Texte intégral
Monsieur le Président,
Monsieur le Rapporteur général,
Monsieur le ministre de l'Action et des Comptes publics,
Mesdames et Messieurs les députés,
Nous sommes confrontés à une crise sanitaire brutale dont chacun mesure, je pense, dans sa vie quotidienne et auprès de ses proches, la violence.
Nous sommes aussi confrontés à un bouleversement économique qui n'a aucun équivalent dans notre histoire contemporaine.
Pourquoi ?
Parce que tous les pays sont touchés, sans exception, parce que l'économie réelle est touchée et parce que la crise ne s'arrêtera que lorsqu'une réponse au virus sera trouvée.
La crise, contrairement à certaines interprétations que je peux lire ici ou là, n'est pas la crise d'une économie en surchauffe. Elle est, au contraire, la crise d'une économie à l'arrêt dont la date de redémarrage et les modalités sont incertaines. Ce qui me permet de dire, en réponse au président de la Commission - mais je serai plus explicite tout à l'heure - que cette crise n'est pas une affaire de semaines. Elle n'est pas une affaire de mois. Elle est une affaire d'années et je pense qu'il faut mesurer que nous en avons pour des années avant de sortir des conséquences économiques de cette crise.
Or, l'économie, ce n'est pas simplement la croissance. L'économie, c'est le travail, c'est la dignité que porte ce travail. C'est le financement de notre modèle social. Sans économie, il n'y a pas de financement de notre modèle social soutenable. C'est le financement du progrès technologique dont nous avons besoin pour garder notre place parmi les nations qui comptent dans le monde si bien qu'à mes yeux, avec cette crise, parce que l'économie est touchée au coeur, nos civilisations modernes sont touchées au coeur. C'est en tout cas à ce niveau-là que je vois la crise sanitaire, la crise économique que nous vivons aujourd'hui.
De ce point de vue, si on parle de stratégie et de reprise, je pense qu'elle ne peut s'inscrire que dans la longue durée. Il y aura évidemment une reprise progressive à mettre en oeuvre avec un déconfinement sur lequel, à la demande du Premier ministre, nous travaillons avec notamment Jean Castex, pour augmenter le rythme de l'économie française qui, aujourd'hui, tourne au ralenti.
L'industrie tourne à 60 %. Il faudra progressivement, qu'avec une stratégie de déconfinement adaptée, nous puissions retrouver un rythme plus normal. Je dis bien « plus normal », mais pas « normal » parce qu'il est évident que les choses seront différentes après.
La clé de ce déconfinement réussi, ce sera la sécurité sanitaire des salariés et nous ne négocierons en rien sur aucun point la sécurité sanitaire des salariés. Elle est la condition pour que la reprise se fasse de manière confiante pour les Français.
Ensuite, il faudra réfléchir effectivement à une reprise de plus long terme et une stratégie de relance. Je vous donne ce que peuvent être pour moi, de manière très provisoire et en l'attente de discussions que j'aurai avec mes partenaires européens, avec les économistes, les quatre piliers d'une relance réussie.
D'abord, l'investissement sera la clé car ce qui va le plus manquer aujourd'hui, c'est l'investissement des entreprises, ce qui garantit la qualité de nos produits et la qualité des technologies.
Le deuxième pilier, ce sera de soutenir la demande. Car soyons clairs, il est évident que l'épargne de précaution qui est en train d'être construite aujourd'hui, sur laquelle je donnerai des chiffres précis, ne va pas se débloquer du jour au lendemain. Il est probable que les consommateurs auront des comportements attentistes et qu'il faudra donc inciter la demande.
En troisième lieu, comme l'indiquait le président de la commission des finances, il y aura un certain nombre de secteurs qui devront faire l'objet d'un soutien spécifique : le tourisme, l'hôtellerie, la restauration, l'industrie automobile, l'industrie aéronautique et le transport aérien. Tous ces secteurs, qui sont parfois à 80-90, 100 % d'arrêt, auront évidemment besoin, pour redémarrer, d'une stratégie spécifique.
Enfin, quatrième pilier de cette stratégie de relance sur le long terme, c'est évidemment la coopération européenne. Si nous décidons, ce que je crois sage, de soutenir les salaires les plus modestes, les salaires des personnes non qualifiées qui nous ont permis de continuer à avoir une vie à peu près normale pendant cette période de confinement, faisons attention à ce que, de l'autre côté, l'Allemagne n'ait pas une stratégie de modération salariale, car sinon, nous risquerions fort de nous retrouver exactement dans la situation des vingt dernières années où la France prend du retard par rapport à son voisin allemand.
Cette crise présente donc des risques considérables.
D'abord, des risques pour notre tissu productif, risque de faillites en cascade et risque de disparition de pans technologiques importants de notre industrie. Risque, à l'inverse, de voir certains de nos concurrents, en particulier les géants du numérique, avec des réserves de liquidités considérables qui se chiffrent en dizaines de milliards d'euros, accentuer encore leur domination par un mouvement de concentration très rapide. Risque de voir le taux d'épargne, comme je le mentionnais tout à l'heure, augmenter face aux incertitudes au détriment du financement de notre économie.
Pour vous donner les derniers chiffres dont je viens de disposer, les encours du Livret A et du Livret de développement durable et solidaire ont augmenté de 50 % entre mars 2019 et mars 2020. Quand on prend les encours bruts, ils ont doublé entre mars et février 2020. En février 2020, le montant total des dépôts sur le Livret A et le Livret de développement durable était de 1,5 milliard d'euros. Ils sont passés en mars à 3,8 milliards d'euros. Or, ce n'est pas d'épargne dont nous avons besoin aujourd'hui pour notre économie, c'est d'investissement.
Risque également pour les grands équilibres mondiaux. La zone euro est, pour la deuxième fois de son histoire, confrontée au défi de la solidarité, mais à une échelle incomparable avec celle de 2010-2011 et, devant la Commission des Finances de l'Assemblée nationale, je veux dire les choses avec le plus de clarté possible.
Soit la zone euro est unie et elle se renforcera, soit elle est divisée et elle disparaîtra. La zone euro ne survivra pas à l'aggravation des différences de développement économique entre ses membres.
Là aussi, je vous donne quelques chiffres. L'Allemagne est en train de dépenser 4 % de son PIB pour soutenir son économie. L'Italie en dépense 2 %. C'est l'inverse au regard des niveaux de développement économique de ces deux États qui serait raisonnable et bon pour la zone euro. Mais ce n'est pas ce qui se produit.
Des différences de rythme de reprise en Asie, aux Etats-Unis et en Europe pourraient également bouleverser l'ordre des puissances. La Chine en a parfaitement conscience et exploitera toutes nos faiblesses dans ce domaine. Nous devons en prendre conscience aussi. Enfin, les économies émergentes en Amérique du Sud et sur le continent africain pourraient être confrontées à des problèmes économiques insolubles, source de graves déstabilisations accentuées par la chute des prix des matières premières, en particulier les prix du pétrole.
Je rappelle qu'à son point le plus bas, le 30 mars, le prix du baril était à 23 dollars - trois fois moins cher qu'en janvier - et que le pétrole représente 40 % des ressources budgétaires des pays d'Afrique centrale.
Risque enfin pour nos démocraties. Je ne vois pas pourquoi les grands mouvements sociaux d'avant la crise en France et dans le reste du monde ne reprendraient pas après la crise. Ces mouvements sociaux sont gelés pour le moment, mais les causes de ces mouvements sociaux restent les mêmes. Ils peuvent donc reprendre demain avec plus de violence et ajouter de la crise politique à la crise économique.
C'est pour cela que je considère que la question essentielle, au lendemain de la crise que nous vivons aujourd'hui, sera la question de la lutte contre les inégalités économiques et que nous devrons mettre cette question au coeur de nos interrogations. Mais cette crise offre aussi, je veux insister là-dessus, des opportunités historiques.
D'abord, l'opportunité de repenser notre économie nationale, accélérer la transition vers une économie durable, relocaliser un certain nombre de productions stratégiques dans le domaine de la santé ou de l'énergie dont dépend notre indépendance. Mieux valoriser le travail de tous ceux qui nous permettent, au moment où je vous parle, de nous approvisionner, de nous soigner, de nous nourrir, de nous transporter quand cela est nécessaire.
Je disais en janvier 2020, avant la crise, qu'il fallait ouvrir des perspectives aux personnes les moins qualifiés, les moins bien rémunérées de notre pays. Je disais avant la crise, que la dynamique salariale depuis 2008, depuis la grande crise financière, avait été forte chez les personnes qualifiées et faibles, chez les personnes non qualifiées et que cela posait un problème de rémunération et de dignité par le travail.
Cette question aujourd'hui est devenue brûlante. Nous avons, avant la crise, répondu à un certain nombre de ces défis puisque nous avons relocalisé certaines activités comme les batteries électriques. Nous avons mieux rémunéré les salariés au niveau du SMIC avec la prime d'activité et la défiscalisation des heures supplémentaires. Nous avons investi massivement dans la transition écologique, dans l'économie circulaire, mais nous devrons aller beaucoup plus vite et beaucoup plus loin au lendemain de la crise.
Cette crise offre également des opportunités pour redonner du sens à la construction européenne. Et quand je regarde ce qui a été fait depuis la crise, un certain nombre de réponses ont été apportées, notamment par la Banque centrale européenne, et nous avons obtenu la semaine dernière, au niveau des 27 ministres des Finances européens, un dispositif de soutien immédiat qui est la preuve que l'Europe est capable de décider vite et fort :
540 milliards d'euros de soutien à nos économies à travers la Banque européenne d'investissement, le Mécanisme européen de stabilité et la procédure de financement du chômage partiel.
Nous avons également, dans cette réponse européenne, mis sur pied à la demande de la France, un fonds de relance dont nous demandons qu'il soit financé par la mise en commun de la dette future.
Mise en commun d'une dette future pour une durée limitée sur des investissements liés à la crise, cela nous paraît une proposition raisonnable et crédible, qui doit pouvoir convaincre nos partenaires européens. Il est essentiel que nous puissions réinvestir vite au moment de la sortie de la crise, sinon, nous verrons s'accroître les différences par rapport à la Chine ou par rapport aux Etats-Unis, et l'Europe perdra la possibilité d'être un véritable continent souverain au 21ème siècle.
Opportunité enfin, pour refonder un ordre multilatéral plus efficace et plus juste, notamment pour soutenir les pays en développement dont j'ai parlé. Nous avons demandé que le FMI procède à une allocation de 500 milliards de dollars de droits de tirage spéciaux pour soulager immédiatement les États les plus fragiles.
Nous continuerons à défendre cette idée. Nous avons un G20 dans quelques instants qui permettra de confirmer pour la première fois un accord entre tous les créanciers du G20, ceux du Club de Paris, mais également la Chine, l'Inde et les pays du Golfe, pour engager un moratoire sur la dette des pays les plus pauvres. C'est bien la preuve que nous pouvons profiter de cette crise pour relancer le multilatéralisme auquel nous sommes attachés.
C'est dans ce contexte-là que nous vous présentons, avec le ministre de l'Action et des Comptes publics, un projet de loi de finances rectificative pour 2020.
Tous les éléments que j'ai donnés nous amènent à réviser la prévision de croissance pour 2020. Nous proposons - 8 % comme prévision de croissance pour l'année à venir. C'est un chiffre sévère. C'est un chiffre provisoire. L'évolution de ce chiffre dépendra de la situation économique internationale et des risques de reprise de la pandémie en Europe et ailleurs. Il est donc à prendre avec toutes les précautions d'usage et même plus que les précautions d'usage, étant donné toutes les incertitudes qui pèsent sur la vie économique en Europe et dans le reste du monde.
Dans ce projet de loi de finances, nous retrouvons les choix simples, massifs et immédiats que nous avons proposés avec Gérald Darmanin dès le début du mois de mars pour répondre à cette crise.
Le premier choix, c'est celui de la préservation des compétences et des savoir-faire de nos salariés. Nous investissons massivement sur le chômage partiel. Nous allons avoir aujourd'hui 8,7 millions de personnes en chômage partiel, avec une indemnisation à 100 % au niveau du SMIC et à 84 % jusqu'à 4,5 SMIC. C'est 24 milliards d'euros pour ce dispositif d'activité partielle.
C'est un investissement sur les compétences des salariés français et c'est ce qui nous permettra aussi - pour reprendre la question du président de la commission - de repartir plus vite à la sortie de la crise parce que les compétences seront toujours là et qu'au lieu d'avoir des millions de chômeurs, nous aurons des personnes qui pourront reprendre rapidement le travail.
Le deuxième choix stratégique qui a été fait, c'est le soutien à la trésorerie des entreprises, notamment à travers la mise en place d'une garantie exceptionnelle de l'État à hauteur de 300 milliards d'euros pour tous les nouveaux prêts dont les entreprises auraient besoin.
À date, aujourd'hui, 103 000 entreprises ont obtenu des prêts par ce biais pour un montant total de 14 milliards d'euros.
Le troisième choix qui a été fait, c'est le soutien aux plus petites entreprises, aux TPE de moins de 10 salariés. C'est le sens du Fonds de solidarité qui a été mis en place dès le 31 mars, qui s'adresse à toutes les entreprises de moins de 10 salariés qui font moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires.
À ce jour, 900 000 entreprises ont fait appel à ce fonds de solidarité et nous avons écouté les parlementaires, notamment le président de la Commission, en modifiant les règles de calcul et en passant de 70 à 50 % la perte de chiffre d'affaires entre 2019 et 2020, qui permet d'être accessible à ce fonds.
Le quatrième choix, enfin, c'est la protection de nos entreprises les plus stratégiques. L'Allemagne le fait. Nous le faisons également parce que ces entreprises, qui ont perdu de leur valeur sur les marchés, pourraient être rachetées à vil prix, soit par des puissances étrangères, soit par des fonds étrangers.
Ces dispositifs, les chiffres que je viens d'avancer le montrent, ils marchent, mais ils doivent aussi être améliorés. Et tous les parlementaires m'ont fait remonter un certain nombre de propositions qui nous ont amenés, avec Gérald Darmanin, à modifier ces dispositifs, dont le projet de loi de finances rectificative, pour les rendre beaucoup plus efficaces et beaucoup plus larges dans leur accès.
S'agissant du Fonds de solidarité, nous proposons avec ce texte des améliorations qui sont attendues par tous les entrepreneurs.
D'abord, nous proposons de modifier la base de calcul de la perte du chiffre d'affaires. Avril 2019, c'est un mois où il y avait encore la crise des gilets jaunes. Les chiffres d'affaires étaient faibles, donc ce n'est pas un bon mois de référence pour le calcul des pertes. Nous proposons de prendre comme référence la moyenne mensuelle du chiffre d'affaires des entreprises en 2019. Cette nouvelle référence permettra également de prendre en considération des entreprises qui ont été créées il y a moins d'un an. Donc ça élargit considérablement le spectre du fonds.
En deuxième lieu, nous vous proposons avec le projet de loi de finances rectificative, d'élargir ce fonds aux entrepreneurs qui n'étaient pas éligibles : les agriculteurs membres d'un groupement agricole d'exploitation en commun, les artistes auteurs, les entreprises en situation difficile, celles qui sont en redressement judiciaire ou en procédure de sauvegarde.
Enfin, nous avons décidé également d'augmenter le plafond de l'enveloppe complémentaire dont peuvent disposer les entreprises au cas par cas. Le plafond passera de 2 000 euros à 5 000 euros.
Au total, ce Fonds de solidarité, si vous adoptez ce texte de loi de finances rectificative, passera de 1 milliard d'euros à 7 milliards d'euros. Et je tiens à remercier à la fois les Régions pour leur contribution de 500 millions d'euros, la participation des assureurs, la participation de certaines grandes entreprises.
Nous vous proposons également de renforcer le dispositif de soutien aux entreprises stratégiques, notamment par l'abondement du compte d'affectation spéciale de l'Agence des participations de l'Etat, que nous vous proposons de passer à 20 milliards d'euros pour soutenir nos entreprises stratégiques qui auraient besoin du soutien de l'Etat.
S'agissant des prêts garantis par l'Etat, nous vous proposons que les entreprises entrées en procédure collective depuis le début de l'année puissent aussi être éligibles à ce dispositif alors qu'elles ne le sont pas aujourd'hui.
Enfin, nous voulons apporter un soutien supplémentaire aux grandes PME et aux ETI de notre pays. Beaucoup de remontées sont venues du terrain, comme quoi elles n'y avaient pas accès.
Nous proposons 2 dispositifs.
Le premier pour les entreprises de taille intermédiaire de 300, 400, 500 salariés, en renforçant le Fonds de développement économique et social et en le portant de 75 millions d'euros à un milliard d'euros.
Ce fonds aura vocation à porter des prêts directs et non pas garantis, des prêts directs de l'Etat, en contrepartie d'une restructuration de l'entreprise et de financement complémentaire.
Pour les entreprises de 50 à 250 salariés, nous leur proposons par amendement la mise en oeuvre d'une enveloppe d'avances remboursables à hauteur de 500 millions d'euros. Cela permettra, par exemple, à une entreprise de décolletage de la Vallée de l'Arve, qui doit acheter immédiatement du matériel, de l'acier ou de l'aluminium, de payer ses fournisseurs et de redémarrer alors même qu'elle n'a pas de trésorerie.
Nous faisons donc le choix de protéger une nouvelle fois massivement le tissu productif français.
Toutes ces mesures complémentaires, comme l'a indiqué le Premier ministre, vont faire passer le montant total du plan de soutien à notre économie en trésorerie et en dépenses publiques de 45 à 110 milliards d'euros.
Cela portera le niveau d'endettement de la France à 115 %. Mais dans ces situations de crise, je pense qu'il faut faire des choix clairs.
Entre la dette et les faillites des entreprises, nous avons fait le choix de la dette. Ce n'est pas un choix durable et nous savons parfaitement qu'il faudra rétablir les finances publiques sur le long terme. Mais il nous semble que c'est le seul choix responsable qui permet de retrouver un tissu productif en bon état de marche au lendemain de la crise et d'éviter des faillites en cascade qui se solderaient par une crise sociale en plus de la crise économique que nous vivons actuellement.
Source https://www.economie.gouv.fr, le 16 avril 2020