Texte intégral
Q - Mon invitée, c'est Amélie de Montchalin, ministre chargée des affaires européennes. Bonjour, Amélie de Montchalin, merci d'être avec nous ce matin. On écrit, vous écrivez chaque jour des pages de l'histoire qu'on n'aurait jamais soupçonné vivre, il y a encore quelques semaines. Ce week-end, par exemple, la Commission européenne qui abandonne les règles du traité de Maastricht. Cela ne s'était même pas fait en 2008, ni pendant la crise de l'euro en 2012 et l'Allemagne qui annonce un plan de soutien de son économie qui représente jusqu'à 10% de son PIB.
R - Bonjour, effectivement ce que l'on voit, c'est que l'on est vraiment en guerre. On est dans une guerre pour sauver des vies parce que ce virus peut faire énormément de victimes. Et donc, on agit tous ensemble sur le continent européen et par-delà pour essayer de freiner ce virus en ayant des règles communes, en ayant ces mesures de rester chez soi. Et puis, on est aussi dans une guerre économique, c'est-à-dire que nous voyons que le virus peut aussi faire des victimes très nombreuses, il peut créer du chômage, il peut détruire des emplois. Et donc, il y a une mobilisation générale, quoi qu'il en coûte, c'est-à-dire sans limite, pour protéger ce qui nous permettra, d'abord pendant cette crise de continuer à nous alimenter, à nous nourrir, à avoir de l'énergie, de l'électricité, du gaz, la gestion des déchets, bref, tout ce qui fait que la vie quotidienne reste possible malgré le confinement, et puis nous permettre de rebondir ensuite. Ce qui est intéressant, c'est que beaucoup des règles européennes ont été créées pour des temps connus, pour des situations dont on savait comment on pouvait les organiser. Aujourd'hui, on est dans l'inconnu et face à cet inconnu, effectivement, c'est très important que nous puissions prendre des mesures exceptionnelles. Elles sont exceptionnelles parce que le contexte l'est. Elles sont exceptionnelles parce que nous devons nous battre, non seulement pour sauver des vies, mais aussi pour sauver des emplois et sauver notre économie.
Q - Amélie de Montchalin, est-ce que vous êtes optimiste quand vous voyez la manière dont l'Europe rebondit ? On en a déjà parlé, tous les deux, à plusieurs reprises, parfois on est un peu désespéré de voir l'égoïsme des différents pays européens, alors que vous êtes ministre en charge de ce dossier, parfois c'est compliqué. Est-ce que là, vous assistez à un véritable sursaut, une prise de conscience qu'en fait on ne s'en sortira pas les uns sans les autres ?
R - En fait, il y a plusieurs niveaux d'action, où on voit bien que ce n'est pas en solitaire mais en solidaires que l'on va s'en sortir. D'abord, il y a le niveau des institutions européennes et je pense, que ce soit la Commission, la BCE, bref, beaucoup d'institutions européennes aujourd'hui jouent le jeu, changent leurs règles, prennent des actions qu'elles ne prenaient pas avant et là, je crois qu'il y a un sursaut. Ensuite, il y a la relation entre les pays européens. Quand on dit que l'on veut agir en Européens, ce n'est pas forcément au niveau des institutions que cela se passe, cela se passe entre nous, entre pays. Ce que je peux vous dire, c'est que tout ce week-end, déjà depuis quelques jours, nous essayons de travailler avec les pays frontaliers de la France, par exemple, pour faire deux choses. D'abord que nous laissions les personnels médicaux pouvoir travailler de part et d'autre des frontières parce qu'ils sont essentiels, de part et d'autre des frontières. Parfois, ils habitent en France et ils travaillent en Suisse, ils travaillent au Luxembourg, ces soignants. Et on les valorise quand ils travaillent en France, il faut aussi les valoriser, quel que soit leur lieu d'activité. Et puis, une deuxième chose qui est très importante, c'est que l'on a réussi à demander du soutien du Luxembourg, de l'Allemagne, de la Suisse, pour qu'ils accueillent, dans leurs hôpitaux où il y a encore de la place en réanimation, des patients qui viennent des hôpitaux surchargés du grand Est. C'est un travail collectif, de tous les échelons, de tous les niveaux, que ce soit, bien sûr, l'Etat, la préfecture de région, la région elle-même, les élus. Et on travaille, vous voyez, avec les diplomates avec tous les échelons d'action pour que cette solidarité devienne concrète. Je pense que là, on voit aussi que c'est comme cela que l'Europe progresse, parfois dans les crises, parfois dans les difficultés, mais en inventant de nouvelles formes de solidarité. Bien sûr, je pense à celle des institutions, mais aussi tout ce que l'on peut faire, d'Etat à Etat, de région à région, de proximité à proximité, par-delà nos frontières.
Q - J'évoquais le plan massif allemand, près de 10% du PIB qui peuvent être injectés pour soutenir son économie, est-ce que ça va suffire, Amélie de Montchalin ? Parce que, quand je regarde les dépêches ce matin et que je vois AIRBUS qui annonce qu'il supprime ses dividendes pour 2019, TOTAL qui supprime 3 milliards d'euros d'investissements, VINCI qui alerte sur la baisse prononcée de son chiffre d'affaires, est-ce que l'on peut éviter la crise économique ? Elle est là. Est-ce qu'on peut éviter la crise financière, est-ce qu'on peut éviter une grande dépression du type de celle des années 30 ?
R - Alors, la question, c'est, quoi qu'il en coûte, nous mettrons les moyens qui s'imposent. Je pense au fait que le pacte de stabilité, qui avait ses règles, qui fonctionnait en temps connu, soit aujourd'hui mis en pause et que nous nous laissions le temps qu'il faut pour sortir de la crise, je crois que c'est essentiel. Il y a deux choses à avoir en tête. Il faut d'abord que cette crise soit la plus courte possible et c'est pour cela qu'on a besoin des citoyens. On a besoin du confinement, on a besoin que chacun se tienne à distance les uns des autres pour que la contamination ne se propage pas. Donc, d'abord, il y a la question de la durée de la crise. Il y a ensuite la question de la profondeur et c'est pour cela qu'il faut que l'on puisse avoir du soutien en trésorerie aux entreprises, que l'on puisse s'assurer que l'on ne plonge pas trop bas et qu'il y ait des mécanismes, des filets de sécurité, au fond, pour tenir les entreprises les plus en difficulté. Et il y aura la question de la relance, la reprise, le rebond. Et là aussi, nous travaillons chacun dans nos pays avec la Commission européenne, à l'échelon européen, pour préparer un vrai plan de relance parce que, quand le confinement ne sera plus la règle, quand nous serons sortis de cette phase où l'enjeu sanitaire est bien sûr le premier, eh bien, il faudra que nous soyons en capacité de refaire partir nos économies. Et à ce moment-là, ce seront d'autres mesures, d'autres investissements. Ce qui est certain, c'est que tout l'enjeu, c'est effectivement que ce soit une parenthèse et que ce ne soit pas quelque chose que l'on traîne pendant des années et des années. C'est pour cela que nous y mettons les moyens et c'est pour cela que le sujet, aujourd'hui, n'est pas de compter, le sujet, c'est de trouver les bons moyens d'action, les bons leviers pour que ce soit efficace.
Q - Alors le sujet n'est pas de compter, mais quand même, Amélie de Montchalin, est-ce qu'on a les moyens de ce plan de soutien et, derrière, de ce plan de relance ? Parce que les Allemands, qui mettent 10 % de leur PIB pour soutenir leur économie, font remarquer, c'est ce que disait le ministre de l'économie allemand ce week-end, qu'eux avaient les moyens parce qu'ils avaient fait des efforts pendant la période précédente. Est-ce que nous, nous collectivement, pas seulement la France, on aura les moyens d'un nouveau plan de relance après la crise ? Est-ce qu'on peut s'endetter de manière illimitée ? Comment on va rembourser cette dette ensuite ?
R - Alors, il y a plusieurs choses, il y a déjà la manière dont c'est financé. Aujourd'hui la BCE, la Banque Centrale Européenne, met sur la table jusqu'à 750 milliards d'euros à destination, en fait, de refinancement des Etats pour s'assurer que cet argent puisse être dépensé. Il y a des outils budgétaires nationaux, il y a des outils budgétaires européens, il y a des outils même qui seront à l'échelle du G7 ou du G20, il y a ce qu'on peut faire par les banques, ce qu'on peut faire par les budget, donc on a toute une palette d'outils. Evidemment, tous les efforts qu'on a pu faire jusqu'à maintenant pour réduire les déficits et pour nous donner des marges de manoeuvre en temps de guerre, comme l'a dit Gérald Darmanin, je crois que c'est essentiel. Le sujet aujourd'hui, c'est que nous avons créé autour de nous les mécanismes qui nous permettent effectivement de dépenser beaucoup d'argent parce que nous pensons que c'est essentiel pour sauvegarder les emplois, l'économie et surtout je le dis pour que cette période de risque sanitaire nous permette quand même d'avoir une vie quotidienne assurée, c'est-à-dire qu'il faut que nous puissions nous nourrir, il faut que nous puissions avoir la logistique, il faut que nous puissions ravitailler nos magasins, il faut que nous puissions avoir de l'électricité. Dans cette période-là il faut aussi qu'on puisse soutenir les entreprises dont on a absolument besoin et qui, elles aussi, font face à des difficultés.
Q - Amélie de Montchalin, le Parlement a voté ce week-end cette loi d'urgence sanitaire qui permet d'assouplir considérablement le droit du travail, notamment de pouvoir imposer des RTT, des jours de CET, des jours de congés payés aux salariés. Est-ce que l'on peut aller plus loin ? Christiane Lambert, sur BFM Business, la présidente de la FNSEA, réclamait qu'on puisse autoriser les salariés qui sont en chômage partiel à aider les agriculteurs, à faire les récoltes, parce qu'il faut récolter les produits, si on veut pouvoir se nourrir et faire des conserves pour l'automne. Est-ce qu'on doit aller encore plus loin dans les dérogations au droit du travail selon vous ?
R - Je pense qu'il y a une question sur le droit du travail, il y a aussi une question sur la mobilisation. Toutes ces questions de capacité à, notamment, nourrir la population française sont majeures. Elles sont discutées chaque jour, ici, dans le cadre gouvernemental, entre le ministre de l'agriculture, le Premier ministre, le président. On a vraiment des réflexions parce qu'on doit assurer, effectivement, le bon fonctionnement, notamment, de cette économie agricole sur laquelle toute notre vie repose. Donc, j'entends effectivement les questions de Christiane Lambert. Je pense qu'on aura l'occasion de regarder avec elle comment on assure, effectivement, la bonne production agricole, la bonne production alimentaire. Cette période montre aussi, je crois, que pour l'après, pour ce qui viendra après, on aura aussi des réflexions à avoir sur, peut-être, regarder différemment certains métiers, certains secteurs, certaines professions, parce que ce moment très particulier, très exigeant, très difficile, nous montre aussi qu'un certain nombre d'activités sont parfois regardées comme étant accessoires et en fait elles sont au coeur de notre souveraineté. On parle souvent de l'agriculture, je pense aussi à beaucoup de productions, on l'a vu, médicales. Cela nous demandera de voir comment, où et par quels moyens on s'assure qu'elles sont proches de nous, qu'on les soutient et que si des crises comme celle que nous vivons surviennent, nous avons les moyens de vraiment les accompagner et de les encourager.
Q - Merci beaucoup, Amélie de Montchalin, d'avoir été en direct avec nous, depuis Bercy, vous êtes secrétaire d'Etat chargée des affaires européennes. Merci pour ces informations.
source https://www.diplomatie.gouv.fr, le 24 mars 2020