Interview de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, à RTL le 17 mars 2020, sur l'impact économique de l'épidémie de covid-19 et le fonds de solidarité pour les petites entreprises.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ALBA VENTURA 
Bonjour Bruno LE MAIRE. 

BRUNO LE MAIRE 
Bonjour Alba VENTURA. 

ALBA VENTURA 
Nous sommes en guerre. Six fois, le président Emmanuel MACRON a prononcé cette phrase hier soir. Mais alors, Monsieur le Ministre, ce n'est quand même pas très clair, par exemple, dites-moi, lorsqu'on ne peut pas faire de télétravail, lorsqu'on travaille sur un chantier, je suis maçon, admettons, est-ce que je peux travailler avec mes collègues maçons ? 

BRUNO LE MAIRE 
Oui, vous pouvez travailler, mais vous travaillez en respectant des distances, vous ne vous collez pas à votre voisin, vous ne vous collez pas à votre collègue de travail, vous gardez une distance avec votre voisin. Vous restez chez vous, ça, c'est la règle. Et si vous sortez, vous sortez, soit parce que vous devez aller faire des courses alimentaires, il faut bien nourrir sa famille et nourrir son foyer, donc vous prenez une déclaration sur l'honneur, vous la signez, et vous dites : je sors pour aller acheter des pâtes, des fruits, des légumes pour ma famille. Vous pouvez sortir pour aller travailler si vous n'avez pas de possibilité de travailler en télétravail, mais dans ce cas-là, vous faites comme je le fais actuellement, au ministère de l'Economie et des finances, mes collaborateurs qui sont en nombre très réduit, eh bien, ils sont à un mètre, deux mètres de moi, pour qu'il y ait de la distance nécessaire. Ou vous sortez pour aller voir un proche, si vous avez une grand-mère qui est très âgée, pour qu'elle ne reste pas seule, vous n'y allez pas avec vos enfants, vous gardez des distances, mais ça peut justifier aussi un déplacement. Pour tous les autres cas de figure, vous restez chez vous ! 

ALBA VENTURA 
Est-ce que vous avez vu qu'on n'a pas très bien compris entre confinement, restriction, ça veut… 

BRUNO LE MAIRE 
Mais, ne jouons pas sur les mots, Alba VENTURA, chacun a parfaitement compris, il faut rester chez soi… 

ALBA VENTURA 
Je sais bien, mais les gens ont besoin d'être rassurés, vous savez, de savoir… 

BRUNO LE MAIRE 
Mais je pense que la meilleure façon de rassurer les Français, c'est de leur parler avec clarté, vous devez rester chez vous pour éviter la propagation du virus. On sait que ce virus a une très forte contagiosité, vous restez chez vous pour éviter la propagation du virus, et faire en sorte que l'épidémie disparaisse le plus rapidement possible. 

ALBA VENTURA 
Vous avez trop tardé à le mettre en place ce plan un peu drastique ?

 BRUNO LE MAIRE 
Non, je ne crois pas, je crois que nous avons pris les mesures au bon moment, nous l'avons fait lorsque nous avons vu que l'épidémie commençait à progresser, il fallait la stopper, le président de la République a été extrêmement clair, hier, il faut rester chez soi pour éviter cette propagation et gagner la guerre contre le virus. 

ALBA VENTURA 
Monsieur le Ministre, c'est donc un plan colossal qui a été présenté pour empêcher la faillite de nos entreprises, certaines mesures avaient déjà été annoncées par vous-mêmes, ça va coûter cher, vous avancez 40 milliards d'euros, vous êtes sûr que ça suffit ? 

BRUNO LE MAIRE 
C'est une première aide économique immédiate, mais chacun doit comprendre qu'il y a une guerre contre le virus, il y a aussi une guerre économique et financière, cette guerre économique et financière, elle sera durable, elle sera violente, et les entreprises qui sont touchées aujourd'hui, les commerçants, les artisans le savent mieux que personne, ils en souffrent, ils sont inquiets, et cette guerre, elle doit mobiliser toutes nos forces, nos forces nationales, nos forces européennes et les forces du G7. Donc nous allons mettre comme première aide économique immédiate pour les entreprises et pour les salariés, 45 milliards d'euros. Nous allons garantir au niveau de l'Etat les prêts bancaires pour que lorsqu'une entreprise va dans sa succursale à Angers, à Nantes ou à Sélestat, elle puisse trouver l'emprunt dont elle a besoin, 300 milliards d'euros de garantie de l'Etat pour les prêts bancaires, ce qui fait que nous ne devons pas avoir une seule PME qui ne trouve pas la trésorerie dont elle a besoin. Au niveau européen, nous avons décidé hier… 

ALBA VENTURA 
Ça, ça permet des rassurer… 

BRUNO LE MAIRE 
Nous avons décidé hier, au niveau européen, je termine juste pour que chacun voit bien l'ampleur de ce qui est mis sur la table, 1.000 milliards d'euros de garantie des Etats membres de la zone euro, là aussi, aux prêts bancaires, pour s'assurer qu'il y a de la trésorerie, de la liquidité pour l'économie en zone euro, comme en France, 45 milliards d'euros d'aide française immédiate, 300 milliards d'euros de garantie de l'Etat pour les prêts bancaires en France, 1.000 milliards d'euros de garantie européenne pour les prêts bancaires. 

ALBA VENTURA 
Et vous annoncez aussi, Monsieur le Ministre, un fonds de solidarité qui va venir au secours des petites entreprises, des PME, qui ont perdu, qui auront perdu dans cette crise plus de 70 % de leur chiffre d'affaires, en tout cas, au mois de mars, ça représente un milliard d'euros pour 600.000 entreprises, c'est bien ça ? 

BRUNO LE MAIRE 
Oui, un milliard d'euros, minimum, soyons clairs… 

ALBA VENTURA 
Minimum… 

BRUNO LE MAIRE 
Et ce fonds de solidarité… 

ALBA VENTURA 
Oui, parce que ce n'est que pour le mois de mars… 

BRUNO LE MAIRE 
Ce fonds de solidarité, nous le laisserons ouvert tant que je verrai des petits entrepreneurs, des restaurateurs, des patrons de théâtres, des micro entrepreneurs qui me disent : ben, voilà, on ne s'en sort pas, on n'a plus aucun chiffre d'affaires, on n'a plus aucune rentrée d'argent, enfin, c'est un drame pour des millions de Français, donc nous voulons que la solidarité nationale joue à plein, c'est le rôle de ce fonds de solidarité… 

ALBA VENTURA 
Monsieur le Ministre… 

BRUNO LE MAIRE 
Il sera pour les micro-entrepreneurs, pour les plus petites entreprises, pour les indépendants qui ont moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires, il sera pour tous ceux qui ont perdu, entre mars 2019 et mars 2020, 70 % de leur chiffre d'affaires, et leur garantira un filet de sécurité… 

ALBA VENTURA 
Alors, ça fait 1.500 euros pour le mois de mars, comment vous faites pour prouver que telle entreprise a perdu 70 % de son chiffre d'affaires puisqu'il n'est pas rentré dans les caisses ? 

BRUNO LE MAIRE 
Mais c'est à chaque micro-entrepreneur, entrepreneur indépendant ne nous dire avec une déclaration qui fera foi qu'il a perdu 70 % de son chiffre d'affaires d'une année sur l'autre, on va faire simple, on va faire massif, et on va faire solidaire. 1.500 euros, c'est le tarif de base qui sera garanti sous forme forfaitaire à toute entreprise qui rentrerait dans ce champ, soit son commerce a été fermé, c'est le cas par exemple de tous les restaurants, soit ils ont perdu 70 % de leur chiffre d'affaires d'une l'année sur l'autre ; 1.500 euros forfaitaires. Et puis, il y a des cas où on aura besoin de plus, parce que l'entreprise est menacée de faillite, parce que le restaurateur peut fermer, parce que tel théâtre peut mettre la clé sous la porte, eh bien, on apportera davantage, et au cas par cas, nous regarderons ce qui peut être apporté en plus. Ça viendra compléter, je le rappelle…

 ALBA VENTURA 
Et les auto-entrepreneurs, pareil, Monsieur le Ministre, les autoentrepreneurs ? 

BRUNO LE MAIRE 
Les auto-entrepreneurs seront aussi dans le champ de ce fonds de solidarité, il est là pour apporter un filet de sécurité à tous ceux qui ne rentreraient pas dans le cadre des autres aides qui sont apportées, et je rappelle, parce que c'est très important, que ce fonds de solidarité, il vient en complément d'autres mesures, notamment une mesure qui est massive et qui représente une grande part des 45 milliards d'euros dont je viens de parler, c'est le report de toutes les charges fiscales et sociales  sur le mois de mars, et éventuellement, l'annulation de ces charges pour ceux qui, au bout du compte, eh bien, on verrait qu'ils ne peuvent pas les rembourser, eh bien, nous annulerons ces charges sociales ou fiscales pour tous ceux qui seraient menacés de faillite, comme l'a dit le président de la République, nous ne voulons pas de faillite, si on voit au bout d'un mois, deux mois, trois mois que ces entreprises ne peuvent pas rembourser les charges sociales et fiscales, qu'elles ont reportées, parce qu'elles sont dans une situation économique trop difficile, il y aura aussi au cas par cas des annulations. 

ALBA VENTURA
 En tout cas, ces mesures, toutes ces mesures sont destinées à protéger aussi les salariés, est-ce qu'on est sûr que, par peur, certains entrepreneurs ne seront pas tentés de se séparer d'eux, est-ce qu'on est certain qu'il n'y aura pas de licenciement ? 

BRUNO LE MAIRE 
Toutes ces mesures, elles sont faites avec une idée très simple, il faut que l'économie puisse redémarrer très fort lorsque l'épidémie du coronavirus sera derrière nous, je l'espère, le plus rapidement possible. Le chômage partiel qui a été simplifié par Muriel PENICAUD, qui a été déplafonné au-delà d'un Smic, il est fait justement pour qu'on ne perde pas les compétences, ce qu'il y a de plus précieux dans une entreprise, ce qu'il y a de plus nécessaire, ce sont les compétences des salariés, c'est leur savoir-faire, c'est leur expérience, on a voulu protéger ça, et nous avons tiré les leçons de la crise de 2008, où, justement, il y avait eu des licenciements massifs, parce que les entreprises ne pouvaient pas faire autrement, pour dire : là, vous gardez vos salariés, on fait du chômage partiel massif, vous gardez vos salariés avec vous en les mettant en activité partielle. 

ALBA VENTURA
 Bruno LE MAIRE, pour la France, économiquement, cette épidémie, c'est une catastrophe, financièrement, économiquement ? 

BRUNO LE MAIRE 
Mais c'est une catastrophe, c'est une catastrophe pour tous les pays de la planète, c'est une catastrophe pour tous les pays du G7, c'est une catastrophe pour l'Europe, et ce sera aussi économiquement… 

ALBA VENTURA 
Notre croissance va être plombée, Monsieur le Ministre, on va être en récession… 

BRUNO LE MAIRE 
Une catastrophe pour les Etats-Unis dans quelques dans quelques semaines, je pense… 

ALBA VENTURA 
Notre dette va exploser. 

BRUNO LE MAIRE 
Nous aurons en 2020 une situation de croissance qui sera évidemment très détériorée, je dois présenter dans quelques heures… 

ALBA VENTURA 
C'est-à-dire ? 

BRUNO LE MAIRE 
Un projet de loi de Finances rectificative avec le ministre des Comptes publics, Gérald DARMANIN, en Conseil des ministres, nous inscrirons comme prévision de croissance en 2020, moins 1, c'est-à-dire une croissance négative, et je préfère être très transparent avec les Français, comme je le suis depuis le début, ce moins 1, c'est un chiffre provisoire, c'est un chiffre que nous devons inscrire, parce qu'il faut une prévision de croissance pour 2020, nous mettrons moins un de croissance en 2020 pour la France. La zone euro sera également en récession, nous le savons, et partons dans ce combat et dans cette guerre économique et financière avec lucidité, le choc sera violent, mais nous avons, nous, les économies européennes, et en particulier, l'économie française, toute la capacité à rebondir si nous prenons maintenant les bonnes décisions, et les bonnes décisions, c'est protéger des salariés, protéger des compétences, protéger notre force de travail, protéger nos entreprise, éviter des faillites, et nous permettre de redémarrer le plus vite. 

ALBA VENTURA 
Monsieur le Ministre, les places boursières ont poursuivi leur chute hier, pourquoi on ne ferme pas la Bourse de Paris, on est dans quelque chose de totalement irrationnel, on met des entreprises françaises en danger de raids boursiers, pourquoi finalement on ne ferme pas la Bourse de Paris ? 

BRUNO LE MAIRE 
Parce qu'il y a des mesures qui peuvent être prises avant d'en venir à ces extrémités, je pense qu'il est bon d'avoir un marché qui permet d'évaluer les valeurs. Il y a d'autres mesures qui peuvent être prises avant, par exemple, interdire les ventes à découvert, ça a été fait pour 24 heures par l'Autorité des marchés financiers, c'est une première mesure qui a été prise pour calmer le jeu sur les marchés financiers. Il y a d'autres mesures qui peuvent être prises, nous nous tenons prêts, je fais le point une ou deux fois par jour avec l'ensemble des acteurs de la place financière de Paris, avec l'Autorité des marchés financiers, avec le gouverneur de la Banque de France, je suis en contact quotidien avec la présidente de la Banque centrale européenne pour évaluer aussi la situation, c'est une mobilisation H 24 sur cette question des marchés financiers. 

ALBA VENTURA 
Monsieur le Ministre, on est dans une situation inédite, on voit bien que ce quinquennat a pris une tournure que personne n'imaginait, un quinquennat qui a commencé dans la volonté d'une rigueur budgétaire, et puis, de moins d'Etat aussi, et puis, qui s'est mis à faire tourner la planche à billets, un avant, un après disait Emmanuel MACRON, on abandonne même la réforme des retraites, on dit que les soignants sont formidables, ça fait 15 ans qu'on leur promet des moyens, est-ce qu'on va enfin débloquer les milliards dont l'hôpital a besoin, est-ce qu'on va arrêter de lésiner, Monsieur le Ministre, sur les moyens pour l'hôpital ? 

BRUNO LE MAIRE 
Je crois avoir dit, Alba VENTURA, à votre micro, il y a quelques mois, que s'il y a bien un service public sur lequel nous ne devions pas compter notre soutien financier, c'est l'hôpital, il va de soi que j'ai encore moins changé d'avis aujourd'hui que nous faisons face à une épidémie aussi grave que celle du coronavirus, où vous avez des aides-soignantes, des infirmières, des urgentistes, des médecins qui se battent tous les jours pour nous, au péril de leur vie, dans des conditions difficiles, dans des conditions matérielles, des conditions sanitaires qui sont difficiles, des conditions psychologiques qui sont extrêmement difficiles, je pense en particulier à tous ceux qui travaillent dans le Grand Est aujourd'hui. Je suis plein d'admiration pour eux, plein de reconnaissance, et si cette reconnaissance, elle doit se traduire par de soutien financier, parce qu'à un moment donné, il y en aurait besoin, croyez-moi, l'Etat répondra présent. 

ALBA VENTURA 
J'ai une toute dernière question, puisque hier soir, le président de la République a annoncé la fermeture des frontières de l'espace Schengen, on ne ferme pas nos frontières à nous ?

 BRUNO LE MAIRE 
On ferme les frontières de l'espace territorial… 

ALBA VENTURA 
Celles de la France… 

BRUNO LE MAIRE 
Auquel nous appartenons, c'est-à-dire les frontières de l'espace Schengen, on n'entre plus, ni par avion, ni par voiture, ni par train dans l'espace Schengen. 

ALBA VENTURA 
Oui, mais d'autres pays ont fermé leurs propres frontières, et nous, la France, un Italien qui veut entrer en France le peut ? 

BRUNO LE MAIRE 
Il le peut, mais ce qui garantit la sécurité aujourd'hui, c'est d'éviter que les ressortissants extérieurs à l'espace Schengen rentrent dans l'espace Schengen, et moi, je salue cette décision qui a été prise par l'ensemble des Etats membres de l'espace Schengen, de dire : nous protégeons nos frontières, et donc, nous les fermons. 

ALBA VENTURA 
Merci beaucoup Monsieur le Ministre. 

YVES CALVI 
Il y a une crise sanitaire, mais il y a aussi une crise économique et financière vient de nous dire Bruno LE MAIRE, qui annonce une aide de 45 milliards d'euros, je vous le rappelle, pour les entreprises et les salariés, sur RTL, le ministre de l'Economie et des finances, que nous retrouverons à 8h15 pour répondre à toutes vos questions au 32.10, vous pouvez d'ores et déjà nous appeler. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 18 mars 2020