Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à RTL le 20 avril 2020, sur les conséquences de l'épidémie covid-19, le chômage partiel, les contrôles sanitaires dans les entreprises en activité et la reprise du travail après la période de confinement.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

ALBA VENTURA  
Bonjour Muriel PENICAUD.  

MURIEL PENICAUD  
Bonjour Alba VENTURA. 

ALBA VENTURA  
Alors, tout le monde parle du 11 mai, mais on voit bien que c'est un horizon qui est compliqué à définir. En attendant, Muriel PENICAUD, est-ce que vous dites aux entreprises ce matin : si vous le pouvez, si vous avez du travail, eh bien je vous encourage à le faire, à reprendre donc le travail ? 

MURIEL PENICAUD  
Le but c'est de pouvoir retravailler en étant protégé, pour les salariés, et en étant sûr, pour le chef d'entreprise, qu'effectivement il peut faire travailler ses salariés de façon protégée. Ça, ça ne se décrète pas d'en haut, c'est quelque chose qui concerne l'ensemble des acteurs économiques, et notamment sur le terrain, le chef d'entreprise il doit discuter avec ses syndicats, avec ses salariés, pour voir s'il a des marchés, des fournisseurs, et comment on met en place la santé et la sécurité et on l'accompagne là-dessus. Il faut bien se dire que l'arrêt il a été brutal sur le plan économique, parce que la priorité absolue était sur la santé. Et il a amorti le choc social. 

ALBA VENTURA  
Et il a été massif aussi.  

MURIEL PENICAUD  
Et du coup il a été massif… 

ALBA VENTURA  
Je pense au secteur du BTP à l'arrêt à 88 %. Qu'est-ce que vous dites à ces entreprises ?  

MURIEL PENICAUD  
Eh bien moi je dis aux chefs d'entreprise que, s'ils le peuvent, c'est-à-dire s'ils retrouvent des marchés, s'ils mettent en place les guides de bonnes pratiques, en termes de santé et de sécurité, qu'on a fait secteur par secteur, puisque je comprends bien que par exemple un chef d'entreprise du bâtiment se pose la question : comment mes compagnons ils vont, s'ils sont dans la même camionnette, comment ils sont protégés, comment ils portent ensemble quelque chose de lourd, c'est pour ça qu'on fait des guides, on en fait 31 en un mois, dont un guide du BTP, qui est fait avec les partenaires sociaux, qui est fait avec les experts, qui permet métier par métier, de pouvoir dire à un chef d'entreprise : si vous respectez ça, vous respectez votre obligation de sécurité des salariés, donc vous êtes dans les clous, et au salarié de se dire : je peux aller en sérénité travailler, si ces protections sont mises en place, à ce moment-là j'ai la protection. Evidemment, c'est des métiers différents d'un métier à l'autre, parce qu'on a fait par exemple des guides sur agent de propreté ou chauffeur livreur, ou éboueur ou femme de chambre ou caissière. Ce n'est pas les mêmes. 

ALBA VENTURA  
Je pensais, Muriel PENICAUD, à l'industrie, où ça semble peut-être plus facile car plus automatisé. On voit que TOYOTA va redémarrer, là demain, le constructeur japonais qui reprend la fabrication de la petite YARIS près de Valenciennes. Ça c'est le bon exemple pour vous dans l'industrie notamment ? 

MURIEL PENICAUD  
Oui, TOYOTA c'est un bon exemple, puisque c'est aussi un bon exemple de méthode. Il y a eu beaucoup de dialogue de discussion avec les partenaires sociaux, pour voir comment on fait des rotations de travail, comment on organise le travail. Et ce que je veux dire aussi, c'est que pour beaucoup de chefs d'entreprise, ils se disent : mais moi je ne vais pas pouvoir repartir complètement, est-ce que ça vaut la peine que je reparte ? Alors je dis oui, vous pouvez repartir progressivement, et on va accompagner la montée progressive. Concrètement, ça veut dire quoi ? C'est qu'aujourd'hui tous ces chefs d'entreprise, c'est presque 9 sur 10 dans le bâtiment, un sur deux dans l'industrie, qui se disent : eh bien moi aujourd'hui j'utilise le chômage partiel, parce que je ne peux pas faire autrement, eh bien par exemple si un chef d'entreprise qui a 100 salariés demain retrouve du travail, retrouve de l'activité, du marché, qui lui permet de rappeler 20 de ses salariés, je rappelle qu'ils n'ont pas perdu leur contrat de travail, grâce au chômage partiel, à ce moment-là nous on continuera le chômage partiel sur 80, ça pourrait être dégressif en proportion de la remontée de l'activité. Ça c'est important parce que ça permet de ne pas être dans le tout ou rien. A l'arrêt, ça a été obligatoire, brutal. A la remontée, ça va être progressif, mais encore une fois ça se fait sur le terrain et ça peut commencer dès maintenant, il y a tous les jours des entreprises aujourd'hui qui se remettent en route en respectant bien sûr absolument les guides et donc les gestes de santé et sécurité. 

ALBA VENTURA  
Les patrons qui disent : moi j'ai une responsabilité morale et pénale là-dedans et je ne sais pas faire travailler mes salariés dans ces conditions. A eux, vous leur dites quoi ? Vous leur dites : n'ayez pas peur ou vous avez raison choisir le chômage partiel ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors, je dis qu'ils ont eu raison de choisir le chômage partiel, dans un premier temps, pour sauver l'emploi. Sauver l'emploi, c'est sauver les salariés et c'est mettre à l'abri tout le monde et c'est garder les compétences pour l'entreprise, pour repartir demain. Elle ne repart pas si elle a plus de compétences. Donc ça c'est bien dans un premier temps. Maintenant c'est le temps de travailler, entreprise par entreprise, site par site, sur quels sont les plans de reprise de l'activité ou de réaugmentation de l'activité. La responsabilité pénale de l'employeur elle est sur l'obligation de moyens. Ça veut dire quoi ? On regarde si l'entreprise a bien mis en place toutes les mesures qu'il fallait mettre en place, et c'est pour ça qu'on fait ces guides, qui sont très importants, parce que ce n'est pas du coup une abstraction, le chef d'entreprise il dit « je ne sais pas comment faire », là il y a le mode d'emploi et ils sont tous sur le site du ministère du Travail. En respectant ça eh bien on remplit son obligation, et puis on permet à son entreprise de repartir et à ses salariés de repartir.  

ALBA VENTURA  
Muriel PENICAUD, est-ce qu'il y a des contrôles dans les entreprises ?  Je vous pose cette question, parce que certains inspecteurs du travail, délégués syndicaux, affirment que votre ministère a passé des consignes pour ne pas contrôler certaines entreprises.  

MURIEL PENICAUD  
Oui, alors c'est évidemment complètement faux. Toute la mission de l'Inspection du travail et toute la valeur de l'inspection du travail, c'est justement d'aller sur le terrain, pour faire des contrôles, pour rencontrer le chef d'entreprise, le management, les syndicats, les salariés, et observer. Observer des faits. Donc on a d'ailleurs actuellement une trentaine d'entreprises en France, qui ont été mises en demeure et qui doivent sous les 2, 3 jours, rectifier le tir en matière de santé et de protection des salariés, sinon ils devront fermer. 

ALBA VENTURA  
Elles ont été prises en défaut ? 

MURIEL PENICAUD  
Oui, il y en a une trentaine qui ont été prises en défaut sur 785 000 aujourd'hui qui sont au chômage partiel, et 700 000 qui travaillent. Donc évidemment on a des plans de contrôle, ce qui est logique, puisque notre but c'est la protection des salariés, et donc je peux vous dire que l'immense majorité des Inspections du travail sont très mobilisées sur le sujet. C'est vraiment leur ADN… 

ALBA VENTURA  
Ils peuvent faire leur travail facilement ?  

MURIEL PENICAUD  
Eh bien ils vont leur travail, je peux vous dire, tous les jours. Ils sont encouragés, aidés par la Direction générale du travail, qui est de l'administration qui est l'autorité dans ce domaine, et donc dire qu'ils ne peuvent pas le faire, bien évidemment c'est gravement inexact, mais la réalité c'est que les contrôles se font. 

ALBA VENTURA 
 Ont lieu. Muriel PENICAUD, Madame la Ministre du travail, aujourd'hui c'est environ un salarié sur deux qui est en chômage partiel, on en est à combien précisément, 9 millions de salariés, 10 millions de salariés ? 

MURIEL PENICAUD  
Ce matin, ce sont 9,6 millions de salariés qui gardent leur contrat de travail, sont en chômage partiel, mais dont le salaire est payé par l'Etat, en l'occurrence le ministère du Travail. C'est une situation donc tout à fait hors du commun, qu'on n'a jamais connue en France. Il y a des pays qui font aussi du chômage partiel, c'est le cas de l'Allemagne ; le Royaume-Uni a décidé de le mettre en place, les pays du Nord la plupart en ont. Je crois que c'est quelque chose d'inédit… 

ALBA VENTURA  
Ça peut monter jusqu'où ? 

MURIEL PENICAUD  
Je ne sais pas, mais on est quasiment à un salarié sur deux dans le secteur privé, dans le pays, dont le salaire est payé par l'Etat.  

ALBA VENTURA  
Et vous imaginez 12 millions de salariés au chômage partiel ?  

MURIEL PENICAUD  
Ce que j'espère c'est que le flux montant de l'activité, les reprises vont se croiser et qu'à un moment donné ça va commencer à décroître. Je ne crois pas que ça va décroître d'un coup, je le redis, le 11 mai on ne ferme pas le chômage partiel, parce que sinon il y aurait des catastrophes… 

ALBA VENTURA  
Ça ne s'arrête pas. 

MURIEL PENICAUD  
Ça ne s'arrête pas, parce que sinon l'entreprise, elle se retrouverait complètement démunie, les salariés aussi, mais ça va être dégressif, c'est-à-dire qu'au fur et à mesure où l'activité reprend, on a moins besoin de chômage partiel, entreprise par entreprise, ça peut se discuter. Donc, c'est très élevé, moi je crois qu'on peut être fier en France d'avoir mis à l'abri comme ça les Français d'une catastrophe sociale. C'est un rôle d'amortisseur social. Je compare aux Etats-Unis, aux Etats-Unis en 4 semaines c'est 22 millions de personnes qui ont perdu leur emploi. Voilà, c'est le choix qu'on a fait, c'est la protection. 

ALBA VENTURA  
Oui, ce n'est pas la même population quand même, on ne peut pas comparer de ce point de vue là… 

MURIEL PENICAUD  
Oui oui, mais même à proportion ça voudrait dire plusieurs millions de Français qui auraient perdu leur emploi. 

ALBA VENTURA  
Autre question, une boîte qui touche le chômage partiel, est-ce qu'elle sera interdite de licenciement ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors, on ne peut pas interdire des licenciements, mais on regardera de très près… 

ALBA VENTURA  
L'Italie l'a fait, non ?  

MURIEL PENICAUD  
Oui, mais si vous interdisez les licenciements à une entreprise qui est exsangue, certaines vont quand même sortir de cette crise dans un état très difficile. Moi j'aime mieux prolonger le chômage partiel, le temps que l'activité reprenne. Je trouve que c'est mieux que de mettre un couperet. Encore une fois, mon but c'est de protéger l'emploi et d'éviter les défaillances d'entreprises. Donc j'aime mieux faire progressivement, pour que l'activité reprenne, encore une fois je crois que sur le terrain on peut le faire dès maintenant, si on a les conditions de santé et de sécurité, rien n'empêche de travailler aujourd'hui, sauf évidemment les bars, les cafés, les restaurants, mais on va y aller progressivement. 

ALBA VENTURA  
Quel impact, Muriel PENICAUD, tout cela aura sur le chômage ? On va connaître les chiffres du chômage fin avril, on se dit qu'avec une croissance à - 8, vous tablez sur quel pourcentage de la population au chômage ? 

MURIEL PENICAUD  
Moi, je n'ai pas aujourd'hui de chiffres là-dessus, ça va dépendre beaucoup beaucoup… 

ALBA VENTURA  
Le FMI dit plus de 10 %.  

MURIEL PENICAUD  
Oui, mais globalement, donc ça dépend beaucoup quand même, ce n'est  pas uniquement mécanique, ça dépend beaucoup des acteurs socio-économiques. Encore une fois, si on reprend, il y a beaucoup de choses qui vont reprendre, aujourd'hui les Français épargnent beaucoup. Il y a un bond de l'épargne pendant le confinement. Est-ce que demain cette épargne va sur la consommation ? Eh bien ça aidera, surtout si c'est des produits français, ça aidera l'économie à repartir. Donc il y a beaucoup de comportements qu'on ne connaît pas aujourd'hui. Moi ce que j'espère, c'est qu'il y ait un sursaut, un sursaut vraiment sur oui on a besoin pour sauver les emplois, pour sauver l'avenir économique du pays, que tout le monde s'y mette, c'est-à-dire que les entreprises se remettent à travailler, en protégeant les salariés, mais aussi que les consommateurs aient un comportement finalement j'en appelle au consommateur-citoyen, qui permette aussi cette reprise. Donc ça c'est des inconnues aujourd'hui, mais je crois qu'on fait tout pour l'encourager. 

ALBA VENTURA  
Vous avez fait référence il y a eu une seconde, aux hôtels, aux restaurants, ça c'est un secteur extrêmement impacté qui aura besoin de tous les parachutes si j'ose dire.  

MURIEL PENICAUD  
Oui, alors on est effectivement forcément inquiets pour le secteur des bars, des cafés, de la restauration, qui est un grand secteur d'emploi dans le pays, et qui est aussi quelque chose dans l'ADN de la vie quotidienne en France, qui est très important. C'est important pour les restaurateurs, pour leurs salariés, mais aussi pour tous les Français, et donc dans le cadre du plan de déconfinement, évidemment, avec notamment Bruno LE MAIRE on travaille sur ce sujet plus…  et avec le Premier ministre, on va travailler sur un plan particulier pour les cafés et restaurants, parce qu'ils ne vont pas pouvoir ouvrir en même temps, eux c'est les seuls qui n'ont pas le droit de rouvrir, c'est les seuls qui n'ont pas le droit aujourd'hui de travailler et il faudra les aider spécifiquement, bien sûr. 

ALBA VENTURA  
Muriel PENICAUD, vous dialoguez sans cesse avec les syndicats. Sur l'attitude des syndicats, on a vu mettre à l'arrêt le géant américain du commerce en ligne AMAZON, on a vu la CGT vouloir mettre à l'arrêt la métallurgie. Ce sont vos ennemis ces syndicats-là, SUD, CGT ? 

MURIEL PENICAUD  
Alors moi, depuis plus d'un mois, deux ou trois réunions par semaine, longues réunions téléphoniques bien sûr, avec l'ensemble des organisations syndicales et patronales représentatives. Donc les cinq organisations syndicales représentatives, les trois organisations patronales. Ce que je peux vous dire déjà, c'est que là il y a un esprit de responsabilité, de dialogue, de construction, qui est fort. Il y a toute une série de mesures que l'on a prises… 

ALBA VENTURA  
Avec la CFDT, avec… 

MURIEL PENICAUD  
Alors il y a la CFDT, la CFTC, l'UNSA, la CGT et Force Ouvrière. On est, c'est grâce à ce dialogue nourri, continue qui est le coeur du métier du ministre du Travail, mais qui ont permis d'améliorer beaucoup, d'accélérer toute une série de mesures, dans les ordonnances, parce qu'ils ont vu les angles morts éventuels sur des catégories de gens qui n'auraient pas été touchés par le chômage partiel, ils valident les guides de la santé. Donc on a un travail très important. Et sur le terrain, dans l'immense majorité, ça se passe bien. C'est d'ailleurs comme ça qu'on va reprendre, c'est par le dialogue direct. Et puis il y des exceptions… 

ALBA VENTURA  
On voit qu'il y a des recours, oui, voilà. 

MURIEL PENICAUD  
Oui, il y a des recours, il y a des exceptions, je vais vous dire, moi j'en appelle à l'esprit de responsabilité, c'est l'intérêt de personne de…  Je pense que ce n'est pas l'intérêt des salariés que de laisser l'économie, parce que c'est trop dangereux. Plus ça dure et plus c'est difficile de repartir. Donc, évidemment, et je ne le répéterai jamais assez, avec les conditions de sortie et de protection, mais moi je salue quand même les organisations qui disent : il faut reprendre le travail avec la sécurité et la santé, qui sont garanties, je crois que c'est l'esprit, parce que l'outil de travail à l'arrêt, ça n'a jamais protégé les salariés.  

ALBA VENTURA  
Merci beaucoup Muriel PENICAUD, on va vous retrouver tout à l'heure évidemment avec les auditeurs, et je remercie aussi Jonathan GRIVEAU, qui a permis d'assurer la liaison technique.  

YVES CALVI  
Le but c'est de pouvoir retravailler, mais en étant protégé. Muriel PENICAUD qui réfute toute consigne pour limiter les contrôles dans les entreprises. Rien n'empêche de travailler en respectant toutes les consignes de distanciation dès aujourd'hui, hormis l'hôtellerie restauration et les bistros. Plus ça dure, plus de sera difficile de repartir, vient de nous dire la ministre. Vous savez que vous pouvez l'interroger au 32 10 et au 64 900 code matin. Chômage partiel, réouverture des magasins et des entreprises, Muriel PENICAUD répondra à vos questions à partir de 08h15, sur notre antenne. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 21 avril 2020