu'à faire !
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. À la suite du terrible drame de Gênes, la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a produit un excellent rapport, dont je tiens à saluer la grande rigueur.
Sur l'initiative de notre collègue Évelyne Didier, les élus du groupe auquel j'appartiens ont d'ailleurs contribué à mettre cette problématique en lumière ; adoptée, notre proposition de loi relative aux ouvrages d'art est aujourd'hui en vigueur.
En la matière, les enjeux sont considérables. En effet, le mauvais état des ouvrages d'art constitue une bombe financière pour les collectivités territoriales, lesquelles sont mal informées de leurs responsabilités en la matière. Pourtant, 98 % du réseau routier national dépend des collectivités, ce qui représente quelque 150 000 ponts ; et ces infrastructures se dégradent rapidement, faute de financements publics adéquats, dans un contexte d'asphyxie financière des collectivités.
Pour la plupart des collectivités territoriales, la décentralisation de 1982 a été un cadeau empoisonné ! Mais dorénavant, grâce à la loi Didier, pour chaque nouvel ouvrage d'art, les gestionnaires d'infrastructures sont dans l'obligation de signer une convention avec les collectivités pour définir des règles de répartition des charges de travaux.
À nos yeux, il convient premièrement et, oserai-je dire, prioritairement de dresser un bilan de l'application de cette loi ; et, deuxièmement, d'étudier très sérieusement la possibilité d'appliquer ce dispositif de manière rétroactive, dans le cadre d'un grand plan de modernisation des infrastructures. Ainsi, les responsabilités seront clarifiées.
Pour être entretenus, les ponts exigent d'importants moyens financiers, faute de quoi leur mauvais état deviendra, in fine, un argument en faveur de leur privatisation.
Monsieur le secrétaire d'État, alors que 25 % des ponts arrivent en fin de vie, comment votre gouvernement va-t-il soutenir les collectivités territoriales pour entretenir leurs ouvrages d'art ? Quels moyens mobilisera-t-on, notamment via la future agence nationale de la cohésion des territoires, pour aider les plus petites d'entre elles ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je tiens à vous apporter quelques précisions au sujet des ouvrages dits « de rétablissement », qui procèdent effectivement de la loi Didier, texte adopté sur l'initiative de la Haute Assemblée, qui s'appliquera à compter du 1er janvier prochain.
Je l'ai dit, on dénombre 15 400 ouvrages de rétablissement ; ces derniers sont en cours de recensement. Leur liste, publiée sur le site du Gouvernement, est revue de concert avec les collectivités territoriales. Ainsi, l'arrêté ministériel appliqué à compter de janvier prochain n'en omettra aucun. Plus précisément, 4 400 de ces ouvrages concernent des voies navigables ; un peu plus de 2 700 concernent des voies ferrées ; quant aux ponts restants, ils appartiennent au réseau routier. Cet ensemble est donc tout à fait important.
Vous insistez sur l'ingénierie de qualité qu'il convient de garantir pour recenser ces ouvrages, afin qu'ils fassent l'objet d'une convention entre le gestionnaire et les collectivités territoriales concernées. Ce travail est tout à fait nécessaire : c'est le sens du dispositif mis en oeuvre et des conventions de financement qui seront conclues à compter du début de l'année prochaine.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Tout d'abord, je remercie le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, M. Hervé Maurey, qui est à l'initiative de cette mission consacrée à la sécurité des ponts, ainsi que les rapporteurs, MM. Patrick Chaize et Michel Dagbert.
Je mesure l'urgence de la situation et souhaite que nos propositions soient rapidement suivies d'actions. Le constat est alarmant : nous ne sommes pas à l'abri d'une catastrophe comme l'effondrement du pont Morandi.
La situation est d'autant plus grave qu'elle est complexe.
En effet, d'une part, la gestion du réseau se partage entre l'État et les collectivités locales ; d'autre part, les collectivités ne sont financièrement pas en mesure de prendre en charge la rénovation et l'entretien des 90 % du réseau qui leur échoient.
Or nous n'avons pas d'autre choix que de faire preuve d'ambition, compte tenu de la difficulté de la situation. Il s'agit donc, dans un esprit de responsabilité politique, de s'engager au plus vite sur un ambitieux plan d'action commun destiné à éviter toute catastrophe, sachant qu'un tel événement peut arriver n'importe quand.
Monsieur le secrétaire d'État, le Gouvernement doit s'engager à déployer ce qu'Hervé Maurey a nommé un plan Marshall ; nous appelons un tel déploiement de nos voeux d'ici à 2021. Vous connaissez naturellement les difficultés financières de plus en plus importantes des collectivités ; les préfets devront être chargés de piloter et de suivre la mise en oeuvre de ce plan, et les collectivités territoriales devront évidemment y être associées.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Un mot, d'abord, sur ce que représente, en termes de trafic, le réseau routier national, qui relève de l'État : à peu près 2 % des ponts – vous l'avez dit –, mais 20 % du trafic. Et ces ponts font bien l'objet d'un plan Marshall, pour reprendre les termes que vous avez utilisés, dans la mesure où des crédits de régénération et d'entretien ont été inscrits dans la loi d'orientation des mobilités : de 50 millions d'euros environ pour l'année 2015, nous passons à 70 millions d'euros pour cette année et à 79 millions d'euros pour l'année prochaine, avec, à compter de 2023, un rythme de croisière de 120 millions d'euros annuels, de manière à affronter la réalité de la vétusté de ces réseaux.
S'agissant des collectivités, que vous avez citées, l'un des enjeux est celui de l'ingénierie, c'est-à-dire leur capacité à connaître l'état des ponts ; en la matière, il faut déterminer les voies praticables de cofinancement, y compris celle qui pourrait consister à faire sortir les travaux de régénération non récurrents des critères de Cahors, que vous avez également mentionnés, afin de faire porter l'effort de remise à niveau de l'ouvrage sur le budget d'investissement, lequel, comme vous le savez, ne fait pas l'objet des contraintes qui s'appliquent aux plus grandes collectivités, les 1,2 % notamment.
J'espère que l'ensemble de ces mesures sera de nature à satisfaire votre ambition, que nous partageons.
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché, pour la réplique.
M. Alain Fouché. J'ai bien entendu, monsieur le secrétaire d'État, ce que vous avez dit sur le réseau national, qui n'est d'ailleurs pas, lui non plus, dans un état extraordinaire. Ce qui est très important pour nous, naturellement, ce sont les ponts qui relèvent de la compétence des collectivités. Pour ceux-là, compte tenu des difficultés que celles-ci connaissent, nous avons besoin d'un engagement financier très fort de l'État ; à défaut, nous ne pourrons y arriver et le Gouvernement aura sans doute une part de responsabilité s'il arrive des catastrophes.
M. le président. La parole est à Mme Nadia Sollogoub.
Mme Nadia Sollogoub. Ceux qui ont été maires savent que les problèmes de ponts ne sont jamais simples à régler. Quand ils surviennent, c'est bien souvent qu'il est déjà trop tard. Il s'agit de désordres visibles, évidents, signalés par les riverains ou les usagers, et les travaux afférents sont forcément coûteux.
Participant à cette mission d'information et revenant sur ma propre expérience, je me suis demandé pourquoi, sur ce sujet particulier, nous pratiquions presque tous la politique de l'autruche. En effet, pourquoi pensons-nous à surveiller nos toitures, nos chaudières, nos gouttières, et oublions-nous nos ponts ? Pourquoi faisons-nous comme si les ponts étaient éternels ?
La complexité des procédures et le coût des diagnostics devenus incontournables depuis la loi sur l'eau ne sont pas étrangers à cette situation. Il y a quelques années, le cantonnier communal pouvait faire un peu de maçonnerie préventive. Aujourd'hui, il faut nécessairement faire un appel d'offres, trouver un bureau d'études, financer l'étude – pour rappel, le coût d'une visite initiale sommaire varie entre 2 000 et 5 000 euros par ouvrage –, recourir forcément à une entreprise spécialisée qui saura respecter des procédures désormais complexes.
Je tenais donc, monsieur le secrétaire d'État, à attirer votre attention sur ce point : l'entretien courant n'est plus possible au-dessus d'un cours d'eau.
J'en viens à ma question – mais vous y avez partiellement répondu. Je suis très intéressée par ce qui concerne Voies navigables de France, VNF – mon collègue Patrick Chaize a évoqué ce qui se passait dans plusieurs communes de la Nièvre.
Bien des collectivités manquent d'une connaissance exacte des transferts de compétences qui se sont opérés au cours du temps. Les ouvrages se dégradent ; s'ils sont anciens, aucune convention n'établit clairement le partage des charges et responsabilités – Mme Assassi a parlé longtemps de la loi Didier.
Vous avez dit que le recensement qui était prévu pour le 1er janvier 2018 était en cours. Peut-on raisonnablement laisser l'établissement Voies navigables de France nous dire qu'il ne s'intéresse, comme son nom l'indique, qu'à la partie navigable des voies d'eau et que, à ce titre, la surveillance des ouvrages qui enjambent celles-ci se résume, de son point de vue, à vérifier que les morceaux qui se seraient éventuellement détachés du pont ne modifient pas significativement, pour les bateaux, la profondeur ? Quid des usagers de la voie d'eau ?
M. le président. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Nadia Sollogoub. Nous pouvons peut-être entendre, à la limite, que la probabilité de recevoir un morceau de pont sur la tête est relativement faible…
Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État : j'ai entendu que des possibilités de cofinancement existaient. Nous y sommes très attachés.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je suis en accord avec vous sur le fait que nous avons, collectivement, trop tardé. Or plus nous tardons à assurer la maintenance des ouvrages dégradés, plus le coût pour la collectivité est important. D'où l'intérêt qu'un inventaire soit fait le plus rapidement possible et que des conventions de cofinancement partagent ensuite très clairement la responsabilité et la charge financière entre les collectivités et le gestionnaire public, à savoir VNF.
Je le redis : 4 400 des 15 400 ouvrages, soit presque un tiers d'entre eux, sont liés à des voies navigables, ce qui est tout à fait important. Nous sommes évidemment très vigilants s'agissant de vérifier que les conventions sont signées relativement rapidement, à compter du début de l'année prochaine, puisque l'arrêté devrait être pris à l'issue de la revue, qui arrive à son terme le 31 décembre prochain.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez.
M. Jean-Pierre Corbisez. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le rapport remis par notre mission a mis en exergue un état de vétusté inquiétant de nos ouvrages d'art, dont l'état structurel, pour 25 000 d'entre eux, pourrait mettre en péril la sécurité des usagers.
Les collectivités territoriales sont particulièrement affectées, puisque ce problème touche 20 % des ponts relevant des communes ou des intercommunalités. Parmi ces dernières, les plus petites sont largement démunies : pas d'ingénierie technique, pas de ressources budgétaires ni d'assise financière suffisante pour obtenir les prêts permettant de conduire les travaux.
J'en veux pour preuve la situation d'une commune de mon département qui, avec ses 2 500 habitants, et après avoir déjà financé une expertise à hauteur de 6 000 euros, devrait supporter une dépense de l'ordre de 700 000 euros pour la remise en état d'un ouvrage d'art rétrocédé par VNF sans que la ville n'ait rien demandé.
Le plan Marshall pour les ponts sollicité par la mission devient, dans ce contexte, une absolue nécessité – je pense en particulier à la création d'un fonds d'aide aux collectivités territoriales doté de 130 millions d'euros par an sur une période de dix ans.
Je trouve donc particulièrement regrettable que les fonds disponibles sur la ligne du budget de l'Afitf, l'Agence de financement des infrastructures de transport de France, dédiée à la sécurisation des tunnels aient été reversés au budget du réseau routier et non fléchés sur la mise en sécurité des ponts, d'autant plus qu'entre 2009 et 2014 cette ligne budgétaire était dotée d'un montant exactement égal à celui que préconise notre mission.
Nous ne saurions laisser dire qu'un simple jeu de vases communicants suffirait à répondre à de tels enjeux.
Nous demandons non pas une réorientation de crédits, mais bien la mobilisation d'une enveloppe nouvelle, et espérons que le débat prochain sur le projet de loi de finances sera l'occasion pour l'État de prouver qu'il a pris la pleine mesure de la situation. (Mme Françoise Laborde ainsi que MM. Jean-Yves Roux et Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Je vais clarifier mon propos sur le financement. Nous avons parlé, d'une part, des ouvrages qui relèvent de l'État, pour lesquels les coûts d'entretien et de régénération sont inclus dans la trajectoire de la LOM – j'ai cité ce chiffre, qui résout l'équation budgétaire pour les ouvrages d'État : 79 millions d'euros en 2020, 120 millions d'euros par an à compter de 2023. Cette enveloppe est à la fois devant nous et derrière nous, selon la perspective adoptée.
Et il y a évidemment, d'autre part, ces ouvrages que vous évoquez, monsieur le sénateur, notamment ceux qui relèvent de VNF ou du réseau routier concédé, bref les ouvrages dits de rétablissement. Ils feront, eux, l'objet de conventions de financement, au titre desquelles il faudra trouver y compris des financements de l'État. Ces financements, comme tels, seront inscrits dans les lois de finances ou collectifs budgétaires à venir. C'est donc bien de l'argent nouveau qu'il faudra consacrer à l'ensemble de ces 15 400 ouvrages qui sont en cours de recensement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Corbisez, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Corbisez. Nos élus locaux sont déjà bien échaudés par le projet de loi relatif à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, concernant notamment le financement de la revalorisation de l'indemnité des élus par l'augmentation des impôts locaux. À six mois des élections municipales, le Gouvernement est dans l'obligation d'apporter de vraies réponses juridiques, techniques et financières aux élus locaux ; à défaut, on peut s'attendre à des catastrophes.
M. le président. La parole est à M. Michel Vaspart.
M. Michel Vaspart. Je parle au nom d'Édouard Courtial, qui a rédigé cette intervention.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, chacun garde en mémoire les images terribles de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc qui, le 24 mars 1999, avait suscité une très grande émotion en France, ou celles de l'effondrement du pont Morandi de Gênes, l'année dernière. Hier encore, un pont long de 140 mètres s'est écroulé à Taïwan.
Ces infrastructures sont donc un enjeu majeur de sécurité pour les usagers. Cependant, comme le soulignent Patrick Chaize et Michel Dagbert dans leur excellent rapport, l'état et la gestion de ces ouvrages soulèvent de nombreuses inquiétudes.
Les propositions qu'ils formulent vont indéniablement dans le bon sens ; je pense notamment au constat qu'ils posent d'un besoin urgent d'investissement, compte tenu du vieillissement du patrimoine, mais aussi à l'affirmation de la nécessité de mettre en place une gestion sur le long terme.
De même, l'idée de créer un fonds spécial et de mettre en oeuvre une ingénierie à destination des collectivités locales est intéressante, même si certaines de ces dernières ont déjà pris le problème à bras-le-corps. Tel est le cas du conseil départemental de l'Oise, qu'Édouard Courtial a eu l'honneur de présider, et qui a voté en 2017 un plan de 5 millions d'euros par an pendant dix ans dédié au renforcement de la sécurité des 700 ouvrages que compte son territoire et qui sont régulièrement suivis.
Mais ce sujet pose des difficultés pratiques lorsque les ponts enjambent des voies SNCF ou des voies d'eau.
Ces difficultés sont de deux ordres : premièrement, la responsabilité relative à l'entretien voire à la reconstruction de l'ouvrage est souvent confuse ; la seconde difficulté a trait, une fois la responsabilité établie, à l'obtention des autorisations nécessaires pour intervenir, en particulier au-dessus d'une voie d'eau.
Je prendrai rapidement l'exemple du pont Saint-Ladre, à Crépy-en-Valois. Construit en 1929 par la compagnie des chemins de fer, il appartient au gestionnaire de la chaussée, mais son entretien doit être assuré par la SNCF. En 2008, la SNCF inspecte le pont. En 2013, le département intervient auprès de la SNCF pour connaître l'état de la structure, et celle-ci fait savoir qu'elle envisage la reconstruction du pont, pour finalement abandonner cette idée en 2015. En 2016, le département introduit un référé pour que la justice statue sur la responsabilité. Un expert est désigné, qui conclut à l'interdiction du passage des poids lourds. Depuis, c'est le statu quo.
Vous l'aurez constaté, monsieur le secrétaire d'État,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Vaspart. … les résistances administratives et juridiques sont nombreuses, malgré une volonté d'agir. Que peut faire le Gouvernement pour y remédier ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez tout à fait raison de mettre en lumière les difficultés administratives multiples que l'on rencontre lorsqu'on cherche à produire une solution partagée : les diagnostics sont difficiles à établir ; l'ingénierie, que vous avez évoquée – cela est peut-être moins vrai à Crépy-en-Valois que dans des territoires plus ruraux –, n'est pas toujours forcément à disposition des acteurs locaux ; il est compliqué de préciser quelles sont les responsabilités respectives du gestionnaire et de la collectivité.
C'est bien tout l'objet de la loi Didier, qui, à mon avis, représente une avancée considérable pour clarifier la responsabilité et donner un cadre financier et budgétaire clair.
Les ouvrages analogues à celui de Crépy-en-Valois, liés aux voies ferrées, sont au nombre de 8 700.
Cette liste est en cours de recensement ; elle sera publiée dans une version définitive le 1er janvier prochain, et les ouvrages qui y sont inscrits feront l'objet de conventions de financement établissant très précisément la charge pour l'État et la charge pour la collectivité concernée, étant entendu que tout ce dont nous avons parlé, s'agissant de rendre disponibles l'ingénierie nécessaire ou des contrats types à destination des plus petites collectivités, représente ou représentera une avancée considérable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte.
M. Jean-Michel Houllegatte. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, Mark Twain disait : « La catastrophe qui finit par arriver n'est jamais celle à laquelle on s'est préparé. » Pour ne pas céder au fatalisme, j'ajouterai que, dans un ouvrage de référence publié en 1989 et intitulé Catastrophes ? Non merci !, Jean-Louis Nicolet nous proposait une démarche pragmatique en nous invitant à penser désormais les objets technologiques comme des systèmes complexes, dont les éléments, en interaction dynamique les uns avec les autres, pouvaient entrer en résonance jusqu'au dépassement des limites de rupture.
D'où l'importance de l'analyse, de l'expertise, de la vigilance et de la surveillance, qui permettent, le cas échéant, de déclencher les interventions prédictives ou curatives les plus appropriées.
Or, s'agissant de nos collectivités territoriales, qui gèrent désormais à elles seules plus de 90 % du réseau routier français, le rapport met en évidence divers constats.
Le transfert des compétences qui s'est opéré s'agissant notamment de la voirie et des ouvrages d'art associés ne s'est pas toujours accompagné des plans de récolement des ouvrages et de toute la documentation technique associée. Ceux-ci ont souvent été égarés ou se sont avérés incomplets, à moins que l'évolution des interventions sur les ouvrages n'y ait pas été retracée.
Quant aux compétences des agences techniques de l'État qui exerçaient dans les différents services, elles ont été redéployées, voire supprimées. Et les financements nécessaires à l'entretien n'ont pas été transférés.
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d'État : vous avez parlé de l'ANCT ; pouvez-vous nous préciser selon quelles modalités cette agence pourra intervenir auprès des collectivités ? Par ailleurs, n'est-il pas nécessaire de lancer un véritable plan national pour développer et diffuser les innovations technologiques, en matière de maintenance des ponts notamment, et – vous en avez parlé – de décliner les diverses possibilités offertes par les outils numériques, maquettes numériques de reconstitution des plans, géolocalisation, capteurs à jauge de déformation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Je commencerai par préciser que les modalités concrètes d'exercice des missions de l'ANCT sont encore en cours de construction ; il m'est donc aujourd'hui impossible de vous dire exactement comment l'ANCT sera précisément en mesure de soutenir les collectivités en matière d'ingénierie – mais telle sera, évidemment, l'une de ses missions. Il faut a minima concevoir l'action du Cérema et celle de l'ANCT comme concomitantes, ou en tout cas parallèles ; leur vocation est de produire l'ingénierie dont les collectivités ont bien besoin.
S'agissant des objets connectés et, plus largement, de la maintenance prédictive, que vous avez évoqués, ces perspectives – je l'ai dit dans mon propos liminaire – me paraissent représenter un futur désirable, dans la mesure où des expérimentations existent déjà. En général, celles-ci portent sur des objets qui ont présenté des fragilités, des difficultés ou des dysfonctionnements particuliers, mais il me semble que, pour les objets les plus fréquentés, ceux sur lesquels la circulation est la plus importante, ou pour ceux sur lesquels il existe déjà des restrictions, de tels équipements pourraient avoir un sens, afin de s'assurer de la santé des ouvrages en temps réel.
Je le dis d'autant plus volontiers que des contrôles routiers menés sous l'autorité du Gouvernement ont démontré que 10 % des poids lourds en circulation étaient en surcharge et qu'il existait donc, pour les ouvrages très fréquentés, une surcontrainte qui peut éventuellement les fragiliser et rendre nécessaire une maintenance plus régulière.
Pour ces raisons, la dimension technologique que vous évoquez me paraît tout à fait essentielle ; il faudra que nous réfléchissions collectivement à un plan d'équipement des plus grands ouvrages à échéance relativement courte, de manière que nous disposions, petit à petit, d'informations de plus en plus précises et en temps réel sur la santé de nos ouvrages, partout en France.
M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Houllegatte, pour la réplique.
M. Jean-Michel Houllegatte. Vous aurez peut-être l'occasion de me répondre par ailleurs, mais je souhaitais également évoquer la nécessité de développer la recherche et l'innovation, en matière d'utilisation de nouveaux matériaux notamment – je pense aux polymères en particulier. Ces nouveaux matériaux peuvent être tout à fait appropriés à des opérations de maintenance sans que leur emploi n'affecte ni l'esthétique ni les autres caractéristiques du pont. Il me semble important, donc, qu'un plan de recherche soit développé dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon.
M. Jean-Marie Mizzon. Je veux interroger M. le secrétaire d'État sur un cas particulier qui fait l'actualité, chez nous, en Moselle, avant peut-être de la faire au plan national : celui du pont de Petite-Rosselle.
Cet ouvrage construit au milieu du XIXe siècle pour les besoins de l'exploitation charbonnière et permettant la liaison routière entre les communes de Petite-Rosselle et de Forbach est aujourd'hui dans un état de délabrement tel qu'il est urgent de procéder à sa reconstruction.
L'État en étant propriétaire – toutes les recherches effectuées par la commune l'attestent –, il est normal qu'il assure la charge de cette reconstruction.
Mme la ministre Élisabeth Borne en était d'ailleurs entièrement d'accord puisque, le 19 mars dernier, en séance publique, elle déclarait : « le pont de Rosselmont appartient sans ambiguïté à l'État, eu égard à la reprise par celui-ci du patrimoine des houillères. […] Je confirme qu'il appartient à l'État, dans le cadre de sa mission de gestionnaire de l'ancien patrimoine des houillères, de remettre ce pont en état. Les travaux à cette fin vont être programmés. »
Par conséquent, vous comprendrez la perplexité du maire de Petite-Rosselle à la réception du courrier du préfet de la Moselle l'informant que les travaux seraient seulement cofinancés à hauteur de 35 %, qui plus est au titre de la DETR, privant ainsi la commune d'un autre projet prioritaire. C'est la double peine !
Monsieur le secrétaire d'État, qu'en pense l'État ? Et que va faire l'État ?
M. Patrick Chaize, rapporteur. Bonne question !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. C'est une très bonne question, monsieur le sénateur. Et mes services ne sont pas d'accord avec vos affirmations.
Je vous propose donc d'emprunter la troisième voie, qui consiste à reprendre les propos de Mme la ministre, que vous avez cités. Elle avait proposé une prise en charge partielle des travaux de régénération.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Totale, et pas partielle ! C'était ici même, en séance publique !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. Je vérifierai ce point, car je ne veux pas m'aventurer plus avant, et je vous ferai une réponse écrite sur ce sujet. Mais il me semble qu'elle avait émis le souhait que les collectivités et l'État se mettent autour de la table pour une prise en charge partielle…
MM. Michel Dagbert et Hervé Maurey, rapporteur et président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Totale !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. … ou totale – nous préciserons ce point – et que cette initiative n'avait pas pu prospérer. Cette situation mérite donc une clarification, et je m'engage à revenir vers vous par écrit sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Mizzon, pour la réplique.
M. Jean-Marie Mizzon. Merci, monsieur le secrétaire d'État. Je prends acte de cet engagement. Mme la ministre l'avait non seulement dit, mais écrit.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. Je vérifierai.
M. Jean-Marie Mizzon. Je prends à témoin sur ce point Hervé Maurey, qui connaît parfaitement ce dossier.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Je confirme !
M. Jean-Marie Mizzon. La commune en question a fait des recherches : elle a épluché toutes les délibérations depuis 1850, sachant que les choses, chez nous, sont compliquées, à cause de la période d'occupation – il faut savoir lire l'allemand et même la Spitzschrift ! Elle n'a trouvé aucune trace, ni directe ni indirecte, qui pourrait laisser penser qu'elle a pris part, de près ou de loin, à la construction de ce pont.
En revanche, cette commune a fait effectuer des recherches aux archives départementales. Elle y a trouvé nombre de traces qui attestent que ce sont bien les houillères de Petite-Rosselle qui ont construit ce pont – plans portant le sceau des houillères, notes de calcul, devis : tout laisse penser que là est la vérité.
Je disais tout à l'heure que ce pont faisait l'actualité départementale ; j'attire votre attention, monsieur le secrétaire d'État, sur le fait qu'il faut faire vite si nous ne voulons pas que cette actualité devienne nationale !
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans le cadre de la loi Didier du 7 juillet 2014, l'État a procédé à un recensement des ouvrages d'art de rétablissement des voies publiques interrompues par une nouvelle infrastructure de transport pour lesquelles aucune convention de répartition des charges n'existait avant l'entrée en vigueur de cette loi.
Parmi ces ouvrages, l'État identifiera ceux dont les caractéristiques, notamment techniques et de sécurité, justifieront la conclusion d'une convention dans les conditions définies par la loi.
Or bon nombre d'ouvrages SNCF affectant des routes départementales ou voies communales de mon département, l'Aisne, ne figurent pas dans la liste provisoire qui a été publiée par l'État au mois d'août dernier.
Lors de leur reconstruction, ces ouvrages ont en effet donné lieu à l'établissement de procès-verbaux de récolement fixant la répartition des charges d'entretien des ouvrages auxquels le Conseil d'État a admis une valeur conventionnelle.
Cependant, ces procès-verbaux ne contiennent aucune disposition en matière de répartition des charges de grosses réparations, de démolition et de reconstruction des ouvrages, si bien que le gestionnaire de la voie portée ne dispose d'aucun moyen de recours à l'égard de l'exploitant de la nouvelle infrastructure en dehors des opérations d'entretien courant.
Si seuls les ouvrages figurant sur la liste qui sera définitivement arrêtée par l'État pourront faire l'objet d'une convention nouvelle, le problème est donc le suivant : la question des interventions majeures sur les ouvrages non recensés restera entière pour les collectivités gestionnaires de ces voies portées – nos deux rapporteurs l'ont déjà signalé !
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d'État – elle a déjà été posée précédemment : au-delà des enjeux d'ingénierie, dont vous avez parlé, quels moyens financiers comptez-vous donner aux collectivités qui sont confrontées à ces problèmes importants ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. L'objet même de l'actuel recensement, qui se déroule jusqu'au 31 décembre prochain, est de permettre aux collectivités de demander l'inscription sur cette liste d'objets qui n'y figurent pas aujourd'hui, afin que le dossier de tel ou tel ouvrage soit instruit par l'État et que celui-ci soit inclus, le cas échéant, dans l'arrêté qui sera pris en début d'année.
S'agissant du financement, j'ai commencé à ébaucher une réflexion collective – j'ai saisi mes collègues Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, et Gérald Darmanin, ministre de l'action et des comptes publics – destinée à étudier la possibilité que les opérations d'entretien non récurrentes conduites par les collectivités fassent l'objet d'une inscription dans la section d'investissement de leur budget, afin que ces dépenses ne pèsent pas sur la section de fonctionnement et ne soient donc pas soumises au pacte de Cahors.
Par ailleurs, nous étudions la possibilité que ce débat sur les ouvrages d'art puisse avoir lieu au sein des conseils départementaux, et qu'éventuellement des moyens non récurrents, via la DETR et la DSIL, puissent aussi alimenter la part du financement qui relève des collectivités.
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre, pour la réplique.
M. Antoine Lefèvre. Merci, monsieur le secrétaire d'État, pour votre réponse. Il faudra effectivement des moyens plus importants, assortis de systèmes dérogatoires, pour faire face à ces enjeux, qui sont essentiels.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux évoquer la question de l'ingénierie et de l'expertise apportées par les services de l'État, notamment par les établissements publics que sont le Cérema et l'Ifsttar, l'Institut français des sciences et technologies des transports, de l'aménagement et des réseaux.
Le rapport d'information a mis en avant les carences de la politique de gestion des ponts menée par l'État, s'agissant tant des méthodes d'évaluation des ponts que de leur entretien. Nous connaissons pourtant l'importance de la mise en oeuvre d'une politique de surveillance et d'entretien pour la sécurité des ouvrages d'art.
Alors que l'expertise des établissements publics précités paraît de plus en plus indispensable pour effectuer une analyse des risques et réaliser les travaux d'entretien nécessaires, les moyens qui leur sont accordés sont en constante diminution.
Les effectifs du Cérema n'ont en effet cessé de baisser, la réduction annuelle du plafond d'emploi étant de l'ordre de 4 % ces dernières années. Cette baisse des effectifs, comme vous pouvez l'imaginer, n'est pas sans conséquence sur son activité ; le Cérema indique d'ailleurs que la mise en oeuvre de sa stratégie d'évolution relative à la gestion du patrimoine est entravée par cette diminution.
Comme le notent les auteurs du rapport, cette situation pourrait non seulement réduire ses capacités d'intervention, mais aussi entraîner une perte de compétences de l'établissement.
Il en est de même pour l'Ifsttar, où, ces dernières années, les personnels travaillant dans le domaine des ouvrages d'art sont également beaucoup moins nombreux qu'auparavant.
Il est à craindre que cette tendance ne se poursuive et même ne s'accentue dans les années à venir, puisque le projet de loi de finances pour 2020 prévoit notamment une baisse de 1 700 postes pour le ministère de la transition écologique et solidaire.
Au vu de ces éléments, monsieur le secrétaire d'État, comment comptez-vous garantir cette expertise d'excellence et en assurer la transmission ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, je profite de votre intervention pour rebondir sur la question sur la recherche que m'a posée tout à l'heure M. le sénateur Houllegatte – les deux sujets sont liés.
Le Cérema comme l'Ifsttar possèdent de nombreuses compétences, connaissances et savoir-faire ; ils sont capables de se projeter dans l'avenir sur le sujet des technologies « embarquées », ces technologies qui permettront de traiter le plus adéquatement possible les problèmes d'entretien et de régénération des ponts.
Je précise quand même, s'agissant du Cérema, que le travail de 10 % de ses effectifs, soit 300 personnes, est aujourd'hui consacré aux ouvrages d'art. Et le Cérema, en plus du guide que j'évoquais tout à l'heure, publié en septembre 2018, met à disposition des collectivités un certain nombre d'outils, logiciels, formations, entretiens techniques, afin d'assurer l'apport nécessaire en ingénierie.
Quant à la dimension budgétaire dont vous avez parlé, je ne doute pas qu'elle fera de nouveau l'objet de vifs débats lors de l'examen du projet de loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mes propos vont rejoindre ou reprendre un certain nombre de ceux des orateurs qui m'ont précédé.
Les images de la catastrophe de Gênes ont marqué tous les esprits ; la création de cette mission a donc pris tout son sens là où il s'agissait de répondre aux interrogations légitimes de nos concitoyens.
Son excellent travail sur la sécurité des ponts a mis en exergue les nombreuses lacunes de la France, en particulier l'absence de contrôle effectif, faute d'un recensement exhaustif de nos ouvrages.
Selon la mission – cela a été dit –, 25 000 ponts sont en mauvais état structurel et posent, à ce titre, des problèmes de sécurité pour les usagers. Il y a donc urgence à agir.
Le projet de loi d'orientation des mobilités était justement l'occasion de répondre à cette urgence en permettant à l'État de soutenir financièrement les collectivités au travers des financements alloués à l'Afitf.
Nous avions anticipé, au Sénat, en inscrivant dans le texte qu'« en partenariat avec les collectivités territoriales, premiers gestionnaires de ce patrimoine, et dans le cadre d'une programmation pluriannuelle, l'État accompagnera l'inventaire, la surveillance, l'entretien et, le cas échéant, la réparation de ces ouvrages, qui sont des actifs clés pour l'attractivité française et présentent aujourd'hui des risques de sécurité mal connus. »
Je regrette que cette solution n'ait pas été retenue par l'Assemblée nationale, qui lui a préféré un simple accompagnement logistique sans aucune garantie financière.
À la suite de la catastrophe du tunnel du Mont-Blanc en 1999, l'État a pourtant débloqué, via l'Afitf, des fonds exceptionnels de 1,2 milliard d'euros sur onze ans entre 2007 et 2018, afin de financer la mise en sécurité des tunnels de notre réseau routier.
La mission d'information démontre bien que nous ne sommes pas à l'abri d'un accident qui toucherait nos ponts les plus vétustes. Faut-il prendre le risque d'attendre un drame en France pour que nos ponts bénéficient des fonds nécessaires à leur mise en sécurité ?
Entendez-vous, monsieur le secrétaire d'État, reprendre les propositions formulées par le Sénat dans le cadre du projet de loi d'orientation des mobilités ou valider la création du fonds préconisé par la mission ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, je salue les travaux que vous avez accomplis dans le cadre de l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités. Nous avons eu l'occasion de nous connaître, notamment au sein de l'Afitf.
Tout d'abord, on ne l'a pas dit aujourd'hui, « mauvais état » ne veut pas dire « dangereux ». On estime que 6 % des ponts en France sont en mauvais état, c'est-à-dire qu'ils présentent des dégradations nécessitant un entretien à un horizon plus ou moins lointain, mais en général relativement proche. Les ponts qui sont jugés dangereux sont interdits à la circulation. Je ne veux pas laisser prospérer l'idée qu'il y aurait des ponts dangereux un peu partout sur le territoire.
S'agissant du financement, vous avez évoqué deux points : d'une part, les financements inscrits dans le projet de loi d'orientation des mobilités, cette fameuse trajectoire qui est portée à 120 millions d'euros par an à compter de 2023 ; d'autre part, les financements nouveaux qui seront le fruit des discussions actuelles sur les ouvrages dits de « rétablissement » et dont le périmètre pour l'État et pour les collectivités sera établi de façon objective. Pour ces derniers, l'État consacrera des fonds nouveaux. Nous parlons bien de deux trajectoires, dont l'une est incluse dans le projet de loi d'orientation des mobilités et l'autre reste à créer, à débattre et à inscrire en loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d'État, pendant l'examen du projet de loi d'orientation des mobilités, j'avais directement interpellé Mme la ministre au sujet du pont de la commune de Pierre-la-Treiche en Meurthe-et-Moselle. Ce pont, construit par Voies navigables de France, VNF, pour établir une circulation sur un canal en 1980, est aujourd'hui en mauvais état. Or il ne donne pas lieu à un entretien et à une surveillance régulière de la part de VNF. Mme la ministre m'avait confirmé par écrit que ce pont faisait bien partie de l'inventaire des ouvrages concernés par la loi Didier.
Au mois de juin dernier, nous avons organisé une rencontre entre le maire et VNF, en présence du sous-préfet, pour faire un point précis. Je ne constate aucun empressement pour avancer sur cette question et établir la convention qui fixera la responsabilité des uns et des autres, ainsi que les financements concernés, ce que je peux comprendre au vu de la situation budgétaire de VNF.
J'ai cru comprendre qu'une pré-évaluation sommaire de la situation de VNF pour les 2 200 ouvrages concernés estimait l'impact financier à près de 50 millions d'euros, soit la moitié du budget d'investissement de cet opérateur, et soulignait le manque d'ingénierie propre à VNF pour les ouvrages d'art. Je viens de vous entendre dire, monsieur le secrétaire d'État, que l'on pouvait envisager de solliciter la DETR et la DSIL pour la part communale. C'est la réponse que l'on nous fait systématiquement. Pouvez-vous nous apporter plus de précisions ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, vous avez reçu le 12 mars 2019 un courrier de Mme la ministre précisant que l'ouvrage en question figurera dans le recensement des ouvrages d'art dits « de rétablissement » en vertu de la loi Didier. Une réunion s'est bien tenue le 7 juin 2019, qui pose les grandes bases de ce que sera éventuellement la convention de répartition des charges. En tout état de cause, cette convention ne pourra être signée qu'à compter du début de l'année prochaine dans la mesure où le recensement est en cours.
M. Olivier Jacquin. Il est recensé !
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État. Oui, mais il faut recenser l'ensemble des ouvrages, soit 15 400 ouvrages partout en France et 4 400 ouvrages impliquant VNF à hauteur d'un peu plus de 50 millions d'euros, montant que vous avez cité. Le volume d'ouvrages et les volumes financiers tant sur les réseaux ferrés que sur les réseaux fluviaux ou routiers sont tout à fait considérables. La charge de l'État sera donc importante.
La deuxième partie de votre question portait sur le financement. J'ai évoqué au moins deux pistes : la première est celle de la DETR et de la DSIL ; la deuxième tend à faire sortir ces opérations d'entretien non récurrentes de la section de fonctionnement pour les inscrire dans la section d'investissement des collectivités. Cette dernière piste devra être étudiée dans le cadre de la future loi de finances.
M. le président. La parole est à M. Olivier Jacquin, pour la réplique.
M. Olivier Jacquin. Monsieur le secrétaire d'État, je comprends tout à fait cette procrastination face à l'impact financier et eu égard aux difficultés budgétaires de VNF et de la SNCF. Les autoroutiers sont dans une situation un peu différente de ce point de vue. Je m'interroge néanmoins sur le risque d'un accident et d'une crise qui viendraient clarifier la situation et accélérer les choses. C'est une situation que nous ne souhaitons absolument pas. Vous pourrez compter sur mon opiniâtre courtoisie républicaine, selon l'expression utilisée par M. le Premier ministre lors des questions d'actualité, pour suivre ce dossier.
M. le président. La parole est à M. Christophe Priou.
M. Christophe Priou. Monsieur le secrétaire d'État, la mission d'information sur la sécurité des ponts souligne la nécessité d'une gestion patrimoniale des ponts. Nous avons tous des exemples, dans nos territoires respectifs, de ponts vieillissants, insuffisamment entretenus, fermés à cause d'un péril imminent. Souvent, il s'agit d'ouvrages majeurs, alors même que nous n'avons aucune idée précise de l'état des petits ponts fortement endommagés.
Un exemple emblématique dans le département de la Loire-Atlantique est le pont de Saint-Nazaire, point stratégique majeur reliant la Bretagne à la Nouvelle Aquitaine en passant par la Vendée et le Poitou. Construit en 1975, il est le plus long de France avec plus de 3,3 kilomètres – ce titre ne revient donc pas au pont de Normandie qui vous est cher, monsieur Maurey ! (Sourires.) Ce pont à haubans qui enjambe l'estuaire de la Loire est particulièrement surveillé. Près de 30 000 véhicules le franchissent chaque jour.
Le département de Loire-Atlantique, chargé de son entretien, doit faire face aux besoins permanents de travaux de consolidation. Le béton est dégradé par les embruns maritimes. Les campagnes d'entretien sont longues et coûteuses pour les collectivités territoriales : de 2010 à 2014, le pont a fait l'objet de 20 millions d'euros de réparation sur sa partie sud et de 8 millions d'euros sur sa partie nord en 2018. Il a même fallu prévenir l'affaissement des travées en renforçant des poutres en béton. Tous les trois ans, des spécialistes auscultent sur plusieurs mois les semelles et les fondations immergées des piles.
Je viens d'évoquer la situation du plus long pont de France, lui-même touché par les outrages du temps. Mais, à côté des ouvrages de premier ordre, combien de petits ponts subissent des désordres dans l'indifférence ? On estime à plus de 200 000 ces ouvrages qui structurent les voies de nos communications quotidiennes.
La mission d'information souhaite intégrer dans les budgets des collectivités locales les dépenses de maintenance des ouvrages. Nous attendons un signal fort de l'État, car un tiers des ponts sous sa responsabilité sont en mauvais état. Quelle suite le Gouvernement entend-il donner aux excellentes préconisations contenues dans ce rapport ?
On dit : pas de stationnement, pas de commerces. Il en va de même pour l'économie : sans infrastructures, il n'y a pas de vie ni de développement économiques !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, en raison de ses grandes dimensions, le pont que vous évoquez pourrait être équipé pour des démarches exploratoires, à l'instar de celles qui sont actuellement entreprises en Italie après le drame que nous avons tous en mémoire. Cela permettrait un suivi très précis, notamment grâce à l'analyse des vibrations, et nous pourrions organiser des opérations d'entretien et de maintenance plus adéquates.
Pour ces ouvrages, notamment pour les plus importants qui sont à la charge du conseil départemental, il serait intéressant d'expérimenter ce type d'équipement pour en mesurer les apports, tant sur le suivi en temps réel que sur les économies de moyens et de finances.
Les premières indications dont nous disposons font valoir que ces économies seraient tout à fait substantielles dans la mesure où de telles analyses permettent d'allouer plus efficacement les moyens.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche.
Mme Catherine Deroche. L'effondrement du pont de Gênes a révélé un souci global quant à la sécurité des infrastructures. Ma question sortira du sujet des ponts, mais porte néanmoins sur la sécurité des structures.
À la suite d'un accident tragique survenu dans mon département – la chute d'un balcon à Angers en 2016 –, j'avais attiré l'attention du Gouvernement sur la nécessaire certification des armatures du béton. Le béton armé est le matériau de construction le plus utilisé en France. L'incorporation d'armatures est indispensable au renforcement de la solidité de l'ouvrage, mais des armatures de mauvaise qualité ou une pose incorrecte peuvent avoir des conséquences dramatiques.
À la fin de 2017, le ministre de la cohésion des territoires, Jacques Mézard, nous avait annoncé le lancement d'une étude confiée à l'Agence Qualité Construction consacrée à la sinistralité affectant les balcons. Ce travail a été mené et achevé cet été. Il a recensé un certain nombre de malfaçons récurrentes que je ne détaillerai pas ici, puisqu'elles concernent les balcons. Néanmoins, dans 15 % des dossiers, un défaut sur la structure des balcons a été relevé, avec un placement défaillant ou une mauvaise mise en oeuvre du béton.
L'étude propose des perspectives d'amélioration, avec l'instauration d'audits ou des contrôles de la disposition des armatures. Mais qu'en est-il de la certification des armatures ? Plusieurs pays européens, comme l'Allemagne, l'Espagne, la Belgique, ont introduit une certification obligatoire pour les entreprises fabricant ou mettant en oeuvre ces armatures.
L'Association française de certification des armatures du béton alerte les pouvoirs publics depuis plusieurs années sur la nécessité de recourir à des armatures de qualité et à des entreprises de pose compétentes. J'ai relayé ses préoccupations il y a deux ans déjà. Seules 50 % des entreprises du secteur sont aujourd'hui titulaires de cette certification. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous indiquer ce qu'il en est aujourd'hui de cette demande ? Ma question ne concernant pas directement les ponts, je comprendrai que vous me fassiez une réponse différée.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Madame la sénatrice, vous me surprenez en flagrant délit d'incompétence sur le sujet. Je vais me rapprocher de mon collègue ministre de la cohésion des territoires pour avoir accès au dossier et vous adresser une réponse écrite, qui sera certainement plus précise et plus intéressante que celle que je pourrais vous faire ici ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Raymond Hugonet.
M. Jean-Raymond Hugonet. Monsieur le secrétaire d'État, comme la pédagogie est affaire de répétition, je rappellerai à mon tour que, le 14 août 2018, le viaduc dessiné par l'ingénieur civil Riccardo Morandi s'effondrait à Gênes, en Italie, faisant quarante-trois morts, dont quatre de nos compatriotes. Comme souvent, il aura fallu attendre une terrible catastrophe pour mettre en évidence le vieillissement de ce type d'infrastructures et se pencher, par voie de conséquence, sur leur état en France. Dès lors, cela nous renvoie évidemment au défi lié à leur entretien.
Je tiens à cet instant à remercier nos collègues sénateurs Patrick Chaize et Michel Dagbert pour avoir conduit ce travail particulièrement utile avec la mission d'information sur la sécurité des ponts.
Bien entendu, plusieurs ingénieurs tirent la sonnette d'alarme et appellent à investir davantage. Mais la véritable question, comme d'habitude, est : « Qui va payer ? »
Premier constat, en France, ce sont les collectivités territoriales qui sont en première ligne. Il s'agit d'une spécificité française ! Les communes et les départements gèrent près de 90 % de ces ouvrages d'art. Je suis marqué par le désarroi des élus locaux qui gèrent des communes de taille modeste. Aujourd'hui, 20 % des ponts communaux présenteraient une structure altérée ou gravement altérée, soit un total de 16 000 ponts potentiellement dangereux. Or les communes manquent de ressources financières pour régler ce problème.
Je prendrai un exemple que je connais bien, celui de Limours, commune dont j'ai été maire pendant dix-sept ans et qui ne se situe ni en Loire-Atlantique ni en Normandie, mais dans l'Essonne, à 30 kilomètres de Paris. Comment, monsieur le secrétaire d'État, cette commune peut-elle entretenir, entre autres, vingt-cinq bâtiments communaux, une église du XVIe siècle, 56 kilomètres de voirie, 100 kilomètres de canalisations, trois ponts et un viaduc avec une dotation globale de fonctionnement en retrait de 650 000 euros sur quatre ans ?
Ma question est simple, monsieur le secrétaire d'État : la création d'un fonds d'aide spécifique aux collectivités locales est-elle envisageable afin de leur permettre d'effectuer un suivi patrimonial des ponts et d'entreprendre les travaux nécessaires à leur sécurisation ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique et solidaire, chargé des transports. Monsieur le sénateur, puisque la pédagogie est l'art de la répétition, je préciserai de nouveau le cadre dans lequel nous souhaitons financer les travaux nécessaires en ce qui concerne les ponts.
Le projet de loi d'orientation des mobilités fixe la trajectoire pour les ponts relevant de l'État, soit 120 millions d'euros par an, certes pour 2 % des ponts, mais qui subissent 20 % du trafic routier. C'est une somme tout à fait significative. Il incombera effectivement à l'État de trouver des financements supplémentaires pour financer la charge sur les 15 400 ouvrages que nous avons évoqués au cours du débat. Il faudra répartir la responsabilité en droit et la responsabilité financière. L'État et les collectivités devront trouver les voies et moyens, en s'appuyant sur les différents dispositifs que j'ai cités.
J'ajoute que le Gouvernement n'a pas l'intention de tomber dans la procrastination, pour reprendre les mots de M. Olivier Jacquin. Je salue MM. les rapporteurs, Patrick Chaize et Michel Dagbert, qui ont fait oeuvre utile, sous la présidence de M. Hervé Maurey. Leur travail permet d'éclairer d'un jour nouveau et de voir d'un oeil aiguisé ce sujet important non seulement pour la sécurité des personnes, mais aussi pour la régénération de nos réseaux, dont la dégradation participe parfois au sentiment de relégation et d'abandon dans les territoires.
Nous prenons ce problème très au sérieux à la fois sur le plan de la sécurité, mais aussi sur le plan politique. Vous pouvez compter sur nous pour apporter les réponses nécessaires.
Source http://www.senat.fr, le 8 octobre 2019