Interview de M. Sébastien Lecornu, ministre chargé des collectivités territoriales, à Europe 1 le 13 mai 2020, sur l'accompagnement du déconfinement par les collectivités territoriales.

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Média : Europe 1

Texte intégral

SONIA MABROUK 
Bonjour Sébastien LECORNU. 

SEBASTIEN LECORNU  
Bonjour Sonia MABROUK. SONIA MABROUK Et bienvenu ce matin sur Europe 1. Les mises en garde du gouvernement se multiplient pour éviter un relâchement, synonyme de reconfinement, et pourquoi revenir à l'infantilisation plutôt qu'à la responsabilisation ?  

SEBASTIEN LECORNU  
Non, je pense qu'au contraire il faut rester dans la responsabilisation, et on fait tout justement pour ne pas tomber dans un discours du gouvernement, des pouvoirs publics, même d'ailleurs des collectivités territoriales, on y reviendra, j'imagine dans un instant. Je pense que les Français ont montré qu'ils étaient pleins de bon sens, qu'ils étaient disciplinés, contrairement à ce que beaucoup de gens racontent, puisqu'ils ont respecté le confinement, qu'il y a eu beaucoup de sens civique dans cette période très difficile pour la Nation française, et donc je pense que c'est le devoir des autorités sanitaires ou du coordinateur national Jean CASTEX, que de rappeler les enjeux qui sont devant nous, à savoir une épidémie avec un virus qui continue de circuler, mais je pense au contraire qu'il faut rester dans le champ de la responsabilité, et au contraire on est dans le moment où on donne beaucoup de liberté aux Français, et c'est heureux.  

SONIA MABROUK 
Vous parlez justement Sébastien LECORNU de bon sens, nos territoires en ont du bon sens, et ils sont la clef de la réussite de cette phase de déconfinement, mais beaucoup dénoncent, comme d'ailleurs hier à ce micro le président du Sénat Gérard LARCHER, des décisions prises d'en haut, de Paris, les vôtres. 

SEBASTIEN LECORNU  
Je crois au contraire que dans une crise sanitaire, déjà il est normal d'avoir un cadre national. Je pense que vous trouveriez ça un peu bizarre qu'il n'y ait pas un cadre défini, et d'ailleurs au passage un cadre que le Parlement contrôle, et donc précisément, c'est aussi depuis Paris que Gérard LARCHER peut contrôler l'action du gouvernement. Ensuite, je crois au contraire que l'on a réussi à trouver de nombreuses déclinaisons locales, rappelez-vous sur la question des marchés, qui d'ailleurs parfois a pu susciter des questionnements de la part de nos concitoyens. Pourquoi les marchés dans tel département sont autorisés, après dans le département d'à côté, parfois non loin d'une frontière interdépartementale, les marchés eux ne le sont pas ? Eh bien ça, pour le coup, c'est cette différenciation que l'on a essayé de faire. Quand on voit la méthodologie que Jean-Michel BLANQUER a appliquée pour les écoles, là aussi on n'a forcé aucune décision locale de la part des maires, donc je pense que pour une épidémie, même une pandémie mondiale, cette épidémie à l'échelle nationale, a trouvé tout de même une déclinaison locale. Et puis je vais vous dire aussi les choses, parce que je vois bien la petite musique plus politique qui peut monter ici ou là, moi je vais vous dire, déjà bien malin celles et ceux qui savaient comment on faisait un confinement et un déconfinement, puisque je crois savoir que nous ne l'avions jamais fait avant. Et puis surtout je crois qu'il y a une seule puissance publique, et la puissance publique, certes, nationale, incarnée par l'État, et la puissance publique locale, mais je crois vraiment que chacun, chaque maillon de cette puissance publique, a vraiment donné le maximum, avec un sens du service public et un sens de la République, qu'il convient de saluer. 

SONIA MABROUK 
Mais on va en parler, Sébastien LECORNU. Mais vous parler justement de différenciation, prenons un exemple concret : est-ce que vous ne décidez pas depuis Paris justement, du maintien de la fermeture des restaurants ? Par exemple, un bistrot en Lozère où il y a très peu de cas de contamination ou encore une brasserie dans le Cantal. 

SEBASTIEN LECORNU  
Mais je crois que là aussi il ne faut pas confondre vitesse et précipitation. On est seulement depuis maintenant 3 jours dans la période de déconfinement, et on a donné un rendez-vous aux Français qui est le rendez-vous du 2 juin, qui permettra de regarder là aussi où en est la circulation de l'épidémie. On ne peut pas tout nous reprocher si vous voulez. On ne peut pas d'un côté nous dire : vous n'êtes pas assez prudents, et puis de l'autre, vous êtes trop rigides. Donc je pense que là, pour le coup, il y a quelque chose de progressif, Edouard PHILIPPE l'a répété bien des fois devant les Français. Le déconfinement est quelque chose de progressif. Entre temps d'ailleurs les mesures d'accompagnement économique pour les restaurateurs, puisque vous citez cet exemple, continuent de s'appliquer, donc il est bien normal aussi que l'on regarde avec beaucoup d'attention et de prudence, les différents indicateurs sur l'évolution de l'épidémie. Une fois de plus c'est une question de bon sens.  

SONIA MABROUK 
Restons justement sur les territoires, et au sujet des maires inquiets, Sébastien LECORNU, d'éventuels procès en cas de contamination, par exemple dans une école, Assemblée, Sénat ont trouvé un compromis qui protège les élus. Il fallait une telle protection ?  

SEBASTIEN LECORNU   
Oui, alors là aussi il y a beaucoup de choses qui ont été dites. En fait, pour faire très très vite et pour les auditeurs d'Europe 1, il y a une loi d'un sénateur en 2000 qui s'appelle la loi Fauchon… 

SONIA MABROUK 
La loi Fauchon, bien sûr.  

SEBASTIEN LECORNU
… qui protège globalement tous les décideurs publics. Donc ce n'est pas un truc que pour les élus, c'est vrai aussi d'un directeur d'EHPAD, d'école. Bref.  Et donc cette loi a plutôt donné lieu à une application par le juge très très bienveillante, vis-à-vis des décideurs depuis 20 ans, en matière de jurisprudence. Et donc il y avait quelques craintes ici ou là de se dire : mais attendez, dans cette crise sanitaire, est-ce qu'il peut y avoir un revirement de jurisprudence sur les décisions qui peuvent être prises ? Mais ça concerne aussi les préfets, les sous-préfets, enfin je veux dire, ça concerne beaucoup de gens dans la République, et donc au final, l'accord qui a été trouvé entre l'Assemblée et le Sénat est un accord, parce qu'il vient codifier, fixer en quelque sorte de la jurisprudence dans la loi. Je pense que c'est un bon compromis, parce qu'il y avait quelques propositions sénatoriales initiales qui étaient me semble t-il un tout petit peu dangereuses, parce qu'elles prévoyaient une irresponsabilité par avance et par principe. Et même les maires de mon département, dans l'Eure, me disent : attendez, nous on ne veut pas être déclaré responsable, si on veut être maire, précisément, c'est parce qu'on veut être responsable. Je le rappelle, dans un État de droit il n'y a pas de liberté sans responsabilité politique et même d'ailleurs juridique.  

SONIA MABROUK 
Et d'ailleurs, Sébastien LECORNU, les maires assument évidemment de manière très générale leurs responsabilités, mais ce qu'ils disent, c'est qu'ils les assument bien plus que l'État . Quand il a fallu fabriquer et fournir les masques, les maires ont pallié les manquements, les insuffisances de l'État, disent-ils.  

SEBASTIEN LECORNU  
C'est ce que je disais. Enfin, déjà ils ne disent pas tous cela. Beaucoup donnent de la voix… 

SONIA MABROUK 
Vous en avez entendu beaucoup quand même, à ce micro et d'autres. 

SEBASTIEN LECORNU  
Oui, mais enfin, moi, sans démagogie et sans langue de bois, la réalité c'est que je le disais, il y a une puissance publique, donc on ne peut pas dire d'un côté : l'Étatfait tout mal, les collectivités font tout bien, je suis désolé mais les policiers et les gendarmes qui ont permis le respect du confinement, c'est l'État . Les soignants qu'on applaudit le soir à 20h00, c'est l'État, les enseignants qui ont permis quand même l'instruction à distance, c'est l'État. Moi j'aime la République, donc j'aime autant les collectivités territoriales que l'État. Après, si vous voulez me faire dire que les communes sont parfois plus agiles que l'État, parce que plus en proximité, eh bien la réponse est oui, et c'est bien pour ça que ça fait deux siècles d'ailleurs d'histoire républicaine dans ce pays, qu'on a  toujours consacrés à la commune, peut-être d'ailleurs que certains l'avaient un peu oublié ces dernières années, c'est bien pour ça que le président de la République, avec le Grand débat, avec la loi engagement proximité, on remet la commune un peu au cœur justement de la démocratie locale. C'est d'ailleurs bien pour ça aussi que le maire est agent de l'État . Là aussi on l'oublie trop souvent. Mais si le maire peut porter une écharpe bleu blanc rouge, c'est parce qu'il est agent de l'État, et dans cette crise effectivement il y avait une communauté de destin entre les deux, vous parlez des masques, c'est d'ailleurs  pour ça que le gouvernement a choisi de d'accompagner à 50 % le coût d'achat de ces masques, par les collectivités. Une fois de plus, communauté de destins en gestion de crise.  

SONIA MABROUK 
Sébastien LECORNU, bien sûr, vous mettez en avant le rôle de ces collectivités, mais qui voient leurs finances s'effondrer totalement en ce moment. Vous dites compter sur les territoires et les élus, mais dans les faits, est-ce qu'une dotation exceptionnelle est prévue pour les maintenir hors de l'eau ?  

SEBASTIEN LECORNU  
Là aussi je pense qu'il faut dire la vérité aux Français. En ce moment, l'urgence elle est davantage sur les associations, sur les entreprises. Pour quelles raisons ? Parce que les collectivités locales voient leurs ressources en général décalées d'un an, ça veut dire que le vrai mur financier pour nos collectivités territoriales, les communes, les départements et les régions dans une autre mesure, c'est pour l'année prochaine. A l'exception des communes d'Outre-mer et les communes touristiques, qui elles vont vivre effectivement la crise de plein fouet, dès maintenant, donc il s'agit de découper les problèmes en petits morceaux. Il est clair qu'on n'abandonnera aucune de nos collectivités territoriales. C'est pour ça que Jean-René CAZENEUVE, qui est un député remarquable, est déjà missionné sur ces questions financières… 

SONIA MABROUK Mais en monnaie sonnante et trébuchante, ça veut dire quoi ? Comment on le traduit, ce que vous dites ?  

SEBASTIEN LECORNU  
Eh bien on a déjà commencé avec Gérald DARMANIN et Jacqueline GOURAULT, à regarder avec l'ensemble des associations d'élus, pour trouver des mécanismes, alors soit d'accompagnement sur l'urgence, en clair les collectivités qui ne boucleraient pas le budget, qui arriveraient à avoir des difficultés de trésorerie, et là on a une dizaine de collectivités qu'on a sous surveillance et sur lesquelles on va faire des avances de trésorerie, enfin je ne rentre pas dans les détails, mais toute une batterie d'instruments sont sur la table pour n'abandonner personne. Ensuite, il y a la famille des collectivités qui vont connaître une difficulté l'année prochaine, et là on est en train évidemment trouver des solutions, et il faut le documenter, parce que c'est très compliqué notre système de finances locales est très complexe, toutes les collectivités ne perçoivent pas la même chose et puis vous voyez bien qu'une communauté urbaine qui reçoit beaucoup de fiscalité liée au monde économique, ne va pas vivre les choses de la même manière qu'une communauté de communes en milieu rural. Donc ça on avance là-dessus, et puis pardon Sonia MABROUK, il y a le volet la relance, et la relance de l'économie elle passera beaucoup par la commande publique, y compris dans les territoires les plus ruraux, et ça bien sûr...  

SONIA MABROUK 
Mais bien sûr, je le disais en vous annonçant, ces territoires sont un maillon clé de la relance. On a entendu l'accompagnement de l'État . L'autre sujet aussi d'ailleurs qui est lié, ce sont les Conseils municipaux élus au premier tour de ces élections municipales, qui seront donc finalement, finalement certains disent installés au plus tard le 28 mai. Pourquoi avoir maintenu une telle situation, une telle confusion, tout ce temps-là ? 

SEBASTIEN LECORNU  
Eh bien là aussi je pense qu'il faut dire la vérité. On ne va pas demander à 300 ou 400 000 conseillers municipaux de se réunir pendant le confinement. Donc de toute évidence il fallait attendre le déconfinement. Alors je crois que c'est le bon sens. D'ailleurs rappelez-vous la première semaine du confinement, où la question s'était posée oui ou non de lancer l'installation des conseils. Municipaux, franchement il y avait eu de vifs débats, d'ailleurs assez légitimes par ailleurs. Donc il était normal que ça soit suspendu pendant la période de confinement, ce qui d'ailleurs n'a pas pour autant suspendu la démocratie locale, parce que les conseils municipaux ont pu se tenir par voie de visio ou … conférence.  

SONIA MABROUK 
Ce qui l'a beaucoup entravée, quand même, Sébastien LECORNU. Ça l'a entravée.  

SEBASTIEN LECORNU  
Oui mais entravée évidemment, notamment dans les communes dans lesquelles il y avait une alternance politique. Imaginez qu'entre une équipe sortante une équipe entrante les choses pouvaient être délicates. On regarde dans le détail, beaucoup de communes ont réélu le même maire, donc là pour le coup l'entrave était plus que limitée. Donc effectivement on va s'étaler les conseils municipaux ce lundi 18 mai, qu'il me soit permis à travers d'Europe 1 de remercier quand même celles et ceux dont le mandat va s'achever lundi prochain et qui ont donné beaucoup de temps pour la République et pour le pays, de féliciter celles et ceux qui vont débuter leur mandat lundi prochain, parce que pour le coup ils s'engagent, et ça c'est bienheureux, et lundi prochain c'est une semaine jour pour jour après le premier jour de déconfinement, franchement je pense qu'on n'a pas perdu de temps. 

SONIA MABROUK 
Et qu'en est-il du second tour des municipales ? Est-ce que vous n'excluez pas je suppose un maintien pour la fin du mois de juin ?  

SEBASTIEN LECORNU  
Non, clairement l'hypothèse du mois de juin est toujours sur la table. L'enjeu évidemment il est sanitaire, parce que ce n'est pas tellement que la question de savoir organiser le second tour de scrutin, le temps un dimanche, c'est aussi la question de la campagne électorale, dans quelle mesure les candidats peuvent-ils faire une campagne électorale libre, en tout cas le plus librement du monde, notamment parce que là pour le coup il y a une égalité dans le pays sur la manière de traiter les municipales, or on sait très très bien que la manière dont l'épidémie du virus a traité nos territoires, cela est différencié. C'est pour ça que le Comité scientifique va être saisi par le Premier ministre et qu'il va venir documenter… 

SONIA MABROUK 
Sébastien LECORNU, comment vous expliquez qu'on ouvre les écoles, on prend les transports souvent bondés d'ailleurs, mais pour organiser l'élection, là il faut attendre le Conseil scientifique ? En quoi c'est plus dangereux d'aller voter que d'aller prendre le matin la ligne 13 du métro parisien, par exemple ?  

SEBASTIEN LECORNU  
Eh bien je vais vous annoncer une bonne nouvelle… 

SONIA MABROUK 
Dites-moi.  

SEBASTIEN LECORNU  
On respecte la loi de la République, et que les députés et les sénateurs ont souhaité mettre, lors de la première loi d'urgence à la fin du mois de mars, ont souhaité mettre ce rapport du Conseil scientifique au gouvernement, et le gouvernement doit documenter cette affaire devant le Parlement, c'est la loi de la République qui le dit. Donc une fois de plus, d'un côté j'entends ceux qui disent : on fait n'importe quoi, on aurait maintenu le premier tour des municipales dans des conditions déplorables, etc., et de l'autre maintenant les mêmes d'ailleurs, bien souvent les mêmes vont venir nous nous reprocher d'écouter le Conseil scientifique. Nous on a toujours une méthode, c'est suivre les règles telles qu'elles ont été définies, en accord avec l'Assemblée et le Sénat, toutes tendances politiques confondues. 

SONIA MABROUK 
Et le second tour au mois de juin, donc est une hypothèse sur la table.  

SEBASTIEN LECORNU  
C'est une hypothèse qui est toujours sur la table.  

SONIA MABROUK 
Merci Sébastien LECORNU d'avoir répondu à nos questions ce matin, sur Europe 1. 

SEBASTIEN LECORNU  
Merci de m'avoir invité. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 14 mai 2020