Texte intégral
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Bonjour Monsieur le ministre. BRUNO LE MAIRE Bonjour.
ROSELYNE FEBVRE
Depuis le début de la crise vous avez, Monsieur le ministre, un discours churchillien vous dites que le redressement sera long, difficile et coûteux, et qu'il n'y aura que des efforts à fournir. Vous avez fait vôtre la doctrine d'Emmanuel MACRON, sauver l'économie quoi qu'il en coûte, ce qu'il faut retenir pour la France c'est notamment 300 milliards de prêts garantis par l'Etat, c'est beaucoup, c'est massif, mais est-ce que c'est suffisant ?
BRUNO LE MAIRE
C'est une première étape, en tout cas, mais je vous confirme que nous avons décidé, avec le président de la République et le Premier ministre, de tout faire pour sauver notre économie, et pour éviter qu'il y ait des faillites en cascade, des millions de chômeurs qui s'inscrivent à Pôle emploi, comme c'est le cas actuellement aux Etats-Unis, plus de 10 millions de personnes qui se sont inscrites au chômage en 15 jours, nous nous avons voulu éviter cette casse économique et cette casse sociale. Et nous avons mis beaucoup d'argent public, 45 milliards d'euros d'aides publiques sur un plan d'urgence économique, 300 milliards d'euros de prêts garantis par l'Etat, pour justement éviter cette casse économique et sociale, parce que nous avons pris la mesure de cette crise depuis le premier jour. J'ai fait une comparaison avec la grande récession de 1929, parce que je crois que c'est de la même ampleur, tous les pays sont touchés, tous les continents sont touchés, c'est extraordinairement brutal pour des millions d'entrepreneurs dans notre pays, et je le redis, le redressement sera long, difficile et coûteux. Et donc il vaut mieux éviter qu'il y ait de la casse sociale et de la casse économique, soutenir les salariés, payer le chômage partiel, soutenir les entreprises notamment en reportant les charges sociales et en reportant les charges fiscales, plutôt qu'avoir à tout reconstruire demain, je pense que c'est la politique la plus responsable et la plus sage.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
La France manque cruellement de tests, de masques aussi, et ces masques elle en attend un milliard de la Chine, mais actuellement les Américains les détournent, en faisant de la surenchère, est-ce que la France doit renoncer aux masques chinois, est-ce que la France est condamnée à la pénurie de masques ?
BRUNO LE MAIRE
Aujourd'hui l'essentiel, le Premier ministre l'a clairement dit hier, c'est de doter le plus grand nombre de personnes possibles en masques, et en priorité absolue, absolue, les personnels soignants, ceux qui sont au contact quotidien du virus et qui nous protègent, qui nous soignent, qui accompagnent les malades, c'est à eux que nous devons impérativement fournir des masques. Alors, on les trouve en Chine, on a aussi beaucoup accéléré la production nationale, la production française, moi je veux saluer tous les industriels qui ont converti leurs chaînes de production pour produire des masques, je pense que c'est une bonne démarche, c'est une démarche qui est responsable, qui est patriote, je dirais, et nous devons, dans les semaines et dans les jours qui viennent, produire le plus grand nombre de masques possibles, sur le territoire national. Après il faut en tirer une conséquence de long terme, c'est la nécessité absolue de reconstruire certaines chaînes de valeur en France, que ce soit sur les principes actifs de certains médicaments, qui aujourd'hui sont produits en Chine, sur les masques, sur les respirateurs, il faut que nous soyons indépendants, ça c'est une leçon que nous allons tirer de cette crise sociale et de cette crise sanitaire, il faut renforcer l'indépendance économique de notre pays.
ROSELYNE FEBVRE
Voilà, une réflexion qui est déjà en cours depuis un petit moment, de votre part également. Alors, le manque de solidarité fait….
BRUNO LE MAIRE
Ça fait plusieurs mois que je défends cette idée de souveraineté économique, et je peux vous dire que je me sens conforté dans mes convictions, dans ma position, il faut renforcer notre souveraineté économique nationale, et notre souveraineté économique européenne. Ce que nous avons fait pour les batteries électriques il y a maintenant près de 2 ans, avec mon homologue allemand Peter ALTMAIER bas, eh bien il faudra le faire pour beaucoup d'autres chaînes de production, notamment dans le domaine médical.
ROSELYNE FEBVRE
« Le manque de solidarité fait courir un danger mortel à l'Union européenne », cette déclaration est signée Jacques DELORS. Premièrement, est-ce vous partagez cette crainte, et espérez-vous que le mécanisme européen de stabilité, qui a été créé après la crise financière de la Grèce pour aider les Etats en crise financière, sera activé, parce que, dans le fond, c'est sa raison d'être ?
BRUNO LE MAIRE
Je partage à 100 % l'analyse de Jacques DELORS, si l'Europe n'est pas fidèle à ses racines historiques, c'est-à-dire celles si elle ne fait pas preuve de solidarité humaine, et si elle ne fait pas passer cette solidarité humaine avant toute considération économique ou financière, elle ne s'en relèvera pas, simplement parce que le projet politique européen perdra son sens, les millions de citoyens européens, notamment en Italie ou en Espagne, diront à quoi ça sert de continuer une construction politique qui n'est même pas capable d'avoir un minimum d'empathie, de solidarité, à l'égard des peuples qui souffrent ? Donc je partage à 100 % cette analyse de Jacques DELORS, et c'est pour ça que je me bats, tous les jours, avec le président de la République, pour que cette solidarité prenne une forme très concrète. Il y a des bonnes décisions qui ont commencé à être prises, elles ont été prises tardivement, mais elles ont été prises par l'Europe pour soutenir notre économie, maintenant nous sommes à la croisée des chemins, soit nous continuons, et nous montrons notre solidarité, de manière très concrète, vis-à-vis de tous les pays qui sont touchés par le virus, soit nous revenons à nos égoïsmes nationaux, l'Europe ne s'en relèvera pas, l'Europe mourra, et la zone euro disparaîtra. C'est pour ça que mardi prochain nous avons un rendez-vous très important, c'est la réunion des ministres des Finances de la zone euro, il faut qu'il y ait des décisions, mardi prochain, pas des palabres, des décisions, de soutien aux économies de la zone euro. Décision d'activation du mécanisme européen de stabilité, on a créé ce mécanisme pour faire face à la crise, il y a une crise majeure, comme nous n'en n'avons pas connue depuis 2008, donc il faut utiliser ce mécanisme européen de stabilité, sinon à quoi ça sert d'avoir créé ce mécanisme. Utilisation, en deuxième lieu, de la Banque européenne d'investissement, elle a des crédits, elle a de l'argent, eh bien il est temps de l'utiliser pour aider les pays qui ont besoin d'investir dans leurs hôpitaux, dans leur matériel médical, dans la réponse à la crise. Troisième lieu, mécanismes de soutien au chômage partiel, on a tous dépensé beaucoup d'argent pour le chômage partiel, la présidente de la Commission européenne vient de proposer de financer ces mécanismes de chômage partiel, je pense que c'est une excellente idée. Et puis il y a une quatrième proposition, celle qui fait le plus débat aujourd'hui, c'est de créer, nous l'avons proposé hier, de créer un fonds qui soit un fonds de réponse aux conséquences de la crise économique, qui pourrait être financé, soit par des dotations des pays, soit par une taxation de solidarité spécifique, et qui nous permettrait, sur le long terme, d'avoir l'argent disponible pour reconstruire notre économie et relancer l'économie européenne. Et j'espère que cette solidarité entre les Etats membres de l'Union européenne, à travers ce fonds de réponse à la crise économique, trouvera un écho dès mardi prochain.
ROSELYNE FEBVRE
Alors, si tout est mis à bout, et si tout est activé, comme vous venez de le dire, on sait que même avec le MES, le mécanisme de solidarité, ce ne sera peut-être pas suffisant, ou l'idée d'émettre des « corona bonds », c'est-à-dire d'emprunter, c'est-à-dire sous forme d'obligations…
BRUNO LE MAIRE
C'est l'idée, vous avez tout à fait raison Roselyne FEBVRE, le mécanisme européen de stabilité, pour donner des ordres de grandeur, si nous le développons à la mesure de ce que nous avons proposé, c'est 240 milliards d'euros qui seraient mis à disposition de 19 Etats membres de la zone euro, c'est déjà une somme qui est importante.
ROSELYNE FEBVRE
Parce que c'est 410 milliards normalement, donc vous prendriez la moitié…
BRUNO LE MAIRE
Voilà, on peut débloquer 240 milliards, ces 240 milliards c'est déjà une somme très importante, et après chaque Etat aurait le droit de tirer en fonction de ses besoins. Mais ça ne suffira pas sur le long terme, il faut plus, et il faut, de ce point de vue-là, mettre en commun, effectivement, de la dette entre les Etats membres de la zone euro, c'est ce que nous proposons à travers ce fonds, il vaut mieux faire de la dette aujourd'hui, avec des taux d'intérêts qui sont faibles, et avoir des moyens financiers à disposition, plutôt que de laisser notre économie s'effondrer. C'est ce que nous proposons avec ce fonds de réponse à la crise du coronavirus, qui serait financé par de la dette, remboursé, comme je l'ai dit, soit par une taxe de solidarité, soit par des contributions nationales, et qui, je ne veux pas donner de montant sur ce fonds, il est encore trop tôt pour le dire, mais ça nous permettrait d'avoir, sur plusieurs années, nous avons proposé que ce soit un fonds de 5 à 10 ans, sur plusieurs années, tous les Etats membre de l'Union européenne, auraient les moyens nécessaires pour relancer leur économie, parce que croyez-moi, la relance de l'économie, en France comme en Europe, elle sera coûteuse et elle sera difficile.
ROSELYNE FEBVRE
Si les Allemands font cette relance d'ailleurs.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Bruno LE MAIRE, il y a très peu de pays du Sud dotés des moyens médicaux pour faire face à ce terrible coronavirus, notamment des respirateurs, des postes de réanimation. Pour aider ces pays du Sud, c'était sur RFI et France 24 il y a une semaine, Antonio GUTERRES, le secrétaire général de l'ONU, a proposé un plan d'urgence de 3 000 milliards de dollars. Alors, vous parlez vous-même de ces égoïsmes nationaux, chacun voit midi à sa porte, on le voit bien avec les masques, vous voyez la bataille entre Chinois, Américains et Français, est-ce que franchement aujourd'hui, vous voyez les pays du Nord accepter de débourser cette immense somme de 3 000 milliards de dollars et de quelle façon ?
BRUNO LE MAIRE
Alors, je ne sais pas si ce sera 3 000 milliards de dollars. Moi ce que je sais, ce dont je suis convaincu, c'est qu'il y a une seule Union européenne. Et il n'y a pas des pays du Nord et les pays du Sud, des pays de l'Est et des pays de l'Ouest, chacun a sa géographie, chacun a sa mémoire historique, mais il y a une seule construction politique, et dans des temps de crise on doit se rassembler, être capable de faire preuve de solidarité, mettre en commun effectivement une partie de notre dette, spécifiquement pour financer la réponse à la crise, et financer des moyens de santé dont vous avez parlé, sinon ce n'est pas la peine de faire la construction européenne, ça ne sert à rien.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Monsieur le Ministre…
BRUNO LE MAIRE
… les Italiens, les Espagnols, une partie des Français vont nous dire : ça ne sert à rien.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Monsieur le Ministre, on s'est mal compris, ma question portait sur les pays du Sud, et notamment sur les pays africains, et sur la proposition GUTERRES de débourser 3 000 milliards de dollars pour les pays du Sud, un plan d'urgence.
BRUNO LE MAIRE
Sur les pays africains, mais vous voyez que c'est aussi la même logique, moi je suis très inquiet, je l'ai dit il y a 2 jours, de la violence dont cette crise va frapper les pays les moins développés, et en particulier les pays africains. Et dans le cadre du G20, j'ai appelé à une solidarité totale. J'ai demandé, comme l'a souhaité le président de la République, que nous utilisions déjà les ressources du FMI, en émettant des droits de tirages spéciaux à hauteur de 500 milliards de dollars. J'ai demandé à ce qu'il y ait un moratoire sur la dette de ces pays, et nous sommes prêts en France à piloter cette question du moratoire de la dette des pays en développement. Tous les pays africains aujourd'hui doivent pouvoir bénéficier, quand ils sont en situation difficile, de ce moratoire qui pourrait être décidé dans le cadre du Club de Paris, sous l'impulsion de la France. C'est une proposition très concrète que nous faisons, pour aider ces Etats. Moi je partage l'inquiétude du secrétaire général des Nations Unies sur l'impact qu'aura cette crise sur les pays africains. Et donc là aussi nous devons faire preuve de solidarité, nous devons montrer que nous sommes prêts à leur tendre la main, à apporter des solutions, à alléger leurs contraintes financières. Beaucoup de ces Etats, on a beaucoup parlé de la crise pétrolière et de l'effondrement du prix du pétrole, beaucoup de ces Etats africains sont exportateurs de pétrole, et donc ils voient leurs revenus qui parfois peuvent constituer 30, 40, 50 % de leur richesse nationale, s'effondrer parce que les prix du pétrole s'effondrent. Il faudra bien les soutenir également. Donc je partage aussi cet appel à la solidarité du secrétaire général des Nations Unies.
ROSELYNE FEBVRE
Bruno LE MAIRE, Emmanuel MACRON voulait être celui qui réformerait la France. Aujourd'hui, on lui demande d'être le protecteur, de protéger le Français, d'être protecteur plus que réformateur. Avec la reprise en main de l'économie par la puissance publique, en clair, est-ce qu'on ne revient pas à une politique de gauche, vous qui venez de la droite.
BRUNO LE MAIRE
Je crois que plus que jamais, ces concepts de gauche, de droite, sont dépassés. Quand il y a une crise, le rôle de l'Etat…
ROSELYNE FEBVRE
Eh bien de Colbertisme, on va dire.
BRUNO LE MAIRE
… et le rôle du ministre de l'Economie et des Finances, Roselyne FEBVRE, je vous le confirme, c'est de protéger les Français. Et j'assume totalement ce rôle de protection, protéger les salariés, en disant que plutôt que d'être au chômage, nous allons payer vos salaires. Oui, ça coûte très cher, ça coûtera sans doute plus de 11 milliards d'euros, eh bien nous paierons ces salaires, nous garantirons ce chômage partiel, parce qu'on préfère ça plutôt que d'avoir des millions de Français qui s'inscrivent au chômage, avec toute la perte de compétences, toute la perte humaine que cela représente. Nous préférons apporter des prêts garantis par l'Etat à des entreprises, plutôt que de les voir disparaître.
ROSELYNE FEBVRE
Donc c'est le retour de la puissance de l'Etat.
BRUNO LE MAIRE
Nous préférons mettre en place un fonds de solidarité pour les commerçants les artisans. C'est… La puissance de l'Etat n'a jamais disparu, mais elle doit s'exercer au bon moment, et aujourd'hui elle doit s'exercer à plein, parce que précisément, nous voulons protéger notre économie, protéger nos salariés, protégés nos petits entrepreneurs, et éviter un effondrement économique et social de notre pays. L'Etat a toujours été au coeur de la Nation française, qui l'est plus que jamais aujourd'hui parce que nous sommes en période de crise.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Bruno LE MAIRE, pour reporter, pour les entreprises, vous avez décidé de reporter les charges du mois de mars, allez-vous le faire pour le mois d'avril, pour le mois de mai ? Quelles entreprises allez-vous nationaliser ? Dans quels secteurs et pour combien de temps ? En 2 minutes si vous le voulez bien.
BRUNO LE MAIRE
Nous ferons les reports de charges sociales et fiscales, tant que durera la crise sanitaire. On ne va pas interrompre le report de charges sociales et fiscales par exemple pour un restaurant qui a fermé en mars, si en avril il ne peut toujours pas ouvrir. Donc, dans notre politique, il y a une volonté de protéger le plus possible, il y a aussi un souci de cohérence, de continuité, on ne va pas interrompre un dispositif alors que l'économie n'aura pas redémarré je pense que ce serait tout à fait absurde. S'agissant des nationalisations, du soutien de l'Etat à certaines entreprises, j'ai transmis au président de la République il y a quelques jours, une liste des entreprises qui sont aujourd'hui les plus fragilisées sur les marchés, par la situation actuelle. Ça peut aller de l'industrie automobile jusqu'au transport aérien en passant par d'autres secteurs. Je lui ai également proposé un certain nombre d'options qui peuvent passer par de la prise de participation, de la recapitalisation ou de la nationalisation, mais je vais être très clair sur les nationalisations. Il ne s'agit pas tout d'un coup d'avoir l'Etat qui se met à gérer l'économie, je n'ai jamais cru à l'économie administrée. Il s'agit simplement d'avoir l'Etat qui protège pour une durée limitée, des entreprises, en prenant une participation ou éventuellement en faisant une nationalisation temporaire. Je dis bien temporaire, parce que l'Etat, je n'ai jamais cru, n'a pas vocation à diriger des entreprises, du secteur commercial à la place des entrepreneurs. En revanche c'est sa responsabilité de protéger des actifs stratégiques, c'est sa responsabilité de protéger des fleurons industriels, pour éviter qu'ils soient déstabilisés par cette crise.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Zéro chômeur cette année, Bruno LE MAIRE, en 30 secondes.
BRUNO LE MAIRE
Non, je ne prendrai pas cet engagement-là, je pense que ce serait irresponsable, et je ne peux pas vous dire, d'un côté, que la crise sera longue et durable, et vous dire de l'autre qu'il n'y aura pas... qu'il y aura zéro chômeur à la fin de l'année. Je pense que ce ne serait pas crédible, j'ai toujours eu un langage de vérité depuis le début de cette crise, donc je ne prendrai pas cet engagement. Le seul engagement que je prendrai, c'est que nous allons nous battre avec tout le gouvernement, tous les membres du gouvernement, qui travaillent sur ce sujet-là, en particulier Muriel PENICAUD, pour protéger le plus possible l'emploi et les salariés.
CHRISTOPHE BOISBOUVIER
Merci Monsieur le Ministre de nous avoir accordé cet entretien.
BRUNO LE MAIRE
Merci à vous.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 6 avril 2020