Interview de M. Jean-Baptiste Djebbari, secrétaire d'État aux transports, à France Inter le 31 octobre 2019, sur le droit de retrait des cheminots après l'accident de TER dans les Ardennes et l'appel à la grève de la RATP et de la SNCF le 5 décembre.

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Média : France Inter

Texte intégral

ALEXANDRA BENSAID
Bonjour Jean-Baptiste DJEBBARI.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Bonjour à vous.

ALEXANDRA BENSAID
On arrive au pont de la Toussaint, à la fin des vacances scolaires, alors première question : est-ce qu'il y aura des trains, pour partir et revenir, pour tous les voyageurs ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors, il y a plus de trains aujourd'hui sur l'axe Atlantique, puisque vous savez que c'était 3 trains sur 10 hier, et c'est 8 sur 10 aujourd'hui, et la SNCF se prépare effectivement à fournir un plan de transport qui soit satisfaisant pour les très nombreux clients de la SNCF, les très nombreux usagers, qui vont rentrer de vacances à la fin de semaine.

ALEXANDRA BENSAID
Donc jusqu'à dimanche. Est-ce que pour autant le conflit est terminé avec les agents du centre de maintenance qui se sont déclarés grévistes ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Il y a un dialogue qui se poursuit avec la direction, mais ce conflit est terminé en tant que… devrait être terminé depuis quelques temps, puisque l'objet-même, qui était un plan de réorganisation qui avait été proposé par la direction régionale, a été, depuis, retiré. Aujourd'hui nous sommes, en tout cas la direction de la SNCF discute avec des agents, environ 200 agents, qui demandent des choses un peu baroques, du type une prime pour reprendre le travail, ou le paiement des jours de grève, ce qui, vous l'avez compris, n'est ni la position du gouvernement, ni ce que fera la SNCF.

ALEXANDRA BENSAID
Et la garantie qu'il n'y aura pas de sanctions, ça aussi ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
La SNCF dira les sanctions qu'elle entend prendre avec des agents qui ne respectent pas le cadre posé par les règles, le cadre posé par la loi.

ALEXANDRA BENSAID
Donc le conflit pourrait durer en réalité ? Ce que vous êtes en train de nous dire c'est que pour l'instant c'est front contre front.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, mais je veux dire aussi que, dans ce centre, vous avez 200 agents qui sont en grève, et vous avez 700 agents, donc 500 agents qui travaillent, et qui travaillent dur pour que les trains puissent rouler, que les clients de la SNCF, les nombreux Français qui rentreront de vacances, notamment vendredi, samedi et dimanche, puissent avoir des trains, et que la SNCF puisse tenir sa promesse.

ALEXANDRA BENSAID
Alors, avant cette grève sur le TGV Atlantique, il y a aussi eu des perturbations très fortes en région, dans les TER, et cela dès le premier week-end des vacances, ces conflits sont – ces deux conflits on va dire – sont d'un nouveau genre, sans préavis, certains parlent de « giléjaunisation » des cheminots, ils auraient dégagé leurs syndicats, la base serait en train d'avoir des crises d'urticaire, est-ce que c'est aussi votre analyse ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Il y a peut-être une forme d'illusion qui consiste à penser qu'on peut se passer des règles pour que les choses aillent mieux. Moi j'y vois au moins deux risques. Le premier risque c'est que ça accrédite le fait que ce type d'actions peuvent se reproduire et peuvent être efficaces, ce qui… enfin moi je veux dire ici l'absolue fermeté de l'Etat si l'outil de production a été touché, et je le dis aussi, pour l'instant un grand nombre, la très grande majorité des agents n'ont pas ce type de discours et il n'y a pas ce danger-là, mais réellement il faut être très vigilant. Et la deuxième c'est que, ne pas respecter les règles c'est prendre le risque, pour ceux qui les écrivent, ou qui les coécrivent, et notamment les syndicats, d'être… en quelque sorte, ou d'être questionnés sur leur légitimité. J'ai eu souvent cette discussion avec eux, je crois qu'il est important d'être un dialogue social qui soit ouvert, qui soit transparent, qui soit sincère, et il est aussi extrêmement important que chacun respecte les règles.

ALEXANDRA BENSAID
Le fond maintenant. Quel message entendez-vous, est-ce qu'on y voit clair quand on dit que c'est, après la réforme de la SNCF que les cheminots ont dû – pardonnez-moi l'expression – avaler, en désaccord, est-ce que c'est un avertissement avant la réforme des retraites ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, mais je pense qu'il y a deux sujets. D'abord, la SNCF connaît des transformations qui sont profondes, et qui sont largement inédites, on a l'ouverture à la concurrence, on a une très profonde évolution des métiers, on a l'entreprise elle-même qui se réorganise, et Jean-Pierre FARANDOU, qui prend ses fonctions demain, aura tous ces défis à relever un peu de concert, et certainement qu'il faudra impulser d'une façon un peu nouvelle le dialogue social à la SNCF. Vous aviez avant beaucoup d'instances locales, souvent inefficaces, et peut-être qu'aujourd'hui il y a des instances qui sont un peu trop centralisées, trop parisiennes, donc il y a peut-être des niveaux intermédiaires à inventer. Je partage l'idée, avec Jean-Pierre FARANDOU, qu'un DRH régional serait de nature à apaiser ou à trouver des solutions, peut-être plus rapides, notamment sur les conditions de travail, ou sur les problématiques des métiers, c'est aujourd'hui des sujets qui sont…

ALEXANDRA BENSAID
Oui, Jean-Pierre FARANDOU qui a déjà dit qu'il allait y avoir un plan sur la productivité comme la SNCF n'en n'a jamais connu. C'était franc, mais je ne sais pas, qu'en pensez-vous, est-ce que c'était habile ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Il a aussi dit qu'il fallait réinventer des nouvelles formes du dialogue à la SNCF pour justement parler de ces problématiques qui sont très importantes, l'évolution des métiers et les conditions de travail, donc je lui fais confiance pour tenir les deux bouts de ce discours, qui est plus complet que ce que vous avez pu annoncer.

ALEXANDRA BENSAID
Et donc, encore une fois, quel message entendez-vous, est-ce que c'est un tour de chauffe, vous avez parlé de la situation interne à la SNCF qui doit évoluer avec la réforme, mais il y a aussi la réforme des retraites, ou pas, dans le paysage ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Oui, bien sûr, et là nous avons un cadre. Je reçois les syndicats dans 1 heure, avec Jean-Paul DELEVOYE, pour commencer à parler des fondamentaux de la réforme et aussi discuter secteur par secteur, je l'ai fait avec la RATP il y a 15 jours, et nous commençons avec la SNCF, des modalités de transition vers le régime universel de retraite. Et là il y a des choses extrêmement concrètes qui sont sur la table, comment on fait la transition, comment on prend en compte les droits du passé, tout ça c'est des euros sonnants et trébuchants pour être très concret, comment on ouvre les droits à l'avenir, etc., etc.

ALEXANDRA BENSAID
Est-ce que sur la table il y a le fait qu'on peut dire aux cheminots aujourd'hui, « si vous êtes au statut, vous aurez encore le régime spécial, les prochains entrants, les futurs salariés, de droit privé, eux auront la réforme pour eux » ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Nous l'avons dit, et le président de la République l'a rappelé, le Premier ministre aussi, que toutes les options étaient sur la table, et ça fait partie des options, et d'ailleurs certains syndicats poussent ce qu'ils appellent « la loi du grand-père. » Donc, nous étudions, nous avons pris l'engagement, à la RATP comme à la SNCF, d'étudier toutes les options, y compris celles qui sont portées par les syndicats.

ALEXANDRA BENSAID
Est-ce que cette option, finalement, de faire signer ceux qui ne seront pas concernés, elle est juste, à vos yeux Jean-Baptiste DJEBBARI ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Encore une fois, moi je pense que cette réforme, deux choses. D'abord, tout est sur la table, et effectivement, dans la réforme il y a le sujet de l'équité, et l'équité c'est un sujet très important, mais il y a plein de façons de le faire. C'est une réforme que nous faisons aussi pour les générations qui viennent. Aujourd'hui la plus grande majorité des jeunes de ma génération, et de celle d'après, parce que je suis de moins en moins jeunes, ne croient plus du tout dans leur capacité d'avoir un jour une retraite, et donc c'est bien de ça qu'on parle aussi. Il y a le sujet de rendre le système plus équitable pour ceux qui subissent aujourd'hui…

ALEXANDRA BENSAID
D'accord, mais là vous ne répondez pas à ma question, est-ce que c'est juste de faire signer ceux qui ne sont pas concernés ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, mais je réponds que toutes les options sont sur la table, c'est la réalité, et j'observe qu'il y a des demandes des syndicats très spécifiques en ce sens.

ALEXANDRA BENSAID
Tout le monde pense à la grève du 5 décembre, là les cheminots seront rejoints par les agents de la RATP, par des salariés des transports, c'est une grève qui sera reconductible et tout le monde a en tête 1995, est-ce que vous envisagez qu'on puisse arriver à cette situation de blocage ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Alors, d'abord je pense que depuis 95 il s'est passé des choses, vous avez aujourd'hui beaucoup d'entreprises qui télé-travaillent, vous avez une loi, en 2007, qui a été votée, qui permet quand même – puisque je rappelle que la grève est encadrée par la loi – qui permet d'avoir une déclaration des agents 48 heures avant et de produire un plan de transport, et de mieux informer les usagers…

ALEXANDRA BENSAID
D'où la nouveauté de ces conflits qui vous envoient un message !

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Oui, mais nous serons stricts sur le respect de la loi, et je le redis ici, et donc je crois que ce n'est pas comparable. Mais nous avons quand même un mois pour à la fois faire baisser la tension, pour répondre à des angoisses, qui souvent sont légitimes, et pour donner, ou en tout cas tracer le chemin, de la convergence pour ces régimes spéciaux. Moi je prends tout ça à la fois très au sérieux, et je crois qu'il faut être dans un dialogue qui soit tout à fait sincère, exigeant, et j'espère fécond.

ALEXANDRA BENSAID
Cette cocotte-minute sociale, ça arrive au bout de 12 ans de mandat pour Guillaume PEPY. C'est quoi pour vous le bilan Guillaume PEPY à la tête de la SNCF ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Guillaume PEPY aura fait beaucoup évoluer la SNCF. D'abord il a fait 20 ans, puisqu'il a été… c'était vraiment un cheminot historique, il aura fait 20 ans, il aura fait beaucoup évoluer la SNCF, qui a connu des grandes transitions, notamment la transition qui l'amène aujourd'hui vers l'ouverture à la concurrence, donc c'est quelqu'un dont le bilan sera fait certainement plus tard, mais c'est un amoureux de la SNCF et c'est quelqu'un qui se sera engagé, corps et âme, chaque minute, à la SNCF, et moi je, pour cela, et notamment pour cela, je le remercie.

ALEXANDRA BENSAID
Une autre ébullition, c'est celle de la société et celle des politiques, la grande marmite où on met en ce moment immigration, islam, communautarisme, voile. Est-ce que l'exécutif ne s'est pas piégé tout seul lorsqu'il a lancé, sans aucune actualité, un débat au Parlement le 7 octobre, sur l'immigration, et peut-être même, ensuite, lorsqu'Emmanuel MACRON a appelé à une société de vigilance ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Non, mais le débat sur l'immigration, l'immigration en tant qu'objet politique, il est débattu depuis de très longues années, et il n'était pas anormal que la majorité s'en saisisse. Ce qu'on a vu depuis c'est qu'effectivement on a eu une confusion extraordinaire des sujets, on a parlé d'immigration en tant que telle, on a parlé du voile comme objet de soumission ou d'émancipation, liberté de la femme, on a parlé de l'espace scolaire et de sa neutralité, on a parlé du communautarisme, et à la fin de la fin, on a tellement parlé de toutes ces choses, qu'on en retient les discours les plus extrémistes, et que c'est encore des points pour le Front national, ce que je déplore. Donc, je pense qu'il faut arriver à trouver des instances de dialogue, de débat, sereins, et de ne pas faire la confusion des sujets comme cela est malheureusement traditionnellement…

ALEXANDRA BENSAID
Alors justement, aujourd'hui le président de la République, qui s'est peu exprimé finalement sur la laïcité, il le fait dans « Valeurs Actuelles », un magazine très droitier, c'est quoi, c'est du braconnage en terrain ennemi ?

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
C'est du combat politique, il a raison d'aller défier, ou en tout cas d'aller débattre chez ceux qui sont aujourd'hui nos adversaires politiques, qui ne défendent pas la même vision de la société, donc je crois qu'il a tout à fait raison de se projeter, y compris chez ceux dont on ne partage pas les idées.

ALEXANDRA BENSAID
Le secrétaire d'Etat aux Transports, Jean-Baptiste DJEBBARI, merci d'avoir été sur France Inter.

JEAN-BAPTISTE DJEBBARI
Merci à vous.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 12 novembre 2019