Interview de M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État aux transports, à CNews le 21 octobre 2019, sur le droit de retrait des cheminots après l’accident du TER dans les Ardennes et la réforme des retraites à la SNCF et à la RATP.

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Média : CNews

Texte intégral

ROMAIN DESARBRES
Le trafic reprend ce matin à la SNCF mais la situation sociale reste extrêmement tendue. Jean-Baptiste DJEBBARI, Secrétaire d'Etat aux Transports, a choisi CNews pour parler ce matin avec Jean-Pierre ELKABBACH.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Evidemment vous êtes le bienvenu Jean-Baptiste DJEBBARI. Merci d'être avec nous.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Bonjour.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors le trafic reprend mais il y a trois jours, c'était inadmissible, inacceptable, etc. Le travail reprend, tout est effacé ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Le trafic reprend et c'est bien. C'est un trafic normal qui va avoir lieu aujourd'hui sur les OUIGO, les TGV et les Transiliens. Vous aurez trois TER sur quatre qui vont circuler. Alors c'est hétérogène selon les régions, il y a environ deux Intercités sur trois. Donc oui, il y a une reprise vers la normale.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et on oublie les trois jours.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et nous n'oublions pas, évidemment pas les trois jours pour plusieurs raisons. D'abord il y a des sujets de sécurité sur lesquels il faut absolument tirer les enseignements et être au clair. C'est l'ensemble du travail qui est fait au coeur de la SNCF et c'est l'enquête que j'ai diligentée auprès du BEA, le Bureau d'Enquêtes et d'Analyses…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous rendrez publics les résultats de cette enquête ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Absolument. Ça prendra quelques mois, c'est toujours assez long, et nous allons investiguer non seulement l'aspect ferroviaire mais aussi l'aspect routier qui a été très largement oublié pendant ce débat.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors il y a un accord mais quels sont les bases de l'accord ? Est-ce que ça veut dire qu'un seul agent par train, par TER, c'est fini : vous allez mettre un deuxième personnel à bord ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors je rappelle que ce système de conduite en agent seul, c'est un système qui fonctionne depuis plus de trente ans en Ile-de-France. C'est la totalité des trains d'Ile-de-France qui sont opérés avec un agent à bord et c'est six mille trains par jour qui circulent en toute sécurité sur le réseau français avec plus de trois millions et demi de personnes chaque jour. Donc c'est un système d'exploitation normal.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous ne changez pas ça.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, je le dis parce que c'est important. Vous savez que les rames sont spécialement préparées, que les conducteurs sont formés, il y a des caméras de vidéosurveillance. C'est un mode d'exploitation normal à la SNCF, bien connu, homologué, pratiqué par ailleurs dans beaucoup de pays européens. Pour autant, il y a eu un événement de sécurité. Cet événement, il aura certainement des causes que nous pourrons mettre en lumière et qui seront traitées dans le cadre du retour d'expérience classique. En attendant, ce qui a été discuté entre la direction et les syndicats, c'est trois choses. C'est d'une part accélérer des recrutements qui étaient prévus notamment d'agents de sûreté en gare. C'est délayer un certain nombre de mesures techniques sur les départs des trains en gare et puis c'est, bien sûr, faire toute la lumière sur les sujets de sécurité que j'ai évoqués à l'instant devant vous.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, d'accord. Mais vous ne mettez pas un deuxième agent dans les trains, dans les TER.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, ce n'est pas prévu comme cela. Encore une fois, le mode d'exploitation en agent seul est un mode d'exploitation normal à la SNCF pour des millions de Français chaque jour et homologué.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Est-ce que vous reconnaissez que les victimes n°1 de ce qui s'est passé, ce sont les utilisateurs de OUIGO ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Oui, c'est vrai. Particulièrement les OUIGO, le TGV populaire. Et c'est la raison pour laquelle le Premier ministre et moi-même, nous sommes exprimés… avons exprimé notre mécontentement avant de dénoncer le caractère inacceptable de la grève, mais j'y viendrai peut-être.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, oui. Vous y reviendrez. On retient aussi la peine et le désagrément pour les usagers, les voyageurs etc, et les mesures qui ont été prises par Guillaume PEPY à dix jours de la fin de ses longs mandats.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et des mesures qui sont importantes notamment en termes de remboursement des voyageurs.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le remboursement total.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Intégral y compris pour les billets non échangeables, non remboursables. Et par ailleurs, il est annoncé la création d'un fonds pour que les gens qui avaient des correspondances…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
D'un million d'euros.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
D'un million d'euros. Pour que les gens qui avaient des réservations d'hôtel par exemple ou des correspondances avec d'autres moyens de transport soient compensés pour la perte financière qu'ils subissent aujourd'hui.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et est-ce qu'on sait combien coûtent globalement les trois jours ? On va voir si c'est de grève ou de droit de retrait.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Nous n'avons pas encore ce chiffrage mais il sera certainement connu et communiqué le moment venu.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
La direction de la CGT ou une partie de la CGT vous reprochent, vous gouvernement, d'avoir refusé de négocier avec eux jeudi.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
J'écoutais Laurent BRUN ce matin, le patron de la CGT Cheminots, sur RMC, qui disait effectivement que le gouvernement avait interdit la négociation. Je rappelle deux choses…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est vrai ou c'est faux ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est évidemment faux. Trois choses. D'abord il se trouve que j'étais jeudi… Je recevais les syndicats de la RATP et je recevais notamment l'UNSA RATP et la CFE-CGC. J'attendais la CGT qui n'est pas venue. C'est déjà un premier élément.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez dire que la CGT boycotte les réunions.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Pour la RATP.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour la RATP. Et pour la SNCF ? Quand vous discutez pour la SNCF, est-ce qu'ils boycottent aussi ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Pour l'instant, nous n'avons pas commencé à discuter mais j'ai eu l'occasion d'échanger y compris par texto avec Laurent BRUN. Je lui dis d'ailleurs et je lui redis ma disponibilité pour échanger avec lui. Nous avons eu un discours, en tout cas des échanges continus avec les syndicats, et par ailleurs il n'y a évidemment pas eu de mot d'ordre du gouvernement. Nous avons toujours dit que nous étions en désaccord ferme avec le mode de mobilisation de la grève qui a eu lieu, mais que sur les sujets de sécurité nous étions tout à fait ouverts à faire toute la transparence et à en tirer toutes les conséquences.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc vous êtes en train de me dire que Laurent BRUN a menti.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non. Je dis qu'en tout cas, je suis en désaccord profond avec ce qui l'a dit. Le gouvernement n'a certainement pas interdit les négociations.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Donc il n'a pas dit la vérité. Pourquoi est-il plus dur même que Philippe MARTINEZ à votre avis ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non mais je lui laisse la responsabilité de ses paroles et de ses actes. Moi je lui ai dit mon ouverture à discuter avec lui et avec tous. Il y a notamment à l'aune de la réforme des retraites des moments de discussion y compris avec la CGT Cheminots qui viendront. Je souhaite qu'il soit présent et que nous puissions échanger au fond des choses.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui. Mais est-ce qu'il n'y a pas des tensions internes à la CGT ? Est-ce que vous observez là où vous êtes ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Vous êtes meilleur commentateur politique, Jean-Pierre ELKABBACH, que moi sur le sujet. Moi je m'en tiens aux faits et j'observe que les faits aujourd'hui sont que nous sommes tout à fait, nous l'avons dit, on est soi-même très motivé pour faire toute la lumière sur les aspects techniques, pour discuter avec les syndicats y compris à l'horizon de la réforme des retraites qui, comme vous le savez, est très structurante pour…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va en parler. Depuis 2008, le droit de retrait s'exerce de manière individuelle. Et en cas de danger, après l'accident de ce qui s'est passé à Charleville-Mézières avec le TER, c'est devenu un fait. Les cheminots disent qu'ils étaient dans leur droit de demander le droit de retrait.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Vous savez, le droit de retrait c'est une disposition du code du travail qui s'applique à tous les Français qui dit : quand vous craignez pour votre vie, quand vous êtes face à un danger grave ou imminent, vous pouvez vous retirer de votre activité.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais c'est individuel et localisé si je puis dire.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est individuel et localisé. Souvent quand vous avez sur une ligne de bus, par exemple, un conducteur qui est agressé, ou même sur une ligne de TER, il n'est pas rare que les conducteurs de la ligne se retirent, ce qui est compréhensible. En général ils demandent une concertation avec la direction qui a eu lieu…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien, très bien.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Mais le droit de retrait n'est pas organisé dans la nuit pour avoir un impact maximal le vendredi matin et pénaliser des dizaines de milliers de Français C'est ça que je dis. Donc dès lors qu'on n'est pas face à un retrait ou un droit de retrait…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous voulez dire qu'il y a eu une exploitation politicienne de l'accident de Charleville-Mézières.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
En tout cas notre appréciation politique, c'est qu'il y a un détournement du droit de retrait tel qu'il est inscrit dans le droit du travail. C'est mon appréciation politique. Je ne suis ni juge ni inspecteur du travail mais c'est mon appréciation. Dès lors que vous êtes face à une grève et une grève dans le service public, ça s'organise. Et depuis 2007, vous savez qu'il doit notamment y avoir préavis et déclaration individuelle justement pour organiser le plan de transport.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On va voir la grève mais pour le droit de retrait, il ne peut pas y avoir à définir des contours nouveaux ou des limites nouvelles pour que les usagers soient au courant ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Moi j'y suis défavorable. Le droit de retrait, ça permet à n'importe qui face à une situation de danger pour sa vie de se retirer de l'activité.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais pas que ça dure trois jours et que ce soit généralisé sur le territoire.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Mais c'est l'objet. C'est un droit qui protège tous les salariés français. Si vous avez une explosion dans votre usine…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Très bien mais ça s'est passé à Charleville-Mézières et c'est l'ensemble…

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
D'accord. Mais c'est la raison pour laquelle nous contestons l'utilisation d'un droit fondamental qui est donné à tout salarié français et que ce droit se respecte. Notre appréciation, c'est qu'il a été détourné de sa vocation…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Alors avec le Premier ministre, vous avez répété à plusieurs reprises qu'il s'agissait d'une grève. D'une grève en plus une grève sauvage. Est-ce que ce matin vous dites que c'était aussi une grève sauvage ? Est-ce que vous le répétez ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Je dis que dès lors qu'on n'est pas face à un droit de retrait, on est face effectivement à une grève qui a été surprise, non coordonnée et qui n'a pas respecté le cadre de la loi. Donc oui, nous maintenons ces propos. Et la grève elle est, surtout depuis la loi de 2007 d'ailleurs, elle est garantie y compris pour les services publics, elle est vraiment garantie. Elle permet aux syndicats notamment qui veulent l'organiser de le faire, mais elle doit respecter un certain nombre de critères et notamment le fait de déposer un préavis - ce qui n'a pas été fait - et le fait de se déclarer individuellement 48 heures à l'avance, ce qui n'a pas été fait.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous avez demandé des sanctions. Vous le répétez ce matin ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Edouard PHILIPPE a demandé à la SNCF de regarder toutes les voies judiciaires qui pouvaient être empruntées. Il y en a deux. Il y a le fait que la SNCF aille devant le tribunal de grande instance et dise…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est illégal.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et demande aux juges de caractériser le fait que ce n'est pas un droit de retrait tel qu'il a été utilisé en l'espèce, et puis il y a les sanctions internes à la SNCF. Vous savez que les agents qui ne se sont pas rendus au travail sont en absence régulière, que ça s'apparente donc à un abandon de poste et qu'il peut y avoir tout à fait des retenues sur salaire par exemple. Guillaume PEPY a dit qu'il allait employer…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Des conséquences en interne.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Des conséquences en interne et notamment des retenues sur salaire pour ceux qui ne se seraient pas présentés au travail de façon régulière.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Le 15 décembre, la SNCF a vraiment prévu de supprimer les postes de chef de gare qui sifflent le départ des trains ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est le sujet que j'évoquais il y a cinq minutes sur les modalités de départ en gare. Et là-dessus…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et là, il y a le chef de gare qui siffle le départ.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est ça.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
A l'ère de l'électronique et du numérique, c'est encore un chef de gare qui donne le signal du départ des trains.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Et quand je disais pour les conduites en agent seul aujourd'hui, les rames sont spécialement équipées, je voulais dire que les rames étaient équipées de caméras de vidéosurveillance, que c'est le conducteur lui-même qui ferme les portes et que les voyageurs ont la possibilité d'interpeller le conducteur en cabine. Et donc que ce mode d'exploitation, il est absolument certifié et homologué et c'est de ça que nous avons discuté.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais il ne peut pas y avoir des responsabilités moins obsolètes apparemment à l'ère moderne que ce que fait un chef d'escale.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Je suis tout à fait… Je suis en accord avec ce que vous dites, raison pour laquelle ces mesures qui devaient s'appliquer au 1er janvier vont être reportées de quelques mois. C'est l'embryon d'accord qui semble prendre forme à la SNCF. Sur le fond, je pense qu'il faut à la fois assurer la sûreté e la sécurité dans les gares et que le mode d'exploitation des TER comme celui-là, en agent seul, répond à l'impératif de sécurité et de fluidité du voyageur.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais qu'est-ce qui va se passer quand la concurrence, dans très peu de temps, va être ouverte ? Est-ce que des activités ou des ruptures de cette nature peuvent être fréquentes ? Et si c'est ça, est-ce que les cheminots ne jouent pas contre leur propre camp ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Mais c'est sûr qu'en termes de confiance des voyageurs pour la SNCF, on peut quand même se convaincre que la séquence des trois derniers jours n'est pas favorable. C'est la raison pour laquelle…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
On choisira un train espagnol, italien, belge.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
J'ai envie de vous dire, j'ai envie que la SNCF reste un fleuron au coeur et dans le coeur des Français, et que la SNCF qui a quand même des défis considérables devant elle - et c'est la réalité : l'ouverture à la concurrence, un changement de statut - aborde cette période qui va commencer l'année prochaine en sérénité. Y compris dans le dialogue avec les syndicats, avec les agents. Et Jean-Pierre FARANDOU qui arrive à compter du 1er novembre y mettra toute sa volonté.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Par exemple, est-ce que vous demandez à Jean-Pierre FARANDOU, qui va prendre ses responsabilités le 1er novembre, de prendre quelques mesures d'apaisement, de bienveillance, c'est-à-dire d'effacer toutes les sanctions ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Je crois que c'est… Alors non, pas d'effacer toutes les sanctions.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
De faire un geste.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Ce que je lui demande, c'est effectivement d'apaiser le climat social à la SNCF. C'est important au regard des échéances qui viennent. Ça, c'est fondamental. Et puis, il a une mission que vous connaissez - on a déjà eu l'occasion d'en parler - il faut faire beaucoup plus que ce qui n'a été fait ces quinze dernières années pour les territoires, notamment pour les petites lignes. Et sur l'écologie, nous devons encore avancer avec le train à hydrogène, avec toutes ces innovations technologiques que nous avions eu l'occasion d'évoquer sur votre plateau ici.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est bien que vous vous en souveniez. Le train autonome, c'est pour quand ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
En l'état, vous avez des métros autonomes qui existent déjà, en tout cas de lignes automatisées. Il n'y a pas de projet de train autonome à court terme en France.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça se pourrait. Technologiquement, technologiquement ça se pourrait.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Technologiquement, il y a déjà des projets de trains à hydrogène, donc des trains encore plus verts qu'aujourd'hui. Technologiquement ça se peut, mais aujourd'hui il n'y a pas de projet à la SNCF ou de projet du gouvernement pour du train autonome.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Décider des sanctions dans ce climat de crise sociale, est-ce que vous n'allez pas durcir encore ce qui s'annonce pour le 5 décembre ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non mais moi, je ne suis pas, si vous voulez… Moi ce que je souhaite, c'est que le droit soit respecté et pleinement respecté et que l'échange avec les syndicats, avec les agents de la SNCF soit ouvert et transparent. C'est deux choses. Mais on ne peut discuter de façon ouverte et transparente et sereinement que quand vous avez le cadre du droit qui est respecté. Nous avons le sentiment que pendant ces trois jours, même la conviction, que pendant ces trois jours le droit n'a pas été respecté. Ç'a pénalisé énormément de Français, ça a les impacts en imagine que vous avez décrits et moi je veux que les choses reviennent à la normale et que nous puissions avoir à nouveau ces échanges.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous pensez que l'opinion est de votre côté pour le moment ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Ce n'est pas mon sujet. Très sincèrement, ce n'est pas mon sujet. J'observe…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais ça devrait être votre sujet pour le 5 décembre. Si le 5 décembre ils se mettent à soutenir une grève illimitée de la CGT et de tous les syndicats, vous aurez des moments encore plus difficiles à vivre.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Mon sujet, c'est d'être lucide sur ce qui s'est passé en termes de sécurité, y compris sur ce qui s'est passé en termes de respect du droit et d'être ouvert et transparent comme je l'ai été depuis le début avec les syndicats, à l'aune des réformes que vous citez et qui sont importantes, notamment de la réforme des retraites.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comment on calme, on apaise le climat social quand on est ce gouvernement ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
On échange, on discute. Moi j'ai commencé à discuter avec la RATP qui, comme vous le savez, conteste la réforme des retraites, la semaine dernière. On les avait vus avec Jean-Paul DELEVOYE au début octobre. Je fais des bilatérales avec les différentes organisations syndicales. Et nous commençons à échanger avec la SNCF à compter du 31 octobre avec Jean-Paul DELEVOYE pour définir, et pour le coup très concrètement, dans la vie des cheminots ce qui va changer pour être négocié avec eux à l'aune de cette réforme importante.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et la réforme de des retraites, elle aura lieu vraiment dans toute son ampleur avec la définition du système unique à points dont la CGT et certains syndicats ne veulent pas, et d'autre part la disparition des régimes spéciaux ? Comment vous aller leur faire avaler ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, mais nous avons dit que la… Effectivement, il y a des choses qui ne sont pas négociables. Sur le fait que le régime universel demain soit universel, à points, par répartition, ça ce sont les préalables que nous avons posés sur la table. Après nous avons dit que sur les modalités, c'est-à-dire le chemin pour chaque régime spécial, nous sommes ouverts à construire les chemins en lien avec les syndicats pour bien comprendre les spécificités des métiers et donner les garanties, notamment les garanties en termes d'âge et de niveau de pension. Mais tout ça, vous le savez, se négocie aussi au niveau interprofessionnel. Nous sommes tout à fait ouverts à tracer ce chemin…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Sans changer l'essentiel de la réforme.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Sans changer l'essentiel de la réforme, c'est-à-dire qu'à la fin l'ensemble des régimes particuliers auront convergé vers le régime universel.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais beaucoup plus tard.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Sur un temps de transition assez long. Le rapport Delevoye disait quinze ans, il est évident que nous sommes disposés à adapter d'un an ici, de deux ans là, éventuellement…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et comment vous arriverez à les convaincre alors qu'il y a tant d'opposition et de dureté dans leur opposition ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Mais par le dialogue, par l'échange et par le fait de construire des solutions qui soient acceptables par les différentes entreprises. Et je crois que c'est le travail que nous avons commencé à faire, que nous continuerons à faire. A la fin de la fin, Jean-Pierre ELKABBACH, les Français et notamment les cheminots, ils veulent savoir combien ils toucheront et à quel âge ils partiront. Et c'est à ce type de questions extrêmement concrètes que nous tenterons de répondre.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quelles réponses vous donnez ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Nous les construisons, les réponses. Parce que, regardez, les six derniers mois…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Vous les construisez avec eux.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Avec eux, bien sûr ; avec eux, bien sûr. Les six derniers mois pour, quelque part, redresser le niveau de pension qui existe, en tout cas le calcul sur les six derniers mois pour les fonctionnaires et pour les régimes spéciaux. C'est un outil en tant que tel, ce n'est pas un totem : c'est un outil. Et donc là, nous disons qu'effectivement ces six derniers mois en tant que tels vont fondre dans la réforme du régime universel mais que nous allons poser des garanties secteur par secteur de manière à donner de la visibilité aux agents concernés.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand l'idée du projet de la transformation du système de retraite a été lancée, est-ce qu'on se doutait ou est-ce qu'on pensait qu'il y aurait cette résistance sociale dans certains secteurs ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Vous savez, on entend aussi beaucoup ceux qui contestent le régime ou la réforme ou le système universel que nous allons construire. On n'entend pas beaucoup les jeunes, par exemple, qui aujourd'hui pensent ne jamais avoir de retraite. Et moi, j'ai eu des expériences intéressantes notamment au moment des grands débats où nous avons beaucoup discuté du système de retraite. Et il y a un appétit fort de la génération montante, de ceux qui aujourd'hui entrent dans le marché du travail, pour savoir que le système de retraite de demain est un système solide, ce qu'il n'est pas aujourd'hui.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous n'êtes pas desservi par une crise de confiance et d'autorité ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
La crise de confiance et d'autorité des politiques, et d'ailleurs j'ajoute des syndicats, elle existe depuis bien longtemps. Et c'est, je crois, justement en faisant cette transformation structurelle et structurante et en allant vers des systèmes notamment de retraite universelle que nous rendrons ou que nous participeront à rendre la confiance des Français en leurs représentants politiques.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Quand vous réfléchissez et que vous êtes honnête comme vous l'êtes le plus souvent, même toujours…

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
J'espère.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
En tout cas dans nos échanges, est-ce que vous dites que le 5 décembre ça va être dur ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Oui, mais je l'ai déjà dit. Je crois que ça va être dur. Donc mon travail à moi, c'est, ne pas craindre le mouvement, ça va certainement mobiliser.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est d'essayer de désamorcer, de convaincre les syndicats.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est d'essayer d'apaiser la tension parce qu'il y a de l'anxiété et souvent pour des motifs qui ne sont pas en tout cas légitimes des yeux du gouvernement. Je prends un exemple. Dans le rapport Delevoye tel qu'il a été construit, en général vous avez des syndicats qui ont repris le rapport, qui ont fait la transposition dans leur entreprise, ce qui n'est pas le projet du gouvernement. Et donc les chiffres, encore une fois en dur, ils sont à construire ensemble et c'est ce que je leur dis. Je leur dis : travaillons et après chacun jugera.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Mais quand vous dites « ça va être dur », ça veut dire que c'est une grève d'un jour ou une grève qui peut durer jusqu'aux vacances de Noël ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
En tout cas, il y a un mouvement pour le 5 décembre pour lequel beaucoup d'organisations ont appelé à la mobilisation, donc j'y suis évidemment très attentif. Et moi mon sujet de tous les jours, c'est de discuter avec syndicats, avec les agents de la RATP, de la SNCF…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Oui, pour éviter que ça dure.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Pour leur donner des réponses.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
A quels bouleversements technologiques ils doivent s'attendre ? Est-ce que vous en parler avec eux ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Pour le secteur des transports, l'ensemble…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
C'est considérable.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est considérable. La digitalisation, la maintenance prédictive - on en a déjà parlé ici - c'est considérable et donc ça se prépare. Et vous savez que par exemple à la SNCF, il y a un plan pour la transformation des emplois d'un milliard d'euros. Guillaume PEPY l'avait dit, c'est 10 % des emplois qui vont disparaître en tant que tels et qui vont être remplacés par d'autres, et c'est 30 % du contenu des emplois à la SNCF par exemple qui vont changer. Donc c'est considérable. Ça se prépare, ça s'anticipe, ça se construit. Et encore une fois à ce sujet, le dialogue social est important et même essentiel.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Votre domaine, il concerne aussi beaucoup d'autres choses.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
L'aérien.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
L'aéronautique, l'aérien.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Vous avez notamment dans le transport routier beaucoup, beaucoup d'innovations avec ce qu'on appelle le platooning : le fait de mettre par exemple des camions les uns à la file des autres sur…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Comme ça se fait déjà aux Etats-Unis.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Voilà. Et nous lançons une expérimentation, nous posons le cadre réglementaire. Nous lancerons une expérimentation à compter de l'année prochaine. Et l'aérien évidemment est un secteur qui intègre beaucoup d'innovations également.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Une derrière question sur un autre sujet mais qui est lié à vos activités. Le président de la République a demandé à chaque administration et service public de contrôler mieux le fonctionnement, les recrutements, etc pour éviter des phases de radicalisation ou plus simplement d'engagement religieux. Où en êtes-vous ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Nous avons renforcé encore le dispositif en demandant systématiquement aux entreprises publiques notamment de cribler, à chaque fois qu'il y a des changements de postes vers des postes sensibles, de cribler de façon beaucoup plus systématique et beaucoup plus régulière dans le temps l'ensemble des agents qui sont concernés de manière à détecter au mieux…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Ç'a donné des résultats ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Ça donne déjà des résultats. C'est compliqué.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Il y a des gens que vous avez repérés ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors oui. Oui. Les services, de toute façon, travaillent et il y a des licenciements qui se font sur… Alors quelques licenciements parce que rappelons toujours que ce chiffre est marginal, mais que pour autant…

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Pour les cas les plus graves, des licenciements.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Absolument.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Et vous avez le sentiment que la CGT et certains syndicats travaillent dans le même sens et qu'ils font aussi ce travail de d'observation des radicalisations ou des engagements religieux ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Pour le coup, c'est un combat républicain pour tout le monde, pour les syndicats comme pour les cadres des différentes entreprises en question.

JEAN-PIERRE ELKABBACH
Merci, bonne journée et bonnes négociations avec les syndicats.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 22 octobre 2019