Interview de M. Franck Riester, ministre de la culture, à France Inter le 16 avril 2020, sur les conséquences de la crise sanitaire sur la culture, les annulations de festivals et l'audiovisuel public et privé.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Inter

Texte intégral

NICOLAS DEMORAND 
Et avec Léa SALAME nous recevons donc ce matin le ministre de la Culture et de la communication, vos questions 01 45 24 7000, passez autrement par les réseaux sociaux ou l'application mobile de France Inter. Franck RIESTER, bonjour. 

FRANCK RIESTER 
Bonjour. 

NICOLAS DEMORAND 
Et merci d'être en ligne avec nous. L'épidémie de coronavirus frappe de plein fouet la culture, festivals, cinémas, théâtres, musées, librairies, éditions, audiovisuel, sans parler évidemment de tous ceux qui font vivre ces secteurs. Nous avons beaucoup, beaucoup de questions à vous poser Franck RIESTER, on va donc vous demander, comme à Christophe CASTANER qui a joué le jeu il y a 2 jours, des réponses courtes s'il-vous-plaît. 

FRANCK RIESTER 
Oui, d'accord. 

NICOLAS DEMORAND 
Merci. Commençons donc par les festivals. Emmanuel MACRON a annoncé que les grands festivals et les événements avec public nombreux ne pourront se tenir avant au moins mi-juillet, ce qui a entraîné chaque jour de la semaine l'annulation de Solidays, des Francofolies, des Eurockéennes de Belfort, hier soir des Vieilles Charrues, et aussi, évidemment, du Festival d'Avignon. Pensez-vous, Franck RIESTER, que la mi-juillet soit une date provisoire ou que ces interdictions peuvent d'ores et déjà aller au-delà, à l'automne, voire jusqu'à Noël ? 

FRANCK RIESTER 
Ecoutez, le président de la République a dit que c'était au minimum pour la mi-juillet pour les grands festivals, pour autant peut-être que pour des plus petits festivals, à partir du 11 mai, et c'est ce que l'on doit travailler avec les festivals, avec les organisations professionnelles, avec les autres ministres concernés par le déconfinement, c'est de voir de quelle manière pourront s'organiser malgré tout quelques festivals. Mais bien évidemment que ces grands festivals, après la mi-juillet, pourraient aussi être annulés, d'ailleurs vous avez vu que les Vieilles Charrues ont annulé, parce que prévoir un festival de cette taille-là ça nécessite du temps et de l'anticipation, et vous savez que c'est évidemment un brise coeur pour tous, pour tous les spectateurs qui se réjouissent chaque année de pouvoir aller dans le festival, soit à proximité, soit un peu plus loin, pour voir leurs artistes préférés, c'est un arrache coeur pour les organisateurs, les bénévoles, celles et ceux qui travaillent pour ces festivals, bref c'est un moment difficile, un moment terrible, pour la culture, avec ces annulations de festivals. Mais l'Etat sera, en même temps que les collectivités territoriales, aux côtés des festivals pour à la fois faire passer cette étape de 2020, peut-être en organisant des festivals différents malgré tout en 2020, et surtout préparer 2021. 

LEA SALAME 
On va vous poser des questions, et notamment pour le festival de Cannes qui pourrait être différent, dans un instant, mais si je reprends vos mots vous dites que vous pourriez éventuellement sauver quelques petits festivals à partir du 11 mai, est-ce qu'il y a des conditions, des conditions de nombre de gens prévus, de jauges dans le public, c'est ça que vous essayez d'évaluer, est-ce que vous pouvez nous en dire plus ? 

FRANCK RIESTER 
Eh bien écoutez, c'est tout ça qu'on essaye d'évaluer, comme vous dites, on a à préparer d'ici deux semaines des éléments pour envisager le déconfinement dans tous les secteurs d'activité, c'est ce que nous a demandé le président de la République sous l'autorité du Premier ministre, c'est Jean CASTEX qui coordonne ce travail de préparation du déconfinement, et dans le secteur de la culture, spécialement pour les festivals, on regarde tous ces points-là, bien évidemment. Mais la priorité ça sera la sécurité des spectateurs, la sécurité des artistes, la sécurité des techniciens, et en même temps si des festivals sont adaptés à des jauges petites et à la possibilité malgré tout de pouvoir s'organiser d'une manière ou d'une autre, et qu'il n'y a pas de problème de sécurité, nous accompagnerons ces festivals. 

NICOLAS DEMORAND 
En Allemagne l'Académie des sciences, qui aide l'exécutif allemand à prendre ses décisions, a parlé d'une durée d'interdiction pouvant aller jusqu'à 18 mois pour les salles de concert et les matchs de foot, un an et demi, Franck RIESTER, ce calendrier vous semble-t-il possible en France ? 

FRANCK RIESTER 
Ecoutez, le calendrier c'est le calendrier, encore une fois, des précautions sanitaires, et ça ce n'est pas moi en tant que ministre de la Culture qu'il le définit, ce sont les autorités de santé, sous l'autorité du président de la République et du gouvernement, qui décideront le moment venu, mais en tout cas ce que je peux vous dire aujourd'hui c'est que nous souhaitons faire en sorte que le moins possible la privation de spectacles vivants, la privation de cinéma, pour nos compatriotes, soit limitée, c'est ça l'enjeu, mais pour autant, encore une fois, nous ne pouvons pas prendre de risque sanitaire. 

LEA SALAME 
Qu'en sera-t-il du Festival de Cannes qui se tient traditionnellement en mai, le plus grand festival de cinéma, les sections parallèles ont annulé leur édition 2020 hier, qu'en est-il pour la sélection principale, les organisateurs disent encore qu'il pourrait se tenir sous une forme différente, le Festival de Cannes sera-t-il annulé ou reporté en 2020 ? 

FRANCK RIESTER 
En tout cas il a été reporté par rapport à sa date de mai, il a été à nouveau reporté, en tout cas mis en suspension avec la nécessité de tenir compte de l'annonce du président de la République qui disait très clairement que les grands festivals, et c'est un grand festival, ne pourraient pas se tenir au minimum avant mi-juillet, si le festival de Cannes a très clairement annoncé qu'il ne pourrait pas organiser un festival de Cannes classique, même reporté de quelques semaines en 2020, si jamais ils arrivaient à organiser quelque chose de différent, à voir de quelle manière, eh bien nous l'accompagnerons bien évidemment, mais il faudra surtout et avant tout préparer 2021, c'est ce que nous ferons avec la mairie de Cannes, avec la région et bien sûr l'Etat. 

NICOLAS DEMORAND 
Les conséquences économiques vont être dramatiques, en tout cas pour ces festivals, en ce qui concerne Avignon certaines estimations parlent de 100 millions d'euros de manque à gagner, donc pour le Festival d'Avignon, on parle de compagnies qui vivent d'Avignon et qui peuvent, qui risquent de fermer, de tourneurs en difficulté, et évidemment des artistes qui ne pourront pas travailler et qui se retrouvent aussi dans une situation critique. Pour tous ces métiers, et sur des sommes pareilles, que peut faire le ministère de la Culture ? 

FRANCK RIESTER 
Alors, vous avez raison de parler du Festival d'Avignon qui, comme le Festival de Cannes, au-delà d'être un festival qui est essentiel en termes d'activité, je dirais pendant le festival, est aussi un marché, et donc beaucoup de pièces de théâtre sont vues par des programmeurs à ce moment-là, et ensuite programmées dans toute la France, et donc ça a un impact très important sur tout le secteur du théâtre. et donc, notre rôle, c'est à la fois de, dans le cadre de l'urgence, faire en sorte que les artistes, les intermittents du spectacle, toutes celles et ceux qui travaillent dans le festival, soient le moins impactés possible, et c'est toutes les mesures qui ont été prises et qui sont intégrées dans les mesures de portée générale annoncées par Bruno LE MAIRE, sous l'autorité du Premier ministre, qui visent à par exemple créer un fonds d'intervention pour que les artistes puissent en bénéficier, c'est le fait que les intermittents du spectacle peuvent avoir accès au chômage partiel, c'est le fait de neutraliser la période de crise sanitaire dans le calcul des heures des intermittents pour qu'ils puissent continuer d'avoir leur droit au chômage et leurs droits sociaux, tout ça va permettre de tenir, pour ces tous ces professionnels, pendant la période, mais évidemment ça ne suffira pas à compenser la perte qui va être constatée pendant cette période. Et donc nous travaillons d'ores et déjà, avec Bruno LE MAIRE et Gérald DARMANIN, sur des dispositifs spécifiques, le président de la République l'a dit lundi soir, pour accompagner le secteur des arts, le secteur de la culture, à ce confinement prolongé, et bien évidemment il y aura aussi ce travail, par la suite, de relance de la culture, et ça devra se faire avec les professionnels du secteur. 

LEA SALAME 
De combien sera doté ce fonds spécifique, est-ce que vous avez déjà des chiffres à nous annoncer, combien l'Etat va mettre pour la culture et quand ce planlà sera ficelé et présenté, Franck RIESTER ? 

FRANCK RIESTER 
Alors écoutez, là c'est dans les 15 jours que nous allons préparer ce plan pour qu'il puisse être annoncé le plus rapidement possible par la suite. Nous avons déjà, vous le savez, passé le fonds de solidarité, qui est accessible aux artistes auteurs, de 1 milliard à 7 milliards, alors ce n'est pas que les artistes auteurs bien évidemment, mais enfin on est passé 1 milliard à 7 milliards, et on a fait en sorte de modifier les critères d'accès de ce fonds, pour notamment prendre en compte, dans les modalités de calcul de l'accès à ce fonds, une période plus longue, mieux adaptée aux artistes auteurs, sur 12 mois plutôt que sur 1 mois, et donc ça c'est un élément important d'avancée pour les artistes auteurs. Deuxièmement, il y a, en ce qui concerne les intermittents du spectacle, des dispositifs qui ont été renforcés et qui vont permettre aux intermittents du spectacle de bénéficier d'une sécurité complémentaire. Et puis le plan spécifique d'accompagnement, notamment pour les troupes, notamment pour les théâtres, va être annoncé dans les semaines qui viennent, à la demande du président de la République. 

LEA SALAME 
Pour les intermittents vous avez donc annoncé, qu'on soit très clair, le 19 mars dernier que les périodes de calcul de référence et les fins de droits seront repoussées, on rappelle que les intermittents doivent déclarer un certain nombre d'heures travaillées pour pouvoir avoir droit au statut et aux aides, quelles sont les nouvelles mesures prévues, qu'est-ce que vous pouvez dire ce matin aux intermittents qui nous écoutent ? 

FRANCK RIESTER 
Là l'enjeu c'est de faire en sorte que celles et ceux qui devaient employer les intermittents, même sans contrat signé, puissent avoir les moyens de tenir malgré tout leurs engagements, c'est ce fonds d'intervention spécifique qui va nous aider, et puis c'est aussi, pour les intermittents, qui ne sont pas dans les dispositifs aujourd'hui de l'intermittence, qui auraient dû avoir leurs droits en travaillant par exemple au Festival d'Avignon, de pouvoir bénéficier d'une solidarité, et c'est un fonds spécifique qui est travaillé, notamment avec AUDIENS, qui est spécialiste évidemment des questions sociales pour l'intermittence, que nous essayons de bâtir, pour permettre que personne, dans l'intermittence, ne passe à travers les mailles de la raquette, qu'il n'y ait pas de trous dans la raquette, et que personne ne soit laissé sur le bord de la route, c'est notre obsession, et donc c'est ce que nous sommes en train de bâtir aujourd'hui. 

NICOLAS DEMORAND 
Question rapide sur DISNEYLAND Paris qui cherche à se séparer de plus de 350 intermittents recrutés début 2020, DISNEYLAND Paris enjoint ses intermittents de procéder à une rupture amiable de leur contrat de travail pour des circonstances exceptionnelles, cette procédure est-elle normale, Franck RIESTER ? 

FRANCK RIESTER 
Je me suis rapproché de la direction de DISNEYLAND Paris et je leur ai demandé absolument de maintenir les contrats d'intermittents du spectacle, et la présidente m'a garanti que ces contrats seraient maintenus, donc les négociations avec les organisations syndicales sont encore en cours, mais je suis convaincu que DISNEYLAND Paris tiendra ses engagements vis-à-vis des intermittents du spectacle, et je dirais même plus largement vis-à-vis de tous les contrats qui étaient envisagés pendant cette période. 

LEA SALAME 
Franck RIESTER, avant de passer aux questions sur le livre et l'édition, une petite question encore sur un festival, Solidays, Solidays qui a donc dû être annulé, c'est 3 millions d'euros qui servent chaque année à financer la lutte contre le sida, comment faire pour ne pas perdre totalement ces sommes, est-ce que vous demandez aux Français, qui en ont les moyens, de ne pas se faire rembourser les billets ? 

FRANCK RIESTER 
Alors, c'est un des points, vous avez raison d'évoquer cette question, qui est un des points aujourd'hui qui était en discussion avec les organisateurs de spectacles, vous savez qu'on a mis en place une cellule spéciale au ministère de la Culture pour, au cas par cas, travailler avec les festivals pour envisager leur avenir évidemment, et les accompagner dans cette crise, et notamment, et ça c'est récurrent pour tous les festivals, c'est cette question des billets qui ont déjà été payés, et 'idée effectivement, c'est d'accompagner au maximum ces festivals en faisant en sorte que celles et ceux qui ont déjà leur ticket, pour Solidays, mais comme pour tous les autres festivals, le gardent… une sorte d'avoir pour le prochain festival, et donc nous y travaillons vraiment pour accompagner là aussi les festivals dans ce sens. Mais d'après ce que j'ai su, puisque j'ai eu Luc BARRUET, le patron de Solidays, il y a une formidable mobilisation de tous, des artistes, des mécènes, pour que Solidays soit encore plus beau l'année prochaine. 


Source : Service d'information du Gouvernement, le 17 avril 2020