Interview de Mme Muriel Pénicaud, ministre du travail, à BFM Business le 31 mars 2020, sur l'exonération de charges pour les entreprises qui compléteront le salaire du chômage partiel.

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Média : BFM Business

Texte intégral

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Bonjour Muriel PENICAUD, vous êtes en direct depuis le ministère du Travail, merci beaucoup d'être avec nous dans « Good Morning Business » ce matin… 

MURIEL PENICAUD
 Bonjour. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Et de nous réserver cette annonce, importante, le gouvernement va donc compléter le dispositif de chômage partiel, vous me dites si je me trompe, parce qu'on cette info depuis hier soir a priori, vous allez exonérer de cotisations sociales les entreprises qui compléteront le dispositif, aujourd'hui au-delà du SMIC on touche 84 % du salaire net, si l'entreprise complète elle n'aura pas de charges. 

MURIEL PENICAUD 
Alors d'abord, le chômage partiel, je crois que tout le monde l'a compris, c'est un outil extrêmement efficace pour éviter les défaillances d'entreprises, permettre aux entreprises de garder les compétences, qui sont essentielles pour repartir, et puis pour éviter aux salariés de licenciement. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Combien de salariés sont en chômage partiel ce matin Muriel PENICAUD ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors, à vendredi soir, parce qu'on ne fait pas un comptage tous les jours, à vendredi soir il y avait 2,2 millions salariés qui étaient en chômage partiel, dans 220.000 entreprises, la moitié dans les toutes petites entreprises d'ailleurs, et ça va augmenter bien sûr, mais c'est un outil pour éviter les vagues de licenciements, donc c'est mon premier message aux entreprises, il y en a beaucoup qui vous écoutent, ne licenciez pas, vous ne pouvez plus mener votre activité, eh bien à ce moment-là l'Etat vous aide et on prend en charge les salaires, 100 % au niveau du SMIC et en dessous, et 84 % au-dessus. alors effectivement on a décidé d'améliorer le dispositif, de l'amplifier, d'abord en remboursant intégralement les entreprises, jusqu'à 4,5 fois le SMIC, et puis dans une ordonnance que j'ai présentée, qui a été adoptée vendredi, on exonère de charges sociales, salariales et patronales, l'ensemble de ce qui est versé, mais on a décidé aussi d'aller plus loin parce qu'il y a des entreprises qui souhaiteraient payer les 16 % complémentaires pour saluer l'effort que font les salariés qui vont au travail aujourd'hui, et donc pour ceux-là il y aura aussi exonération totale des charges sociales, salariales et patronales, sur les 16% supplémentaires. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Et donc, effectivement, si l'entreprise fait ce geste… 

MURIEL PENICAUD 
Et rétroactif au 1er mars…. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Et c'est rétroactif au 1er mars, parce qu'il y a déjà beaucoup d'entreprises qui ont déjà annoncé ça, notamment des grands groupes comme LVMH, qui complétaient. J'aimerais avoir votre action aussi sur un groupe comme CHANEL qui a annoncé ce week-end qu'ils renonçaient à toute aide d'Etat, y compris en termes de chômage partiel, ils paieraient eux-mêmes leurs salariés, au nom de la solidarité nationale, avec le refus de voir les déficits de l'Etat augmenter. Est-ce que vous saluez ce geste ou vous leur dites, à CHANEL, vous y avez le droit, prenez le chômage partiel ? 

MURIEL PENICAUD 
Non, TOTAL, CHANEL, DANONE, plusieurs groupes ont annoncé qu'ils n'allaient pas demander les aides de l'Etat sur le chômage partiel, même si une partie de l'activité était au ralenti, ce qui est le cas notamment pour TOTAL ou CHANEL. Non, je crois que c'est un acte de responsabilité d'entreprise, il y a des entreprises qui ne peuvent pas se le mettre, notamment dans les petites entreprises, qui n'ont pas de trésorerie, et qui n'ont pas d'activité, pas de chiffre d'affaires qui rentre, à ce moment-là c'est très difficile, et c'est pour ça qu'on met en place ce chômage partiel, comme on n'a jamais fait, c'est le plus protecteur d'Europe, comparé avec les Etats-Unis, 3 millions de licenciements dans la semaine, donc c'est pour ça qu'on le fait, mais lorsqu'un grand groupe n'a pas de difficulté majeure et anticipe qu'il pourra avoir un rebond assez fort à la sortie de la crise, je crois que c'est une attitude responsable, donc je la salue. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Muriel PENICAUD, on a tous envie que l'économie redémarre, on a tous envie que le maximum de gens puissent retravailler, c'est une nécessité économique, comment on va faire, d'abord est-ce qu'aujourd'hui vous estimez que pas suffisamment d'entreprises travaillent, et qu'il faut peut-être remettre, refaire tourner les machines, et dans ces conditions avec quelle sécurité pour les salariés, comment faire en sorte que si on retourne travailler on le fasse dans des conditions évidemment de sécurité et de santé optimales ? 

MURIEL PENICAUD 
Aujourd'hui il y a à peu près 50 % de l'économie qui est à l'arrêt, mais dans certains secteurs d'activité ça peut être 70, voire 90 %, et évidemment 100 % dans les secteurs qu'on a demandé de fermer, type les bars et les restaurants. On est donc à un service économique minimum aujourd'hui, parce qu'il y a beaucoup d'interdépendance entre les secteurs, par exemple il faut des fabricants d'emballages pour emballer les masques, l'agroalimentaire, etc., donc il y a beaucoup d'interdépendance, avec l'énergie, avec l'eau, avec l'agriculture, avec beaucoup de secteurs. Mais, ma deuxième remarque c'est qu'il n'est pas question, il n'est pas question une seconde, de tolérer qu'il y ait des entreprises qui ne protègent pas leurs salariés. Ceux qui vont travailler, les caissières, les chauffeurs livreurs, ceux qui sont dans les stations-service, ceux qui vont travailler dans l'emballage, dans l'agriculture, dans l'agroalimentaire, etc., qui sont des millions, eh bien ils doivent absolument être protégés. Alors, on aide les entreprises à savoir comment faire, comment respecter les gestes barrières dans chaque secteur, et donc on a mis en place une équipe de 10 spécialistes, qui travaille avec toutes les professions, et qui édite des guides qui permettent de se dire comment on fait le 1 mètre de distance quand on est dans une usine, dans un champ ou à une caisse de supermarché, comment on respecte le lavage des mains, comment toutes les protections sont mises en place. Donc ça c'est mon deuxième appel aux entreprises, il y a des solutions, elles ne sont pas les mêmes par métiers, par exemple la grande distribution qui a été un des premiers secteurs à vraiment travailler sur le sujet, a recommandé de mettre des écrans en plexiglas pour que les caissières, les caissiers, soient protégés, c'est encore plus efficace, et donc il faut métier par métier le faire, c'est-ce qu'on en train de faire et c'est indispensable. et puis il y a aussi l'initiative, qui est prise à la demande du gouvernement, mais par toute une série de secteurs, je pense au textile notamment, qui vont produire des masques à usage professionnel aussi, il y a certains cas où ce sera utile, mais encore une fois, si on ne fait pas les gestes barrières les masques ne servent pas, ils servent en plus dans certains secteurs, dans certaines activités, et je salue ces PME qui se lancent dans la fabrication de masques, de gels, et puis aussi ces entreprises d'insertion du handicap qui aussi, avec notre soutien, se lancent dans cette solidarité qui est de fabriquer les bonnes protections pour ceux qui vont travailler, pour le bien de tous, pour la vie quotidienne de tous. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Mais Muriel PENICAUD, heureusement que l'industrie est là, que l'industrie textile est là, parce qu'on a longtemps manqué de masques, la France manque de masques, et c'est l'une des raisons pour laquelle l'économiste, sans doutes s'est arrêtée aussi brutalement. 

MURIEL PENICAUD 
Alors personne, comme le Premier ministre et le ministre de la Santé l'ont dit, personne, dans aucun pays, ne pouvait prévoir l'ampleur de cette crise, mais il est vrai que, aujourd'hui, tout cela a été annoncé samedi, il y a une importation massive de masques, notamment, et en priorité pour les hôpitaux, vous savez que ce n'est pas les mêmes masque selon les usages, et puis il y a cette fabrication de masques, plutôt à usage professionnel, qui n'ont pas les mêmes spécifications que pour le secteur médical, parce que ce n'est pas la même situation, je crois que c'est bien, ça fait partie de l'effort général, que l'industrie se mobilise aussi sur ce sujet. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
J'ai un message d'un commerçant qui me demande de vous interpeller, il s'appelle Gilles AMIRI, il est commerçant à Suresnes et Gilles me dit que ce n'est pas seulement d'un report des charges dont j'ai besoin parce que je ne pourrais pas les rembourser, quand je redémarrerai mais d'une suppression des charges, est-ce que c'est possible ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors d'abord je rappelle qu'avec un chômage partiel déjà tous vos frais de personnels sont remboursés, ce qui va déjà permettre que les salariés restent dans l'entreprise, en ne travaillant pas bien sûr parce qu'ils sont payés au chômage partiel, mais ils gardent leur contrat et ça vous libère de la trésorerie. Les avances de trésorerie qu'ont mis en place Bruno LE MAIRE et Gérald DARMANIN marchent très bien aussi, c'est plusieurs milliards d'euros déjà qui ont été demandés en avance de trésorerie, en garantie de prêts bancaires ou on report de charges. Après pour certaines entreprises, c'est juste un problème de trésorerie et donc le report de charges est efficace. Est-ce que dans certains secteurs, certaines entreprises ensuite ça ne suffira pas, est-ce que la reprise sera difficile et que le chiffre d'affaires sera définitivement perdu, ça sera étudié au cas par cas. Mais vous savez aujourd'hui on se concentre sur le fait qu'il Il n'y ait pas de défaillances d'entreprises pendant la période de crise et puis on est en train de travailler évidemment sur la reprise et ça, ça sera l'étape d'après.   

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Muriel PENICAUD, est-ce que vous nous confirmez ce matin qu'une réflexion est en cours, peut-être même un arbitrage a été rendu au gouvernement sur le doublement de la prime Macron, cette prime de 1000 euros sans impôt et sans charge, qui a été élargie à toutes les entreprises y compris celles qui n'ont pas d'accord d'intéressement, est-ce que vous allez proposer qu'elle puisse être doublée selon effectivement le contexte propre à chaque entreprise ? 

MURIEL PENICAUD 
Alors ce que nous avons déjà annoncé, c'est que cette prime pourra être  différer puisque elle devait être faite avant 30 juin, elle pourra être différée et deuxièmement tout en gardant les exonérations de charges impôts et également qu'elle n'aura pas forcément la nécessité d'être accolée à un accord d'intéressement participation parce que c'est très difficile en ce moment de négocier un accord,  le dialogue social doit se concentrer sur la protection des salariés c'est le plus important mais on ne peut pas faire comme si la vie était comme d'habitude, elle n'est pas comme d'habitude. Ce que nous sommes en train de discuter avec le Premier ministre et Bruno LE MAIRE et nous prendrons des arbitrages très rapidement, c'est est-ce qu'on peut aller au-delà des 1000 euros, ce n'est pas encore décidé, des modalités ne sont pas décidées mais ça viendra très vite.  

 CHRISTOPHE JAKUBYSZYN
 Une dernière question certains syndicats ont fait planer la menace de l'exercice du droit de retrait quand leurs adhérents salariés considèrent que, justement on parlait des conditions de sécurité, qu'elles ne sont pas appliquées par leurs entreprises, est-ce que vous comprenez qu'un salarié puisse aujourd'hui revendiquer le droit de retrait ? 

MURIEL PENICAUD 
D'abord moi, je comprends complètement les salariés qui ont… Je comprends leur peur, je comprends leurs inquiétudes, lorsqu'on va au travail aujourd'hui on veut être à juste titre sécurisé sur le fait qu'il n'y a pas de risque pour sa santé, sa sécurité, c'est effectivement et je serai intransigeante sur cette protection qui est nécessaire. Ensuite je voudrais saluer le travail qu'on fait avec les partenaires sociaux, on a un rendez-vous téléphonique à peu près tous les 2 jours, on travaille beaucoup sur ces sujets de sécurité et dans certaines professions, c'est un véritable dialogue paritaire, dans certaines entreprises aussi pour avoir la mise en place de cette protection, je demande vraiment à toutes les entreprises de réunir leurs syndicats, leurs salariés, de discuter avec eux, comment on change l'organisation du travail, comment on met en place les gestes barrières, c'est possible. Alors après la bonne solution de réponse aux salariés, c'est moins le droit de retrait qu'ils ont le droit d'exercer mais à titre individuel, s'il y a un danger grave ou imminent, mais c'est bien la solution collective, comment on protège dans tel ou tel métier, si on est coursier, si on est garagiste, si on est agriculteur, si on travaille dans l'industrie agroalimentaire, quels sont les protections qu'il y a, qu'elles sont les gestes  barrières, l'organisation d'un travail adéquate, c'est la meilleure réponse et ça, ça suppose du dialogue social. 

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Et ça sera sans doute pas terminé après le confinement parce que comme on était ce matin avec le président directeur général de SEB qui a redémarré son activité en Chine, il nous expliquait que ces mesures sanitaires de protection supplémentaire allaient continuer d'exister après la sortie du confinement et qu'il fallait réadapter beaucoup de process de production et de vie dans les  entreprises, vous nous le confirmez Muriel PENICAUD ? 

MURIEL PENICAUD 
Tout à fait, j'en discute avec beaucoup de chefs d'entreprise et on va discuter aussi avec les partenaires sociaux, il faudra une reprise forcément progressive d'un point de vue technique, opérationnels parce qu'il y a des activités qui dépendent les unes des autres, mais évidemment encore avec un niveau de protection extrêmement élevée pour les salariés.   

CHRISTOPHE JAKUBYSZYN 
Merci beaucoup Muriel PENICAUD, ministre du Travail d'avoir été ce matin dans « Good Morning Business », je rappelle que vous avez notamment  annoncé que le gouvernement allait exonérer de charges sociales les entreprises qui complétaient le dispositif de chômage partiel, aujourd'hui c'est 84 % quand c'est au delà du SMIC et si l'entreprise complète jusqu'à 100 %, elles ne paieront pas de charges sociales sur ce complément. Merci beaucoup Muriel PENICAUD.   


Source : Service d'information du Gouvernement, le 1er avril 2020