Interview de Mme Sibeth Ndiaye, secrétaire d'État, porte-parole du Gouvernement, à France Info le 27 novembre 2019, sur les 13 militaires français morts au Mali dans un accident d'hélicoptère et l'appel à la grève contre la réforme des retraites.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Sibeth Ndiaye - Secrétaire d'État, porte-parole du gouvernement

Média : France Info

Texte intégral

MARC FAUVELLE
Bonjour Sibeth NDIAYE.

SIBETH NDIAYE
Bonjour.

MARC FAUVELLE
La France vient de perdre 13 militaires français au Mali, 41 depuis le début de l'opération Barkhane, est-ce que ce drame remet en cause la présence militaire française au Sahel ?

SIBETH NDIAYE
Je voudrais d'abord saluer la mémoire de nos soldats et m'associer à la douleur de leur famille, de leurs proches c'est évidemment comme à chaque fois des moments qui sont extrêmement douloureux, extrêmement difficiles. Pour ce qui est de notre engagement militaire au Sahel, d'abord, je crois qu'il faut rappeler que si nous sommes au Sahel, c'est d'abord à la demande d'un pays, le Mali, qui a connu un moment de déstabilisation important et qui a appelé la France à la rescousse, et la France a fait évidemment son devoir en venant aux côtés de l'Etat malien à un moment donné où il pouvait tomber.

MARC FAUVELLE
Et elle a vocation à rester sur place ?

SIBETH NDIAYE
Et elle a vocation à rester tant que nous ne serons pas en mesure d'assurer une stabilité pour les pays qui sont dans la zone du G5 Sahel, ce groupe de 5 pays, dans la bande sahélo-sahélienne où – vous le savez – des groupes djihadistes sévissent, sévissent contre les populations locales et sont capables aujourd'hui d'avoir des projections, y compris des projections assez lointaines dans le reste des pays africains, pour mener des attentats et continuer leur entreprise de déstabilisation.

MARC FAUVELLE
Pourquoi la France est seule à participer à ces opérations militaires sur place en Europe ?

SIBETH NDIAYE
Je ne suis pas d'accord avec vous, parce que la France n'est pas seule, nous avons effectivement en propre une opération qui est Barkhane, mais nous avons également un appui de la Minusma, qui est une force des Nations-Unies…

MARC FAUVELLE
L'ONU…

SIBETH NDIAYE
Qui comporte plusieurs pays en son sein, notamment des pays européens, et donc on voit bien, y compris dans le financement aussi du G5 Sahel, ce groupement de 5 pays de cette bande sahélo-sahélienne, qu'il y a des financements européens. Donc non, la France n'est pas seule, même si nous portons une grande part du combat sur place.

MARC FAUVELLE
Une grande part, est-ce que vous en appelez aux autres pays européens pour que leur présence militaire soit renforcée aux côtés de la nôtre ?

SIBETH NDIAYE
Mais nous avons une position constante en la matière, nous sommes convaincus qu'il faut toujours avoir une approche qui est multilatérale, et c'est d'ailleurs le cas aujourd'hui au Mali et dans cette zone sahélo-sahélienne, évidemment, dès lors que d'autres pays pourraient accroître leurs efforts, c'est évidemment bienvenu, mais la France est là où elle doit être, parce que si nous ne sommes pas là, nous avons l'assurance que le chaos s'installera.

MARC FAUVELLE
A votre connaissance, les hélicoptères avaient-ils essuyé des tirs avant cet accident ?

SIBETH NDIAYE
Je n'ai pas d'informations supplémentaires par rapport à ce que l'Etat-major des armées a déjà fourni sur les circonstances de cet accident. Je peux vous dire que nos soldats sont morts au feu, et que ça, c'est le plus important en ce moment.

MARC FAUVELLE
Il y aura une cérémonie d'hommages ?

SIBETH NDIAYE
Il y aura effectivement une cérémonie d'hommages…

MARC FAUVELLE
Aux Invalides ?

SIBETH NDIAYE
Probablement aux Invalides qui est aujourd'hui en cours de préparation…

MARC FAUVELLE
Vous en connaissez la date déjà ?

SIBETH NDIAYE
Alors, je n'ai pas encore cette date, mais cette cérémonie se prépare évidemment entre l'Elysée, l'Etat-major des forces armées, mais aussi en relation avec les familles de victimes.

MARC FAUVELLE
Emmanuel MACRON sera sur place évidemment ?

SIBETH NDIAYE
C'est une évidence.

MARC FAUVELLE
Hier soir, Sibeth NDIAYE, Edouard PHILIPPE, qui réunissait la majorité à l'Assemblée nationale, a appelé ses troupes à resserrer les rangs avant la grève du 5 décembre. Est-ce que le doute est en train de gagner la majorité ?

SIBETH NDIAYE
Je ne crois pas du tout, parce qu'au fond, nous sommes devant un moment qui est sans doute l'un des plus importants de ce quinquennat, parce que c'est un moment où nous allons refondre complètement le pacte social qui unit les générations en France, pourquoi je dis cela, parce que nous avons un système qui est un bon système, parce que c'est un système de retraite par répartition, où les actifs d'aujourd'hui, vous et moi qui travaillons aujourd'hui, une partie de notre salaire est utilisée pour payer les retraites des gens qui sont retraités aujourd'hui, c'est un bon système, parce que sa garantit cette répartition la solidarité entre les générations.

MARC FAUVELLE
Alors pourquoi le changer ?

SIBETH NDIAYE
Et cela, nous voulons le conserver, mais dans ce bon système, il y a des injustices, moi, je ne peux pas accepter qu'une femme qui est à la tête d'une famille monoparentale, qui a un ou deux enfants, qui travaille à temps partiel, par exemple, dans la grande distribution, se retrouve sur un rond-point, parce qu'elle n'arrive pas à finir la fin du mois. Et je ne peux pas accepter que ce soit cette même femme qui soit fortement pénalisée, et qui ait une chance sur cinq à la fin de sa vie de se retrouver à travailler jusqu'à 67 ans, parce qu'elle n'a pas accumulé assez de trimestres, assez de droits à la retraite.

MARC FAUVELLE
Vous voulez dire que cette réforme, c'est une réponse à la crise des gilets jaunes ?

SIBETH NDIAYE
Cette réforme, c'est une des réponses à la crise des gilets jaunes, c'est surtout une des réponses aux injustices importantes qui existent dans notre pays. Et moi, le combat politique que j'ai, c'est la lutte contre les injustices. Aujourd'hui, quand vous êtes agriculteur, que vous partez à la retraite, que vous gagnez 500 euros de retraite, mais ce n'est pas supportable dans notre pays, et donc c'est la raison pour laquelle nous voulons mettre en place un minimum contributif qui sera d'un montant de 1.000 euros, pour qu'en France, quand vous avez cotisé toute votre vie ou une grande partie de votre vie, vous ne gagniez pas à la retraite moins de 1.000 euros.

MARC FAUVELLE
Sibeth NDIAYE, hier soir, Edouard PHILIPPE a laissé entendre qu'il n'y aurait pas finalement de « clause du grand-père », c'est-à-dire que l'entrée en vigueur de la réforme ne sera pas repoussée à plus tard pour l'ensemble des Français, vous confirmez ou pas ?

SIBETH NDIAYE
Alors, moi, je n'étais pas à la réunion que vous évoquez, puisque le Premier ministre a rencontré les députés hier soir…

MARC FAUVELLE
Le Premier ministre n'en n'avait pas informé préalablement la porte-parole du gouvernement ?

SIBETH NDIAYE
Je sais que le Premier ministre aura l'occasion à la fois de faire un point en Conseil des ministres ce matin, mais aussi de s'exprimer à l'issue de ce Conseil des ministres, et donc je lui laisse l'opportunité de dire publiquement ce qu'il a envie de dire.

MARC FAUVELLE
Mais vous n'êtes pas au courant, vous, ce matin ?

SIBETH NDIAYE
Je peux vous dire évidemment que je suis au courant, mais j'ai beaucoup de respect pour nos institutions, et c'est au Premier ministre…

MARC FAUVELLE
Et vous avez gardé la primeur de cette annonce pour le Premier ministre tout à l'heure. Si je vous demande donc s'il y aura des négociations secteur par secteur, c'est-à-dire une forme de réforme à la carte, vous ne me répondez pas non plus ?

SIBETH NDIAYE
Je vous dis qu'aujourd'hui, nous avons beaucoup de négociations, depuis le mois de septembre, où on a entamé cette nouvelle phase de négociations avec les syndicats, on est à plus de 300 réunions, ces réunions, elles sont parfois fructueuses, parfois moins, mais moi, j'ai la conviction que dans notre pays, on peut avancer si on est attentif à la démocratie sociale, donc à la négociation avec les syndicats.

MARC FAUVELLE
Les Français connaîtront la réforme avant Noël ?

SIBETH NDIAYE
Je ne sais si les Français connaîtront la réforme avant Noël, puisque le Premier ministre aura l'occasion de détailler le calendrier, à la fois des dernières concertations, mais aussi le moment où lui-même, sans doute, aura à s'exprimer pour définir ce qu'est le cadre de cette réforme.

MARC FAUVELLE
Mais vous, vous la connaissez cette réforme ou pas ?

SIBETH NDIAYE
Alors non, je ne peux pas la connaître, pour la bonne et simple raison…

MARC FAUVELLE
Qui la connaît précisément ?

SIBETH NDIAYE
Mais aujourd'hui, personne, on sait ce que sont les grands principes de notre réforme, on sait où on veut aller, on sait qu'on ne veut pas que le montant des pensions baisse, et que c'est pour cette raison-là qu'on va mettre en place une règle d'or, qui empêchera la baisse du niveau des pensions, par exemple, il y a des grands principes, mais il y a des choses qui aujourd'hui ne sont pas définies. Vous avez par exemple 13 régimes différents de pension de réversion, qui permettent à un conjoint survivant de bénéficier de la pension, en partie, du conjoint décédé, eh bien, ces 13 régimes, on ne sait pas encore comment on va les refondre en un seul. Donc c'est normal qu'on négocie, et même, je vais vous dire, je suis plutôt fière de la qualité des négociations que nous avons en ce moment.

MARC FAUVELLE
Sibeth NDIAYE, la droite vous demande de réquisitionner les grévistes dans les transports le 5 décembre prochain, ou en tout cas, une loi pour pouvoir le faire à l'avenir, vous allez le faire ou pas ?

SIBETH NDIAYE
Moi, je réponds démagogie, parce que je veux bien voir le jour où la droite au pouvoir enverra des forces de l'ordre réquisitionner des cheminots à leur domicile, parce que, en fait, le service garanti, c'est cela. Le service minimum, c'est faire en sorte qu'on soit certain qu'on puisse à l'avance savoir de quoi la grève sera faite et quelles en seront les conséquences, ça, ça a été plutôt une avancée qui a résulté de négociations sociales dans les entreprises concernées, RATP et SNCF. Moi, je ne crois pas, aujourd'hui, qu'il soit sérieux de parler de réquisition.

MARC FAUVELLE
Le Premier ministre espagnol, le socialiste Pedro SANCHEZ, a annoncé qu'il allait taxer les banques pour financer le système de retraite espagnol, c'est une piste chez nous ou pas ?

SIBETH NDIAYE
Eh bien, aujourd'hui, les banques, en tant qu'employeurs, participent déjà au système…

MARC FAUVELLE
Comme toutes les entreprises…

SIBETH NDIAYE
Comme toutes les entreprises. Moi, vous savez, je ne suis pas complètement certaine qu'il faille désigner telle ou telle portion de l'activité économique de notre pays, pour, à la vindicte populaire, dire : c'est à cause vous si tout va mal, donc c'est vous que je vais taxer…

MARC FAUVELLE
Un mot encore, Sibeth NDIAYE, si vous le permettez, au sujet d'Adèle HAENEL qui va finalement porter plainte contre le réalisateur Christophe RUGGIA, qu'elle accuse d'attouchements et de harcèlements sexuels lorsqu'elle était mineure. Quel commentaire ça suscite chez vous ?

SIBETH NDIAYE
Pour moi, c'est la démonstration que, d'abord, la parole des victimes est importante, parce qu'elle permet de libérer les choses, elle permet d'aider sans doute d'autres femmes à pouvoir, elles aussi, faire cette démarche. Et pour madame HAENEL en particulier, je crois que c'est sans doute pour elle un pas qui est aussi important, là où elle avait de la défiance et peu de confiance dans le système judiciaire, je crois que, aujourd'hui, elle a fait un pas supplémentaire, et je pense surtout à elle dans ces circonstances.

MARC FAUVELLE
Merci à vous, Sibeth NDIAYE

SIBETH NDIAYE
Merci à vous.

MARC FAUVELLE
Porte-parole du gouvernement, invitée de France info


source : Service d'information du Gouvernement, le 27 novembre 2019