Déclaration de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie et des finances, sur les mesures d'aides aux entreprises présentées dans le projet de loi de finances rectificatif pour 2020 pour faire face à la crise économique provoquée par l'épidémie de covid-19, à l'Assemblée nationale le 17 avril 2020.

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Circonstance : Présentation du deuxième projet de loi de finances rectificatif pour 2020

Texte intégral

Monsieur le Président,  
Monsieur le Président de la Commission des finances,  
Monsieur le Rapporteur général,  
Mesdames et messieurs les Députés,  


 Nous examinons, aujourd'hui, le projet de loi de finances rectificative, dans un contexte économique qui n'a aucun précédent dans notre histoire contemporaine.  

 Nous sommes confrontés à un choc économique, que j'ai pu comparer à la crise de 1929 par la violence de la récession, qui touche notre économie réelle, qui est profond, qui est durable, qui a un impact sur toutes les entreprises françaises, sur tous les salariés sans exception dans leur vie quotidienne.  

 C'est une crise qui touche tous les Etats de la planète, aucun ne fait exception, par vagues successives, la Chine, puis l'Europe, puis les Etats-Unis aujourd'hui, et sans doute demain les pays émergents en Amérique du Sud, puis sur tout le continent africain, seront touchés.  

 Pour la première fois de notre histoire contemporaine, c'est toute l'économie mondiale qui va se retrouver à l'arrêt. Et la réalité de la crise, ce n'est pas un modèle économique qui aurait échoué, ou un autre qui aurait réussi, c'est une économie qui est à l'arrêt en raison d'une pandémie mondiale.  

 C'est ce qui nous a amenés à réviser les chiffres de croissance.  

 J'avais indiqué, dès les premiers jours de cette crise, que ce serait une crise d'une gravité sans précédent. Nous avions évalué, au départ, la perte de croissance à - 1 %.  

 La durée du confinement, l'extension de la crise à l'ensemble des pays, nous ont amenés à réviser cette prévision de récession à - 8 % pour l'année 2020. C'est un chiffre sévère, ce n'est pas un chiffre définitif. Et pour tout vous dire, j'aimerai être certain que nous en restions là. 

 Mais ça dépendra de l'évolution de la pandémie, est-ce qu'elle reprend ou non en Asie ? Cela dépendra de son impact sur les plus grandes économies de la planète, je pense en particulier aux Etats-Unis. Cela dépendra de ce qui se passe demain dans les pays en développement, en particulier chez nos voisins africains.  

 Donc, je le dis avec beaucoup de modestie et d'humilité, cette prévision de récession à - 8 %, est à prendre avec la plus grande prudence.  

 Face à cette crise, nous avons fait, avec le président de la République, avec le Premier ministre, avec le ministre de l'Action et des Comptes publics, un choix stratégique que je revendique : apporter le maximum de soutien de l'État à nos entreprises et à nos salariés.  

 Ce choix-là, je le redis, je le revendique, parce qu'entre la croissance de l'endettement, et la multiplication des faillites, nous avons choisi la croissance de l'endettement, et la préservation de notre tissu économique.  

 C'est sans doute un choix qui pourra être débattu le moment venu, mais je l'expose ici avec beaucoup de clarté, devant vous. Nous n'avons compté ni les moyens, ni le soutien public, ni la singularité des dispositifs, pour faire face à cette crise économique dont nous avons pris la mesure tout de suite.  
 
Nous avons d'abord mis en place un dispositif pour ne pas perdre les compétences, qui sont ce qu'il y a de plus précieux dans une économie. Ce sont des savoir-faire, des qualifications qui ont demandé des années et des années de travail à nos salariés, à nos ouvriers et à nos employés, que nous avons voulu préserver. Que ça ne soit pas jeté aux orties du jour au lendemain, en raison de la violence de la crise.  

 Donc, nous avons développé un système de chômage partiel, qui est effectivement le plus généreux d'Europe, et qui ne correspond pas à ce qui était fait jusque-là en France.  

 Jusque-là, en France, quand il y avait une crise, on acceptait qu'une partie des salariés soit au chômage partiel, puis qu'une autre partie soit licenciée. Nous avons refusé, politiquement et économiquement, les licenciements de masse, et nous avons accepté de porter l'indemnisation du chômage partiel jusqu'à 4,5 SMIC, indemnisé à 100 % au niveau du SMIC, à 84 % du salaire net au-delà.  

 Le coût de cette mesure est extrêmement élevé, puisque près de 9 millions de salariés aujourd'hui sont au chômage partiel, mais j'estime que cette dépense, qui dépasse la vingtaine de milliards d'euros, est un investissement.  

 Un investissement sur les hommes et les femmes qui font notre économie. Un investissement sur les années d'apprentissage, de qualification, que ces salariés ont acquis dans leurs entreprises, et un investissement sur la reprise, car c'est le chômage partiel qui nous permettra de reprendre le plus vite possible l'activité.  

 Nous avons fait un deuxième choix : c'est le soutien à la trésorerie des entreprises, par le report de charges sociales, le report de charges fiscales, par la mise en place d'un prêt garanti par l'État à hauteur de 90 %, jusqu'à 300 milliards d'euros de garantie de l'État, par le report d'un certain nombre de factures, d'eau, de gaz, d'électricité. Le soutien à la trésorerie des entreprises est absolument vital dans cette période de crise.  

 Nous avons fait un troisième choix, qui est de soutenir les petits entrepreneurs, les très petites entreprises, celles de moins de 10 salariés, qui sont très souvent celles qui ont pris de plein fouet la violence de cette crise, et nous avons mis en place un fonds de solidarité, que nous n'avons cessé d'améliorer depuis sa création. Aujourd'hui, plus de 900 000 très petites entreprises de moins de 10 salariés ont fait appel à ce fonds de solidarité.  

 Enfin, nous avons fait un quatrième et dernier choix, c'est de mettre en place les dispositifs pour soutenir nos grandes entreprises stratégiques, celles qui font la solidité de l'armature économique de notre pays. Que ce soit dans le secteur aéronautique, automobile ou de la santé, il est indispensable de pouvoir protéger des entreprises qui, aujourd'hui, ont une valorisation qui s'effondre et qui deviennent des proies faciles pour des investisseurs étrangers.  

 Nous n'avons pas vocation à vendre ce qui a fait la puissance économique de notre nation depuis des décennies. Le projet de loi de finances rectificative que nous vous présentons avec le ministre de l'Action et des Comptes publics a vocation, tout simplement, à renforcer ce dispositif d'urgence.
  
 Il a été mis en place, il est efficace, il a été massivement sollicité, il répond aux besoins des entrepreneurs et des salariés mais il a, tout simplement, besoin d'être renforcé.  

 Il a besoin d'être renforcé financièrement pour le chômage partiel parce que comme ça fonctionne très bien, c'est évidemment très coûteux.  

Il a besoin d'être renforcé pour tenir compte des remarques et des critiques qui sont remontées du terrain et que vous nous avez remontées, vous les parlementaires de quelque groupe que ce soit.  

 Nous vous avons tous écoutés sans exception et vous nous avez fait part de remarques sur la manière dont le chiffre d'affaires était calculé dans ce fonds de solidarité, en nous disant par exemple que prendre le mois de mars 2019 comme point de référence, en disant c'est une perte de 70 % entre mars 2019 et mars 2020, c'était excessif. 70 %, c'était trop élevé. Nous avons baissé à 50 %.  

 Vous nous avez dit que le mois d'avril, ce n'est pas la bonne référence parce que c'était un mois où le chiffre d'affaires n'était pas bon en raison du mouvement des Gilets jaunes. Et puis, il y a des entreprises qui ont été créées après. Nous avons changé aussi dans ce projet de loi de finances rectificative pour prendre la moyenne des 12 derniers mois de 2019.  

 Vous nous avez dit que le deuxième étage, celui qui se fait au cas par cas, qui va jusqu'à                     2 000 euros était insuffisant parce que c'est vrai que pour une entreprise de 5 ou 6 salariés, si on touche les 1 500 euros et qu'on a besoin d'une enveloppe complémentaire de 1 000 euros, parfois c'est insuffisant. Nous montons cette enveloppe à 5 000 euros.  

 Vous nous avez dit également que trop d'entrepreneurs étaient exclus de ce fonds. Les agriculteurs en GAEC, ils vont être dedans. Les entreprises qui sont en situation de fragilité, celles qui sont en redressement judiciaire, par exemple. Elles seront dedans. Nous améliorons donc le dispositif au fur et à mesure, comme nous devons le faire systématiquement sur un dispositif d'urgence.  

 Sur les questions de trésorerie, vous nous avez fait remonter, vous et les entrepreneurs, un certain nombre de critiques en disant "voilà sur les prêts garantis pour les entreprises, il y a parfois des refus. " 

 Je tiens à dire que ces refus sont en nombre limité et que, contrairement à ce qu'on dit trop facilement, les banques font le travail. Les succursales bancaires font le travail. Les agents qui sont derrière les guichets et qui reçoivent les chefs d'entreprise par milliers font leur travail et accordent très largement les prêts.  

 Alors oui, il y a encore un taux de refus autour de 4 à 5 % et j'ai demandé à connaître ce taux de refus jour après jour pour le rendre transparent et le transmettre à la représentation nationale et à l'ensemble des Français. 

 Je voudrais que nous améliorons cette situation et que le taux de refus soit plus faible, mais il reste de l'ordre de 4 à 5 %, ce qui veut dire que 95 % des prêts sont bien accordés aux entreprises. Mais même ces 4 à 5 %, je ne les laisserai pas tomber, nous nous en occuperons et nous mettrons en place des dispositifs spécifiques.  

 Une entreprise qui n'aurait pas trouvé un prêt auprès de son agence bancaire, qui serait allée à la Médiation du crédit pour avoir une solution et qui n'aurait pas trouvé de solution auprès de la Médiation du crédit pourra s'adresser à l'État et pourra bénéficier, dans le cadre du fonds de développement économique et social, d'un prêt direct, non pas un prêt garanti mais un prêt direct de l'État, sous condition évidemment de restructurer l'entreprise pour qu'elle soit profitable demain.  
 
Nous n'avons pas vocation à dépenser l'argent des Français pour des entreprises qui n'auraient aucun avenir devant elles. Mais pour toutes celles qui sont en grande difficulté, qui ont juste besoin de se restructurer et qui ont besoin d'argent frais, l'État apportera un prêt direct à travers le Fonds de développement économique et social dont le montant sera porté de 75 millions d'euros à 1 milliard d'euros.  

 En troisième lieu, nous allons mettre en place des dispositifs spécifiques pour toutes les PME qui veulent redémarrer et qui ont surtout besoin de trésorerie immédiate, de liquidités.  

 Je pense au restaurateur qui a 20-30 salariés, qui est un restaurateur important : il veut redémarrer, sa trésorerie est à sec et il a besoin de liquidités. Eh bien, nous mettrons en place des avances remboursables pour ces entreprises.  

 Je pense à l'entreprise de décolletage qui se trouve dans la vallée de l'Arve, qui aujourd'hui n'a plus de commandes, l'industrie automobile est à l'arrêt, elle-même est à l'arrêt et pour redémarrer, il va falloir qu'elle achète des billes d'acier ou de l'aluminium et donc elle va devoir sortir de la trésorerie qu'elle n'a pas. Elle pourra disposer d'avances de trésorerie sous forme d'avances remboursables qui seront fournies par l'État.  

 Nous mettons 500 millions d'euros sur ce dispositif.  

 Enfin, pour la protection des grandes entreprises, le compte d'affectation spéciale de l'Agence des participations de l'État n'est aujourd'hui pas suffisamment fourni pour protéger les plus grandes entreprises françaises. Nous en avons conscience et donc nous montons aujourd'hui dans le projet de loi de finances rectificative, si vous en êtes d'accord, l'enveloppe à 20 milliards d'euros dans le compte d'affectation spéciale de l'État pour pouvoir soutenir en capital les entreprises stratégiques qui sont aujourd'hui les plus menacées.  

 Voilà les principales dispositions que je voulais vous présenter.  

 Je terminerai mon intervention en vous disant qu'avec le ministre de l'Action et des Comptes publics, tous les jours, nous cherchons des solutions fortes et efficaces pour les salariés comme pour les entreprises. Tous les jours, nous regardons quel secteur a besoin d'un soutien spécifique et nous savons que nous avons devant nous, dans la perspective du retour à l'activité, de la reprise d'activité de l'économie française, des défis absolument considérables.  

 Mais je pense que nous affronterons mieux ces défis considérables sur la base du plan d'urgence que nous avons adopté et du renforcement que nous vous proposons aujourd'hui que si nous avions laissé faire la crise et tous les dégâts qui vont avec.  


 Merci à tous. 


Source https://www.economie.gouv.fr, le 20 avril 2020