Interview de Mme Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, à BFM Business le 20 mars 2020, sur le respect des gestes barrières dans les entreprises, la pénurie de masques et les mesures de soutien aux entreprises en difficulté à cause de la crise sanitaire.

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Média : BFM

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Je suis avec Agnès PANNIER-RUNACHER, qui est en direct de Bercy, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances. Bonjour Agnès PANNIER-RUNACHER. J'ai plein de questions à vous poser peut-être des questions qui fâchent, on va tout se dire ce matin.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Bonjour.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Bonjour. Le président de la République hier a appelé les Français à travailler, parce que c'est vrai, on est tous inquiets de l'arrêt brutal de l'économie. Il y a évidemment les professionnels de santé qui doivent continuer et qui continuent plus que jamais, mais l'économie doit tourner ne serait-ce que pour approvisionner les Français, ne serait-ce que pour continuer à vivre. Est-ce qu'on est allé trop loin ? Et quand le président dit "il faut travailler", il veut dire quoi exactement et comment vous incitez les gens à travailler, est-ce qu'il y aura des primes ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, bien sûr qu'il faut continuer à travailler. On regarde l'Italie. L'Italie aujourd'hui dans son industrie, tourne à 90%, donc il est tout à fait possible de limiter les interactions sociales, c'est-à-dire de ne pas se rapprocher d'autres personnes à moins d'un mètre, et de continuer à travailler. C'est ça l'enjeu et c'est ça ce que nous essayons de communiquer. Pourquoi il faut continuer à travailler ? Parce que, de même que les personnels de soins continuent à travailler, et heureusement, on a besoin de continuer à travailler pour approvisionner, faire fonctionner l'ensemble de la société. C'est la première raison. Il faut fournir de l'énergie, il faut fournir de l'eau, gérer les déchets, permettre d'avoir la fourniture d'aliments, la fourniture de médicaments, en appui de notre première ligne qui est au front. Et puis, au-delà de ça, il faut se rendre compte que si les autres économies continuent à travailler, alors que nous on s'arrêterait, le risque au moment du redémarrage, est d'avoir une casse sociale absolument gigantesque. Donc c'est le message que nous envoyons à toutes les entreprises, c'est de dire : prenez le temps, ce n'est pas grave quelques jours, prenez le temps de redéfinir les conditions de travail, pour que vos salariés soient protégés, qu'il n'y ait pas de croisement de personnes à moins d'un mètre, que l'on nettoie régulièrement les surfaces de travail, de même qu'on a des gestes barrières dans la vie courante, on met en place des gestes barrières dans l'entreprise. En revanche, quand je vois certains sites qui s'arrêtent et qui mettent en danger toute leur sous-traitance, moi j'ai des entreprises de maintenance industrielle, des entreprises de la sous-traitance, qui me disent : "eh bien mon client a l'air de s'arrêter, je ne sais plus quoi faire, je veux continuer à travailler", il faut avoir en tête que nous avons une chaîne qui est à très interdépendante, et que la décision d'une entreprise peut avoir des conséquences très importantes sur d'autres entreprises.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, c'est particulièrement vrai, et je sais que le gouvernement avait une forme d'agacement ces derniers jours par rapport au BTP, au Bâtiment et Travaux Publics, les chantiers, 95% des chantiers se sont arrêtés. Ça vous semble excessif, je le sais, mais du coup, qu'est-ce que vous dites aux fédérations, qu'est-ce que vous dites aux salariés qui s'inquiètent, parce qu'il n'y a pas de masque par exemple, donc, retravailler oui, mais comment, Agnès PANNIER-RUNACHER ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, là aussi il faut sortir de ce fantasme autour des masques. Il y a différents types de masques. Dans le bâtiment, vous pouvez avoir besoin de masques filtrants, parce que vous êtes exposé à des poussières, à différentes matières volatiles, et que vous mettez votre danger en jeu. Dans ce cas-là, forcément si vous n'avez pas de masque, il est légitime de s'arrêter. En revanche, porter des masques pour se protéger du coronavirus, je crois qu'Olivier VERAN l'a très bien expliqué à plusieurs reprises, et Jérôme SALOMON aussi, et le corps médical, ça ne vous protège pas vous-mêmes, ça protège éventuellement les autres du fait que vous ne projetiez pas les petites gouttelettes si vous êtes contaminé.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
C'est déjà pas mal.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Oui, sauf qu'en règle générale, et c'est encore ce que je répète, il faut ménager des écarts de 1 m entre les personnes, c'est beaucoup plus efficace qu'un masque. Et surtout, nous on a des cas de contamination, de gens qui portent des masques et qu'ils tripotent toutes les journées. Si vous le tripotez toute la journée, le risque c'est surtout que vous vous contaminiez par les mains. Encore une fois, 80% de la contamination, elle se fait par les mains. Ce n'est pas moi qui le dis, je ne suis pas experte, je me contente de répéter ce que nous disent les experts de la Direction générale de la santé. Et donc l'enjeu aujourd'hui c'est de continuer à travailler en protégeant les salariés. Que les chantiers s'arrêtent quelques jours pour dire : comment on fait, combien on met de personnes dans les camions par exemple ? Effectivement, si vous êtes 4 confinés dans un petit espace, il faut revoir les déplacements, c'est parfaitement légitime, mais l'arrêt pour l'arrêt, on ne comprend pas, et surtout il faut quand même avoir en tête qu'on a des organisations d'importance vitale qui ont besoin de ces travaux, on a des Français qui ont désormais une base-vie où ils vivent quasiment à 100% de leur temps qui sont leurs maisons, s'ils ont une chaudière qui casse, s'ils ont une fuite dans leur douche qui va chez les voisins qui eux-mêmes sont confinés, bien sûr qu'on a besoin de gens pour intervenir. Il faut intervenir selon des protocoles à définir, qui protègent les clients et qui protègent les intervenants. C'est très logique, c'est du professionnalisme, prenons ce temps de définir ces protocoles et redémarrerons, là où on peut redémarrer. Encore une fois, s'il y a des risques pour les salariés, on arrêtera, ce n'est pas un problème, mais nous nous pensons, et nous l'avons vu, nous avons travaillé avec les professionnels, que dans la majorité des cas il est possible de continuer à travailler, et surtout il est nécessaire, parce que laisser la première ligne des sanitaires avancer, et les autres Français resteraient à la maison sans leur faire le support qui leur est essentiel ?

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors justement…

AGNES PANNIER-RUNACHER
…Personne ne le comprendrait.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Mais Agnès PANNIER-RUNACHER, en promettant le chômage partiel pour tous, est-ce que vous n'avez pas incité les entreprises à se déresponsabiliser, et à se dire que de toute façon l'Etat paiera les salaires et donc arrêtons l'activité. Du coup, comment on revient en arrière ? Est-ce qu'on peut dire au BTP : vous n'aurez pas de chômage partiel ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ecoutez, moi je compte sur la responsabilité des entreprises. Lorsque nous avons parlé chômage partiel, Muriel PENICAUD l'a exprimé de manière très claire, c'est pour ceux qui n'ont plus de commandes. Aujourd'hui, dans l'automobile, il n'y a plus de commandes, aujourd'hui dans le luxe, pour des raisons assez évidentes, il n'y a plus de magasins, il n'y a plus de commandes. Donc, difficile de dire à ces entreprises "ne fermez pas". Ça ne sert à rien qu'ils accumulent les stocks, alors qu'ils ne peuvent plus les vendre, c'est très difficile pour eux. Donc on les accompagne. En revanche, et je compte vraiment sur la responsabilité des entreprises, lorsqu'elles peuvent continuer et lorsqu'elles le font évidemment en sécurisant les salariés, alors on peut continuer. Et il faut quand même bien faire la différence entre la sécurité des salariés au travail…

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Attendez, Agnès PANNIER-RUNACHER, vous êtes en train de dire : le chômage partiel, ça ne sera pas pour tout le monde, et s'il y a des secteurs qui en abusent, alors qu'ils pourraient continuer à travailler, ils n'auront pas le droit, enfin, ils devront payer leurs salariés.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce n'est absolument pas ce que j'ai dit.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Ah…

AGNES PANNIER-RUNACHER
Ce n'est pas ce que j'ai dit. J'ai dit : j'appelle à la responsabilité des chefs d'entreprises, sur ce sujet-là. Parce que moi, je ne peux pas avoir à gérer des sociétés de maintenance industrielle, qui me disent : "mon client arrête, et je suis sur un toboggan et je ne sais plus quoi faire, alors que je peux continuer à travailler". Et lorsque j'appelle la société donneuse d'ordres, qui me dit : "Eh bien oui, finalement ça nous arrangeait". Donc il faut qu'on discute, c'est normal, mais la décision du président de la République elle est très claire : nous devons soutenir l'économie, nous devons maintenir le lien entre le contrat de travail et la société, pour pouvoir, et leurs entreprises, pour pouvoir redémarrer le plus facilement derrière. Je crois que les chefs d'entreprise, j'ai eu des longues conversations par exemple hier avec l'aéronautique, où on se posait la question de comment on a assuré la continuité dans l'aéronautique. Je prends un exemple d'un constructeur d'avions qui me disait : "Moi je suis capable, sur tous mes postes de travail de maintenir cette distance d'un mètre, de les équiper, d'avoir les protections. J'ai juste un point, c'est que quand vous montez un train d'atterrissage, je n'ai pas la possibilité qu'ils soient à plus d'un mètre parce qu'il faut être deux pour monter un train d'atterrissage, et c'est deux personnes qui sont à 20 m, donc à ce moment-là j'ai besoin de masques pour les problèmes de contamination ; de masques filtrants aérosols". Je dis : je comprends très bien, ça c'est parfaitement légitime, essayons de nous organiser pour faire en sorte d'assurer cette continuité. Et dans ces situations de travail là, de protéger vos salariés.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Alors, avant de parler d'un autre secteur très important, celui de la livraison à domicile, justement, vous parlez des masques, Agnès PANNIER-RUNACHER, on en est où sur la livraison des masques ? Le président République avait promis des livraisons dans les pharmacies mercredi et jeudi, ce n'est pas ce qui s'est passé, toutes les pharmacies n'ont pas été livrées, et vous le disiez, il y a des industriels qui pour continuer à faire fonctionner leurs usines, ont besoin de masques. On en est où sur la mobilisation nationale, pour fabriquer des masques ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Alors, deux sujets. Le premier est un sujet logistique. Vous avez plus de 15 millions de masques qui sont partis et qui sont sur les routes. Donc oui, beaucoup de pharmacies ont été livrées, pas toutes. Nous sommes en train d'accélérer les choses, ça c'est un sujet du ministère de la Santé, vous avez plus de 15 millions de masques qui vont être livrés, ou qui ont déjà été livrés. La deuxième chose c'est au niveau des entreprises, nous avons une doctrine d'emploi de priorisation des masques, puisqu'on n'a jamais, pour des raisons évidentes, consommé autant de masques, et même si la France a la chance d'avoir des usines qui produisent des masques, ce qui n'est pas le cas de tous nos voisins, et même si on a demandé à ces usines de tourner 24/24 et d'être au maximum de leurs capacités industrielles, on est dans un volume d'emplois qui est peut-être 10 fois supérieur au volume habituel. Donc. nous avons des stocks, que nous utilisons, nous faisons des importations, il y a une commande de 200 millions de masques qui a été faite en destination de fournisseurs étrangers, et puis nous sommes en train de regarder des alternatives, que peuvent prendre en charge les industriels, du textile ou du papier. Et j'invite tous les entrepreneurs qui pourraient être intéressés, à participer à cet effort de reconversion de leurs lignes à se connecter au site : " csfmodeluxe-masques.com", puisque nous recensons toutes les sollicitations, toutes les suggestions de fabrication de masques. Alors attention, il y a 3 catégories de masques : il y a les masques FFP2 qui sont les plus filtrants, qu'on utilise dans les process industriels poussés, et qui équipent la toute première ligne de nos médecins dans les unités de prise en charge, de réanimation. Il y a les masques chirurgicaux qui sont également filtrants, mais moins filtrants, et puis il y a des masques que vous mettez pour éviter de projeter vous gouttelettes, vers les autres, donc qui ne sont pas des masques barrières pour vous, mais qui peuvent éventuellement préserver votre environnement. Donc pour chacun de ces types de masques nous sommes en train de qualifier les propositions, les volumes de production et les doctrines d'emploi.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Agnès PANNIER-RUNACHER, une question concernant les livraisons à domicile, enfin j'ai d'ailleurs plusieurs questions. La première, il y a beaucoup d'auto-entrepreneurs dans ce domaine-là qui nous disent, très concrètement : "La mesure qui a été annoncée de fonds de solidarité et 1 500 € par mois", ne peut pas nous être appliquée, parce qu'on a fait un bon début de mois de mars, il y beaucoup de commandes, beaucoup de livraison, donc on n'a pas une baisse de notre chiffre d'affaires de 70%, donc nous ne sommes pas éligibles. Et pourtant depuis le 15 mars on ne travaille plus et on ne va plus travailler. Comment on fait ?". Est-ce que vous allez les aider ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Les livraisons à domicile, elles sont autorisées, je veux le rappeler, ici et très directement. Elles sont autorisées, nous avons travaillé pour la livraison à domicile de repas, dimanche, à sortir un protocole de comment livrer ces repas à domicile sans contact, et nous venons de publier en ligne hier, c'est un travail que nous menons avec les professionnels, le même protocole pour toutes les autres livraisons à domicile. Il y a un point qu'on n'a pas encore totalement couvert, qui sont les livraisons à domicile, vous savez, de gros format, qui nécessitent par exemple un montage à domicile, où là vous devez prendre des précautions supplémentaires. Donc il est possible de continuer à travailler. Et je vais vous donner l'exemple de la Chine qui a été confinée avant nous, et dont nous apprenons beaucoup de choses. Les livraisons à domicile ont explosé en Chine. Pourquoi elles ont explosé ? Parce que lorsque vous êtes confinés à domicile, vous avez de nouveaux besoins, notamment vous avez toute la partie restauration hors foyer, qui revient en quelque sorte à domicile, parce que les gens ne font pas systématiquement la cuisine à chaque repas. Donc l'enjeu ici c'est justement d'être en capacité de servir ces nouveaux besoins et de pouvoir approvisionner les gens à domicile. Là encore dans le respect strict des règles de protection des salariés.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Donc vous ne changerez pas les critères, il faut avoir une baisse de chiffre d'affaires de 70% pour être éligible aux fonds de solidarité.

AGNES PANNIER-RUNACHER
Vous avez deux critères. Vous avez effectivement ce critère de baisse de chiffre d'affaires de 70%, qui vise les entreprises, dont je le rappelle, qui ont été extrêmement frappées par la crise depuis le 20 février, les voyagistes, l'événementiel, toutes les entreprises de tourisme, et puis nous visons également les entreprises qui ont dû fermer leurs commerces le 15 mars, donc qui sont touchées par l'arrêté du 15 mars, et pour lesquelles le critère de chiffre d'affaires ne s'applique pas. Et nous visons de manière générale des entreprises qui sont des TPE, moins d'un million d'euros de chiffre d'affaires. Donc ces éléments sont très important, parce qu'effectivement, lorsque, on peut continuer à travailler à générer du revenu, on rentre ne pas dans ces catégories de gens qui sont immédiatement arrêtés dans leur travail, c'est de ça que nous parlons, c'est de gens vont avoir 0 € de salaire à la fin du mois.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Autre question. Pour les start-up, vous savez qu'on les suit de près ici dans Good Morning Business, est-ce qu'il faut des dispositifs particuliers ? Cédric O en a promis, est-ce que vous avez avancé sur ce sujet ?

AGNES PANNIER-RUNACHER
Effectivement. Cédric travaille sur l'accompagnement des start-up. Alors les start-up il y a deux éléments autour d'elles. D'abord elles apportent énormément de solutions dans ces circonstances, puisqu'elles ont d'abord cette capacité à prototyper très vite des solutions, et des solutions qui passent par le numérique, et on a notamment du bénévolat pour accompagner d'un certain nombre de Français qui ne sont pas forcément à l'aise avec le numérique à un moment où pour travailler, pour ceux qui sont en télétravail il faut avoir cette agilité. Elles nous proposent des solutions, je ne vais pas citer toutes les propositions que nous avons eues, mais par exemple de petites market place pour les gels hydroalcooliques, donc elles sont vraiment un support extraordinaire. Et de l'autre côté il va falloir pouvoir les accompagner, dans les levées de fonds, parce que ce qui se passe aujourd'hui avec les investisseurs de Venture capital, c'est que vous avez une inquiétude, une attrition des liquidités, et donc elles aussi bénéficieront de nos dispositifs, et de manière plus générale on cherche à limiter au maximum la casse dans ces entreprises qui sont des entreprises qui en règle générale n'ont pas encore trouvé leur modèle économique. Quand vous démarrez, on ne brûle comme on dit du cash, donc on n'est pas équilibré, et effectivement brûler du cash à un moment de confinement, c'est particulièrement difficile et particulièrement difficile à justifier à ses financeurs. Donc elles doivent avoir un accompagnement et un soutien particulier.

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
Merci beaucoup Agnès PANNIER-RUNACHER, secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Economie et des Finances, d'avoir été en direct avec nous dans Good Morning Business et d'avoir apporté des réponses les plus concrètes possibles.


Source : Service d'information du Gouvernement, le 23 mars 2020