Déclaration de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, sur la mise en œuvre des ordonnances réformant le droit du travail, à l'Assemblée nationale le 8 janvier 2020.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Texte intégral

M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur la mise en oeuvre des ordonnances de la loi travail.

Je vous rappelle, chers collègues, que la conférence des présidents a décidé d'organiser ce débat en deux parties. Dans un premier temps, nous entendrons les orateurs des groupes, puis le Gouvernement. Nous procéderons ensuite à la traditionnelle séance de questions-réponses. 

(…)

M. le président. Nous en avons terminé avec les orateurs des groupes. La parole est désormais à Mme la ministre du travail.

Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail. Je commencerai par quelques observations générales répondant à vos interventions. Concernant la méthodologie tout d'abord, les ordonnances travail mettent en oeuvre un engagement pris par le Président de la République durant sa campagne. Que n'auriez-vous dit si cet engagement n'avait pas été respecté ? L'élaboration des ordonnances a fait l'objet d'une articulation étroite et inédite entre démocratie sociale et démocratie politique, puisqu'elles sont le fruit de plus de trois cents heures de concertation avec les partenaires sociaux, d'une loi d'habilitation et d'une loi de ratification.

Quelle était la nature de notre engagement ? Il s'agissait de créer les conditions d'un dialogue social structuré, lisible et décentralisé, offrant davantage d'agilité et de sécurité aux employeurs mais aussi aux salariés et à leurs représentants. Deux ans plus tard, une nouvelle question se pose : comment cette potentielle révolution culturelle, dont nous avons annoncé d'emblée qu'elle demanderait des années et nécessiterait un temps d'appropriation par les acteurs, infuse-t-elle globalement et positivement notre économie – notamment les TPE et PME, qu'elle vise principalement tant elles sont dépourvues de dialogue social structuré ?

M. Boris Vallaud. Aujourd'hui, elles n'en ont plus du tout !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Force est de constater que les ordonnances travail ont contribué, parmi d'autres facteurs, à stimuler la création d'emplois dans un contexte pourtant incertain. Pour avoir rencontré près de 10 000 chefs d'entreprise, essentiellement de TPE et PME, je peux témoigner qu'ils n'ont qu'une remarque à la bouche : « nous n'avons plus peur d'embaucher ». De fait, 540 000 emplois nets ont été créés en deux ans, le taux de chômage a reculé de 1 % et les embauches en CDI sont en hausse.

En ce qui concerne le dialogue social, la dynamique positive se confirme quantitativement et qualitativement. Elle n'est pas achevée, mais bien engagée. La dynamique quantitative peut être appréciée au vu du nombre de CSE créés, de nouveaux accords conclus – accords de performance collective et ruptures conventionnelles collectives – et de la pratique conventionnelle, en particulier dans les entreprises de moins de cinquante et de moins de onze salariés, où elle était rare. Au 6 janvier 2020, on recense 53 700 CSE, contre 12 000 au 31 décembre 2018. Surtout, 45 % d'entre eux concernent des entreprises de moins de cinquante salariés. S'il reste du chemin à parcourir, la dynamique est néanmoins significative dans les petites entreprises. Depuis les lois Auroux de 1982, jamais une évolution si nette n'avait été constatée.

Certains d'entre vous ont jugé le processus trop lent, sachant qu'une accélération est survenue au terme du délai de deux ans. Si le rythme avait été précipité, vous auriez crié au passage en force ! Surtout, dans de nombreuses entreprises, les partenaires sociaux et les employeurs ont décidé de prendre leur temps et de mettre à profit ces deux ans pour redessiner entièrement l'architecture de leurs instances. Cela me semble positif. Nous faisons confiance au dialogue social de terrain et le laissons adopter son rythme. Notez que le nombre de 53 700 CSE est sous-évalué, car plus de 19 000 procès-verbaux ont été envoyés en décembre et sont en instance de traitement. Quoi qu'il en soit, la dynamique est lancée.

J'en viens aux ruptures conventionnelles collectives, qui sont bien distinctes des plans de sauvegarde de l'emploi. Au 1er janvier 2020, 200 entreprises s'étaient saisies de ce nouveau dispositif, et 140 accords avaient été validés par les DIRECCTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi. Plus intéressant encore, 40 % des ruptures conventionnelles collectives concernaient des PME et des ETI. Nous sommes en train d'améliorer le dialogue social dans les grandes entreprises, mais aussi de le faire émerger dans les TPE et PME, conformément à l'une des ambitions de la loi. Tous les syndicats signent des ruptures conventionnelles collectives, ainsi que 80 % des délégués syndicaux. En cas de forte difficulté, ce dispositif permet de procéder à une rupture apaisée des contrats.

Une même dynamique est à l'oeuvre pour les accords de performance collective, dont 256 ont été signés – soit dix par mois en moyenne –, niveau bien supérieur à celui des accords de compétitivité conclus durant l'ensemble du précédent quinquennat. Cette nouvelle modalité connaît donc un réel succès. Sur les 256 accords de performance collective, 158 concernent des PME, 90 % sont signés avec un ou deux délégués syndicaux et près de 60 % le sont à l'unanimité. Ils traitent majoritairement du temps de travail et de la rémunération. Soit on fait confiance au dialogue social et on se réjouit que les partenaires sociaux trouvent des accords pertinents, soit on ne croit pas au dialogue social de terrain et on émet un avis nécessairement négatif sur cette dynamique.

L'activité conventionnelle est dynamique dans les TPE et PME. L'épargne salariale reste son premier motif, soit 34 000 accords conclus en 2018, niveau en progression. Au-delà, près de 4 700 accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dont quelque 1 500 dans les entreprises de moins de dix salariés. Enfin, 2 600 accords de cette nature ont été ratifiés par référendum en 2018. Le rythme est encore plus soutenu en 2019, puisque durant les neuf premiers mois, 7 800 accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés, dont 2 700 par référendum. La nouvelle pratique consistant pour les TPE et les PME à signer des accords et à les ratifier par référendum est donc en progression. Outre le temps de travail, le thème qu'ils abordent le plus souvent est la prime exceptionnelle de pouvoir d'achat.

Les ordonnances travail offrent donc au personnel des entreprises des moins de cinquante salariés un accès réel à la négociation, comme nous le souhaitions. Et encore, nous n'en sommes qu'au début du mouvement.

Pour ce qui est des nouveaux motifs de négociation au niveau des branches – CDD, intérim et contrats de chantier –, dix-neuf branches se sont saisies de ces thèmes et ont conclu des accords créant le CDI de chantier, seize accords aménagent des dispositions relatives au CDD ou à l'intérim, et ces branches couvrent plus de 3 millions de salariés. Enfin, neuf accords traitent du CDI de chantier – soit 2 millions de salariés concernés – en adaptant ce contrat aux métiers, aux secteurs et aux environnements de travail, tout en prévoyant des contreparties avantageuses pour le personnel en matière de formation et de rémunération. Dans la métallurgie, le CDI de chantier donne ainsi droit à une majoration salariale de plus de 10 %. Le télétravail ouvre également de nouvelles possibilités, et le nombre d'accords qui lui sont consacrés progresse.

Nombre d'entre vous ont insisté sur l'appréciation qualitative du déploiement des ordonnances travail. Le CSE a érigé la santé au travail au rang des orientations stratégiques de l'entreprise. Auparavant, ce sujet était confié à une commission constituée de personnes non élues mais simplement désignées, parfois déconnectées du comité d'entreprise. Aujourd'hui, la santé est débattue au niveau stratégique, entre le chef d'entreprise et les représentants syndicaux, comme dans tous les pays où le dialogue social est fortement structuré – je pense aux pays nordiques ou encore à l'Allemagne. C'est une occasion unique de renforcer l'articulation entre les orientations économiques, l'organisation et la santé au travail, volets dont nous pouvons nous accorder à dire qu'ils sont intimement liés. Le CSE reprend pleinement les attributions du CHSCT, et peut s'appuyer sur l'expertise technique de la commission de santé, de sécurité et des conditions de travail. Je tiens à vous rassurer, monsieur Cherpion : les membres du CSE endossent bien une mission globale couvrant tous les sujets, y compris la santé et la sécurité, et ont donc pleinement le droit d'être formés dans ces domaines.

Toujours sur le plan qualitatif, une équipe de l'université de Montpellier a passé en revue 450 accords de CSE et en a tiré les constats suivants : un quart prévoient la présence des représentants de proximité – non obligatoire, mais jugée utile et nécessaire par les deux parties – et 56 % prévoient la création d'une commission de santé, de sécurité et des conditions de travail, dont près de 30 % dans des entreprises de moins de 300 salariés qui n'y sont pourtant pas contraintes. Je tiens également à rappeler à M. Dharréville que toutes les entreprises et tous les établissements classés Seveso, comme tous les secteurs à risque, ont l'obligation de créer une telle commission. Par ailleurs, un quart des accords de CSE prévoient la désignation de représentants de proximité et leur attribuent des heures de délégation.

Les discussions relatives à l'instauration d'un CSE portent souvent sur le rôle des suppléants et sur les moyens accordés à l'instance. Rappelons que le nombre minimum d'heures légal n'a pas été modifié, puisque le décret a reconnu la totalité des heures minimales des commissions précédentes. Néanmoins – et certains d'entre vous l'ont souligné avec raison –, les parties prennent conscience de la nécessité de professionnaliser les acteurs du dialogue social et de valoriser les parcours de la représentation syndicale. À cet égard, la loi garantit des moyens, qu'il s'agisse de formations renforcées pour les représentants du personnel ou de la certification de leurs compétences, que nous avons créée. Il reste néanmoins beaucoup à faire pour mieux valoriser les compétences des représentants du personnel. Des expérimentations et des accords novateurs explorent ces pistes : ainsi la Matmut entend-elle créer une école du dialogue social en son sein, permettant aux élus de s'engager dans un dispositif officiel de reconnaissance de leurs compétences. À cela s'ajoutera un référentiel de compétences élaboré avec l'université Paris-Dauphine. Nous devons favoriser les initiatives de cette nature.

Concernant la pénibilité, en aucun cas nous n'avons considéré que les quatre critères cités par plusieurs d'entre vous – postures pénibles, port de charges lourdes, vibrations mécaniques, exposition aux produits chimiques – ne traduisaient pas une pénibilité. En revanche, nous avons constaté qu'ils ne pouvaient pas être mesurés par un chronométrage quotidien pour chaque salarié, ce qui privait les intéressés d'une reconnaissance de leur pénibilité. C'est pourquoi nous avons transformé ces critères en un droit au départ anticipé à la retraite, lié à une reconnaissance d'incapacité de 10 %. Dans le cadre de la concertation dédiée à la pénibilité que nous avons ouverte hier avec les partenaires sociaux, nous réfléchirons également aux moyens de renforcer la mobilisation des branches.

Je m'étonne quand même que vous ne reconnaissiez pas que grâce à cette disposition relative au taux d'incapacité de 10 %, des salariés ont d'ores et déjà pu partir à la retraite deux ans plus tôt, alors que dans le précédent système, cela n'aurait pas pu être possible avant 2033. Pour certains, il s'agit d'un progrès évident.

Vous avez aussi abordé la question du barème d'indemnisation pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. La diminution continue du nombre de contentieux aux conseils des prud'hommes – 10 % en moins entre 2017 et 2018 – montre qu'il y a plus de médiations et moins de conflictualité. En définitive, c'est une indemnisation plus rapide pour le salarié et une sécurisation juridique tant pour celui-ci que pour l'entreprise.

Comme vous l'avez indiqué, quelques conseils de prud'hommes ont refusé d'appliquer le nouveau barème, bien que le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel l'aient validé. La Cour de cassation a été saisie par deux conseils de prud'hommes. Elle a rendu son avis le 17 juillet 2019 et a estimé, d'une part, que le nouveau barème était conforme à la convention no 158 de l'Organisation internationale du travail, d'autre part, que la Charte sociale européenne était dépourvue d'effet dans le cadre d'un litige entre un employeur et un salarié. Depuis, les trois cours d'appel qui se sont prononcées – Reims, Paris et Chambéry – ont rendu des arrêts conformes à l'avis de la Cour de cassation.

En résumé, la mise en place des CSE se passe de manière active et positive. La dynamique conventionnelle progresse, notamment dans les PME. Des efforts restent à faire en matière d'accompagnement des acteurs, de reconnaissance des parcours, de formation des élus. Il convient d'encourager ce changement culturel qui n'en est qu'à son tout début.


M. le président. Mes chers collègues, il est vingt heures et je vous indique qu'en application des décisions qui ont été prises par la conférence des présidents, nous allons prolonger la séance jusqu'à la fin de ce débat.

Nous en venons donc aux questions. Je vous rappelle que la durée de celles-ci, comme celle des réponses, est limitée à deux minutes, sans droit de réplique. Je signale que je serai beaucoup plus strict dans l'encadrement du temps de parole que je ne l'ai été jusqu'à présent.

La parole est à M. Boris Vallaud.

M. Boris Vallaud. Outre la réduction du nombre de représentants du personnel, applicable à défaut d'accord, deux caractéristiques du CSE modifient le lien de proximité entre les représentants du personnel et les salariés de l'entreprise tel qu'il existait avec les délégués du personnel, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail : d'une part, les modalités de définition du périmètre des établissements distincts, d'autre part, la faculté de désigner les représentants de proximité. Un risque de centralisation excessive du CSE apparaît, notamment lorsque le périmètre des établissements distincts retenu est plus large que celui qui prévalait précédemment, lorsque aucun accord n'a permis la mise en place de représentants de proximité, ou encore lorsque ces derniers ont des moyens insuffisants au regard de leurs prérogatives.

Le parti pris des ordonnances consistant à laisser à la négociation collective la responsabilité de décider ou non de la présence de représentants de proximité, ainsi que, le cas échéant, de définir l'étendue de leurs prérogatives et les moyens mis à leur disposition, est particulièrement contesté par les syndicats. En cas d'échec de la négociation, la présence de représentants de proximité est de facto écartée, alors qu'elle est souvent considérée comme essentielle pour maintenir des relais d'expression des salariés au plus près du terrain dans les entreprises comprenant plusieurs sites. Lorsque la négociation aboutit, peu se satisfont des moyens accordés aux représentants de proximité. En effet, aux termes du code du travail ces représentants ne sont pas forcément membres du CSE. Dès lors, le volume d'heures de délégation et leurs prérogatives dépendent directement de la négociation. Or l'absence de mode d'emploi et de dispositions supplétives conduit trop souvent à négocier de façon minimaliste et les moyens octroyés sont insuffisants par rapport aux prérogatives qui leur sont confiées. Plusieurs syndicats déplorent ainsi qu'en dehors d'une référence à la santé, à la sécurité et aux conditions de travail, l'ordonnance n'ait pas défini à l'article L. 2313-7 du code du travail les missions des représentants de proximité. Dès lors, les accords qui parviennent aux syndicats tendraient selon eux à faire des représentants de proximité davantage des « n+1 » intégrés à la hiérarchie de l'entreprise plutôt que de véritables représentants du personnel devant rendre des comptes au CSE ou aux commissions.

En somme, l'assouplissement des critères de définition des établissements distincts et l'indétermination du cadre juridique applicable aux représentants de proximité conduisent à une centralisation excessive du dialogue social dans les entreprises pluri-établissements, susceptible d'entraîner une méconnaissance au niveau central des problèmes rencontrés sur le terrain. Comment, madame la ministre, entendez-vous remédier à cet autre affaiblissement du dialogue social produit par votre réforme ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur Vallaud, nous sommes en désaccord sur le point suivant : alors que vous prônez une centralisation à travers un code du travail qui décrirait dans le détail ce que doivent faire les entreprises, quels que soit leur taille et le contexte dans lequel elles s'inscrivent, nous avons fait le choix, dans le cadre de ces ordonnances, de donner au contraire une plus grande liberté de négociation à l'entreprise et aux représentants du personnel s'agissant du périmètre, des moyens, de l'organisation du dialogue social et de la mise en place de représentants de proximité. Si un quart des accords prévoient la mise en place de représentants de proximité, il convient de noter que, dans de nombreux cas, comme beaucoup de PME et de TPE ont instauré des CSE, les notions d'entreprise et d'établissement se confondent. Ce n'est que dans les grandes entreprises que la mise en place de représentants de proximité a du sens.

Je crois pour ma part qu'il faut faire confiance au dialogue social. Des accords sont conclus au sein de l'entreprise, et s'ils prévoient la mise en place de représentants de proximité, c'est que les partenaires sociaux en voient la nécessité ; dans le cas contraire, c'est qu'il y existe d'autres modes de relation entre les délégués syndicaux et le personnel.

Il faut évaluer les résultats non pas en termes quantitatifs, mais en examinant la dynamique enclenchée. Or, en la matière, il me semble que les signaux sont plutôt positifs.

M. le président. La parole est à M. Paul Christophe.

M. Paul Christophe. Lors de l'examen en novembre 2017 du projet de loi ratifiant les ordonnances travail, mes collègues Francis Vercamer, Charles de Courson et Agnès Firmin Le Bodo avaient permis l'adoption d'un amendement visant à instaurer une visite médicale de fin de carrière pour certains travailleurs. Il s'agissait de prendre en considération la situation spécifique des travailleurs bénéficiant du dispositif de suivi individuel renforcé ou ayant bénéficié d'un tel dispositif au cours de leur carrière professionnelle. Cela concerne des salariés exposés à certains risques pour leur santé ou leur sécurité, notamment les expositions à l'amiante, aux rayonnements ionisants, au plomb ou aux agents cancérogènes. La loi prévoit désormais que ces salariés sont examinés par le médecin du travail au cours d'une visite médicale avant leur départ en retraite, ce qui permet d'établir une traçabilité et un état des lieux des expositions à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels. L'objectif est de mettre en place, en cas de besoin et en liaison avec le médecin traitant, une surveillance dépassant la période d'activité professionnelle. S'appuyant sur l'expertise du médecin du travail, cette mesure permet d'éviter la perte d'informations liée à la fin de carrière et d'améliorer le suivi de la situation du salarié. Il s'agit donc d'un progrès réel et concret en matière de prévention des maladies liées aux expositions professionnelles.

Cet amendement laissait le soin au Conseil d'État de préciser par décret les modalités d'application. Or l'échéancier de mise en application de la loi, disponible sur Légifrance, indique que la publication du décret est « envisagée fin septembre 2018 ». Cela représente un retard de près d'un an et demi ! Pourriez-vous, madame la ministre, nous indiquer les raisons de ce retard et nous apporter des précisions concernant la prochaine publication de ce décret ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Tout d'abord, monsieur le député, je confirme que nous avions trouvé que cet amendement était bienvenu, et qu'il s'agissait d'une bonne idée. Il a été adopté. Ce qui s'est passé, c'est qu'entre-temps les partenaires sociaux ont engagé des discussions sur la santé au travail. Celles-ci doivent très prochainement faire l'objet d'un document d'orientation qui a été longuement discuté et qui doit être soumis à une négociation interprofessionnelle. C'est pourquoi nous avons préféré ne pas publier de décret préalablement et isolément. Certes, cela provoquera un certain retard, mais je crois que cela donnera aussi plus de force à ce qui résultera de la négociation.

M. le président. La parole est à M. M'jid El Guerrab.

M. M'jid El Guerrab. Pour le groupe Libertés et territoires, la démocratie sociale et le dialogue social constituent de puissants leviers pour répondre à des enjeux essentiels et globaux ; je pense à la lutte contre la précarité, à la protection des salariés, à la sécurisation de leurs parcours professionnels, à l'amélioration de la compétitivité de nos entreprises et à l'anticipation des mutations économiques, sociales, technologiques et écologiques profondes.

Les travaux du comité d'évaluation des ordonnances travail, et plus particulièrement la récente étude sur l'appropriation et la mise en oeuvre de ces ordonnances, démontrent que des difficultés subsistent. Je souhaiterais, madame la ministre, vous interroger plus particulièrement sur la mise en place du comité social et économique qui fusionne l'ensemble des institutions représentatives du personnel.

Cette simplification doit permettre un dialogue social plus souple et plus efficace. Toutefois, nous devons veiller à ce que ce dialogue ne perde ni en qualité ni en proximité. Or il ressort de l'étude menée auprès des entreprises que le passage à une instance unique renforce une tendance à la concentration et à la centralisation.

Cette tendance suscite une double interrogation. D'abord, il nous semble important de préserver un dialogue social de proximité, ce qui peut paraître contradictoire avec la concentration des instances et la réduction de leurs moyens. Ensuite, cela induit un élargissement des périmètres de représentation des élus du personnel, qui font face à des missions toujours plus intenses et plus complexes sans y être toujours préparés.

Aussi, madame la ministre, ma question sera-t-elle double. Premièrement, le Gouvernement va-t-il prendre de nouvelles mesures afin de préserver un dialogue social de proximité, notamment en précisant le nombre, les moyens et les fonctions des représentants de proximité prévus par les ordonnances ? Deuxièmement, ne devrait-on pas repenser globalement et renforcer la formation des élus du personnel, dont les périmètres d'intervention sont désormais plus importants ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. D'abord, rien ne permet aujourd'hui de dire qu'il y a une centralisation. Il n'existe aucun indice en ce sens. Je le répète : 25 % des accords prévoient des représentants de proximité, alors que cela n'est pas obligatoire : ce sont les entreprises et les organisations syndicales qui en conviennent. Or une grande partie des entreprises sont des petites et moyennes entreprises implantées sur un seul site : pour elles, la question ne se pose pas. Cela signifie qu'une proportion extrêmement importante des entreprises concernées par le sujet ont décidé de mettre en place des représentants de proximité.

D'autre part, je le répète, il y a deux philosophies bien différentes : soit l'on fait confiance au dialogue social, soit l'on pense que nous, ici, dans cet hémicycle, savons mieux que les syndicats et l'entreprise ce qui est bon pour eux. En ce qui me concerne, j'admets que je m'inscris en faux contre cette dernière assertion ; je suis pour la décentralisation, y compris – voire surtout – celle du dialogue social.

Quant à la formation des élus, vous avez raison, il s'agit d'une question importante. C'est pourquoi nous avons prévu des actions en la matière. C'est la première fois qu'un texte de loi en reconnaît l'importance. Le ministère a prévu, en liaison bien sûr avec les partenaires sociaux, une certification des compétences des représentants du personnel et des mandataires syndicaux. Je crois qu'il est très important d'affirmer que les représentants du personnel développent des compétences ; cela leur permettra de les faire reconnaître dans d'autres cadres, au-delà de leur mandat. Il s'agit d'un réel progrès, car, en matière de formation et de reconnaissance des parcours syndicaux, la France était en retard ; or nous sommes en train de le combler.

M. le président. La parole est à M. Alexis Corbière.

M. Alexis Corbière. L'adoption en 2017 des ordonnances travail n'avait laissé que peu de place aux interventions parlementaires, ce que nous avions à l'époque dénoncé. Deux ans plus tard, quel bilan pouvons-nous en tirer ? Rien n'a vraiment changé. Les mobilisations sociales n'ont fait que s'amplifier. N'est-ce pas la démonstration que la « rénovation profonde du modèle social » que vous espériez s'est transformée en quelque chose qui s'apparente à la liquidation de toute forme de dialogue ? Depuis trente-cinq jours, des dizaines de milliers de Français, soutenus par une majorité de la population – c'est encore le cas –, sont en grève, sans que vous ne leur prêtiez une attention réelle, si ce n'est pour attendre d'eux qu'ils fassent une trêve ou qu'ils cessent la grève, comme vous ne cessez de le réclamer.

Dans le cadre de votre réforme des retraites, vous avez aujourd'hui l'audace de parler de « pénibilité ». À l'occasion d'une concertation en octobre 2019, le président Emmanuel Macron considérait que la pénibilité était un mauvais terme parce qu'il donnait le sentiment que le travail, ça serait pénible. Eh oui ! Hélas, c'est le cas ! Concrètement, ce mépris affiché s'est traduit par la suppression en 2017 de quatre critères sur dix de pénibilité au travail, au détriment de près de 300 000 salariés.

C'est ce mépris qui nous est pénible. Selon les études de l'assurance maladie, ce sont près de dix salariés qui, chaque semaine, décèdent d'un accident du travail, la pénibilité étant bien souvent liée aux dangers qui pèsent sur les salariés. Nous vous avions pourtant prévenus du caractère dévastateur de ces ordonnances.

Ces métiers usants touchent au total 8 millions de nos concitoyens. La conséquence est connue, et elle est terrible : l'espérance de vie des intéressés s'en voit sévèrement réduite. Pour un ouvrier, la pénibilité se traduit concrètement par une espérance de vie de six ans – au moins – inférieure à celle d'un cadre. Il en est de même pour nombre d'autres professions.

Madame la ministre, alors que la question de la pénibilité est de nouveau sur la table, allez-vous enfin réintégrer les critères supprimés en 2017 ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, vous dites que le bilan des ordonnances est négatif ou que rien n'a changé. Si vous vous reportez à mes propos, lors de l'examen du projet de loi d'habilitation, j'avais annoncé qu'un changement culturel ne se faisait pas en un ou deux ans, mais qu'il faudrait des années pour qu'il produise tous ses effets. En revanche, une dynamique est enclenchée, avec plus de 50 000 CSE créés, une pratique conventionnelle qui se développe, notamment dans les PME, et beaucoup moins de crainte à l'embauche.

S'agissant de la pénibilité, qui est une question très importante, d'abord, je précise que nous n'avons pas supprimé des critères, mais que nous avons décidé de ne plus les créditer sur le C3P – le compte personnel de prévention de la pénibilité, devenu le compte professionnel de prévention, le C2P – pour les mesurer différemment : c'est un médecin qui doit dire s'il existe une incapacité liée à ces risques ; et si un taux de 10 % d'incapacité est constaté, alors, automatiquement, la personne part à la retraite deux années plus tôt. Des milliers de personnes bénéficient déjà de cette disposition, alors qu'elles ne seraient jamais parties à la retraite plus tôt si l'ancien dispositif avait été conservé.

Il reste en revanche des sujets qui ne sont pas épuisés, comme les risques liés aux agents chimiques toxiques, qui sont différés et mal mesurables. Le professeur Frimat, à qui nous avions demandé il y a deux ans un rapport, nous l'a remis et le sujet fait partie de ceux sur lesquels nous voulons avancer avec les partenaires sociaux.

Oui, il y a encore des progrès à faire en matière de pénibilité. Mais nous ne reviendrons pas en arrière, nous ne rétablirons pas un droit formel, inapplicable. Ce qui m'intéresse, c'est de faire progresser les droits réels. Nous en sommes convenus hier avec les partenaires sociaux, dans le cadre de la concertation lancée avec le Premier ministre et Laurent Pietraszewski en vue de la réforme des retraites.

M. le président. La parole est à M. Stéphane Peu.

M. Stéphane Peu. Madame la ministre, je voudrais aborder le sujet des conséquences négatives des ordonnances de la loi travail sur les politiques de santé et de prévention. Le mois dernier s'est tenu le procès de France Télécom : il n'aurait jamais eu lieu si vos ordonnances avaient été en vigueur…

Mme Muriel Pénicaud, ministre. C'est faux !

M. Stéphane Peu. …puisque la procédure a été initiée par le CHSCT. Je rappelle que dix-neuf suicides ont été reconnus comme directement liés aux pratiques managériales de France Télécom.

En supprimant les élus de proximité qu'étaient les délégués du personnel, vous avez ôté aux salariés une ressource indispensable pour qu'ils aient leur mot à dire au sujet de leurs conditions de travail. Vous avez aussi supprimé le mot « pénibilité » de l'intitulé du compte personnel de prévention. C'est plus que symbolique : cela illustre la suppression de quatre critères de pénibilité qui ouvraient aux salariés la possibilité d'un départ anticipé à la retraite, le port de charges lourdes, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les risques chimiques, qui n'ont pourtant pas disparu de leur travail quotidien.

On peut établir une relation entre vos ordonnances et les chiffres de l'assurance maladie pour 2018 : les accidents du travail et les maladies professionnelles repartent à la hausse, respectivement de 3 % et de 2,1 %, tandis que les arrêts maladies continuent d'augmenter chaque année.

Madame la ministre, quand allez-vous faire droit à la demande des syndicats de rétablir les CHSCT, dont l'exemple de France Télécom, entre autres, démontre l'utilité ? Quand allez-vous réintroduire les quatre critères de pénibilité supprimés en 2017 ? Comment comptez-vous améliorer la prise en compte de la pénibilité et de la santé au travail ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur le député, je pense qu'il s'agit d'une erreur involontaire mais ce que vous dites du CHSCT est, pardon, entièrement faux. L'intégralité des missions du CHSCT ont été attribuées au CSE par les ordonnances. Tout CSE peut donc se saisir d'un sujet touchant à la santé au travail. Concernant France Télécom, je vous rappelle que toute entreprise de plus de 300 salariés est obligée d'avoir, au sein de son CSE, une commission santé, sécurité et conditions de travail. Et même en l'absence d'une telle commission, le CSE est souverain dans ce domaine. Votre exemple est donc erroné.

Le changement de dénomination du compte personnel de prévention avait pour but de mettre en relief le point faible sur lequel nous devons progresser : la prévention. Aujourd'hui, en France, on a tendance à penser que la pénibilité est uniquement matière à réparation, mais la vraie justice sociale réside dans la prévention de la pénibilité, dans le fait de ne pas arriver à l'âge de la retraite avec une santé détériorée, qui va dégrader la qualité du reste de votre vie ! Prévention, possibilité de se reconvertir à temps, réparation in fine, ce sont les trois composantes de cette justice sociale que nous allons aborder avec les partenaires sociaux. Ceux-ci partagent d'ailleurs notre constat : hier, toutes les organisations syndicales et patronales ont déclaré que la prévention devait être notre priorité.

C'est aussi dans cette perspective que la prévention des accidents du travail constitue une des priorités de l'inspection du travail : il ne faut rien laisser passer dans ce domaine. Ces accidents sont trop nombreux en France, et la situation n'a pas progressé depuis une dizaine d'années. Maintenant que les instances adéquates sont en place, maintenant que ce sujet est porté au niveau stratégique des CSE, maintenant que se dessine une négociation interprofessionnelle sur la santé et la sécurité au travail, car les partenaires sociaux nous ont fait part de leur souhait d'aborder ce sujet, nous allons pouvoir avancer en matière de prévention de la pénibilité.

Encore une fois, on n'en reviendra pas à des critères qui ne sont pas mesurables. Un artisan, un agriculteur ne sera pas derrière son salarié pour déterminer combien d'heures par jour celui-ci soulève des charges, et de quel poids. Cela relève d'une vision du droit purement formelle, déconnectée de la réalité du terrain. Il valait mieux reconnaître l'incapacité ! Mais nous allons continuer à travailler sur ces sujets, et surtout étendre la prise en compte de la pénibilité au secteur public, où elle n'est actuellement pas reconnue.

M. le président. La parole est à Mme Mireille Clapot.

Mme Mireille Clapot. Madame la ministre, les ordonnances de la loi travail de septembre 2017 ont probablement opéré l'une des plus importantes réformes du code du travail de ces dernières années. Il faut s'en féliciter.

Dans ce dispositif figure notamment la création d'une instance unique de représentation du personnel, le comité social et économique. Celui-ci fusionne les délégués du personnel __ DP __, le comité d'entreprise __ CE __ et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il remplace, là où elle existait, la délégation unique du personnel __ DUP. Je m'en tiendrai là pour les sigles.

L'ordonnance de septembre 2017 qui visait à simplifier le dialogue social dans l'entreprise a parachevé un processus de fusion initié en 1993. Le CSE, doté de la personnalité civile, d'un budget, exerce pleinement les prérogatives auparavant dévolues aux DP, au CE et au CHSCT. Il rend un avis ; il est consulté en lieu et place des anciennes instances représentatives du personnel.

La loi a imposé la création d'un CSE dans toutes les entreprises d'au moins 11 salariés pour le 1er janvier 2020. Selon vos indications, 53 700 CSE ont été instaurés, dont 49 % dans les petites entreprises. Pourriez-vous s'il vous plaît détailler ces chiffres ?

Par ailleurs, je suis particulièrement sensible au respect des partenaires sociaux, à l'instauration d'un véritable dialogue, à l'amélioration des conditions de travail. C'est pourquoi je voudrais conclure cette intervention par un ensemble de questions d'ordre qualitatif : les nouvelles instances représentatives du personnel ont-elles lancé des dynamiques, modernisé des pratiques ? Les femmes et les hommes ont-ils changé ? Les dirigeants reconnaissent-ils la valeur du parcours syndical et électif ? Les salariés adoptent-ils ces nouvelles instances, s'engagent-ils dans ces mandats utiles et exigeants ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Madame la députée, vous posez la question essentielle, celle de la portée du changement culturel. Aujourd'hui, les conditions de ce changement sont réunies. Il existe plus de 50 000 CSE, auxquels 10 000 ou 20 000 autres s'ajouteront dans quelques semaines, une fois tous les accords enregistrés. On constate un début de dynamique conventionnelle. Le changement culturel commence à s'esquisser dans les TPE et PME, où il se signe beaucoup plus d'accords : des CSE sont créés là où il n'y avait rien. Ce changement n'est pas généralisé, mais la dynamique a démarré, même dans les petites entreprises.

Le 28 juin dernier, nous avons organisé au ministère du travail la première édition des réussites du dialogue social, qui réunissait une centaine de participants. Les entreprises déléguaient un représentant de la direction ou des ressources humaines et un ou plusieurs représentants syndicaux, afin qu'ils parlent des accords qu'ils concluaient. Nous en avons ainsi vu de très innovants. Vous me direz que tout cela est plus qualitatif que quantitatif : aujourd'hui, on ne sait pas évaluer en quantité cette évolution en qualité.

Ces exemples ne sont pas encore massifs, car il fallait d'abord créer les CSE. Le travail de ces deux premières années a consisté à calibrer ces instances en fonction des métiers, des territoires, des besoins, des cultures d'entreprise. Les représentants de proximité, par exemple, ne seront pas positionnés de la même manière selon que l'entreprise est très centralisée ou très décentralisée. Ce travail d'architecture de terrain est désormais achevé. Nous en sommes à l'étape des pionniers : la dynamique est là, les outils sont là ; certains s'en sont saisis et ont conclu des accords innovants ; pour les autres, nous allons accompagner le mouvement afin qu'émerge dans les prochaines années un dialogue constructif, exigeant, facteur à la fois de progrès social et de performance des entreprises.

M. le président. La parole est à Mme Marjolaine Meynier-Millefert.

Mme Marjolaine Meynier-Millefert. Madame la ministre, les ordonnances dont nous discutions aujourd'hui ont constitué la première étape de la rénovation de notre modèle social. Deux ans après leur entrée en vigueur, nous pouvons faire un point d'étape.

Concrètement, j'aimerais vous parler de la manière dont ces ordonnances ont été reçues dans le territoire que je représente et qui vous est familier, le Nord-Isère. En raison de sa position stratégique, celui-ci connaît depuis des années une croissance économique et démographique qui témoigne de son dynamisme. Le taux de chômage y est inférieur à 7 %, contre 8,5 % de moyenne en France. En Nord-Isère, il y a davantage d'emplois à pourvoir que de demandeurs d'emploi, et pourtant le chômage perdure ! Les ordonnances ont déjà permis d'apporter de nombreuses réponses à ce paradoxe qui engendre une frustration importante, tant chez les employeurs que chez les chômeurs.

Aussi le GICOB, le groupement patronal du Nord-Isère, qui regroupe de nombreuses PME appartenant à tous les secteurs d'activité, souhaite-t-il vous remercier, au nom des entreprises du Nord-Isère, pour ces ordonnances et leur mise en oeuvre. Elles avaient pour ambitions la relance de l'emploi et la baisse durable du taux de chômage : elles ont tenu leurs promesses. En élargissant le champ de la primauté de l'accord d'entreprise sur l'accord de branche, et surtout en permettant aux PME dépourvues de délégués syndicaux de négocier des accords d'entreprise par l'intermédiaire des élus du CSE, elles ont renforcé le dialogue social au plus près du terrain.

Fort de ce constat, le GICOB tient néanmoins à appeler votre attention, madame la ministre, sur une difficulté rencontrée par les entreprises dans leur fonctionnement quotidien.

Le CSE a absorbé l'ensemble des anciennes instances représentatives du personnel : DP, CE et CHSCT. Mais les obligations qui incombent aux entreprises de moins de 50 salariés n'étant pas les mêmes que celles des entreprises plus grandes, l'appellation de CSE recouvre en fait deux réalités différentes. De ce fait,  lorsqu'il est question des obligations liées au CSE, les entreprises ne savent jamais si elles sont concernées. Pensez-vous que nous puissions mettre fin à cette confusion et à l'insécurité qu'elle suscite dans nos entreprises ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Par ces ordonnances, nous avons voulu permettre l'émergence du dialogue social au sein des petites entreprises. Il est évident qu'avoir 11 ou 100 000 salariés n'entraîne pas les mêmes exigences. Par exemple, le référendum comme mode de décision concerne les toutes petites entreprises : pour grossir le trait, lorsqu'il y a dix personnes autour de la table, on peut parvenir à un accord sans recourir à des lettres avec accusé de réception !

Nous avons donc choisi de donner un nom unique à une réalité progressive, afin d'éviter de créer encore des seuils supplémentaires. La petite entreprise est appelée à grandir ; le but d'une TPE, c'est de devenir une PME, puis une ETI, voire davantage. Il faut donc une appropriation progressive du dialogue social. Faute de délégués syndicaux, on recourt à un élu du personnel… Il existe une gradation de solutions que l'on n'autoriserait évidemment pas aux grandes entreprises, où les élections ne pourraient se passer des organisations syndicales. Il y avait deux options : des effets de seuil, des mondes à part, ou un apprentissage du dialogue social, et nous avons choisi de permettre cette progressivité.

Enfin, peut-être n'est-il pas mal que des entreprises de 45 salariés dialoguent avec d'autres qui en comptent 60 : elles verront ainsi qu'elles n'ont pas à avoir peur, qu'elles peuvent grandir, dépasser le seuil des 50 salariés, et connaître un dialogue social qui aide aussi à leur performance économique.

M. le président. La parole est à M. Fabien Di Filippo.

M. Fabien Di Filippo. Parmi les ordonnances de la loi travail, l'une établissait un encadrement artificiel des indemnités prud'homales. Vos objectifs, servis par une communication bien huilée, étaient de simplifier la procédure, de la rendre plus lisible, et d'offrir une sécurité juridique aux petites entreprises.

Malheureusement, deux ans plus tard, le bilan est pour le moins contrasté, voire très négatif, parfois à l'opposé des objectifs fixés. Vous avez accompli l'exploit de mécontenter à la fois les entreprises et les salariés. Quatre points posent particulièrement problème et suscitent les inquiétudes.

Le premier est la mise en place d'une justice prud'homale à deux vitesses, au détriment des salariés les plus modestes. Un acteur de terrain, un magistrat, déclare que l'un des aspects majeurs de cette réforme en particulier, c'est qu'elle aboutit à écrémer le contentieux prud'homal, en ne laissant subsister que le contentieux qui a un fort potentiel de gain, celui des cadres à haut salaire, qui peuvent payer un avocat et tenir quatorze mois. Les autres salariés se replient sur des accords amiables a minima, dans le meilleur des cas. Le dialogue social ne s'en trouve pas amélioré.

Deuxièmement, il existe des différences de pratique d'une juridiction à l'autre ; certains juges s'affranchissent même du barème, qu'ils estiment contraire à la convention de l'Organisation internationale du travail, ou à la charte sociale européenne. L'application de vos ordonnances aboutit donc là encore à un système à deux vitesses, cette fois en fonction du lieu de résidence, ce qui est injuste et inégalitaire.

Troisièmement, les délais n'ont pas été réduits puisque des antennes prud'homales ont été fermées en parallèle, à commencer par les plus petites ou les plus rurales. Mais, même à Paris, il faut attendre quinze mois pour avoir un jugement, quinze autre mois en cas de départage et quinze mois de plus en cas d'appel, c'est-à-dire quasiment quatre ans avant la décision définitive.

Quatrièmement, et c'est sans doute le pire effet de vos ordonnances pour les salariés et les entreprises, le plafonnement ne vaut que pour les licenciements sans cause réelle ou sérieuse, pas pour les cas de discrimination ou de harcèlement. De ce fait, nous avons assisté à l'explosion de ces dossiers, qui servent à contourner les barèmes. Je cite ici un acteur : « Du fait de ce glissement, il n'y a plus de prévisibilité et de sécurisation, comme envisagé dans le marketing de cette réforme. »

Ainsi, en privant certains salariés de recours, en créant des tensions dans les entreprises et en soumettant leurs dirigeants à une insécurité juridique nouvelle et accrue, vous avez manqué votre cible. Que comptez-vous faire, madame la ministre, pour corriger ces erreurs ?

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Monsieur Di Filippo, je suis très étonnée d'entendre que le groupe Les Républicains ne considère pas la sécurisation juridique des entreprises et des salariés comme un objectif important.

M. Fabien Di Filippo. Ce que nous avons dit, c'est qu'elle n'était pas au rendez-vous : l'objectif est manqué !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. C'est un objectif important pour nous, et je vous assure que la situation est devenue sacrément différente d'avant.

Ce n'est peut-être pas un hasard si le contentieux a diminué de 10 %.

M. Fabien Di Filippo. Ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. J'avais mal compris alors, et il est bon d'avoir vérifié votre interprétation. Quoi qu'il en soit, 10 % de contentieux en moins, c'est déjà positif.

M. Fabien Di Filippo. Il baisse depuis des années !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Deuxièmement, certaines des choses que vous avez dites sont erronées : toutes les indemnités sont encadrées par le barème, y compris celles des cadres. Il n'y a donc pas d'inflation possible. Troisièmement, il y a aujourd'hui beaucoup moins de conflictualité et plus de médiation. Je m'attendais à ce que les Républicains considèrent la médiation comme meilleure pour l'entreprise et pour le salarié.

M. Fabien Di Filippo. C'est du nivellement par le bas !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Quatrièmement, c'est justement parce qu'il existait une incertitude totale que les délais étaient très longs. Maintenant que les gens sont passés à la médiation, ils ne rentrent plus dans vos statistiques. Certes, les délais prud'homaux restent longs, mais ils sont beaucoup plus courts pour ceux qui ne vont pas au contentieux, ce qui incite à recourir à la médiation.

M. Fabien Di Filippo. Les procédures qui restent sont les plus complexes.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Cinquièmement, l'insécurité juridique a été réduite. Vous avez évoqué le cas de quelques juges aux interprétations différentes, mais la Cour de cassation s'est prononcée le 17 juillet et depuis, les jugements s'alignent.

M. Fabien Di Filippo. Pas partout !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. La raison pour laquelle nous avons exclu le harcèlement du barème, c'est que l'on ne peut pas juger de la même façon les cas d'atteinte à l'intégrité de la personne – et pas seulement à son emploi.

M. Fabien Di Filippo. Ce n'était pas le sens de ma remarque : je disais qu'il y avait un contournement !

Mme Muriel Pénicaud, ministre. J'ajoute, pour ceux qui croient qu'ils gagneront plus en recourant à un contentieux pour harcèlement, qu'il faut des preuves. Beaucoup de ceux qui ont participé à ce premier mouvement, conseillés par des avocats qui y voyaient un intérêt pécuniaire, seront déboutés parce qu'on ne peut pas aller au tribunal et obtenir n'importe quoi, sous n'importe quel motif, sans preuve.

Contrairement à vous, j'ai en permanence des échos des entreprises qui me disent merci, aujourd'hui comme il y a deux ans, parce que c'est grâce à cette meilleure sécurisation juridique qu'elles n'ont plus peur d'embaucher !

M. Fabien Di Filippo. Ils ne disent plus cela aujourd'hui !

M. le président. La parole est à Mme Sarah El Haïry.

Mme Sarah El Haïry. Les ordonnances travail signées en septembre 2017 ont fait la part belle au télétravail ; c'était l'occasion. En effet, si le télétravail était inscrit dans le code du travail depuis 2012, il ne disposait pas encore d'une définition claire et précise. Nous nous réjouissons que, grâce à ces ordonnances qui ont rendu le cadre plus clair, il soit désormais possible de recourir de manière effective au télétravail. Le définir a permis de faire évoluer le droit, et surtout de reconnaître la réalité du marché du travail et celle du comportement des familles. Les ordonnances ont simplifié les procédures, ce qui représente un véritable pas en avant pour notre société. Il n'y a désormais plus besoin d'inscrire le télétravail dans les accords collectifs : chaque salarié peut demander à en bénéficier par l'envoi d'un simple mail, ce qui représente une vraie avancée sociale, et c'est maintenant à l'employeur de motiver son refus.

Pour citer d'autres évolutions, les accidents du travail survenant en période de télétravail sont maintenant reconnus comme tels et l'accès à la formation et à l'engagement syndical est désormais garanti, y compris pour les salariés en télétravail. Ce sont là des avancées concrètes que je souhaitais souligner, voire rappeler, à l'occasion de cette session de contrôle.

Madame la ministre, je pose ici la question de la progression. On sait que le recours au télétravail a progressé de manière significative – il concerne environ 700 000 salariés de plus, ce qui est une vraie réussite, et 17 % des salariés au total – mais un écart important subsiste avec d'autres pays. Madame la ministre, c'est parce que je crois en la capacité du télétravail à répondre à des besoins essentiels de notre société et à la manière de vivre des familles que je vous pose la question : les objectifs du gouvernement ont-ils été atteints et, dans le cas contraire, comment accompagner le développement du télétravail dans notre pays ?  

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Muriel Pénicaud, ministre. Merci pour votre question, madame El Haïry. L'avancée du droit social dans les ordonnances répond en effet à une aspiration très forte. Il y a aujourd'hui beaucoup plus de travail autonome, tandis que le temps passé dans les transports est perdu à la fois pour le travail et pour la vie personnelle. Le télétravail permet également, pour certains métiers, de se concentrer mieux, et accorde une certaine souplesse dans l'aménagement du temps. De manière plus générale, il encourage de nouvelles formes de management en atténuant la logique de contrôle et de présentéisme des hiérarchies classiques, faisant ainsi bouger des pratiques managériales sans doute plus adaptées au passé qu'à l'avenir. Il correspond particulièrement aux aspirations des jeunes, qui ne veulent plus d'un management prescriptif trop précis.

On estime que 17 % des salariés bénéficient du télétravail à travers des accords. Paradoxalement, les ordonnances ont rendu le suivi plus difficile en ouvrant la possibilité d'accords individuels, en plus des accords d'entreprise et de branche que nous continuerons de comptabiliser. Sauf à commander une enquête, ce qui est envisageable, nous n'aurons jamais les chiffres exacts et devrons nous contenter de témoignages !

Un autre élément intéressant est le développement des espaces de travail partagé. Ce n'est pas parce que l'on travaille seul à une tâche que la solitude n'est pas un problème et il est quelquefois important de disposer d'un lieu de travail, notamment en zone rurale, pour ceux entre autres qui viennent y rejoindre leur conjoint. Là où un espace de coworking existe, à l'initiative des entreprises ou de la municipalité, un salarié pourra retrouver un fonctionnaire, un artisan et un demandeur d'emploi… Cela crée de nouveaux collectifs de travail, non plus hiérarchiques mais horizontaux et territoriaux, qui dessinent le travail de demain. Cette question ce sera très intéressante à suivre et, je le crois, assez inspirante.

M. le président. Le débat est clos.


Source http://www.assemblee-nationale.fr, le 20 janvier 2020