Interview de M. Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance, à RTL le 22 janvier 2020, sur le reportage diffusé par M6 mettant en évidence les défaillances du système de protection de l’enfance en France.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Adrien Taquet - Secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance

Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

YVES CALVI
Bonjour Adrien TAQUET.

ADRIEN TAQUET
Bonjour.

YVES CALVI
Merci beaucoup d'être avec nous en direct ce matin sur RTL.

ADRIEN TAQUET
Merci de votre invitation.

YVES CALVI
Vous êtes secrétaire d'Etat chargé de la Protection de l'enfant, je le rappelle. Monsieur le Ministre, depuis dimanche soir et l'immersion des journalistes de M6, la France feint de découvrir les difficultés en fait de l'aide sociale à l'enfance. Il faut dire que le reportage tourné en très grande partie en caméra cachée, met en avant de lourds dysfonctionnements des services de l'Etat en matière de protection des enfants placés en famille d'accueil ou dans des foyers. Pour ceux qui n'auraient pas vu ce documentaire, on suit des jeunes pendant 8 mois, dans plusieurs foyers pour enfants, on y découvre des enfants souvent livrés à eux-mêmes, dans un climat mêlant isolement, violences entre jeunes, violence des éducateurs, prostitution de très jeunes mineurs, consommation de drogue, manque de formation du personnel, et moyens financiers largement au-dessous des besoins. Merci d'avoir accepté d'en parler avec nous ce matin. Je rappelle que vous avez pris en charge le portefeuille ministériel qui est le vôtre, il y a quelques mois seulement. Vous étiez informé de ces difficultés, et je dirais même de ces lourds manquements en la matière ?

ADRIEN TAQUET
Alors, si je peux me permettre, je vais y revenir, mais l'aide sociale à l'enfance ne se résume évidemment pas à ce que nous avons vu dimanche soir. Rappelez quand même que notre système d'aide sociale à l'enfance, qui est de la responsabilité des départements et non pas de l'Etat, mais ça aussi je vais y revenir, car chacun doit être…

YVES CALVI
Mais vous nous dites : « Ce n'est pas nous, c'est eux » ?

ADRIEN TAQUET
Ah non, justement pas. Chacun doit être au rendez-vous de ses responsabilités. Moi, je n'ai pas fait de la politique pour dire que c'était la faute des autres. Et on va y revenir. Mais l'aide sociale à l'enfance c'est aussi la vie de dizaines de milliers d'enfants qui est sauvée chaque année, c'est aussi des milliers de professionnels, formés, engagés pour le bien des enfants.

YVES CALVI
D'accord…

ADRIEN TAQUET
Non mais il faut le dire. Mais…

YVES CALVI
On l'entend volontiers, mais évidemment nous sommes là pour parler de ces images qui nous choquent, vous et moi.

ADRIEN TAQUET
Vous avez raison. Mais ces images... Mais évidemment des images qui sont intolérables, insoutenables, moi qui m'ont mises en colère. En colère parce que ça fait un an que l'on travaille avec l'ensemble des personnes concernées, c'est-à-dire les départements, les associations, les associations d'anciens enfants accueillis dans ce genre de structure, pour justement améliorer la situation.

YVES CALVI
Adrien TAQUET, êtes-vous sûr qu'il ne s'agisse que de dérives et non pas que la situation soit plus grave qu'on ne le pense ?

ADRIEN TAQUET
Ecoutez, ce reportage soulève deux choses essentielles à mon sens. D'une part, une problématique de contrôle. De contrôle. Il faut améliorer les contrôles dans ces centres. Les départements, dans le cadre de leurs compétences, notamment parce qu'ils financent ces centres, et que c'est de l'argent public, donc vos impôts, les miens, doivent mieux contrôler, avec une systématisation des contrôles inopinés notamment dans ces centres, pour s'assurer que la sécurité des enfants est garantie.

YVES CALVI
Débouler pour mieux voir ce qui se passe, en fait.

ADRIEN TAQUET
Absolument.

YVES CALVI
Pour dire les choses simplement.

ADRIEN TAQUET
Et la sécurité. Et il n'y a pas de défiance quand on fait ça.

YVES CALVI
Mais, vous comprenez qu'on s'interroge quant au fait que ce ne fut pas le cas.

ADRIEN TAQUET
Mais, une fois encore…

YVES CALVI
On parle de l'enfant, de personnes à protéger.

ADRIEN TAQUET
Une fois encore, il y a des contrôles qui sont opérés, mais vous avez raison, et c'est là où l'Etat doit être au rendez-vous de ses propres responsabilités et assurer la sécurité des personnes, et en l'espèce des personnes les plus vulnérables que sont les enfants, c'est la raison pour laquelle j'ai demandé aux préfets, deux choses : sous 3 mois, de se rapprocher des présidents de Conseils départementaux, pour d'une part voir quelles sont les procédures mises en place pour remonter les incidents, c'est la loi qui le prévoit, est-ce que les présidents de Conseils départementaux ont mis ça pour remonter les incidents auprès des préfets ? Deuxièmement, quels sont les plans de contrôle qu'ont mis en place les départements, sont-ils effectifs, quels sont-ils ? Les préfets vont me remonter sous 3 mois l'ensemble de ces informations-là, et en fonction de ce qui me remontera, si nécessaire, l'Etat établira son propre plan de contrôle national, et ira contrôler les établissements qui semblent nécessité de le faire.

YVES CALVI
Si vous observez des manquements objectifs à partir des photos qui vous seront adressées en quelque sorte par les préfets, vous allez mettre en place des contrôles supplémentaires. Je vous ai bien compris ?

ADRIEN TAQUET
Absolument, mais je le fais déjà en réalité, Yves CALVI. Nous avons l'Inspection générale des affaires sociales, dès que nous sentons, dès que nous avons des informations, que nous avons le sentiment qu'il y a des problèmes dans les endroits, j'envoie l'Inspection générale des affaires sociales pour effectuer les contrôles. Elle contrôle généralement deux départements par an, et par ailleurs, lorsqu'il y a des problèmes, des incidents, par exemple dans les Hauts-de-Seine, département que je connais bien, j'y ai été élu, il y a un enfant dans un hôtel de l'aide sociale à l'enfance, qui a tué un autre enfant, face à cette situation dramatique, j'ai demandé d'une part à l'Inspection générale des Affaires sociales d'aller voir comment était menée la politique de l'enfance dans les Hauts-de-Seine, qu'est-ce qui s'était passé précisément et je leur ai demandé de me donner une mission plus générale sur la question des enfants hébergés dans les hôtels, une situation qui n'est pas non plus acceptable.

YVES CALVI
Alors, un des problèmes très frappants dans ce reportage, c'est le recrutement. Comment former, comment intégrer les éducateurs dans ces foyers ? Et d'ailleurs on se pose la question : sont-ils tout simplement formés ?

ADRIEN TAQUET
Ils sont bien évidemment formés, mais effectivement ça soulève la question de la nécessité de mieux normer un certain nombre de choses. De mieux normer les taux d'encadrement, de mieux normer la formation justement des éducateurs qui sont dans ces centres. Ce genre de choses, aujourd'hui, il n'y a pas de règle nationale.

YVES CALVI
Je peux me permettre une remarque ?

ADRIEN TAQUET
Bien sûr.

YVES CALVI
On a l'impression que se sont des gamins en déshérence qui s'occupent eux-mêmes de gamins en déshérence. Je vais très vite, et évidemment on est allé là où il y avait des problèmes…

ADRIEN TAQUET
... vulnérable, c'est un problème.

YVES CALVI
Notre confrère de M6 a été engagée sans qu'on lui demande quoi que ce soit.

ADRIEN TAQUET
Alors, écoutez, on écoute les présidents des Conseils départementaux, il semble qu'il y ait eu quand même le casier judiciaire qui ait bien été demandé, un entretien et des CV qui aient bien été examinés. Mais je ne vais pas rentrer dans ce genre de détails. Structurellement, sur le fond, vous avez raison. Des normes, type taux d'encadrement, combien d'éducateurs par enfant, la formation de ces éducateurs, il n'y a pas de règle nationale, c'est la raison pour laquelle dans le cadre de la stratégie de prévention et de protection de l'enfance, que j'ai présentée le 14 octobre dernier, parce qu'on n'a pas attendu ce reportage pour commencer à travailler et à mettre des choses en oeuvre, il est prévu, et nous avons commencé à travailler, à l'élaboration de normes nationales sur ce genre de sujet, pour éviter que des situations comme celle-ci arrivent.

YVES CALVI
Alors, des normes nationales pour choisir ceux qui encadreront ceux qui sont en difficultés…

ADRIEN TAQUET
Pour normer…

YVES CALVI
Est-ce qu'on manque de bras, au moment où nous parlons ?

ADRIEN TAQUET
La profession des travailleurs sociaux connaît une crise de sens comme on dit. Il y a des difficultés effectivement de recrutement, il y a des difficultés de stabilité des équipes, il y a beaucoup de turn-over comme on dit, voilà, des gens qui restent quelques années. C'est un métier dur, de plus en plus dur, et notamment pour une raison qui est là aussi pointée dans le documentaire, même si on a peu mis l'emphase là-dessus, qui est la question de la pédopsychiatrie, de la psychiatrie pour enfants dans notre pays. Je ne sais pas si vous avez vu le documentaire, il y a cette jeune fille qui s'appelle Francine, qui a 13 ans, qui a un problème de déficience mentale, et le sujet n'est pas tant de, est-ce que les professionnels sont suffisamment formés pour s'occuper de cette jeune fille, il y a ce sujet…

YVES CALVI
Elle n'a rien à faire là.

ADRIEN TAQUET
Bien sûr, c'est qu'elle ne devrait pas être là. Et ça fait 30 ans que la psychiatrie dans notre pays est le parent pauvre et est à l'abandon. Et donc c'est la raison pour laquelle nous investissons massivement dans la pédopsychiatrie, mais reconstituer une filière, remettre à flots une discipline qui a été abandonnée depuis 30 ans, recréer des dispositifs spécifiques pour accompagner ces gamins qui ont des problématiques à la fois sociales et médico-sociales, ça ne se fait pas en quelques mois malheureusement. Mais nous apportons une emphase particulière sur ce sujet-là.

YVES CALVI
On parle de protection de l'enfance et en fait on voit des personnes qui ne sont pas protégées. Il se trouve que c'est votre engagement et que je pense qu'il est plus politique, enfin c'est aussi le l'engagement d'une vie, est est-ce qu'on doit réellement s'inquiéter de la façon dont on prend en charge aujourd'hui ces enfants qui sont abandonnés, dans tous les sens du terme ?

ADRIEN TAQUET
Il n'y a pas de fatalité. Je ne veux pas que le sentiment qu'on ait c'est qu'il y ait une fatalité quelconque. Non, il faut se battre et ce n'est pas la question du ministre, c'est, les associations, les professionnels se battent tous les jours, enfin c'est eux qu'il faut saluer, voilà, et qu'il faut aider, qu'il faut accompagner, et les responsables politiques que nous sommes, que ce soit les départements, l'Etat, devons prendre nos responsabilités et investir pour ces enfants qui sont effectivement les plus vulnérables, parmi les plus vulnérables, et accessoirement tout de même l'avenir de notre Nation.

YVES CALVI
En tout cas, vous nous annoncez ce matin sur RTL des contrôles supplémentaires, si nécessaire…

ADRIEN TAQUET
Bien sûr.

YVES CALVI
Après les remontées d'infos que vous aurez de nos préfets. Merci beaucoup Monsieur le Ministre d'être venu nous voir ce matin.

ADRIEN TAQUET
Merci à vous.

YVES CALVI
Et je précise que le reportage de « Zone interdite » est toujours disponible en visionnage sur Internet à l'adresse 6play.fr. Bonne journée à vous.

ADRIEN TAQUET
Merci.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 24 janvier 2020