Texte intégral
ALBA VENTURA
Bonjour Eric DUPOND-MORETTI.
ERIC DUPOND-MORETTI
Bonjour Alba VENTURA.
ALBA VENTURA
C'est ce matin qu'entre en vigueur le bracelet anti-rapprochement, nouveau dispositif pour lutter contre les violences conjugales. Je rappelle qu'il y a eu 146 femmes tuées en 2019 par leur conjoint ou ex-conjoint. Est-ce qu'un bracelet empêche un homme violent, habité par la haine, la vengeance de franchir le périmètre et de tuer sa femme ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, mais il empêche beaucoup d'hommes de franchir cette ligne rouge.
ALBA VENTURA
On met assez les moyen, Eric DUPOND-MORETTI ? Je vous dis cela parce qu'on prend en référence souvent le modèle espagnol, sauf que les Espagnols, pardon, mais en 2008 ils mettaient 15 millions d'euros sur la table. Nous, on en met plus de 5 millions.
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors d'abord, est-ce que vous voulez que je vous explique ce qu'est le bracelet anti-rapprochement ?
ALBA VENTURA
Oui. On en a fait beaucoup mais allez-y.
ERIC DUPOND-MORETTI
Bon. Un homme menace sa femme. Le juge va lui imposer de porter un bracelet. Il va définir un périmètre dans lequel il ne peut pas entrer. Elle, sa femme, elle va disposer d'un boîtier et elle sera alertée dès qu'il y a une difficulté. Et elle pourra alerter si elle voit une ombre, si elle est angoissée, si elle a peur les forces de police…
ALBA VENTURA
Si elle voit une ombre, c'est trop tard.
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, non, non, non. Mais elle peut aussi avoir un certain nombre d'angoisses et elle peut être rassurée. Vous voyez ce que je veux dire ?
ALBA VENTURA
Vous comptez beaucoup dessus, vous.
ERIC DUPOND-MORETTI
Ah, mais c'est un outil absolument formidable. Parce que celui qui franchit le périmètre, il y a un contrôle et immédiatement les forces de l'ordre sont alertées et elles font deux choses. Elles vont interpeller l'auteur et elles vont immédiatement auprès de la victime pour la protéger et pour la rassurer. Oui, c'est une véritable avancée.
ALBA VENTURA
Eric DUPOND-MORETTI, 8 % de plus dans le budget de la justice, c'est ce qu'a annoncé hier soir le Premier ministre Jean CASTEX. On est au 23ème rang en Europe des moyens de la justice : un magistrat pour trois par exemple si on compare avec l'Allemagne. « Je veux des résultats tout de suite », c'est ce qu'a dit Jean CASTEX. Comment les Français vont voir la différence ? Les résultats tout de suite ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Madame, ce budget est un budget historique. La France pour sa justice n'a pas eu un budget de cette nature depuis plus de 25 ans. C'est 8,2 milliards de budget, une augmentation de 8%, et ça va me permettre d'embaucher d'ici la fin 2021, 2 450 personnels. Et dès ce moment - dès ce moment - 950 personnels, ce que l'on appelle « les sucres rapides », qui vont entrer en jeu dès le début de l'année prochaine. Ils sont déjà formés, il suffit de les recruter maintenant.
ALBA VENTURA
Pourquoi vous les appelez « les sucres rapides » ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Parce que les Français vont voir immédiatement leur rôle et leur importance dans la justice au quotidien.
ALBA VENTURA
C'est-à-dire qu'un dossier qui prend un an va prendre trois mois, deux mois ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, ça c'est une caricature, pardonnez-moi.
ALBA VENTURA
Oui, mais les Français veulent savoir.
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais un TIG, travail d'intérêt général, qui met 14 mois à être exécuté pourra être exécuté du jour au lendemain. Du jour au lendemain.
ALBA VENTURA
Eric DUPOND-MORETTI, vous savez que le problème qui est récurrent et qui revient souvent mais c'est ce que nous disent les auditeurs de RTL, c'est l'exécution des peines.
ERIC DUPOND-MORETTI
Et je suis d'accord avec eux.
ALBA VENTURA
Oui. Alors hier, le Premier ministre a cité un juriste italien de la fin du XVIIIème siècle et ça doit vous parler, Cesare BECCARIA.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui, madame.
ALBA VENTURA
« L'important dans une peine, ce n'est pas sa sévérité mais sa certitude. » La certitude qu'il va faire sa peine, le délinquant.
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors je vais vous dire deux choses que les Français ne savent pas. Parce qu'on parle beaucoup de justice un peu à tort et à travers et comme j'ai eu l'occasion de le dire hier, il y a 15 Gardes des Sceaux à la douzaine. Les peines dans notre pays elles sont exécutées à 92%, mais elles sont exécutées trop tard. Un travail d'intérêt général, le délai d'exécution c'est 14 mois. C'est ça, c'est ça que je veux changer. Je veux qu'une peine dès qu'elle est prononcée soit exécutée.
ALBA VENTURA
La violence quotidienne, la délinquance, la radicalité de notre société c'est une vue de l'esprit ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Non.
ALBA VENTURA
Alors pourquoi vous avez parlé de sentiment d'insécurité ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Parce qu'il ne faut pas en rajouter. D'abord on va dire les choses comme elles méritent d'être dites. Le crime, il a toujours existé ; les violences, elles ont toujours existé et elles existeront toujours. Le ministère de la Justice, il ne peut pas intervenir quand un gamin a des problèmes, quand il est mal élevé. C'est la question des parents. Il ne peut pas intervenir à l'école, il ne peut intervenir que quand il y a des signaux forts. C'est ce qu'on appelle la prévention. Et il intervient ensuite lorsqu'une infraction est commise, c'est la façon dont on juge les individus qui ont commis des infractions. D'ailleurs qu'il me soit permis de dire ici que le Garde des Sceaux, ce n'est pas lui qui décide les peines. On est dans un système dans lequel c'est les magistrats et eux seuls, en toute indépendance, qui décident de la peine juste. Et quand il s'agit des crimes, madame, c'est le peuple français qui le fait.
ALBA VENTURA
Mais vous regrettez d'avoir parlé de sentiment d'insécurité ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Pas du tout. Je n'ai pas parlé que de sentiment d'insécurité, j'ai parlé d'insécurité et de sentiment d'insécurité. Et c'est la vérité.
ALBA VENTURA
Ça va mieux avec Gérald DARMANIN, le ministre de l'Intérieur ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais ça a toujours bien été. Ça, c'est un petit putaclic journalistique.
ALBA VENTURA
Un petit quoi ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Putaclic, c'est l'expression. C'est une expression qui vient de chez vous. Moi avec Gérald DARMANIN, je travaille tous les jours. Tous les jours. On fait des circulaires ensemble, on travaille ensemble, on s'est vu hier ensemble et il n'y a aucun problème. Il y a ce mot, mais ce mot il correspond à nos sensibilités. Vous ne parlez pas comme Monsieur CALVI et Monsieur CALVI ne parle pas comme vous. Vous avez des sensibilités différentes parce que vous êtes des êtres singuliers. Stop et fin, on en a fait des caisses avec ça. Moi pour le reste, j'ai déjà…
ALBA VENTURA
Oui parce que, encore une fois, je me fais l'écho de ce que disent les auditeurs. Ils parlent de sentiment, eux, d'injustice. C'est ce que vous disait le maire de Cannes hier soir, David LISNARD. Sentiment d'injustice, ils ne parlent pas de sentiment d'insécurité les Français.
ERIC DUPOND-MORETTI
Non mais madame, c'est un peu la même chose, pardonnez-moi. Est-ce que vous pouvez concevoir qu'il y a une insécurité : c'est les crimes, les infractions qui sont commises ; et puis il y a la façon dont on regarde ces choses, dont elles sont parfois amplifiées. Quand un crime est commis aujourd'hui et qu'on en parle 50 fois sur une chaîne d'info continue, ça donne le sentiment qu'il y a 50 crimes. Je voudrais vous dire par ailleurs qu'on est dans une période qui est une période difficile. Il y a le Covid, il y a l'économie. Enfin, tout ça c'est très anxiogène et ce n'est pas la peine d'en rajouter. L'été meurtrier, Madame Alba VENTURA, ça n'est pas un programme politique, c'est une posture.
ALBA VENTURA
L'été Orange mécanique, c'est une réalité comme le disait Xavier BERTRAND ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais c'est la même chose, c'est la surenchère des mots. Vous pensez que si Monsieur Xavier BERTRAND est Garde des Sceaux demain, il n'y a plus de crimes dans ce pays ? Vous pensez que si Madame LE PEN, ce qu'à Dieu ne plaise, est présidente de la République il n'y a plus de crimes dans ce pays ? Vous pensez ça ?
ALBA VENTURA
Je vous laisse répondre.
ERIC DUPOND-MORETTI
Ben la réponse est non, évidemment. Il n'y a pas eu dans notre Histoire une période de rémission des crimes, ça ne veut pas dire qu'il ne faille pas faire un certain nombre de choses.
ALBA VENTURA
Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas lutter contre la violence et faire en sorte qu'il y en ait moins.
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais madame, la délinquance c'est un ensemble de choses. D'abord on est le fruit de son Histoire et là-dessus, le Garde des Sceaux il ne peut pas faire grand-chose. Où vous êtes né, d'où vous venez, comment vous avez été élevé, quelles ont été vos fréquentations ? Nous dans nos familles, ce sont des microsociétés, il y a un ministre de la Justice et il y a un ministre de l'Intérieur, ce sont les parents. Est-ce qu'ils parviennent toujours à régler la situation des mômes ? Et tout ça, ça se fait dans la nuance. Alors moi je veux bien qu'on nous dise qu'il suffit de coller des raclées pour que tout soit terminé, mais ce n'est pas comme ça que ça marche. Ça, vous voyez, c'est prendre les Français pour des imbéciles. C'est aujourd'hui et demain, on rase gratis. Et c'est insupportable parce que c'est du populisme pur.
ALBA VENTURA
Monsieur DUPONT-MORETTI, réussir à mettre les magistrats dans la rue en moins de deux mois, c'est pas mal ça.
ERIC DUPOND-MORETTI
Non d'abord, les magistrats ne sont pas dans la rue. Moi je suis allée au tribunal hier, ils étaient au tribunal.
ALBA VENTURA
Ils ont manifesté. Je rappelle pour les auditeurs qu'il y a deux points qui les irritent.
ERIC DUPOND-MORETTI
Oui.
ALBA VENTURA
Vous avez demandé une enquête disciplinaire contre trois magistrats qui avaient diligenté…
ERIC DUPOND-MORETTI
Non madame, non madame. C'est ma prédécesseure qui a demandé une enquête.
ALBA VENTURA
Et vous la poursuivez.
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais je vais vous dire pourquoi.
ALBA VENTURA
Elle se poursuit.
ERIC DUPOND-MORETTI
Je vais vous dire pourquoi.
ALBA VENTURA
Vous ne l'avez pas abandonnée.
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais madame…
ALBA VENTURA
Attendez…
ERIC DUPOND-MORETTI
Est-ce que je peux répondre ?
ALBA VENTURA
Oui. Pour que les auditeurs comprennent bien, c'est une enquête contre trois magistrats qui avaient diligenté l'examen de factures téléphoniques, ce qu'on appelle les fadettes, de plusieurs avocats en marge de l'affaire des écoutes de Nicolas SARKOZY, et vous faites partie de la liste des avocats sauf qu'entre-temps vous êtes devenu ministre.
ERIC DUPOND-MORETTI
Vous oubliez d'ailleurs des magistrats et un journaliste, entre parenthèses, dans ceux qui ont été surveillées dans ces conditions. Madame BELLOUBET décide d'une enquête. Une inspection générale des services confiée à qui, madame ? Confiée à des magistrats, voilà, qui ne sont pas dans la rue, ils travaillent.
ALBA VENTURA
Mais ils disent qu'il y a conflit d'intérêts.
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais laissez-moi terminer. Je voudrais, madame, terminer mon propre. Ce rapport est rendu. Moi je ne m'y intéresse pas, je ne prends pas la plume. Ce sont, je le redis, des magistrats, d'autres magistrats qui rédigent cela. Qu'est-ce qui sort de ce rapport ? Il sort qu'il y aurait des longueurs de cette enquête, il y aurait un manque de rigueur et il y aurait, madame, un manque de loyauté. Et vous voudriez que je laisse tomber ça, moi ? C'est-à-dire que vous me demandez…
ALBA VENTURA
Vous êtes devenu ministre.
ERIC DUPOND-MORETTI
Non, laissez-moi répondre s'il vous plaît, madame. Vous me demandez d'étouffer cette affaire ? Et les magistrats en question n'ont même pas voulu répondre à leurs collègues magistrats. Ce n'est pas le garde des Sceaux qui les a emmenés et tirés par l'oreille dans son bureau : c'est des magistrats déontologues, dont c'est le métier, qui souhaitaient entendre des magistrats qui n'ont pas voulu répondre à cette convocation. L'une d'entre elles a d'ailleurs préféré…
ALBA VENTURA
Qu'est-ce que…
ERIC DUPOND-MORETTI
L'une d'entre elles a d'ailleurs préféré Paris Match et les Français qui nous écoutent…
ALBA VENTURA
Vous pouvez me regarder quand vous parlez.
ERIC DUPOND-MORETTI
Eh oui, je regarde Monsieur CALVI aussi là parce que je le vois sourire.
ALBA VENTURA
Non mais c'est moi qui pose les questions.
ERIC DUPOND-MORETTI
Je termine, madame. Je termine. Je vous regarde droit dans les yeux, j'ai même enlevé mes lunettes.
ALBA VENTURA
Voilà.
ERIC DUPOND-MORETTI
Et Madame Alba VENTURA, je vais vous dire quelque chose. Les Français qui nous écoutent là, ils rendent des comptes à leur patron. Vous rendez des comptes à votre patron. On rend tous des comptes. Et ces trois magistrats-là ont décidé qu'ils ne voulaient pas rendre de comptes alors qu'ils sont interrogés par leurs collègues dont le métier est de regarder la déontologie. Je finis là-dessus…
ALBA VENTURA
On nous parle sans arrêt de séparation des pouvoirs. Eux ils disent : il y a trumpisation de la justice, ils disent que vous vous vengez.
ERIC DUPOND-MORETTI
Trumpisation ? Eh bien s'il y a type qui n'est pas populiste, c'est moi.
ALBA VENTURA
Vous vous vengez ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Mais je ne me venge pas du tout, je vous ai dit que ça n'est pas moi. Vous ne voulez pas l'entendre. Voulez-vous m'entendre ?
ALBA VENTURA
Oui, mais on vous a entendu.
ERIC DUPOND-MORETTI
Alors je vous redis, madame, que c'est Madame BELLOUBET qui a ordonné l'enquête, que l'enquête fait apparaître des longueurs, de la déloyauté, un manque de rigueur. C'est les services de la déontologie du ministère composés de magistrats qui le disent et vous voudriez que j'étouffe l'affaire. Enfin, certains voudraient que j'étouffe l'affaire : ben je ne suis pas d'accord. Et je vais vous dire : ce que ce que je disais comme avocat, je le dis aujourd'hui comme Garde des Sceaux.
ALBA VENTURA
Ils sont corporatistes, les magistrats ?
ERIC DUPOND-MORETTI
Ils sont corporatistes, oui, comme les avocats sont corporatistes, comme les policiers sont corporatistes, comme les journalistes, Madame Alba VENTURA, sont corporatistes.
ALBA VENTURA
Merci Eric DUPOND-MORETTI.
Source : Service d'information du Gouvernement, le 29 septembre 2020